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Les hôtes illustres de Joseph Paget-Fredericks au Vésinet

Durant le printemps et l'été 1927, Joseph Paget-Fredericks séjourna au Vésinet, chez «  M. de St S  » à la villa Bellevue, située à l'angle de la rue Thiers et de la rue de La Fontaine, où elle avait le n°13. Inspiré par le drapeau tricolore flottant sur la façade de la maison, pour le 14 juillet 1927, le peintre réalisa l'esquisse ci-dessous. La maison sera mise aux enchères au tribunal de Versailles quelques jours plus tard, le 27 juillet (pour 50 000 frs). On ignore si Paget-Fredericks occupa la même demeure ou d'autres pour ses séjours suivants.

 

Ci-dessus

La Villa Bellevue au début du XXe siècle

et la Fontaine sur la place, devant la maison.

Collection SHV.

 

A gauche

JP-F. Impression with the flag that flew over Villa Bellevue at Le Vésinet.

© The Bancroft Library, Berkeley, California.

Parmi la collection de quelque 2  000 pièces, dessins, photographies, peintures de l'artiste qui sont conservées à la Bancroft Library de l'Université de Berkeley en Californie, de nombreuses annotations de sa main, mentionnent son séjour au Vésinet, ses visites à Croissy ou à St Germain en Laye.
Durant ce séjour et d'autres jusqu'1930, Paget-Fredericks a reçu de nombreux visiteurs, appartenant à la troupe des Ballets Russes (Serge de Diaghilev, Anna Pavlova, Vaslav Nijinski) en représentation à Paris. Il a également rencontré des danseurs contemporains " expressionnistes" comme Loïe Fuller, Isadora Duncan et ses " Isadorables" qu'il a photographiées dans son jardin ou dans les environs encore " sauvages" des bois du Vésinet.
Il nous a laissé ainsi de nombreux croquis, pris sur le vif, ou des photographies - difficiles à situer - témoignant du passage dans notre ville de ses illustres visiteurs.


Joseph Paget-Fredericks
Photographie contemporaine de son séjour au Vésinet,
1927-1930

En 1921, à 16 ans, il présentait, comme danseur, chorégraphe et décorateur, le premier de dix spectacles originaux au Théâtre grec de Berkeley :" An Hour of Dance Impressions by Joseph Paget-Fredericks" . Deux ans plus tard, il proposait " Joseph Paget-Fredericks in a Programme of Expressionistic Dances." Il a également dépeint Magazu, un " medicine-man" dans " The Days of Peralta, a Spectacle-Drama" , un spectacle rappelant le jour où, en 1820, le gouverneur de Californie accorda à Luis Peralta, le Ranch San Antonio, un " lopin de terre" qui comprenait le Site d'Oakland, de Berkeley et de l'Alameda.

© The Bancroft Library, Berkeley, California.


Serge Diaghilev (1872-1929)

Amateur génial et imprésario avisé, il fit connaître à Paris le chanteur russe Chaliapine, puis les Ballets russes dont Marcel Proust parle comme d'une " efflorescence prodigieuse" . Cette nouvelle forme de spectacle en appelle à la danse, à la musique, mais aussi à la peinture et bientôt à la poésie. Diaghilev sait rassembler les talents, les fusionner. Pendant 20 ans, les Ballets russes vont occuper le devant de la scène et leur inventeur veilla sans relâche à en renouveler la formule.

JP-F. Diaghileff in my studio, Le Vésinet ... St Germaine en Laye, 1927 [sic]

© The Bancroft Library, Berkeley, California.


Anna Matveievna Pavlova (1881-1931)
Ballerine russe d'un talent et d'un charisme exceptionnels qui fut, de son vivant, un mythe de la danse classique dans le monde entier.
Formée à l'École impériale de danse de Saint-Pétersbourg, elle devint danseuse étoile en 1906. Dès 1908, elle commença ses tournées internationales qui composeront l'essentiel de sa carrière et l'emmèneront dans quelque 4 000 villes du monde entier. Ses duos avec Vaslav Nijinski dans Les Sylphides et Giselle sont restés dans les mémoires, ainsi que surtout son interprétation de La Mort du cygne du chorégraphe Michel Fokine, d'après un extrait du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns.

JP-F : " Pavlova chêz moi, at Le Vésinet, dancing on the lawn as Chaliapine sang. Bacchanales with grapes from sud France [sic], 1927.

© The Bancroft Library, Berkeley, California.


Isadora Duncan (1877-1927)
danseuse américaine qui révolutionna la pratique de la danse par un retour au modèle des figures antiques grecques. Par sa grande liberté d'expression, qui privilégiait la spontanéité, le naturel, elle apporta les premières bases de la danse moderne européenne, à l'origine de la danse contemporaine.

JP-F.  Isadora dancing in the garden of my studio (M. de St S., Le Vésinet), 1927.

© The Bancroft Library, Berkeley, California.


Isadora Duncan (1877-1927)
Le peintre n'est pas tendre pour son modèle auquel il reproche une silhouette empâtée. Il note sur ses croquis: " Isadora frightfully heavy. Yvette Guilbert told us : no longer dancing but music become architecture etc, etc." - Sur un autre " Isadora far too heavy! if only she would cut down and diet !"
Isadora Duncan devait mourir tragiquement à Nice quelques semaines plus tard.

J.P-F." Isadora chêz Bourdelle" . " Those well-known moments Bourdelle insisted that " get" but without his inspiration..."
1927

© The Bancroft Library, Berkeley, California.


Loïe Fuller et ses partenaires.
Le Vésinet, 1927

© The Bancroft Library, Berkeley, California.


Loïe Fuller (1862-1928)
Le Vésinet, 1927
Par ses danses hypnotiques, ses jeux de voiles et de lumières, elle devint l'égérie des symbolistes. Elle fascina Toulouse-Lautrec, Nadar, Méliès, Rodin, Mallarmé ou les frères Lumière. Cette Aladine occidentale, adulée aux quatre coins du monde, fut aussi une féministe avant l'heure. Elle afficha son homosexualité tout en revendiquant pleinement son rôle d'artiste. Dirigeant son propre théâtre, productrice, imprésario, elle fit venir en France les premières troupes d'acteurs japonais, écrivit des ballets et des tragédies et s'essaya comme réalisatrice au cinéma. Sa danse Serpentine, en jouant sur la lumière, la couleur, la forme abstraite et le merveilleux, a fondé tout un pan de la danse contemporaine.

© The Bancroft Library, Berkeley, California.


Durant son séjour au Vésinet, Paget-Fredericks fut aussi l'hôte de quelques uns de nos illustres concitoyens. Il a peut-être rencontré Josephine Baker dont il fût l'ami. Mais il a surtout participé aux fêtes excentriques organisées par la marquise Casati, dans son Palais Rose ainsi qu'à Versailles et à Marly. Pour la marquise, il a dessiné quelques unes de ses plus extravagantes tenues.


La Marquise Louisa Casati - fête à Versailles (" furious" costume !)
Joseph Paget-Fredericks - 1927
© The Bancroft Library, Berkeley, California.

La Baronne Deslandes

Paget-Fredericks mentionne aussi les fêtes organisées par la baronne Madeleine Deslandes, au Vésinet, au profit des émigrés russes, où Pavlova se produisit. Fille d'un officier de marine reconverti dans la littérature et la diplomatie, Madeleine Deslandes a été, durant 30 ans, une habituée des chroniques mondaines de la presse parisienne. Elle s'était elle aussi essayée à la littérature avec un certain talent, sous le pseudonyme d'Ossit:" Une femme qui signe Ossit et dont il n'est pas indiscret de dévoiler que c'est une personnalité parisienne, la baronne Deslandes (hier encore comtesse Fleury), publie un récit romanesque de goût très pur et si gracieux que ce pourrait bien être un " petit chef-d'oeuvre" [Le Figaro, 9 juillet 1894]" .


Madeleine Annette Edmée Angélique Vivier-Deslandes (1866-1929)
par Edward Coley Burne-Jones -- (1833-1898)

" Une des personnalités mondaines les plus en vue en ce moment. Baronne Madeleine Deslandes, " hier encore comtesse Fleury" . A signé Ossit un premier livre. Non contente de ses brillants succès littéraires Ossit se plait à composer des toilettes qui font l'admiration de Burne-Jones et de La Gandara [...]. Son élégance fait loi [...]. Quoi qu'il n'y ait pas à Paris de femme connaissant aussi à fond la philosophie de Schopenhauer et de Nietsche [sic] qu'elle a étudiée en allemand, Ossit ne dédaigne pas les plaisirs mondains: danseuse incomparable, est une des rares bicyclistes exquises à regarder. [...] est aussi bonne et charitable. [Le Figaro, 24 août 1894]

" Après un dîner donné avant-hier par M. Marcel Proust, et qui n'a pas été suivi de réception, Mlle Laparcerie a récité avec un art incomparable des poésies de M. Anatole France, de la comtesse Mathieu de Noailles, et des sonnets inédits extraits d'un volume sur Versailles, du comte Robert de Montesquiou.
Ensuite le comte de Montesquiou a dit lui-même quelques fragments de ce recueil. Les invités étaient:
Comtesse N. Potocka, comte et comtesse M. de Noailles, Mme de Brantes, comtesse de Briey, Mme Straus, prince G. Borghèse, marquis de Castellane, MM. Anatole France, Léon Bailby, Jean Béraud, baron Edmond de Rothschild, Gabriel Fauré, comte Robert de Montesquiou, docteur et Mme Proust, Fernand Vandérem, baronne Deslandes, comte Bernard de Gontaut-Biron."
[Le Gaulois, 26 avril 1899]

 

Son père était Auguste Emile, baron Vivier-Deslandes, et sa mère, décédée quand elle était jeune, Emilie Caroline Hélène Oppenheim, d'origine allemande. En septembre 1884, Madeleine épousait Maurice Napoléon Emile, Comte Fleury, historien et journaliste. Le couple eut un fils l'année suivante, mais le mariage n'était pas heureux et le divorce fut prononcé en 1894.
Madeleine se maria à nouveau en novembre 1901 avec le Prince Robert de Broglie, de quatorze ans son cadet. Le mariage eut lieu à Londres, où il semble qu'elle possédait un appartement à cette date. Toutefois, ce second mariage dura encore moins longtemps que le premier, se terminant encore par un divorce au mois de mars suivant. En fait, la vie privée de la baronne Deslandes a été une suite de déboires après la première guerre mondiale, elle a même perdu l'héritage de sa mère, confié à un banquier véreux. Elle est morte à Paris en mars 1929, âgée d'à peine soixante-trois ans.
Madeleine elle-même avait, comme on l'a dit, du talent littéraire et en 1892 elle avait publié une série de romans sous le pseudonyme de Ossit. Elle jouissait d'une certaine vogue dans les milieux symbolistes, qui l'ont comparée à l'époque au " parfum de lilas blancs ou les notes d'un violon en une chaude nuit" . Mais la principale cause de la renommée de son salon à Paris au début des années 1890 fut l'attrait qu'elle sut exercer sur des artistes, des peintres tels que Tissot, Forain et Jacques-Emile Blanche, le compositeur Gabriel Fauré, et les écrivains Edmond de Goncourt, Henri de Régnier, Jean Lorain, Pierre Louÿs, Robert de Montesquiou et Maurice Barrès, qui l'appelait " sa Muse juive" et en avait fait sa maîtresse. Il y avait aussi parmi ses familiers des représentants de l'aristocratie internationale comme Gabriele d'Annunzio, Hugo von Hofmannstahl et même Oscar Wilde.
Elle avait eu des relations parfois houleuses avec un autre vésigondin illustre, le comte de Montesquiou qui lui a dédicacé son livre " les Perles rouges" de façon originale:

Pour l'exemplaire de la dame trop tôt complimentée d'une qualité qu'elle n'avait pas
XXVI

Vous avez des grâces affables,
Des élégances, des beautés,
Des yeux vifs, des dehors aimables
Et de séduisantes gaîtés.
Mais je vois autre chose encore
Qui me semble parler pour vous,
Entre tout ce qui vous décore
De précieux, grave, ou bien doux.
Vous devez tenir de vous seule
Ce qui dicte votre amitié,
Et détester une femme veule
Qui met le public de moitié
Dans les sentiments qu'elle éprouve,
Brûlants hier, froids aujourd'hui,
Et parmi lesquels on retrouve
Un peu des sentiments d'autrui.
Soyons ceux sur lesquels n'influe
Rien que leur propre jugement,
N'écoutant ni ce qui fluctue
Ni ce qui hait, ni ce qui ment
Et qui, sans entendre les blâmes
Des humains, envers les humains,
Rencontrent, dans les yeux, les âmes,
Et trouvent les coeurs, dans les mains

On a dit que c'est au cours d'une lecture que lui faisait la comtesse d'Orsay que la baronne Deslandes s'assoupit et mourut. Les noms les plus prestigieux avaient signé les lettres d'amour qu'elle gardait dans un coffret confié par elle à l'une de ses amies, peu de temps avant sa mort, le 22 mars 1929 à Paris.

    Joseph Rous Paget-Fredericks Dance Collection, ca. 1913-1945 - Approximativement 2  000 dessins originaux, peintures et photographies, ainsi que des albums costumes de scène et autres souvenirs du monde de la dance.

    The Bancroft Library. Université de Californie, à Berkeley

    Visiter la collection virtuelle bancroft.berkeley.edu/


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