Jean-Paul Debeaupuis, SHV, 2023

Arthur Pallu en Australie

Premier né des enfants d’Alphonse Pallu, Marie Arthur a vu le jour le 7 juillet 1848 à Pontgibaud (Puy de Dôme) où son père exploitait des mines de plomb argentifère. Nous ne savons rien de sa jeunesse, de ses études mais, à la suite d’un grave différend avec son père, Arthur Pallu fut envoyé, en Australie, à Melbourne dans la Colonie de Victoria. C’est du moins le souvenir qu’en ont gardé les membres de la famille Pallu. Nos recherches pour connaitre la raison de cet « exil » à l'autre bout du monde sont restées vaines.
On peut reconstituer le voyage d’Arthur Pallu grâce aux traces administratives qu'il a laissées. On ignore quand et pourquoi il quitta la France mais son débarquement à Melbourne (Victoria, Australie) fut enregistré par les services d'immigration en mai 1872, à l'arrivée du vaisseau Lincolnshire (Capt. Edwin Dawes) parti de Londres le 20 février. L'étude des documents de bord de ce navire permet de déterminer qu'Arthur Pallu a embarqué (avec 13 autres passagers) à l’escale de Gravesend dans l'estuaire de la Tamise, le 21 février.[1]

Names and descriptions of cabin passengers

Ligne 11 : Pallu Arthur, 21 ans (homme célibataire,

parmi les passagers du Lincolnshire embarqués à Gravesend le 21 février 1872.

Le Lincolnshire était un liner en bois, à voile. Construit en 1858 pour la compagnie Money Wigram & Son's, à Blackwall, un constructeur et armateur qui exploitait les échanges avec l'Australie, ce vaisseau était mené par 60 hommes d'équipages et transportait 180 passagers. Les « premières classes » (une vingtaine de personnes) étaient répertoriées dans l'historique de la compagnie dans une sorte de livre d'or. Le navire transportait aussi du fret (cuivre, produits manufacturés, charbon, or, etc.). Ces cargaisons pouvaient l'amener à faire des détours et des escales. Vendu en 1880 à une compagnie norvégienne, il sera désarmé en 1881 et coulé en 1883 au large du Cap. [2]
Arthur Pallu est inscrit comme unassisted passenger c'est à dire ne bénéficiant pas des aides procurées aux immigrants souhaitant se fixer en Australie. Pour ceux-ci, les archives sont beaucoup mieux documentées et exploitées à des fins généalogiques.

Le Lincolnshire (Money Wigram & Son's), 1860.

Quelques mois après son arrivée dans la capitale de la province de Victoria, Arthur fit l’objet d’un court article dans The Argus, un journal local. On apprend ainsi qu’au tribunal de police de la Ville de Melbourne le samedi 22 novembre 1873, Arthur Pallu, un jeune Français, a été accusé d'avoir volé un cheval et un buggy, ainsi qu'un ensemble de harnais, à Ludovic Mario, caviste rue Bourke. Le sieur Mario déclarait que le jeune homme avait demandé à emprunter le cheval et le buggy mais que lui [Mario] avait refusé et donné des instructions au garçon d'écurie en ce sens. Mais Arthur Pallu était parti avec l'attelage en dépit du refus. Mario pensant que le jeune homme avait eu l'intention de le voler, fit émettre un mandat d'amener à cause duquel Pallu fut arrêté. Mais ce dernier avait rendu le cheval et le buggy après les avoir utilisés deux ou trois jours et Mario, ne pensant plus qu'il s'agissait d'un vol, retira sa plainte. Le prévenu fut donc relâché [2].
Une semaine plus tard, le journal revenait sur ce fait-divers, des témoins ayant donné un éclairage des faits un peu différent. De nouveau devant le tribunal de police municipale [27 novembre], Arthur Pallu était cette fois poursuivi pour usage illégal des mêmes biens (cheval, voiturette et harnais). Mais un témoin, le garçon (français, lui aussi) employé par Mario comme palefrenier et garçon d'écurie, déclara que Pallu avait souvent loué le cheval et le buggy auparavant. De plus, à l'occasion de l'emprunt faisant litige, le jeune Pallu avait emmené l'employé de Mario (le témoin) avec lui aux Caledonia diggings [3] et l'avait ramené dans le buggy. Le tribunal statua que, comme l'employé de Mario était au courant de l'utilisation du bien et y avait contribué, il n'y avait pas d'utilisation illégale. L'affaire fut classée, Mario se voyant informé qu'il aurait dû prendre le conseil d'un avocat. Quant à Arthur Pallu, il fut requis de régulariser la location du cheval et du véhicule.

On n’en sait pas davantage sur les faits et gestes d’Arthur durant son séjour de près de cinq années à Melbourne. On lui connaît une adresse : 121 Napier Street, Fitzroy (localité limitrophe de Melbourne, à l’est). C'est là qu'il est mort, le 25 mai 1877 de phtisie (tuberculose), selon The Australasian, un autre journal local qui tient une rubrique nécrologique. [4] Le même journal avisa:

    Les amis de feu Monsieur ARTHUR PALLU sont informés que sa dépouille sera inhumée au cimetière de Boroondara, Kew.

    Le convoi mortuaire partira du 121 Napier Street, Fitzroy, CE JOUR, 26 courant, à 3 heures moins le quart.

Sa tombe est encore visible.
La famille Pallu a conservé une lettre datée du 14 mai 1877 (sa dernière) où il écrit : « Vous me trouverez bien changé, moralement et physiquement, malheureusement physiquement en mal, dans ce moment-ci je ne suis qu’un squelette ». Il éprouve le besoin de rejoindre son pays natal et annonce qu'il partira pour Londres sur le navire le Northumberland le 16 juin, pour 52 jours de traversée. Le vice-consul de France a donné son accord pour son retour, « sur les avis pressants du docteur qui certifie que c’est seulement le retour dans mon pays natif qui me sauvera ».

Le Northumberland (Money Wigram & Son's), 1872

Le Northumberland appartenait à la même compagnie que le Lincolnshire mais en plus moderne. Construit en fer, doté d'une machine à vapeur auxiliaire, mais encore essentiellement un voilier, armé en 1871, il pouvait passer par le canal de Suez ; servi par 97 hommes d'équipage, il embarquait jusqu'à 500 passagers dont une soixantaine de « première classe ». En 1877, s'il a bien quitté Melbourne le 16 juin, il a dû faire un détour par Rio pour charger du charbon (3 août) et n'est parvenu à Londres qu'en septembre. [5]
Arthur Pallu n'avait pas eu la force d'attendre l'embarquement. Il était mort 3 semaines avant. Sa lettre ne parviendra à ses parents que le 1er juillet. Leur fils étant alors présumé en voyage, la lettre porte la mention manuscrite (attribuée à Alphonse Pallu) :
« attendre une nouvelle lettre avant de répondre. » Hélas, les courriers suivants, émanant des autorités consulaires, apporteront les documents officiels établissant le décès d'Arthur. Plusieurs versions avec quelques corrections ont été déposées par Michel Pallu aux archives du Vésinet en 2015.

Certificat de décès (détail) dressé à Melbourne, district of Collingwood, 1877.

 

Corrections transmises par le vice consul de France, Henry Follet ...

authentifiées par l'adjoint en charge de l'Etat-civil de Collingwood en janvier 1878.

Dans sa dernière lettre, Arthur cite deux fois nommément un M. Follet. « M. Follet ne me rapatrierait pas s'il n'était pas sûr de ma conduite » écrit-il.
Henry Follet (1829-1897) et sa femme née Rose Victoire Amélie Ferrand étaient des ressortissants français vivant à Melbourne (où plusieurs de leurs enfants sont nés entre 1860 et 1870). On trouve la trace dans l'Argus de M. Follet à propos de problèmes rencontrés par des Français en 1868. En 1874, il est vice-consul de France à Melbourne (annuaire diplomatique). Il rentrera en Europe en 1882. Après un poste de vice-consul à Swansea (Angleterre) ; chevalier de la Légion d'honneur, il sera consul de France à Bombay en 1887. Né à Londres en 1829, où son père était diplomate, il est mort à Paris lors d’un congé, à 58 ans, le 29 mars 1887.

****

    Notes et sources

    [1] Australie, passagers non assistés vers Victoria, 1852-1923. Cette collection (MyHeritage) inclut les personnes arrivées à Victoria dans les ports d'outre-mer entre 1852 et 1923.

    [2] The African Steam Ship Company (from 1852 to 1868). Historic Shipping Website Copyright © Historic Shipping 2011.

    [3]Les Caledonia diggings furent vers 1850, le lieu d'une ruée vers l'or. En 1873, les sites étaient déjà pratiquement désaffectés mais leurs vestiges constituaient un but de promenade très prisé.

    [4] The Australasian, June 6, 1877. Deaths announcements.

    [5]The African Steam Ship Company (from 1852 to 1868). Historic Shipping Website Copyright © Historic Shipping, 2011.


Société d'Histoire du Vésinet, 2023 • www.histoire-vesinet.org