Jean-Paul Debeaupuis, Société d'Histoire du Vésinet, janvier 2021.

Le Rêve : une villa au Vésinet

Dans un petit article de la revue Aux Ecoutes du 1er mai 1921 [1] on attire l'attention sur une villa du Vésinet à laquelle on donne le nom de Le Rêve.

    Le Rêve

    Il ne s’agit ni du roman de Zola ni du film récent de Baroncelli. Le Rêve est une île du Vésinet dont les frères Volterra sont propriétaires. Le Rêve est à louer pour la modeste somme de 5.000 francs par mois. Quel beau conte Voltaire écrirait sur ce royaume de Volterie où chaque arbre doit abriter un bar et un jazzman et où les cacahuètes doivent pousser... avec le sourire.

On pense aussitôt à L'Ile du Rêve dans l'île aménagée au milieu de notre Lac Inférieur. S'y trouve une villa qui fut au tournant du siècle la propriété de Mlle Cléope «Béatrice» Torri, une artiste lyrique à l'origine, semble-t-il, du nom d'Ile du Rêve. Mais une confusion est possible car, à peu près au même moment, paraissent dans la presse parisienne des annonces immobilières concernant une villa Le Rêve qui serait à vendre ou à louer, située non loin de la précédente, au n°1 de la route de la Cascade.
Selon les annonces, la propriété est plus ou moins précisément décrite mais aucun doute n'est possible. Il s'agit d'une propriété de 7252m² (correspondant précisément aux lots 81 à 85 (5 lots) de l'ilot 6 du lotissement général de MM. Pallu & Cie d'une superficie de 1308+2230+1022+811+1879=7250m²).
Les annonces renvoient à deux adresses, le 4 boulevard de l'Ouest (actuel boulevard d'Angleterre) ou le 3 route de la Cascade qui étaient données quelques années plus tôt, l'une ou l'autre selon l'annuaire utilisé, pour le gardien-jardinier de la propriété : Félix Seluzeringo. La villa principale se trouve au n°1 route de la Cascade mais, une plaque enfouie dans le lierre invitait le visiteur à s'adresser au n°3.

Maison, route de la Cascade, construite vers 1876.

Façade antérieure. Symétrie, enduit et décor stuqué. Cliché J.B. Vialles.

Il s'agit d'une très élégante villa dont il est question dans l'ouvrage de référence de notre patrimoine architectural [2].

    Le Vésinet de la deuxième moitié du XIXe siècle est remarquable pour la «  bichromie  » de son architecture, mais l’usage du moellon recouvert d’enduit n’en est pas absent, apanage d’un certain académisme qui prône le volume cubique du néo-classicisme avec un décor plaqué d’inspiration Louis XIII, versaillaise ou rocaille. C’est, selon l’expression de Viollet-le-Duc « le mode français qui consiste à élever un pavillon, c’est-à-dire un logis concret, symétrique, dans lequel les services sont réunis en plusieurs étages sous le même toit ».

Les annonces immobilières les plus détaillées précisent qu'il s'agit d'une propriété appelée Le Rêve, au Vésinet une « grande maison d'habitation de deux étages, vastes communs, jardins anglais et potager, serre ». [3] L'étude des archives cadastrales révèle que les premiers propriétaires en furent des membres de la famille Laureau.

    Madame Veuve Laureau (née Joséphine Euphrasie Cottard) apparait dans le Cadastre de Croissy en 1869 en tant que propriétaire des lots 181 à 185 du nouveau cadastre de 1863.

    Son mari était Germain Protais Laureau, (1804-1862), un entrepreneur de Travaux publics, né le 5 décembre 1804 à Morigny (Seine-et-Oise). Mort en 1862, il est peu probable que l'acquisition de cette propriété de près de 8000 m² ait été réalisée de son vivant.

    Selon les annuaires locaux et divers documents (annuaires mondains, articles de presse) Mme Vve Laureau fera bâtir la villa que l'on connait (sur les lots 183-184-185) vers 1875 et l'utilisera comme résidence d'été (villégiature) jusqu'à sa mort en 1882. Son fils Désiré occupera ensuite la villa avec sa première épouse, Léonie Vizet (Mme L. Laureau). Comme sa belle-mère, celle-ci est propriétaire de chiens de race (Carlins) et figurera dans des Livres des Origines à l'adresse du 3 route de la Cascade, en tant que Mme Léonie Laureau (1886) ou Mme L. Laureau. [4]

    Après le décès de Désiré Laureau (le 18 mai 1901 au 28 rue du Chevaleret, Paris 13e) à l'âge de 63 ans, sa famille n'apparaitra plus dans les archives du Vésinet. Son second mariage en 1893 (il a divorcé de Léonie Vizet en 1890) avec Marguerite Léonie Jorand (de 37 ans sa cadette) a peut-être hâté l'abandon de la villa, mise en vente en 1892.

Un peu plus tard, le propriétaire s'appelle Emile Musset. S'il apparait dans tous les annuaires mondains du début du XXe siècle, membre du Cercle de l'Union artistique comme Emile de Musset, il n'est pas un parent de l'auteur de Lorenzacio. Joseph Emile Musset dit Emile de Musset est né à Paris le 5 février 1821 et a épousé Marie Anne Virginie Fréconnet le 25 novembre 1851 à Saint-Jean-de-Braye (Loiret). On ignore ce qui lui a valu sa notoriété et sa fortune. Il faut attendre la publication de l'avis de son décès le 1er juin 1904 à son domicile parisien du 120 rue La Boëtie [5] pour apprendre qu'il était l’oncle de MM. Valéry de Montgolfier et René Devaulx de Chambord, et cousin germain du baron Durye [6]. René Devaulx de Chambord héritera de la villa Le Rêve après la mort en 1909 de Mme veuve Emile de Musset née Fréconnet, sans descendance.
La villa sera par la suite détenue par la famille Balbie, Louis Edouard d'abord, à partir de 1924 puis son fils Ferdinand à partir de 1938.
Nulle trace, dans ces documents cadastraux concernant Le Rêve de la route de la Cascade, de la famille Volterra, dont il était question dans l'article qui a motivé cette recherche.

Le Rêve dans le paysage vésigondin (2018)

Il faut donc revenir à l'hypothèse de départ : l'île du Vésinet dont les frères Volterra seraient propriétaires en 1921 serait bien l'Ile du Rêve du Lac Inférieur. Mais nous n'avons trouvé nulle trace dans les archives cadastrales de cette époque, de propriétaires au Vésinet du nom de Volterra, pour quelque parcelle que ce soit. Et pourtant ...

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    Notes et sources:

    [1] Aux écoutes est un hebdomadaire français fondé en 1918 par Paul Lévy, journaliste à L'Aurore, au Journal et à L'Intransigeant. Nationaliste et anti-allemand, ce journal s’intéresse autant aux débats parlementaires qu’aux affaires internationales.

    [2] Le Vésinet, modèle français d'urbanisme paysager, Cahier de l'inventaire n°17, Imprimerie Nationale, Paris, 1989.

    [3] Cette description correspond à l'objet d'une vente sur licitation en un seul lot, le 17 décembre 1936 au Palais de Justice de Versailles.

    [4] Livre des origines - Société centrale pour l'amélioration des races de chiens en France (Paris) 1885 et 1886.

    [5] Gil-Blas, 3 juin 1904.

    [6] La mère d'Emile Musset, Marie Joséphine Durye décédée à Paris en 1857 était issue d'anciennes familles du Bourbonnais, propriétaires terriennes.


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