Extrait de Promenade historique et pittoresque à Saint-Germain-en-Laye, 1834 [1]
Sur la route de Saint-Germain à Paris
Alpicum
Au lieu de descendre la grande côte nous suivrons celle du Pecq, qui prend aussi naissance à la place Royale ; nous passerons à côté du manège couvert placé à notre gauche, et nous traverserons le Pecq. Ce village, dont le nom était autrefois Aupec, en latin Alpicum ou Alpecum, était déjà connu au milieu et même au commencement du septième siècle. L'auteur de la vie de saint Erembert évêque de Toulouse, décédé vers 670, dit que le lieu Villioli Curtis était voisin d'une terre fiscale nommée Alpicum située sur la Seine, dans le Pincerais.[2] L'an 704, le roi Childebert III, la dixième année de son règne, donna à l'abbaye de Fontenelle, du diocèse de Rouen, autrement dite de saint Vandrille, la terre royale d'Aupec : "Villam quœ vocatur Alpicum quœ sita est in pago Pinciacensi super alveum sequanam" avec ses dépendances ou plutôt adjacences adjacentes, ainsi que les appelle la chronique de l'abbaye de Saint-Vandrille, écrite vers l'an 1000. Dès le temps de Louis-le-Débonnaire, la terre d'Aupec était couverte de vignes qui donnaient une récolte assez abondante. On lit dans un règlement fait par Anségise, abbé de Saint-Vandrille, décédé en 833, que le domaine d'Aupec fournissait annuellement à son monastère trois cent cinquante muids de vin, vinum de Alpiaco modios CCCL. Les religieux de Saint-Vandrille furent attentifs à la conservation d'un bien aussi productif. Ils eurent soin de se faire confirmer, en 845, par Charles-le-Chauve, la donation que Childebert leur en avait faite [3]. Plus de trois cents ans après, ils sollicitèrent de Louis-le-Jeune une nouvelle confirmation qui leur fut accordée, en 1177, par une charte datée de Compiègne, comprenant tous les biens de ce monastère, et désignant en particulier ceux qui étaient dans le diocèse de Paris : In episcopatu Parisiensi Alpicum et ecclesiam cum tota decima et visiniolum et Demonvalem, et dimidium viciniacas ac decimam Villiolis Curtis et in Marolio census, etc. Vers la fin du onzième siècle, un chevalier formidable nommé Ervaud ou Evrard, dont le château était sur le territoire de Marly, pensant qu'il boirait tout aussi bien et peut-être tout aussi vite que les moines de Saint-Vandrille, les trois cent cinquante muids de vin qu'ils retiraient du domaine d'Aupec, résolut de s'approprier le vignoble qui les produisait. Il débuta par s'emparer de tous les porcs que les frères avaient engraissés. Hurfrède et Vautier, religieux envoyés par l'abbé Gisbert ou Gubert, pour gouverner les biens que la maison avait à Aupec, se mirent en prières, et racontèrent à leur bienheureux protecteur le malheur qui leur arrivait, et celui plus grand encore dont ils étaient menacés. Saint Vandrille, qui ne voulait pas que ses serviteurs bussent du cidre comme des Bas-Normands, et qui tenait à ce qu'ils eussent quelques jambons à manger à Pâques, apparut à Ervaud et le malmena si fort, que ce chevalier félon s'empressa d'abandonner son entreprise, et indemnisa les moines de la valeur de ce qu'il avait enlevé.
Saint-Germain (château vieux, château neuf, jardins); Le Pecq (village, pont); Le Vésinet (ferme, garenne) Les Environs de Paris - forêt domaniale de St Germain-en-Laye, XVIIIe siècle.
Les guerres civiles et étrangères portèrent de grands préjudices au Pecq, comme à tous les environs de Paris. On pourrait presque croire qu'il disparut entièrement pendant une longue période, car il n'en est plus fait mention jusqu'au quatorzième siècle. En 1355 la paroisse de Saint-Germain s'étant agrandie aux dépens des Bernardins de Paris, qui possédaient des terrains sur la colline, ces religieux furent indemnisés par la cession qui leur fut faite de quelques portions du domaine d'Aupec, dont le surplus passa à des particulièrs, sans doute après que des arrangements convenables eurent été pris avec l'abbaye de Fontenelle. Ce morcellement du domaine d'Aupec, et le voisinage de la cour, qui faisait de longs et fréquents séjours à Saint-Germain, repeuplèrent insensiblement le village, et déjà sous Henri IV il était assez important pour que ce fût une faveur pour lui d'obtenir de ne payer que mille livres d'impositions. Plus tard il s'étendit et gravit la côte.
Le Pecq
Le Pecq est à l'ouest de Paris. Il s'étend, sur la descente assez raide de la côte de Saint-Germain, depuis les limites de cette ville jusqu'en bas, et ne forme presque qu'une seule rue. On y remarque quelques maisons de campagne agréablement situées. Son aspect est vers le levant, en face de la Seine. On y compte 1200 habitants. Il y existe des fabriques de blanc de céruse, de fécule de pomme de terre, et des tanneries. Le pont de bois construit sur la Seine en 1665 et rétabli en 1775, a été emporté en partie par les glaces en 1829. Il a été réparé depuis pour servir provisoirement pendant la construction d'un pont neuf qu'on bâtit en face le rond-point du Vésinet. Une route neuve moins rapide que celle qui existe aujourd'hui va être faite et passera à travers les anciens jardins du Château-Neuf, pour aboutir presque à la place royale à Saint-Germain. L'église paroissiale, dédiée à saint Vandrille, est fort ancienne, et a été rebâtie plusieurs fois. Celle qui subsistait en 1720 était située un peu au-dessous du milieu de la côte. Comme elle tombait de vétusté en 1746, on prit le parti de l'abattre et de la reconstruire entièrement sur un autre emplacement plus élevé. Quoiqu'il y ait une aile de chaque côté,on ne tourne pas derrière le sanctuaire. Le portail est simple, surmonté d'une tour et précédé d'une place. L'ancien clocher avait supporté deux cloches fondues en 1606. En 1699 elles ont été refondues et nommées par le roi et la reine. Une partie des vignes dont le territoire était couvert au neuvième siècle, a disparu par suite de défrichements et de la construction du palais de Henri IV. Néanmoins il en reste encore beaucoup, mais le vin qu'elles produisent n'est pas de nature à donner à un nouveau chevalier Ervaud la tentation de les envahir! Dans une propriété particulière, située entre les ruines du château neuf et la Seine, il existe des eaux thermales qui furent longtemps en réputation ; mais, comme toutes celles des environs de Paris qui ont eu de la célébrité, elles sont totalement dans l'oubli.
Ruines du Château neuf de Saint-Germain-en-Laye, et l'église St Vandrille au Pecq - dessin, 1818
Le pont du Pecq
Le 1er juillet [1815], le corps du général Blücher, lassé d'échanger inutilement des coups de canon et de fusil contre les Français, protégés par les fortifications de Montmartre et de Saint-Chaumont [4], se replia sur le Pecq, y effectua le passage de la Seine, pour se déployer dans des plaines où le défaut de points de défense lui donnait l'espoir et les moyens de s'emparer bientôt de la capitale. La défense de ce poste important était confié à la bravoure de vingt-cinq hommes. L'officier qui les commandait se trouvait à la mairie de Saint-Germain quand on eut avis de l'approche de l'ennemi. Le maire lui fit observer qu'il ne pourrait mettre obstacle au passage du pont avec le faible détachement qu'il avait sous ses ordres; qu'on était certain que quinze cents hommes étaient entrés à Montesson, d'où ils se dirigeaient sur le Pecq; il lui offrit enfin de sûrs moyens de retraite. Le commandant répondit qu'il savait combien ses efforts seraient impuissants ; mais que son devoir lui ordonnait de défendre son poste , et qu'il y périrait l'épée à la main. Il descendit aussitôt se mettre à la tête de sa troupe; et après de vaillants efforts, il tomba mortellement blessé. Après avoir vu tuer leur officier et la plupart de leurs camarades, ce qui restait de ces vingt-cinq braves fit retraite par le Chemin Neuf en combattant toujours. Le Pecq, exposé pendant quatre jours au passage de l'armée prussienne, fut pillé à plusieurs reprises.
Le bois du Vésinet
Après avoir traversé le Pecq et le pont nous arrivons à une grande place circulaire dite Étoile Royale d'où partent plusieurs routes qui conduisent, les unes à Sartrouville et à Montesson, les autres à Croissy et à Chatou. Nous prenons cette dernière, qui se trouve en face du nouveau pont, et nous traversons le bois du Vésinet. Cette petite forêt, nommée autrefois Echaufour est très ancienne, selon André Duchesne et quelques vieux historiens. On l'appelle aussi le Bois de la Trahison, parce que, disent des traditions plus que douteuses, ce fut sous son ombrage que fut méditée la trahison de Ganelon de Hauteville [5] et de ses complices, contre Roland, neveu de Charlemagne, les douze pairs de France, les seigneurs de la maison des Ardennes, et que fut préparée la funeste journée de Roncevaux. On a montré longtemps une table de pierre sur laquelle on prétend que les conjurés signèrent leur pacte et prêtèrent leurs serments. Charlemagne, dit-on, fit mourir par le feu les coupables, au lieu même où ils avaient formé leur ligue criminelle. Les mêmes traditions ajoutent qu'en mémoire et pour châtiment du crime, Dieu voulût qu'une branche d'arbre coupée d'un côté de la route de Paris et jetée dans l'eau y surnageât, et qu'une branche coupée de l'autre côté de la route, et pareillement jetée dans l'eau, coulât à fond comme une pierre. André Duchesne et d'autres auteurs racontent très sérieusement cette particularité, mais aucun d'eux ne dit s'il l'a vérifiée ; elle en valait pourtant bien la peine.
Plan dressé par Main, premier arpenteur de la Maitrise des Eaux & Forêts de St Germain en 1783 (détail) On peut y voir les 32 bornes de 1751, la nouvelle route dite de la Princesse de Conty, les défrichements de 1779 pour la Ferme du Vézinet et ceux prévus le long de la route de la Borde (qui resteront au Pecq et à Mmontesson lors de la création de la Commune du Vésinet).
Henri IV parait être le premier de nos rois qui se soit occupé du bois du Vésinet, encore s'il y a donné quelque attention, c'est qu'il avait l'avantage de se trouver en face de Saint-Germain et sous les fenêtres du château neuf. Ce fut très probablement ce prince qui y fit ouvrir les principales routes, qui toutes aboutissent à une très belle place circulaire, au midi de la Seine. [6] Au décès de Henri IV, le bois du Vésinet ne contenait que deux cent quatre-vingt-quatre arpents et vingt-quatre perches. En 1612, les seigneurs de Chatou et de La Borde cédèrent à Louis XIII trois cent trente-cinq arpents quatre-vingt-douze perches de forêts attenantes. En 1634, le seigneur de Croissy fit pareillement cession de trois cent soixante-trois arpents quarante-trois perches. Louis XIV y réunit, pendant son séjour à Saint-Germain, différents cantons voisins ; il acquit de l'importance et de l'étendue, et selon un arrêt du conseil d'état, du 5 avril 1751, qui en ordonna la fixation, la délimitation, et le bornage, il fut reconnu de la contenance de douze cent quatre-vingt-quatorze arpents soixante-trois perches trois quarts. Il fut transformé en garenne, et entouré en partie de murs qui enfermèrent beaucoup de terrains vagues, généralement d'une médiocre valeur. Il y fut construit une faisanderie, et il devint enfin domaine. C'est à tort que plusieurs ouvrages signalent la route du Vésinet comme dangereuse, et avancent que la malle-poste et des voitures particulières y ont été arrêtées ; on ne peut de mémoire d'homme citer un seul fait de ce genre [7].
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Notes et sources :
[1] Deuxième édition de l'un des premiers "guides touristiques" édité pour la mise en valeur de St-Germain-en-Laye et ses environs. Il n'est pas signé, mais il est tiré de l'Histoire de la ville et du chateau de St-Germain-en-Laye, suivie de recherches historiques sur les dix autres communes du canton, ouvrage attribué à Abel Goujon (1794-1834) [imprimerie d'Abel Goujon, rue de Paris, n° 41] édité en 1829. Une partie du texte est « empruntée » à Jean Lebeuf (1687-1760) connu pour son Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris (publiée de 1754 à 1757).
[2] Pincerais (Pagus pinciacensis) : un ancien « pays » de l'époque mérovingienne avec pour chef-lieu Pinciacum, l'actuelle Poissy.
[3] On doute désormais de l'authenticité de la charte de 704. Il doit s'agir d'un faux servant à justifier la "confirmation" royale de 1177. Une pratique que l'on dit assez fréquente, rendue aisée par les dégâts occasionnés par les invasions normandes et les guerres médiévales.
[4] Ancien nom de la Butte Chaumont, dans le 19e arrondissement de Paris.
[5] Le Ganelon de Hutefueille dans les chansons de geste et jusqu'au XVIe siècle, devient de Hautefeuille ou Haute-Feuille aux XVIIe et XVIIIe. Le nom erroné de Hauteville apparait au XIXe siècle dans les ouvrages consacrés à l'histoire de St Germain et ses environs, et plus particulièrement à la légende du Bois de la Trahison.
[6] Commandés sous Henri IV, ces travaux ne furent entrepris que sous le règne suivant (Louis XIII) et développés pour Louis XIV (1664).
[7] Cette mauvaise réputation semble due essentiellement au souvenir de la mésaventure de Fieubet et Courtin (1685) et plus tard l'assassinat d'un agent de change, Pinel (1789).
Société d'Histoire du Vésinet,
2016 - www.histoire-vesinet.org