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Le Mur des Garennes

La forêt, le gibier et les « plaisirs du Roi »

Les hommes qui, au Moyen Âge, avaient défriché des clairières pour établir leurs villages et leurs cultures, conservaient aux abords des terres agricoles (les finages), des espaces boisés nécessaires aux constructions, au chauffage, au pâturage, à la chasse et à la cueillette. Mais la forêt devint une richesse convoitée puis possédée par les seigneurs. En 1214, Guillaume Bateste, dont l’épouse Marguerite de Jagny était de la famille des seigneurs suzerains de Chatou, obtint de Philippe Auguste le droit d’établir une garenne dans le bois alors appelé bois de Cornillay ou Cornillon. Une garenne était une réserve pour l’élevage et la reproduction du gibier, principalement des lapins.
Lorsqu'Henri IV achève à St-Germain-en-Laye la construction du Château neuf commencée par Henri II et fait aménager des terrasses étagées jusqu'à la Seine, il saisit l'oppotunité de disposer d’un nouveau terrain de chasse dans les bois de la rive droite, face au château. Il achète une grande partie des bois, en deux fois. D'abord les 282 arpents de « garenne, friche et bruyères » à Albert de Gondi comte de Retz, puis les 355 arpents de « bois et buissons vulgairement appelés de la Trahison » à Thomas Le Pileur seigneur de Chatou et à Louis Dodieu seigneur de La Borde « que Sa Majesté désire recouvrer pour embellir et accompagner du plaisir de chasse sa maison de Saint-Germain ». L’achat est conclu en 1607 et un bornage sera effectué en 1612 entre les terres royales et celles de la seigneurie de La Borde. Entre temps, on fera tracer les allées cavalières en étoile dans la perspective du Château neuf commandées par Henri IV et Louis XIII puis Louis XIV complèteront ces acquisitions. En 1664, Colbert fera planter 13 000 arbres de futaie, les deux tiers d’ormes mêlés d’érables et l’autre tiers moitié châtaigniers et tilleuls.
Le bois est peuplé de gibier à plumes et à poils : courlis, milans, chevreuils, daims, sangliers, et aussi des lièvres et des lapins « pour le plaisir de chasse » du roi et sa compagnie. Si Henri IV a garanti aux habitants du village la jouissance de leurs droits (à l’exception du droit de chasse devenu privilège royal) c'est avec une contrepartie précisée par un acte du 12 septembre 1614 :

    «... pour mener leurs bestiaux paître dans la garenne qui est proche du village, les manants et habitants seront taxés pour lesdits droits d’usage à la somme de 16 livres 6 sols. » [1]

Carte de la Garenne du Vésinet et ses environs (vers 1720)

Etat des terres et prés dépendant de la Ferme du Roi (Vésinet), de la ferme de La Borde et des fermes à acquérir à différents particuliers ...

Archives départementales des Yvelines.

La carte ci-dessus est réalisée pour le Maréchal de Noailles qui envisage d'étendre (de doubler) les terres cultivées de la ferme du roi en achetant 331 arpents de terres et prés au seigneur de La Borde, Claude Dodieu. Mais l'affaire ne se fera pas. On notera aussi les nombreuses remises (voir plus bas) dans les champs, jusqu'à la plaine de Houilles.

Le terme de « rabaux » est cité au XVIIIe siècle sous des orthographes diverses. Les historiens de Montesson ont montré qu'au XVIIIe siècle le « canton des Rabots » aurait été un des secteurs du bois du Vésinet voisin des Terres Neuves de Montesson. Le mot « rabot » puis « rabaux », d’origine germanique (franque), désignerait le lapin. On en retrouve la racine dans le « rabbit » anglais, le « robbe » néerlandais. Une rabouillère est un mot encore usité pour désigner un terrier peu profond où les lapines font leurs petits. Ce secteur est donc au XVIIIe siècle particulièrement fréquenté par les lapins ! Ces lapins et autres lièvres, qui se multiplient selon l’adage, sont une calamité pour les cultures. Un arrêt du Conseil d’Etat a bien ordonné la destruction des lapins dans l’étendue des capitaineries royales, mais il n’est pas appliqué.[2]

En avril 1782, c’est un tollé général dans toutes les paroisses situées dans la Capitainerie des chasses de Saint-Germain-en-Laye car, à la suite de l'introduction dans les garennes de lièvres de grande taille, toutes les cultures du voisinage ont été dévastées. Un représentant de Berthier de Sauvigny, l’Intendant de la Généralité de Paris, vient constater les dégâts. Les habitants rapportent que :

    « ... indépendamment des lièvres et perdrix qui ravagent leurs territoires, ils sont encore exposés à la voracité des lapins en assez grande quantité [...] dans les Larris de Chatou et dans cinq à six remises situées sur le territoire de Montesson près La Borde, et ailleurs près de la forêt ».

Les remises sont des bosquets aménagés dans les champs pour le refuge et la reproduction du gibier qui sort du bois. La carte des Chasses du roi en indique une douzaine qui sont réparties sur tout le terroir. Certaines ont donné leur nom à des lieux-dits et des chemins : les remises de La Borde, de Palfour, des Châtaigniers, du Loup, du Val, de la Butte au Berger, du Mont Royal, des Douaires et la remise à Mort, dite encore Amor ou du Champ du Roi. D’autres ont disparu : remise des Quatre-Bornes, remise de la Genevrière ou remise des Bouillaux, remise du Pas de Loup.[3]

Fautif mais pas seul en cause ...

...si le daim et le chevreuil se font rare, les faisans et les perdrix font toujours des dégâts considérables (1783).

Les remises, symboles du privilège de chasse, étaient détestées. En 1762, un règlement interdisait aux paysans de circuler dans les champs à certaines périodes de l’année pour ne pas effaroucher le gibier alors que les gardes et les chasseurs pouvaient traverser les terres et les vignes sans égard pour les cultures. On comprend la fréquence et la violence des conflits avec les gardes-chasse.
La campagne de Chatou continuant à souffrir du voisinage de la forêt, une garde de nuit fut instituée par le baillage, le 18 mai 1769, contre les incursions des bêtes fauves; la présence des cultivateurs dans les champs permettait de les éloigner pendant le jour. [6] L'ordonnance rendue à cet effet est ainsi conçue :

    Ouy le syndic en charge de cette paroisse et les principaux habitans assemblés en notre auditoire, ensemble le procureur fiscal en ses conclusions, disons que tous les habitans de ce lieu seront tenus de garder, chacun à leur tour, les terres et vignes de ce terroir bordant la garenne du Vézinet pendant les nuits, depuis le premier may jusqu'après les vendanges, depuis huit heures du soir jusqu'à quatre heures du matin, et qu'a cet effet, il sera par les commandans de chaque quartier de cette paroisse commandé alternativement deux hommes en état de faire cette garde, pour, conjointement avec ledit commandant, border les terres et vignes du costé de la garenne du Vézinet et garantir leurs récoltes des dégats que les bestes fauves, qui résident dans cette garenne, pourraient y faire, et enjoignons à tous les habitant d'obéir audit commandant et faire ladite garde exactement chacun à son tour; leur faisons défense d'envoyer des filles en leur place, ny mesme d'y envoyer des garçons au dessous de l'âge de quinze ans ; le tout à peine de trois livres d'amende pour chacune contravention, mesme de plus grande peine, si le cas y echet, et d'estre par le syndic et ses successeurs en charge mis un homme en leur place a leurs dépens; et sera notre sentence lue, publiée et affichée dans tous les carrefours de ce lieu et exécutée nonobstant et sans préjudice de l'appel. Signé Gautier.

Des gardes-messiers élus chaque année par la communauté et assermentés avaient pouvoir de verbaliser et de faire payer des amendes aux villageois qui ne respectaient pas le droit de propriété ou qui anticipaient sur les dates des vendanges. Mais ils n’avaient, jusqu’en 1789, aucun pouvoir face aux gardes-chasse...
En 1789, les villageois adresseront une supplique à Necker en ces termes :

    « Nous cultivons des légumes pour servir aux approvisionnements de Paris, et si le gibier à quatre lieues à la ronde ne détruisait pas ces productions, elles baisseraient de prix. [...] Nous ne possédons pas un seul pré et notre herbe artificielle est dévastée par les lapins et les lièvres [...] la grèle a tout dévasté, les rigueurs de l’hiver ont gelé nos vignes, et le gibier, nourri avec soin pendant cette calamité, va nous dépouiller de toutes nos autres productions »

Un article du Cahier de Doléances reprenait le même thème :

    « Le gibier détruit absolument toutes les récoltes, dévaste les terres, réduit tous les cultivateurs à la plus déplorable indigence et les réduit à mendier leur pain. En conséquence Sa Majesté sera suppliée de détruire à jamais la Capitainerie des chasses comme contraire aux droits sacrés de la liberté et de la propriété ».

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Le mur des Garennes à Chatou, à Croissy et à Montesson : le plan dit « de Dreux » (mars 1779)

Déjà depuis longtemps on projetait la construction d'un mur pour protéger les terroirs de Chatou, de Montesson et de Croissy des ravages de ce gibier. Mais un tel mur représentait de grosses dépenses, et sur les instructions de M. de Bertin, Philippe Dreux [4] à Montesson en mars 1779, proposa de rectifier les limites des finages afin de faire une économie sur la longueur du mur. Sur un des plans, Dreux traçait hardiment sa proposition de mur de la pointe des Courlis jusqu'au bas de la Justice (rue des Landes) et de là à la borne de Croissy, évitant ainsi un grand nombre de lignes brisées. Un premier projet prévoyait des murs sur 3 930 toises en 17 angles, tandis que le projet de Dreux ramenait leur longueur à 3 370 toises en 5 angles. L'économie était appréciable puisque la dépense était ainsi diminuée de 10 000 livres comme il est spécifié sur le plan. On y voit aussi le fameux moulin à vent de Chatou – à l'emplacement actuel de la crèche face aux Ecoles Jules Ferry – et un calvaire à l'entrée de Chatou, sur la grande route de Saint-Germain.

Dessin du Plan de Dreux (mars 1779)

...proposition d'un mur que l'on se propose de faire construire le plus tôt possible, d'où 10.000 livres d'économie

L'original était conservé aux Archives départementales de Seine-et-Oise (A-1471)

Sous Louis XVI, dans la partie sud de la forêt qui avoisine le village de Croissy, on commença le défrichage de quelques fractions de la garenne royale pour les livrer à la culture du tabac. Une ferme, longtemps exploitée par le sieur Debeau, fut construite et mise en valeur. Le reste de ce domaine devint la dotation de M. le Comte d'Artois, en même temps que les bâtiments et dépendances du Château-Neuf (Plans de Main, 1780 et 1783). Ce prince donna de nouveaux soins aux murs de la forêt et à la Faisanderie où existait un rendez-vous de chasse.
A cette époque, le gibier occasionnait de grands dégâts sur la paroisse de Montesson, si l'on en croit le syndic Jacques Chicanneau, alors en exercice, qui représenta à l'assemblée réunie pour délibérer sur les affaires de la communauté :

    Que les paroisses de Chatou et de Croissy, ayant obtenu la permission de fermer le bois du Vésinet par un mur, il était de toute nécessité que la paroisse de Montesson sollicitât la même faveur auprès de l'administration provinciale ; que le sol de cette paroisse étant plus ingrat et ne rendant à ses cultivateurs quelques productions qu'à force d'engrais, le gibier de la plaine enlevant une partie de ces productions, les maux seraient encore aggravés par le lapin, le daim et le chevreuil de la forêt qui, ne trouvant point d'issue pour se porter sur les territoires de Chatou et de Croissy, se jettent sur celui de la Borde et de Montesson et dévastent toutes les productions ; que d'après ces conditions, il croyait qu'il était du bien et de l'avantage de la paroisse de faire également une clôture pareille sur ce qui reste de la Forêt du Vésinet dans l'étendue du territoire de la Borde, dépendant de cette paroisse, jusqu'à la rivière de Seine, s'il plaisait au roi et à l'administration provinciale de lui accorder la même faveur.

Cette supplique fut entendue. Montesson fut autorisée à édifier un mur, à partir du mur de Chatou, vers la pointe des Courlis, jusqu'à la Seine. La dépense votée le 28 décembre 1788 devait s'élever à 4 360 livres 10 sols payables en quatre années et pris sur les biens-fonds appartenant à la communauté (Montesson, Archives municipales). Après de nombreuses récriminations, le mur de clôture fut enfin construit et coûta 32 000 livres, somme que les habitants sur le cahier de doléances de 1789 déclaraient ne pouvoir payer.
Dans les cahiers de doléances d'avril 1789, les habitants de Chatou et de Croissy en demanderont le remboursement à l'Etat. Face à un refus, le 14 mai 1789, les habitants de Chatou et de Montesson entreprirent de le démolir, premier signe d'insurrection.
Les jeunes municipalités issues de la révolution assumèrent tant bien que mal l'entretien de ce muret, prenant divers arrêtés pour le protéger des déprédations ou le réparer. Mais en 1841, le Conseil municipal de Croissy décidait d'utiliser « les pierres ceintres et les moellons nécessaires [à la construction d'un puits] à prendre à même le mur lequel longe le chemin de domaine et sépare le bois du Vésinet et la garde-pré ainsi que la prairie, que ce mur, en effet, ne sert plus le but que l'on s'était proposé lorsqu'il a été construit ». Un vestige de ce mur a subsisté longtemps dans le jardin de la propriété jadis occupée par Albert Robida, route de la Plaine, au Vésinet (photo) [5]. On a pu voir aussi de tels vestiges de l'ancien mur dont une partie suivait à peu près le tracé du boulevard des Etats-Unis.
En 1848, le 5 août, on procéda en présence de M. Durand, Commissaire du Gouvernement pour le département de Seine-et-Oise, à l'adjudication du droit de chasse dans les forêts domaniales de l'arrondissement de Versailles, faisant précédemment partie du domaine de l'ancienne liste civile, en particulier la forêt du Vésinet. Le même jour, furent adjugés, les pavillons nord et sud à M. Pied (Francois-Maximilien), moyennant 1,050 frs. [7]

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    Notes et sources :

    [1] Une partie de ces droits subsistera pendant plus de deux siècles. Chaque année le conseil municipal établissait la liste des indigents autorisés à se fournir en bois mort dans la forêt devenue domaniale. La création du Vésinet au Second Empire mettra fin à ces usages.

    [2] Un arrêt du 26 janvier 1764 ordonnait la destruction des lapins, le recoupage des bois-taillis, ainsi que leur replant. Mais le Maréchal de Noailles mit très peu d'empressement à détruire les rongeurs et l'arrêt resta lettre morte.

    [3] Chemins et rues de Montesson au cours du temps. [... l'origine du nom des Rabaux], MHM, 2010.

    [4] Philippe Nicolas Dreux (1731-1808), petit fils d'un tabellion de LaBorde, fils de cultivateur-vigneron, frère d'un procureur fiscal, et lui-même cultivateur et marguiller de la paroisse de Montesson, issu d'une ancienne et nombreuse famille de la contrée qui lui a valu de nombreux notables ; il n'était ni arpenteur ni géomètre.

    [5] Le cliché (M. Antoine, SHV) représente les vestiges du mur à la fin du XXe siècle dans la parcelle appartenant alors à M. Dubray (SHV).

    [6] Revue de l'Histoire de Versailles et de Seine-et-Oise, 1917 (A19)-1918 (A20).

    [7] La Concorde, 10 août 1848. Maximilien Pied était un boulanger de Sannois.


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