Extrait de Zoning et droit de propriété, par M. FRANÇOIS, Inspecteur général honoraire des Services du Plan de Paris., dans Urbanisme, septembre 1936.
Le Zoning résidentiel français
Le zoning est inséparable de l'urbanisme.
Cette proposition tend à devenir un axiome partout à l'étranger: aux Etats-Unis et au Japon, en Hollande et en Suisse, en Allemagne et en Italie. En France, on en convient généralement, mais il se trouve encore des partisans, plus ou moins avoués, d'un urbanisme sans zoning. Ils voient une sorte d'antinomie entre le zoning et le droit de propriété. Il n'y a là, croyons-nous, qu'un malentendu et nous tenterons de le dissiper dans le présent rapport.
Définition et caractère essentiel du zoning
Le zoning, d'après une définition américaine que nous avons citée ailleurs, est la répartition d'un territoire urbain en zones de règlements fixant, dans l'intérêt de la santé publique et du bien-être de la population, l'usage, la destination, la hauteur, les dimensions des constructions et la superficie qu'elles peuvent couvrir.
La réglementation des bâtiments urbains et de leur hauteur en particulier, depuis longtemps introduite en France, n'y est pas contestée mais ce qui choque chez nous, dans le zoning, c'est son caractère différencié. L'individualisme français est attaché d'instinct à l'unité du droit et à l'égalité des droits il conçoit a priori un règlement de construction, comme uniforme dans toutes les parties d'un même territoire urbain. Et pourtant cela ne-se conçoit guère pour les grandes villes, toutes pourvues de faubourgs et de banlieues, où l'on observe une localisation des constructions hautes et des constructions basses, des maisons de rapport et des villas.
Le zoning américain qui ne compte guère plus de trente ans d'existence, a pris un essor immense. Dans un pays libéral par excellence, il a été créé pour répondre au voeu des propriétaires. Ce fut un réflexe provoqué par les excès d'une activité sans frein, un geste de défense contre les bâtisseurs de gratte-ciel.
La législation du zoning apparaît en 1909, à Los Angeles en 1912, à Baltimore. L'Etat de New-York, en 1913, entre dans le mouvement il autorise plusieurs de ses villes à créer des zones résidentielles affectées exclusivement à des habitations familiales [...].
Formes anciennes du Zoning résidentiel français
On peut faire remonter le zoning résidentiel français à une tradition née au début du XVIIe siècle, et qui n'a pas peu contribué à la beauté de Paris. Henri IV, Louis XIV, Louis XV, les deux Napoléon, la troisième République, ont créé des places et des voies monumentales, bordées de maisons dont la hauteur, l'architecture, la destination sont soumises à une réglementation particulière. Il y a bien là un zoning, c'est-à-dire une réglementation différenciée.
C'est un zoning fragmentaire, de caractère esthétique, ce n'en est pas moins un zoning qui nous a donné les places des Vosges, Vendôme, de l'Etoile, la rue de Rivoli, le parc du Champ de Mars.
Un zoning du même ordre, plus modeste mais plus étendu, est celui auquel se rattachent au milieu du XIXe siècle, ou un peu plus tard, les lotissements des terrains retranchés du bois de Boulogne et du bois de Vincennes, ceux du château de Neuilly, du parc de Maisons-Laffitte ou de la charmante commune du Vésinet [1].
A vrai dire, un tel zoning était contractuel autant que réglementaire autorisé par des lettres patentes, des ordonnances, des décrets, mais établi par des conventions: les ventes mêmes de terrain.
Il n'avait du reste qu'un caractère exceptionnel il ne s'appliquait qu'à quelques terrains privilégiés, pendant que le désordre sévissait partout ailleurs.
L'autorité royale, à maintes reprises, s'était opposée au débordement de la population parisienne dans les faubourgs elle avait multiplié au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle les défenses de construire au delà de certaines bornes soigneusement repérées.
Ces défenses de bâtir, peu obéies sous l'ancien régime, ne furent pas renouvelées au XIXe siècle. Le trop-plein d'une population toujours croissante se répandit hors des murs, le long des routes d'abord, le long des chemins de fer ensuite.
Après la guerre de 1914, le mouvement s'étendit et s'accéléra, le développement de l'industrie et du commerce détermina un brusque afflux d'habitants, la crise du bâtiment les fit refluer au delà même des faubourgs, en pleine campagne.
On n'eut pas le temps de préparer et de coordonner cette extension. L'urbanisation, sous cette violente poussée se fit au gré des lotisseurs, les plus mauvais terrains, les moins bien situés, les moins bien desservis, les plus difficiles à assainir étant de préférence choisis par les spéculateurs et offerts sans viabilité, sans canalisation d'eau, sans éclairage et sans égouts, à une clientèle peu avertie, alléchée par le bas prix relatif d'une très mauvaise marchandise.
Formes nouvelles du Zoning résidentiel
La Loi 1919-1924
La loi du 14 mars 1919 - 19 juillet 1924 vint assez tard réfréner ces abus. Elle le fit en créant un zoning moderne qui ne fut, comme nous allons le voir, qu'un élargissement progressif de l'ancien.
D'une part, elle réglemente les lotissements, elle force le lotisseur d'aménager ses terrains avant de les vendre, d'y créer des servitudes d'hygiène et d'esthétique. L'aménagement des terrains correspondait à leur bas prix et aux modestes ressources de leurs acquéreurs. Rues étroites, viabilités sommaires, revêtements de chaussées économiques, canalisations d'eau et égouts de faible diamètre.
Cela entraînait inévitablement un usage modéré du sol, une limitation de la hauteur, de l'importance des bâtiments. Les cahiers des charges des ventes créaient ainsi par la force des choses un zoning résidentiel. L'Administration le trouva donc tout fait et n'eut d'autre mission que de le contrôler et de le sanctionner, le cas échéant. Son rôle se borna à préparer des conventions et à les faire exécuter.
Ce zoning nouveau, comme celui que nous avons vu pratiquer aux siècles précédents, reste encore à la fois contractuel et réglementaire, mais il s'étend. Les plans d'aménagement urbain établis en vertu de la même loi de 1919-1924 vont l'étendre davantage et le rendre plus strictement réglementaire. Ce n'est pas sans raison que lotissements et plan urbain font l'objet d'une seule loi, sont soumis à des conditions, à des formalités analogues. Il y a continuité entre eux, les uns doivent s'intégrer dans l'autre.
Notons, du reste, que les circonstances ont renversé l'ordre logique: les plans de lotissement auraient dû suivre le plan urbain ils l'ont, en grand nombre, précédé. Le plan urbain, de la sorte, ne pouvait pas déterminer les premiers lotissements réglementés, il ne pouvait que les coordonner en consolidant un zoning résidentiel déjà établi.
Sans doute, le plan d'aménagement urbain s'imposera dans l'avenir aux nouveaux lotissements il interdira dans le voisinage des anciens des constructions disparates, hors d'échelle il systématisera et élargira la réglementation existante. Mais on voit combien son rôle aura été modeste.
Peut-on vraiment taxer d'exagération et d'arbitraire un tel zoning ?
On s'étonnera que sa validité ait pu être mise en doute par une interprétation étroite de la loi de 1919-1924. Mais ceci aujourd'hui est de l'histoire, la jurisprudence est fixée, depuis le 23 février 1934, par un arrêt du Conseil d'Etat qui reconnaît la légalité de la zone résidentielle établie par le plan d'aménagement de Nogent-sur-Marne.
[...]
[1] Nous publierons dans notre prochain numéro deux rapports importants, qui étaient appuyés de nombreuses illustrations et n'ont pu, de ce fait, être intégrés dans ce numéro spécial. L'un d'eux est signé de M. Clavery, Ministre plénipotentiaire, Maire adjoint du Vésinet, et nous décrit cette délicieuse agglomération du Vésinet, où la part de l'initiative privée a été considérable lors de sa création, et où, depuis, les heureuses dispositions prévues par les fondateurs ont été — sauf quelques rares entorses — strictement respectées au cours de ces quatre-vingts dernières années. Des servitudes sévères font encore du Vésinet, l'un des quartiers résidentiels les plus raffinés, les plus harmonieux de la région parisienne.
Société d'Histoire du Vésinet,
2009 - histoire-vesinet.org