D'après Auguste Supersac dans La Concorde, 23 août 1860 et Emile Bourdelin dans Le Monde Illustré, 25 août 1860.

Inauguration des machines hydrauliques du Vésinet

Les travaux entrepris dans le bois du Vésinet, depuis 1858 sont, au point de vue de l'art, une œuvre remarquable. Les brillants résultats déjà obtenus par les hommes habiles qui ont dirigé ces travaux, promettent à la future colonie un avenir brillant, et la solennité donnée à la cérémonie d'inauguration qui a eu lieu le dimanche 19 août, prouve suffisamment que ces travaux ont été considérés en haut lieux, non pas seulement comme une entreprise industrielle ordinaire, mais bien plutôt comme une entreprise d'utilité publique.
On se rappelle aisément, ce qu'était il y a deux ans a peine le bois aride du Vésinet. Ces deux années ont suffi, pour le transformer en un parc, parfaitement dessiné, ou les points de vues les plus agréables ont été ménagés avec un art parfait, au milieu duquel serpente une rivière charmante, qui n'a pas moins d'un parcours de 7 kilomètres, sur une largeur moyenne de 8 mètres. Une rivière navigable, et sur laquelle se promènent déjà de charmantes barques et d'élégants canots. Cette rivière donnera naissance à cinq lacs, dont le plus étendu n'aura pas moins de 4000 mètres. Trois de ces lacs existent déjà.
Le Vésinet devient grâce à sa situation exceptionnelle, grâce à la beauté de ses environs, un bois de Boulogne perfectionné. Sa surface est de 45o hectares. Cent hectares sont réservés aux routes, promenades, pelouses, lacs et rivières ; les 35o hectares restant seront vendus. Déjà de plusieurs côtés s'élèvent des habitations charmantes, et parfaitement situées, parmi les plus heureusement faites, nous avons remarqué celle de M. Pallu, directeur de la Société, placée sur les bords d'un lac, et une maison romaine en construction d'un aspect assez original, qu'on prétend construite, pour une artiste célèbre [Rosine Stoltz].

M. Pallu, directeur de la Compagnie du Vésinet, avait convoqué pour la cérémonie plusieurs notabilités. Vers deux heures, le convoi de Saint-Germain déposait à la station du Pecq une foule d'invités.
Monseigneur Mabile [1] évêque de Versailles, venu donner la bénédiction aux machines hydrauliques. Leurs excellences le Ministre d'Etat [2] et le Ministre de l'Agriculture et du Commerce [3] assistaient à cette fête, et M. Cornuau, secrétaire-général du Ministère de l'Intérieur, y représentait M. Billaut. Étaient aussi présents M. le maire de Saint-Germain-en-Laye, les membres de la presse parisienne et de Seine-et-Oise, et des artistes en grand nombre. A deux heures, Mgr Mabile, accompagné de son grand vicaire M. l’abbé Caron, arrivait à la maison de M. Pallu, où se trouvaient déjà LL. Exc. M. le Ministre d'Etat, et M. le Ministre du Commerce et de l'Agriculture. Monseigneur avait été reçu par M. le curé de Saint-Germain, à la tête de son clergé. Le cortège se mit alors en marche, et se rendit, en traversant le parc, jusqu'à l'établissement hydraulique de la prise d'eau. Une distance de deux kilomètres était à parcourir. La route se fit à pied. Un piquet de gendarmerie ouvrait la marche. La musique du 3ème régiment des voltigeurs de la Garde venait après, puis des députations des ouvriers qui ont exécuté les travaux. Le cortège était suivi d'une foule nombreuse. Les côtés du chemin étaient peuplés de toutes les populations d'alentour accourues pour jouir du spectacle qui s'offrait à elles.


Les « pompes à feu » au bord de la Seine, au bout de l'allée des Machines.

«  les machines qui pompent l'eau de la Seine pour alimenter les lacs, les rivières et les propriétés particulières du parc »

 

Inauguration et bénédiction des machines par Mgr Mabile, évêque de Versailles, le 19 août 1860

« Heureux, le souverain qui voit de semblables merveilles s'accomplir sous son règne, et béni soit mille fois celui qui soutient les classes laborieuses en décrétant de pareils travaux »

 

Dans la salle des machines, au milieu des magnifiques appareils, construits par M. Farcot, un autel était dressé, devant lequel Monseigneur Mabile, après les prières, a béni les superbes machines dont le secours doit fertiliser, assainir et embellir le nouveau parc. Ces belles machines, de la force de 60 chevaux, donnent par jour, 4000 mètres cubes d'eau, en 15 heures de travail.
Après la bénédiction, Monseigneur a prononcé une allocution respectueusement écoutée ; il a fait comprendre aisément à la suite de quelle idée élevée avaient été conçus et exécutés les plans qui ont donné naissance à la nouvelle colonie du Vésinet. Sa parole charitable, s'est mise à la portée des ouvriers nombreux qui l'écoutaient, et elle a été entendue avec une véritable émotion. M. Pallu, dans une réponse bien faite, a remercié Monseigneur Mabile et LL. Exc. les Ministres, d'avoir protégé de leur haut patronage la cérémonie d'inauguration. II a rappelé que ses projets avaient eu l'approbation de S. M. l'Empereur, et victorieusement prouvé qu'il tenait plus à attacher son nom a une entreprise utile, qu'à se mettre à la tête d'une affaire purement industrielle.

Après la cérémonie religieuse, Monseigneur Mabile est allé visiter le parc et s'est arrêté longtemps sur la place du village. Passant autour des tables dressées par les ouvriers et adressant a plusieurs d'entre eux des paroles d'espérance et de consolation. Un banquet dresse dans une tente magnifiquement ornée a réuni les nombreux invités de la Société du Vésinet. Le toast à l'Empereur, porte par M. Pallu, a été chaleureusement accueilli.
Dans la soirée, les lacs, sillonnés de barques pavoisées étaient brillamment illuminés ainsi que les maisons déjà habitées du Vésinet. La plus brillante à coup sûr était celle de M. le directeur de la Compagnie, dont Madame Pallu a fait les honneurs avec une grâce parfaite [4]. Malgré sa modestie qui voudrait rester dans l'ombre, nous devons citer M. Olive, le remarquable artiste, dont les plans ont servi à exécuter les magnifiques travaux qui feront bientôt du Vésinet, un des endroits les plus remarquables des environs de Paris.
Arrivé sur la place du nouveau village où les ouvriers, au nombre d'environ trois cents, prenaient part à un banquet, Monseigneur de Versailles a quitté sa voiture et porté de table en table quelques bonnes paroles qui ont été accueillies par des vivats prolongés.

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    Notes:

    [1] Mgr Jean-Pierre Mabile (1800-1877). Né à Rurey (Doubs) le 20 septembre 1800. Nommé évêque en juillet 1851, sacré le 11 novembre 1851 à Montauban (Tarn-et-Garonne), installé le 26 novembre à Saint-Claude, il y reste en fonction jusqu'en 1858. Nommé ensuite évêque de Versailles par décret impérial en date du 30 janvier 1858. Décédé à Rome, à l’hôpital San Giovanni, le 8 mai 1877. Son corps fut ramené à Versailles. Après les funérailles célébrées en la cathédrale, il fut inhumé en la crypte de la cathédrale de Versailles le 16 mai 1877.

    [2] Achille Marcus Fould (1800-1867), ministre d'Etat et de la maison de l'Empereur.

    [3] Eugène Rouher (1814-1884), ministre de l'agriculture, du commerce et des travaux publics.

    [4] Il ne s'agissait pas encore de la villa La Marguerite édifiée plus tard pour Alphonse Pallu sur les plans de L. A. Boileau mais d'une villa bâtie au bord du Lac de la Station du Pecq par Pierre-Joseph Olive, louée durant les premières années de la colonie à M. Pallu.

 

Société d'Histoire du Vésinet, 2004-2015 • www.histoire-vesinet.org