Société d'Histoire du Vésinet d'après les documents transmis par Mattis Volterra-Berger, août 2021.

Un Volterra au Vésinet

    Le Rêve

    Il ne s’agit ni du roman de Zola ni du film récent de Baroncelli. Le Rêve est une île du Vésinet dont les frères Volterra sont propriétaires. Le Rêve est à louer pour la modeste somme de 5.000 francs par mois. Quel beau conte Voltaire écrirait sur ce royaume de Volterie où chaque arbre doit abriter un bar et un jazzman et où les cacahuètes doivent pousser... avec le sourire. [1]

L'île du Vésinet que les frères Volterra cherchaient à vendre ou à louer en 1921 était bien l'Ile du Rêve du Lac Inférieur. Si nous n'avons trouvé nulle trace dans les archives cadastrales de cette époque, de propriétaires au Vésinet du nom de Volterra, pour quelque parcelle que ce soit, c'est que l'acheteuse, en 1911, était une jeune femme de 31 ans, rentière, du nom de Marie-Amélie Berger qui convolera en justes noces quelques années plus tard, devenant par son mariage Madame Joseph Volterra. [2]

Nous avons ainsi pu apprendre que ladite Marie-Amelie Berger, née à Lavaveix-les-Mines le 6 avril 1880, fille de boulangers, a pu acquérir pour 40.000 frs « payés comptant en bonnes espèces de monnaie ayant cours et billets de la Banque de France » de M. Nazareth Allahverdi Bey et son épouse née Cléope Torri. Quelques photographies tirées de son album de famille par son petit-fils montrent Mlle Berger profitant du lieu calme et romantique auquel, quelques années plus tôt, Mlle Torri avait donné le nom d'Ile du Rêve.

La villa de l'Ile du Rêve vers 1911.

©Collection privée.

 

Marie-Amélie Berger devant la villa de l'Ile du Rêve vers 1911.

©Collection privée.

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Marie-Amélie Berger - canotage sur le Lac Inférieur vers 1912.

©Collection privée.

 

Est-ce Joseph Volterra faisant du canotage sur le Lac Inférieur vers 1912 ?

©Collection privée.

Marie-Amélie Berger (que dans le milieu familial on appelle Andrée) épouse Joseph Volterra le 5 juillet 1913. [3] Et dès mars 1914, un M. Volterra cherche « à vendre ou à louer » par petite annonce la villa du Vésinet « sur une propriété d'environ 5000m² »[4]. L'Ile du Rêve (lot 78 de l'îlot 7 du lotissement général) en compte précisément 4175.

Qui peuvent donc être ces « frères Volterra » dont la presse de 1921, semblait prendre pour acquise la notoriété ?
La famille Volterra constitue à l'aube du XXe siècle un clan de premier plan dans l'industrie du divertissement, à Paris et en province. Le patriarche fondateur du clan est Amédée Volterra né à Tunis en 1843. Arrivé à Paris en 1881 dans la suite de Mustapha ben Ismaïl, premier ministre du Bey de Tunis, en qualité d'agent courtier du gouvernement tunisien, Amédée Volterra s'installa à Paris avec toute sa famille pour faire des affaires au profit de la Tunisie ... et de lui-même. Décédé le 2 décembre 1905 à Paris à l'âge de 62 ans, il laissait une assez belle fortune acquise dans le négoce de diamants, d'opérations de courtage et de prêt sur gage.
Avec sa femme Anna née Médina, il a eu sept fils : Léon, Jacques, Albert, Angelo, Joseph, Elie et Jules. Ses fils prirent, au cours des années suivantes, le contrôle de nombreuses salles de spectacle, Léon, l'ainé faisant office à son tour de chef du clan. En 1905, à la mort de son père, Léon était « limonadier ». Avec ses deux frères Joseph et Jules, il prit le contrôle de La Cigale (1915), de La Gaîté Rochechouart (1916), du Théâtre Réjane (1919). Leurs spectacles, La Revue déshabillée (1917) et la Revue Belge (1918) obtiennent d'énormes succès.
Voici ce qu'on pouvait lire à la page Spectacles de Paris-Midi en 1916 [5]:

    M. Volterra [Léon père], qui est un type dans le genre de Dieu, se compose de plusieurs personnes en une seule.

    Récapitulons plutôt : il y a d'abord M. Albert Volterra, premier du nom, propriétaire de l'abbaye de Thélème et du café d'Angleterre ; puis M. Elie Volterra, qui a ouvert une taverne alliée, proche de la place Saint-Georges ; puis MM. Léon, Joseph et Jules Volterra, actuellement directeurs intérimaires de la Cigale, qui viennent de faire un premier versement en vue de l'acquisition de la Gaîté-Rochechouarts dont ils ne deviendront directeurs que le premier septembre prochain.

    Ce n'est pas tout ! Il y a encore M. Léon Volterra fils, expression synthétique de la famille, actuellement codirecteur ou tout au moins « intéressé » dans la direction de l'Olympia et qui aura les mêmes intérêts dans la direction Beretta et compagnie, laquelle doit succéder, dit-on, à M. Bannel, des Folies-Bergère, le 16 avril prochain.

    Et l'on prétend que les familles nombreuses ont du mal à vivre...

Après la mort de Léon en 1923, son fils Léon-Amédée succèdera à la fratrie, Joseph allant s'occuper de ses affaires marseillaises et Jules se consacrant à sa carrière de pianiste.
Homme de spectacle, imprésario parisien, producteur de spectacles, directeur de salles, Léon-Amédée a dirigé à Paris le Casino de Paris, le Théâtre de Paris, le Théâtre Marigny, le Lido, l’Olympia, les Folies Bergère, l’Eden. Il a contribué à la réussite de nombreuses vedettes, telles Mistinguett, Maurice Chevalier ou Raimu. Il a dirigé également, entre les deux guerres, un grand parc d’attractions parisien, le Luna Park de la porte Maillot. Grand amateur de chevaux, il fut propriétaire d’une écurie de chevaux de course et a laissé son nom au prix Léon Volterra, qui se court annuellement sur l’hippodrome des Flandres.

En 1924, le chapitre Berger-Volterra de l'histoire de l'Ile du Rêve est clos.

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    Notes et sources:

    [1] Aux écoutes est un hebdomadaire français fondé en 1918 par Paul Lévy, journaliste à L'Aurore, au Journal et à L'Intransigeant. Nationaliste et anti-allemand, ce journal s’intéresse autant aux débats parlementaires qu’aux affaires internationales.

    [2] Nous remercions M. Mattis Volterra, lecteur de nos pages, qui a bien voulu nous livrer la solution de nos recherches et nous ouvrir ses albums de famille.

    [3] Le couple n'aura pas d'enfants. Joseph Volterra mort en août 1939, Marie-Amélie alias Andrée est décédée le 25 novembre 1962 à Paris. La famille de Mlle Berger est originaire de Guéret dans la Creuse. Le cousin germain de Mlle Berger, Armand Juillet, a été préfet de Haute-Savoie et directeur de cabinet d’André Tardieu. Le fils d’Armand, Pierre Juillet, fut un proche collaborateur de Georges Pompidou.

    [4] Belle propriété au Vésinet, 5,000 mètres, à vendre ou à louer, toute meublée. S'adresser M. Volterra, 55 bd Batignolles. Le Journal, 25 mars 1914.

    [5] Paris-midi, 15 février 1916.


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