Bulletin des sociétés de secours mutuels - 44e année, n°1, 1897

Société la Prévoyance au Vésinet (Seine-et-Oise)

A l'assemblée générale du 31 juillet 1897,

M. Georges Deloison, vice-président, prononce le discours suivant :

Mesdames, Messieurs,

Votre conseil d'administration m'a fait l'honneur de me désigner pour résumer devant vous les travaux accomplis cette année et présenter un tableau succinct de la situation matérielle et morale de notre Société.
La Prévoyance vient d'atteindre sa neuvième année et, avant qu'elle n'arrive à son deuxième lustre, il n'est pas inutile de jeter un regard en arrière et de mesurer le chemin parcouru. Nous vivons à une époque où les questions de mutualité prennent de plus en plus une importance méritée et nous pouvons affirmer, sans craindre de nous tromper, que dans le siècle qui va s'ouvrir, elles seront l'objet principal des préoccupations légitimes de toute la nation unie dans un même sentiment de fraternité et de solidarité.
Déjà nous avons entendu dernièrement M. le Président de la République exprimer dans un langage ému quel intérêt il portait à ces utiles associations. Et hier, en pleine Sorbonne, à l'occasion de la distribution des prix du concours général, M. Rambaud, ministre de l'instruction publique, répondant à l'éminent professeur, qui avait pris pour texte de son discours « Université et Solidarité », s'écriait, aux applaudissements de tous :

« Des vertus, la plus essentielle, celle qui comprend peut-être toutes les autres, car elle implique chez la nation la ferme volonté de vivre et elle lui en offre les moyens, c'est précisément la conscience et la pratique de la solidarité nationale. »

M. le ministre de l'intérieur, l'honorable M. Barthou, ne cesse de manifester en toutes occasions, les vives sympathies qu'il a pour les Sociétés de secours mutuels et la volonté, où il est, d'encourager tous les efforts qui seront faits pour en propager l'idée, soutenir les créations anciennes, aider aux fondations nouvelles et assurer, à toutes, les ressources nécessaires et croissantes pour faire face au service médical et à l'allocation de pensions de retraites sérieuses. Aussi le trouvons-nous, il y a quelques jours, à Rouen, ouvrant le congrès de l'Assistance mutuelle et disant, avec l'autorité qui appartient à sa parole :

« La tendance de notre démocratie républicaine est de plus en plus de préférer aux questions politiques, l'examen et la solution des questions sociales. Elles deviennent la préoccupation dominante des pouvoirs publics et du Parlement. Déjà, par les conquêtes de 1789 et par celles de 1848, nous avons, au point de vue de la liberté et de l'égalité, rétabli les deux premiers principes de la devise de la Révolution. Nous devons aborder résolument le troisième et nous attacher avec esprit de suite et persévérance aux problèmes de la fraternité. »

Le Parlement ne reste pas davantage indifférent à ce mouvement caractéristique qui se dessine. Il a enfin fait sortir des limbes, où il sommeillait depuis le 18 mars 1882, le projet de loi sur les Sociétés de secours mutuels et à la date du 4 juin 1897 il le votait.
Aujourd'hui cette loi si intéressante est soumise au Sénat et nous savons que les vaillants défenseurs de nos sociétés ont obtenu qu'elle serait discutée et adoptée dès la rentrée des Chambres. Il appartient à chacune de nos associations d'envoyer leurs remerciements à ces fidèles et intelligents serviteurs de la Mutualité. Il faut encourager ces efforts. La société organisée doit se défendre par des moyens pacifiques et pratiques contre les mauvaises passions excitées par un faux socialisme, en remplissant le devoir sacré de la fraternité, auquel aucun citoyen ne devrait faillir.
Une de ses formes les plus heureuses et les plus utiles, n'est-ce pas la Mutualité : l'Union de tous; l'aide apportée par le plus fortuné au moins heureux, l'encouragement donné au travail, à l'économie et à la prévoyance, l'entente cordiale entre l'associé honoraire et l'associé participant, pour le grand bien de l'humanité et pour le précieux triomphe de l'union intime de tous les citoyens.

A la naissance de notre société en 1888, La Prévoyance a de suite obtenu l'adhésion de 208 membres honoraires. De 1888 à 1891, ce chiffre s'est élevé progressivement jusqu'à 215 ; puis, après 1891, le nombre va un peu en décroissant : 206, 188, 182, 172. Il faut arrêter sur cette pente l'indifférence qui semble s'emparer des membres honoraires, faire appel à leur bonne volonté endormie et regagner rapidement le terrain lentement perdu.
La ville du Vésinet, qui est à juste titre fière de toutes les œuvres utiles qu'elle a fondées et qu'elle soutient, possède avec ses 4 500 habitants sédentaires et les 3 à 4 000 habitants qu'elle reçoit pendant l'été, des éléments suffisants pour que l'effectif des membres honoraires s'élève et soit même considérablement augmenté.
Nous avons le droit d'ajouter qu'une étude attentive des listes des membres honoraires des différentes sociétés de notre ville nous a convaincus que les mêmes noms apparaissent seuls dans toutes les œuvres. On ne saurait trop blâmer les indifférents ; il faut s'adresser à eux, les stimuler, leur faire apparaître l'infériorité dans laquelle ils se placent eux-mêmes, et si leur nombre augmentait le péril social qu'ils créeraient. Devant la défection de ceux qui, en toute liberté, devraient s'unir à leurs concitoyens, la loi pourrait alors intervenir et imposer arbitrairement ce que les sentiments d'humanité et de fraternité doivent commander seuls de faire.
Aussi M. Barthou disait-il à ce même congrès de Rouen :

« Il faut en faire l'aveu : si la bienfaisance privée, si l'initiative individuelle, si l'épargne et la prévoyance, si les Sociétés de secours mutuels n'ont pas réussi à résoudre ce redoutable problème, je dis très haut, en me rendant bien compte des responsabilités que j'engage, je dis qu'il faudra trouver à la question une solution plus hardie et plus sûre. »

Ainsi donc, que les indifférents se réveillent, sans quoi il faudra aller les chercher. C'est l'égoïsme qui a été la cause de la perte de toutes les nations, c'est lui qui a amené la décadence des peuples ; c'est lui qui a excité les jalousies des citoyens les uns envers les autres, et remplacé par la basse envie, l'union de tous les habitants d'une même patrie.
Certes, nous n'avons pas à redouter de pareils résultats. Depuis 20 ans les mutualistes par leur propagande infatigable ont rendu à l'assistance d'inappréciables services. Le nombre des sociétés de secours mutuels s'est élevé en France à 10 328, comptant 236 000 membres honoraires. Ce chiffre a son éloquence, puisqu'il indique la quantité notable de ceux qui, plus ou moins favorisés de la fortune sont entrés dans les sociétés de secours mutuels, non par un intérêt pour eux-mêmes, mais mus par un noble sentiment d'intérêt pour les autres.
Enfin le grand élan de charité qui a éclaté dans la France entière lors de l'horrible catastrophe du Bazar de la Charité nous rassure et nous permet de nous enorgueillir. Cet exemple prouve qu'il suffira de réveiller des sentiments qui sommeillent, de faire une propagande qui sera certainement utile et efficace et rappellera à chacun le devoir qui lui incombe. Nous espérons fermement que ceux qui possèdent ne resteront pas inertes en présence d'une œuvre de solidarité.
Si nous considérons ensuite le nombre des participants, nous voyons que, durant ces neuf années, il a peu fléchi. Parti de 205 en 1888, nous l'avons vu s'élever à 216 pour descendre aujourd'hui à 192. Il doit s'accroître. Il est difficile de s'expliquer la réserve d'un certain nombre de travailleurs, alors qu'il apparaît nettement pour chacun des avantages matériels et sérieux.
Durant la période de juillet 1888 à juillet 1897, c'est-à-dire pendant 9 années, les sommes allouées pour chômage s'élèvent à 10 084,25 frs ; celles payées aux pharmaciens à 15 007,98 frs ; celles versées aux médecins à 13 652,58 frs soit au total une somme supérieure à 38 700 francs. Dans ce laps de temps, nous voyons qu'il a été économisé à la caisse des retraites pour la vieillesse une somme de 39 276,50 frs. Il n'apparaît pas qu'ici nous ayons des craintes à avoir. Les versements à la caisse des retraites, qui dans les dernières années avaient diminué semblent aujourd'hui reprendre leur cours normal.


La Prévoyance — Insigne de sociétaire

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Ensuite, M. Bivort, président, s'est ensuite exprimé en ces termes :

Mesdames, Messieurs,
Notre règlement dit que chaque année, en assemblée générale, le président vous rendra compte de la situation.
Après l'exposé financier du trésorier, et après avoir entendu le remarquable rapport qui vient de vous être présenté par notre honorable vice-président, M. Deloison, vous penserez, comme moi, qu'il ne me reste rien à ajouter, car ces rapports ne laissent rien dans l'ombre; ils touchent à toutes les questions qui peuvent vous intéresser, au point de vue du présent et de l'avenir.
Votre conseil d'administration, toujours soucieux de vos intérêts, n'a pas cessé un instant d'étudier toutes les améliorations possibles, et les réformes réalisées depuis quelques années commencent à porter leurs fruits. Nos dépenses annuelles, qui dépassaient 7 000 francs en 1893-1894, n'ont été que de 4 742,95 frs en 1895-1896, et cette année, de 5 197,75 frs, soit une moyenne inférieure à 5 000 francs, constituant une amélioration de près de 30 %. Voilà des résultats, et nous ne cesserons pas de veiller à ce que nos dépenses restent dans ces limites, largement suffisantes pour le bon fonctionnement de la société.
Le rapport de votre vice-président vous a fait ressortir les avantages accordés aux sociétés de secours mutuels par la loi qui vient d'être votée à la Chambre des députés. Ces avantages sont nombreux, et le principal est celui qui assure à nos fonds de retraites l'intérêt de 4,5 % sans lequel il nous eût été impossible de vous promettre une retraite convenable.
Si cette loi bienfaisante est enfin votée par nos députés, nous le devons en partie à l'activité de notre honorable ministre de l'intérieur, M. Barthou, si dévoué à toutes les œuvres de prévoyance et de mutualité. (Applaudissements.)
Aussi, votre conseil d'administration a-t-il pensé qu'il serait le digne successeur de notre regretté président d'honneur, M. Alexandre Mayeur [1], et dans sa séance de juin dernier, il a émis un vote unanime dans ce sens. En acceptant de vous donner l'appui de son nom, M. Barthou a ajouté une nouvelle preuve de son attachement à la grande cause de la Prévoyance et de la Mutualité, et c'est certainement par acclamation que vous ratifierez le vote unanime de votre conseil.
(Nouveaux applaudissements.)

Après cette allocution, l'assemblée ratifie, par acclamation, la nomination de M. Barthou, comme président d'honneur de la Prévoyance.

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    Notes SHV:

    [1] Antoine Alexandre Mayeur, célibataire, décédé au Vésinet à 75 ans le 30 mai 1891, avait joué un rôle très important dans tout le processus de la création de la commune du Vésinet, ayant beaucoup travaillé sur le juridique et lors des enquêtes publiques ; il avait été un des propriétaires les plus importants et les plus influents de la Colonie du Vésinet, ainsi que son principal contribuable foncier. Il avait son domicile au 75, boulevard de ceinture R.G. devenu plus tard le 23, boulevard de l'Ouest (actuel boulevard d'Angleterre). Sa petite nièce et seule héritière épousa Louis Barthou en 1894.


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