D'après L'impartial de St-Germain-en-Laye et ses Environs, n°72 - Vendredi-samedi 5-6 octobre 1877.

La révocation d'Alphonse Pallu

Le journal se disant politique, industriel, scientifique, littéraire, commercial, agricole et d'annonce, avec l'architecte vésigondin Edmond Baume comme rédacteur en chef, publiait en première page sur quatre colonnes, un article intitulé Politique modérée aux lendemains de la révocation de maires de l'arrondissement de St-Germain par le préfet de Seine-et-Oise, pour des motifs politiques.

    Le gouvernement, dont M. le duc de Broglie est premier ministre, continue son abattage de fonctionnaires.

    Il ne veut pas renverser la République mais il destitue tous les hommes, même les plus modérés, qui montrent pour la République un attachement sincère et loyal.

    C'est ainsi que nous avons enregistré la revocation de M. Larnaude, maire d'Aulnay-sur-Mauldre (canton de Meulan), et que nous enregistrons aujourd'hui la révocation de M. Pallu, maire du Vésinet (canton de Saint-Germain).

    M Larnaude est un des hommes des plus justement estimés des habitants de sa commune et de son canton. M. Larnaude est un industriel important, intéressé plus que personne à la prospérité des affaires. Mais, dans une visite que lui fit M. Duverdy, M. Larnaude ayant eu la franchise de répondre au candidat de MM. de Broglie et de Fourtou qu'il était trop l'ami de l'ordre pour voter en faveur d'un homme qui ne représentait qu'une coalition de trois partis dont le but plus ou moins éloigné était le renversement de la Constitution républicaine, M. Larnaude devait être révoqué.

    Les électeurs répondront à ce décret en le nommant bientôt conseiller d'arrondissement.

    Quant à M. Pallu, qui donc oserait contester ses sentiments conservateurs ?

    Sa vie tout entière proteste contre les accusations de radicalisme et de démagogie dans lesquelles nos adversaires englobent tous les républicains.

    Chevalier de la Légion d'honneur pour les services qu'il avait rendus à l'industrie ; ancien membre et secrétaire du Conseil général du Puy-de-Dôme ; fondateur de grandes usines ; ancien directeur des célèbres mines et fonderies de Pontgibaud ; fondateur de l'industrie des marbres onyx d'Algérie ; fondateur de la commune du Vésinet, M. Pallu a le droit de revendiquer justement ce titre de conservateur, dont les ennemis de la République s'emparent si audacieusement pour cacher leurs projets révolutionnaires.

    Mais, parce qu'il est conservateur ; parce qu'il veut l'ordre véritable, c'est à dire la paix dans les esprits comme dans la rue ; parce qu'il veut le respect de la loi ; parce qu'il ne veut plus de révolutions ; parce qu'il ne veut plus de l'arbitraire ; parce qu'il veut enfin la France grande et prospère, travaillant en paix à l'abri des constitutions qu'elle s'est données ; parce qu'il ne veut pas du pouvoir personnel substitué au gouvernement du pays par le pays, c'est pour cela que M. Pallu est républicain, c'est pour cela qu'il devait être révoqué.

    Son crime, qui est un honneur aux yeux de ses concitoyens, c'est d'avoir refusé de s'associer à la violation de la loi en placardant lui maire, c'est-à-dire agent de l'autorité publique et municipale, les affiches blanches que M. Delpon de Vissée, actuellement préfet de Seine-et-Oise, a envoyé à tous les maires, malgré les termes formels de la loi du 30 novembre 1875.

    On lira plus loin la lettre si digne qu'il a écrite au préfet de M. de Fourtou.

Les électeurs ont répondu à cette révocation en proclamant M. Pallu, comme président de la réunion qui, à une majorité de plus de douze cents voix, acclamait la candidature de M. Albert Joly.
En réponse au décret qui l'a révoqué de ses fonctions de maire de la commune du Vésinet, M. Pallu a répondu par la lettre suivante adressée à M. Delpon de Vissée, actuellement préfet de Seine-et-Oise :

La Lettre d'Alphonse Pallu

    Le Vésinet, ce 4 octobre 1877

     

    Monsieur le préfet,

    J'ai l'honneur de vous accuser réception de l'ampliation d'un décret en date du 2 octobre courant, portant ma révocation de maire du Vésinet dont j'ai l'honneur d'être le fondateur.

    Ce décret ne contient aucun considérant.

    Mais je crois entrevoir les motifs de la décision que vous avez fait prendre à M. le président de la République, dans une lettre que j'ai adressée à mes administrés, justement émus de voir s'étaler sur les murs de la commune des affiches électorales sur papier blanc et portant en tête : « Préfecture de Seine-et-Oise. »

    J'ai dû leur dire que ces affiches avaient été apposées, sans mon assentiment, par mon adjoint, depuis démissionnaire.[1]

    C'est que, respectueux observateur des lois de mon pays, je ne voulais pas accepter une responsabilité que j'aurais nécessairement encourue, si j'avais consenti à me transformer en agent électoral de M. Duverdy, votre candidat officiel.

    Je sais bien, monsieur le préfet, que dans une circulaire du 27 septembre, insérée au recueil administratif, vous dites que « les gardes champêtres, agents de police, appariteurs, etc... doivent s'abstenir de distribuer des écrits électoraux, de quelque nature qu'ils soient, à l'exception, bien entendu, des cartes d'électeurs. »

    Vous oubliez les maires dans votre énumération.

    Mais, bien qu'elle n'en parle pas, votre circulaire ne saurait détruire les prescriptions si nettes et si formelles de la loi du 30 novembre, que je vous demande la permission de remettre un instant sous vos yeux :

    Article 3, alinéa 3. — « Il est interdit à tout agent de l'autorité publique ou municipale, de distribuer des bulletins de vote, professions de foi et circulaires des candidats. »

    Article 22. — « Toute infraction aux dispositions prohibitives de l'article 3 de la présente loi sera punie d'une amende, de 10 à 300 francs. »

    Or, vous ne contesterez pas, M. le préfet, que le maire ne soit un agent de l'autorité publique et municipale. D'où la conséquence qu'il violerait ouvertement la loi s'il affichait les professions de foi des candidats, quelle que soit d'ailleurs la couleur de leur papier. Et votre circulaire qui ne saurait vous survivre, n'empêchera pas les responsabilités légales lorsque nous serons revenus au gouvernement du pays par le pays et à l'observation scrupuleuse des lois.

    L'opinion publique appréciera nos deux façons de comprendre et le texte et l'esprit de la loi.

    Quant à moi, monsieur le préfet, je ne puis que vous remercier de m'avoir rendu la liberté de soutenir la candidature de M. Albert Joly, le seul candidat qui, dans notre circonscription, arbore franchement le drapeau vraiment conservateur du gouvernement républicain autour duquel se rallient aujourd'hui tous les hommes d'ordre et de liberté, qui ne veulent plus de révolutions, et qui mettent au-dessus de leurs préférences personnelles, l'intérêt sacré du pays.

    Veuillez agréer, monsieur le préfet, l'assurance de ma considération très distinguée.

     

     

    A. Pallu

    Fondateur et maire révoqué du Vésinet.

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    Notes et sources

    [1] De Wazières, Jules Louis Joseph, né à Ecques (Pas-de-Calais) le 26 juillet 1821, capitaine au 26e régiment de voltigeurs de la garde impériale, chevalier de la Légion d'honneur, mort au Vésinet, le 19 février 1880. Adjoint d'Alphonse Pallu de 1875 à sa démission, fin 1877. Il habitait au 6 rue Thiers (actuellement rue Henri Cloppet).

 


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