Art et Industrie, n°15, 1949 (Notes : SHV).

Un musée des sculptures en plein air au Vésinet
chez M. & Mme Eugène Rudier [1]

M. Eugène Rudier, fondeur de Rodin, de Bourdelle, de Despiau et d’Aristide Maillol a fait des jardins qui entourent sa demeure champêtre du Vésinet un musée de sculpture en plein air sans doute unique au monde. Rappelons qu’au Vésinet M. Eugène Rudier est le voisin immédiat d'Utrillo. La maison qu’habite actuellement le Maître Montmartrois lui appartenait jadis. Il y recevait royalement ses amis. Émile-Antoine Bourdelle y mourut.
Les jardins de Rudier n'évoquent en rien les jardins de Versailles, imposantes perspectives aux allées régulièrement tracées et bordées de statues. Le plan en est assymétrique ; il est plein d’imprévus ; une partie en est laissée en friche. Les arbres centenaires ne sont jamais taillés ; le lierre les envahit ; les herbes folles poussent le long des chemins.
Dans ce décor de parc ou de forêt, dans cette ambiance sylvestre, celle d’un bois hanté au sol couvert de mousse et de feuilles mortes, parmi les hautes futaies et les buissons sauvages, Rudier a disposé les chefs-d’œuvre de la sculpture moderne. Les Bourgeois de Calais de Rodin s'abritent à l'ombre d’un chêne. La Farce Enchaînée de Maillol a été placée dans un bosquet. L'Eve de Despiau se détache au milieu d’une clairière. A l'ombre d’un platane médite la vertueuse Pénélope de Bourdelle.
Le haut lieu de la statuaire française n’est pas une glyptothèque mais un site radieux de l’Ile de France qui sert de cadre à un peuple de figures façonnées par quatre grands praticiens disparus. Comment ne point évoquer devant cette assemblée de dieux dionysiaques et de nymphes qui incarnent les forces de la nature, les amours de la blonde Vénus de Renoir et avec l'Age d’Airain d’Auguste Rodin ? [2]

L'Ombre (Rodin) et Eve (Rodin)

L'Ombre orne désormais la tombe de Rudier au cimetière du Vésinet.

Les Bourgeois de Calais (Rodin)

Une des Trois Grâces (Maillol) et L'Ile de France (Maillol)

 

Vénus (Renoir) et La jeune fille à la draperie (Maillol)

 


    [1] Mme Rudier : Adolphine Eugénie Lamothe est née à Paris (18e) le 25 septembre 1872. Mariée en premières noces le 4 novembre 1899 à Paris (10e) avec Charles Jean-Marie Ghiringhelli, un italien naturalisé français en 1894, originaire de Tréviglio en Lombardie (Italie), dessinateur industriel de son métier. Ils divorceront en 1912.
    Des généalogistes mentionnent une « relation » avec Eugène Rudier (difficulté à trouver un acte de mariage, absence de mentions marginales tant sur l'acte de naissance de Rudier que sur celui d'Adolphine) tandis que d'autres évoquent une « union », jugeant suffisante la mention « époux d'Adolphine Eugénie Lamothe » sans autre précision dans l'acte de décès de Rudier ; les contenus des tables de successions et absences et toutes sortes de témoignages, sont autant d'arguments pour attester d'une union.
    Adolphine Rudier partagea la vie d'Eugène au Vésinet puis à Malakoff où l'on se souvint de sa « sollicitude agissante » et du « charme de son hospitalité ». Elle sera l'exécutrice testamentaire du célèbre fondeur, s'assurant de la destruction de ses moules, de ses plâtres et ses archives comme il l'avait expressément demandé.
    Mme Rudier, Mme veuve Rudier héritera des biens immobiliers de Rudier qui lui permettront de se constituer une rente viagère dont elle pourra bénéficier durant quelques années où elle survécut à son époux, jusqu'à sa mort le 11 juin 1957 à Malakoff , à l'âge de 84 ans. Elle est inhumée au Vésinet.

    On peut aussi évoquer le souvenir d'une Mme Adolphine Guérin (forme erronée ou francisation de son nom d'épouse : Ghirin) qu'elle conserva après son divorce. Cette Adolphine Guérin signera ou co-signera des lettres adressées par Rudier ou par elle-même à Antoine ou Cléopâtre Bourdelle vers 1917 et conservées dans les archives de la correspondance du célèbre statuaire. [Paris Musées Collections]

    [2] Diverses autres sources ont fait état de quelques unes des plus célèbres statues sorties de sa fonderie et disposées dans le parc de sa résidence du Vésinet : Saint-Jean-Baptiste de Rodin, Beethoven et Héraklès archer d'Antoine Bourdelle, une Vénus de Maillol, ainsi que le Faune de Paul Dardé, plomb de cinq mètres de haut. (Dictionnaire des fondeurs de bronze d'art, France 1890-1950).

 


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