Jean-Paul Debeaupuis, Société d'Histoire du Vésinet (juillet 2023).

Julien Rudolphe (1891-1969)

Julien Marius Paul Rudolphe voit le jour à Rueil-Malmaison le 22 novembre 1891. Son père, d'origine Alsacienne, est mécanicien et c'est vers cette activité que le jeune Julien va s'orienter. Mais il manifeste très vite les qualités nécessaires à la pratique du cyclisme sportif. C'est comme stayer [1] qu'il s'illustrera sur les vélodromes du Parc-des-Princes, de Buffalo à Neuilly ou du vélodrome d'hiver, le Vél'd'Hiv (inauguré en 1910) entre autres dans les célèbres épreuves dites des Six-jours.
En août 1912, qualifié pour la finale des championnats du monde de cyclisme sur piste (occasion pour laquelle il bénéficie d'un sursis militaire), il embarque au Havre sur le paquebot La Provence à destination de New-York pour participer aux épreuves du 30 août au 4 septembre à Newark, New Jersey. Il se classe 5e. L'année suivante, il retourne courir aux États-Unis (où les primes sont plus substantielles). Embarquant le 25 juin à Cherbourg sur le paquebot Olympic à destination de New York, il acquiert une renommée internationale dans une série de compétitions étalées sur plusieurs mois (New-York, Boston, Philadelphie, ...). Cependant, si son nom apparaît souvent dans la presse d'outre-atlantique, c'est plus pour donner à des compétitions une dimension internationale que pour rendre compte d'un palmarès exceptionnel. La notoriété de Julien Rudolphe est celle d'un coureur qui aura contribué à faire le spectacle sans atteindre un niveau de résultats d'exception.

Julien Rudolphe en 1911.

Photographie de presse (Agence Rol)

 

Le Vél'd'Hiv (vélodrome d'hiver) en 1911.

Photographie de presse (Agence Rol)

Puis vient la guerre. Mobilisé le 11 août 1914, Julien est affecté comme fantassin au 101e régiment d'infanterie. Il est aussitôt engagé dans les Ardennes puis autour de Paris (bataille de l'Ourcq) et sur la Somme. En janvier-février 1915 il est dans le secteur de l'Aisne puis en mars, en Champagne.

    Dès le 22 mars 1915, le 101e, qui était bivouaqué en entier à la ferme de Piémont, reçoit l'ordre d’aller relever le 63e régiment d'infanterie dans la région de Jonchery. Cette relève est complètement terminée dans la nuit du 24 au 25 mars. Le secteur occupé par le régiment comprend le mouvement de terrain situé au nord de la rivière de la Ain. Le terrain est en pente, les Allemands tiennent la crête et dominent nos tranchées de première ligne dont ils ne sont séparés que d’une vingtaine de mètres en certains points. L'ennemi occupe l’entonnoir formé par l’explosion d’une mine, entonnoir qui commande nos organisations et gêne beaucoup nos mouvements.

    Au sud de la rivière, une tranchée de soutier, est occupée par deux compagnies ; elle court sur la colline 133 et offre des vues assez bonnes sur tout le secteur. A Jonchery même, est installé le P.C. du colonel. Un bataillon est au repos à Mourmelon-le-Grand.

    Pendant son séjour à Jonchery, du 25 mars au 9 juin 1915, le régiment organise activement le secteur ; les hommes du 101e, déjà familiarisés au maniement de la pelle et de la pioché, doivent redoubler d’efforts pour entretenir et réparer le vaste réseau de boyaux et de tranchées dont ils ont la garde et que les gros “ minen ” ennemis ne cessent de bouleverser. Ils ont d’ailleurs trouvé des organisations relativement confortables et ont à cœur de les améliorer et de les renforcer. Le génie travaille en collaboration étroite avec le 101e. Des rameaux de mine ont été creusés par la division précédente ; il s'agit d’en assurer la surveillance et la garde permanente. [2]

Capturé dans le site dit la Tranchée de Calonne près de Mourmelon le 25 avril 1915 [3], Julien est fait prisonnier. Il sera interné à Würtzburg en Bavière. Rapatrié le 19 octobre 1916, il est affecté à une nouvelle unité (23e Régiment d'Infanterie Coloniale) en qualité d'infirmier mais il ne la rejoindra pas. Il est « détaché auprès de la maison Peugeot à Levallois-Perret par décision ministérielle n°5430 du 2 février 1917 », une issue qui revêt un caractère exceptionnel.

Durant sa captivité bavaroise, Julien a connu une jeune allemande, Barbara Mathilde Brand, originaire de Rimpar près de Würtzburg, qui a donné naissance à une fille, Josette Lucie, le 14 avril 1917 à Lucerne, en Suisse. Après la guerre, Julien et Barbara (Babette) se marient à Lucerne le 6 février 1920. (Le mariage fera l'objet d'une transcription sur le registre d'état-civil du Vésinet le 25 juin 1928).
Avant la fin de la guerre, le 17 octobre 1918, Julien crée son entreprise : Julien Rudolphe et Cie, travaux de mécanique, 68 rue de la République à Puteaux, Seine [4] tandis qu'il habite à Nanterre, rue de Cherbourg). Puis il se lance dans la production de vélos hauts de gamme (sa propre marque est déposée en 1920). En 1922, il ouvre un magasin et un atelier au Vésinet, 15bis boulevard Carnot où il installe sa famille.

Julien Rudolphe qui a gardé des relations dans le monde du sport cycliste, organise dès son installation au Vésinet des compétitions, modestes d'abord (Paris-Amiens, Paris-Bourges, le Critérium des Postiers, le Critérium des Aiglons (jeunes coureurs) ou encore le Petit tour de France pour les cyclo-touristes. Puis il s'attaque à des épreuves plus ambitieuses qui parfois deviendront des classiques : Paris-Le Havre, Paris-Roubaix et enfin, en 1925, le Tour de France qui, au total, partira 14 fois du Vésinet!
Pour toutes ces courses, le départ est donné devant les Etablissements J. Rudolphe, boulevard Carnot. Les bâtiments ont connu en 1927-1928 de grands travaux d'agrandissement. Les photographies des départs de 1928 ont conservé le souvenir du chantier.

Départ d'une course cycliste non déterminée en avril 1928.

Avec à droite le chantier des Établissements J. Rudolphe (agence Rol).

Il faut cependant remarquer que le lieu de départ n'est pas du seul fait de Rudolphe. Dès 1907, la course Paris-Roubaix, déjà prestigieuse, partait de Chatou, sur la route nationale n°109 qui s'appelle alors route de Saint-Germain et deviendra avenue du Maréchal-Foch après la guerre, soit moins d'un kilomètre avant les Établissements Rudolphe. La cause de ce choix était que les courses ne pouvant se dérouler dans le département de la Seine, le départ des épreuves sensées partir de Paris était différé jusqu'à l'entrée en Seine-et-Oise et la longue ligne droite de la RN 190 avait été jugée pratique. L'habileté de Julien Rudolphe aura été, par son entregent et son sens des affaires, de tirer un parti publicitaire de cette situation.

1939. Dans la cour intérieure des établissements J. Rudolphe ...

pendant le poinçonnage des vélos des coureurs du Tour, Albert Préjean tourne la première scène de Maillot Jaune.

Cinémonde, 19 juillet 1939.

 

Immeuble J. Rudolphe, 15bis boulevard Carnot en 1983.

Tel qu'il se présentait au moment de la donation (archives SHV).

Les ateliers de fabrication mécaniques J. Rudolphe cesseront leurs activités à la fin des années 1940 et leurs locaux abriteront durant un demi-siècle diverses concessions automobiles de marques françaises ou étrangères.
Julien Rudolphe est mort le 19 mars 1969 au Vésinet, à l'âge de 77 ans puis sa femme Babette le 12 novembre 1974.
En 1983, leur fille Josette, restée célibataire, a souhaité par une donation consentie à la Ville que l’immeuble sis 15 bis, boulevard Carnot, devienne propriété communale affectée au logement des employés communaux. Par deux délibérations des 27 avril et 3 juin 1983 le Conseil Municipal a accepté le principe de cette donation en faveur de la Ville [5], donation assortie du service d’une rente viagère à Mlle Rudolphe qui en profita jusqu'à son décès à St Germain-en-Laye le 17 février 2002. En 1975, elle avait offert à la Ville le Chêne du Centenaire en mémoire de son père défunt. Enfin, elle fit don à la Ville des archives de son père parmi lesquelles des souvenirs, des trophées et des vélos qui furent présentés en 2002 à l'exposition
Cent ans de sport au Vésinet.

Le 27 juillet 2003, le Tour de France, pour son centenaire, est repassé par Le Vésinet pour sa dernière étape. Ce fut l'occasion de rendre hommage à Julien Rudolphe par une plaque posée sur le mur de l'immeuble du 15bis, Boulevard Carnot, en présence de Bernard Hinault, quintuple vainqueur de la Grande Boucle, de Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour et d'Alain-Marie Foy, alors maire du Vésinet.

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    Notes et sources :

    [1] Le demi-fond est une compétition de cyclisme sur piste disputée derrière une moto sur des distances variables, en une ou plusieurs manches. Chaque coureur roule derrière un entraîneur à motocyclette (surnommée moto de stayer ou de demi fond). Ces dernières portent à l'arrière un rouleau contre lequel le coureur vient coller sa roue avant afin de profiter au maximum de l'entraînement. Les coureurs pratiquant le demi-fond sont nommés stayers et l'entraîneur est nommé le « pacemaker ».

    [2] Journal de marche et d'opérations du 101e Régiment d'Infanterie (tomes 1 et 2).

    [3] « Journée calme ; travaux d'entretien » tel est le contenu du journal de marche du 101e RI à la date du 25 avril. Par ailleurs, le journal tient le compte des tués et des blessés mais pas des hommes pris par l'ennemi. Cependant, un dossier titré "L'Affaire de la Tranchée de Calonne 24-30 avril 1915 ( Les armées française dans la Grande Guerre, Tome 2)"existe. De l'autre côté de la ligne de front, sur le même site de la Tranchée de Calonne, l'écrivain allemand Ernst Jünger fut blessé le 23 avril 1915 et, non loin de là, toujours sur le même site de la Tranchée de Calonne, le 25 avril 1915, Maurice Genevoix, envoyé avec ses hommes stopper une percée allemande, fut grièvement blessé.

    [4] Si l'on en croit son dossier au Registre des matricules de recrutements militaires de la Seine (Mat. 5146), la production de cycles à Puteaux fonctionnera au moins jusqu'en 1938.

    [5] Le Vésinet. Revue municipale n°64 septembre 1983.


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