D'après Le Cri des cantons de Saint-Germain-en-Laye, Maisons-Laffitte, Marly-le-Roi, 10 avril 1926.

L'avenir du Vésinet : villégiature ou faubourg ?

Mais oui ! parcourons le Vésinet ! égaillons-nous par ces larges avenues, par ces pelouses verdoyantes, sous ces arbres magnifiques ; et saluons d'un regard d'admiration ces élégantes et somptueuses villas aux jardins soigneusement dessinés, piquetés des fleurs les plus belles et les plus odorantes.
Sommes-nous à 200 kilomètres de Paris ? Sommes-nous en quelque coin coquet de la Normandie ? Nous sommes au Vésinet... voilà tout... et le Vésinet est à treize kilomètres de Paris, chiffre fatidique qui lui a porté bonheur sans doute, puisque la petite commune qui, il y a quelque cinquante ans, comptait à peine quelques maisonnettes et quelques centaines d'habitants, en compte aujourd'hui – dernier écho du recensement récent – une dizaine de mille. [1]
Où diable se nichent-ils, ces dix mille habitants ? Mais, comme les oiseaux, au milieu des arbres, dans les bocages, sous les ombrages, ils sont partout..., ils sont heureux... ils ont le sourire et ils ne demandent qu'à continuer à vivre dans leurs broussailles et dans leurs jardins, qu'ils retrouvent avec joie le soir après la journée de labeur à Paris.
On peut dire que les habitants du Vésinet sont vernis !...

Au, fait, comment les appellent-t-on ? les Vésiniens [2], je crois ! — Eh bien ! Les Vésiniens sont des gens heureux ! Ils ont pour eux seuls des réserves d'air comme aucune banlieue parisienne n'en possède ; ils ont des routes, avec des trous comme toutes les routes, bien entendu ! Mais juste le strict nécessaire ! Et la municipalité fait pour les combler — les trous ! — des orgies de cailloux à mériter un conseil judiciaire ... Ils ont l'électricité avec pannes-surprises ... mais, mon Dieu ! pas plus qu'ailleurs, n'est-ce pas ?... Ils ont l'eau à profusion dans les rivières, dans les lacs, dans les tuyaux ... que d'eau ! que d'eau !... Enfin ils ont le gaz à 0,85 frs le mètre cube... le minimum de pression et le prix fort !... un peu plus fort que partout ailleurs, c'est vrai ! Mais on ne peut pas tout avoir ! Et le gaz, c'est la pénitence du Vésinien, en attendant que M. Lesage lui donne un jour une usine moderne avec les derniers perfectionnements de la fabrication et de la distribution !...

Bref, le Vésinien ne réclame rien, il vit comme Candide dans la meilleure des communes, administrée par la meilleure des municipalités... car, électeur satisfait, l'électeur du Vésinet, même s'il n'a pas voté pour celui-ci est enchanté de son maire, M. Saulnier, qui lui aussi est le meilleur des maires, et dont le sourire accueillant et sympathique est unanimement apprécié ! [3]

Camille Saulnier (1859-1929)
maire du Vésinet de 1919 à 1929

Tout ce que demande l'habitant du Vésinet auquel je viens d'apprendre les résultats du recensement, c'est qu'on ne change rien à son Vésinet ; c'est qu'on ne lui coupe pas ses arbres, c'est qu'on ne lui massacre pas ses pelouses, c'est qu'on ne lui morcelle pas trop son parc, c'est qu'enfin on ne lui bâtisse pas à tort et à travers des immeubles à six ou sept étages pour transformer cette unique cité-jardin en un faubourg de Paris comme Courbevoie ou La Garenne-Bezons.
Qu'il se rassure ce brave Vésinien, s'il y a un enseignement à tirer de ce dernier recensement, c'est que plus que jamais, la Municipalité — et elle n'y a jamais failli ! — doit tenir la main à conserver au pays sa beauté, son élégance et son caractère si spécial de villégiature. [4]

Villégiature ou faubourg ? ai-je demandé en tête de cet article. Rassurez-vous, vos édiles ne sont pas des vandales, ils connaissent mieux que vous et moi leur devoir et leur Cahier des charges. L'avenir du Vésinet est de devenir, au fur et à mesure que la grande ville s'étendra, le Parc du plus grand Paris.
Ce Parc, nous l'aimons parce que nous l'avons vu grandir, se développer, s'embellir chaque jour par la collaboration de chacun de ses habitants, car il suffit de l'habiter pour l'aimer...

Premier immeuble collectif « de rapport », construit hors du « village » (63, route de Montesson) en 1908. Il est dû à l’architecte Debeauve-Duplan à qui l'on doit aussi l'Eglise Ste-Pauline.

    Notes :

    [1] Résultat du recensement de 1926 : 9405 habitants (2677 ménages) dans 1576 maisons.

    [2] Le gentilé « Vésinien » est à peu près propre à l'auteur de cet article, correspondant anonyme du journal Le Cri. Il ne sera jamais repris. Celui de « Vésigondin » qui est apparu pour la première fois à la même époque, ne se généralisera que quarante ans plus tard, dans les années soixante.

    [3] Cet acte de foi dans la municipalité d'alors est à prendre au second degré. Depuis le début des années vingt et jusqu'au milieu des années trente, le morcellement des terrains, des opérations massives de lotissement, l'édification d'immeubles dans le parc, firent passer la population de 7000 en 1920 à près de 12000 en 1936. C'est pour arrêter à temps cette évolution que furent prises les mesures de classement de 1934 et que fut conçu le règlement d'urbanisme de 1937, fixant des tailles minimales de parcelles.

    [4] Le caractère de villégiature, mis à mal par la Première Guerre mondiale, disparaîtra tout à fait après la Seconde. Mais les mesures de classement et d'inscription prises en 1934, étendues en 1970 puis confirmées et renforcées en 1984, sont là pour préserver ce cadre de vie devenu un exemple quasi unique dans l'histoire de l'urbanisme français. C'est la responsabilité des habitants et le devoir de la municipalité que de perpétuer cette situation.


Société d'Histoire du Vésinet, 2012- www.histoire-vesinet.org