Sujets de recherches de la SHV

La Voiture Chameroy ?
Résiste même aux rues de Paris

En 1997, la découverte d'une vieille affiche publicitaire du début du XXe siècle dans une brocante de la région d'Auxerre [1] incita la Société d'Histoire à s'intéresser à la " Voiture Chameroy qui résiste même aux rues de Paris". La première versio de cette page fut mise en ligne lors de la création de notre site web en 2003 avec cet appel :

Si vous avez des informations concernant la "Voiture Chameroy" ou l'usine de ce nom qui se trouvait Route de Sartrouville,
merci de prendre contact avec l
a Société d'Histoire.

Affiche (non datée)

Société d'Histoire du Vésinet

Ce que l'on savait en 2003

Une entreprise construisait des automobiles au Vésinet, au début du XXe siècle : Les bureaux et l'usine des Établissements Emile Chameroy se situaient route de Sartrouville. Hippolyte Chameroy, le père du constructeur, avait déposé des brevets (Bande de roulement anti-dérapante, 1898 ; Bandage élastique pour roues de véhicules, 1899 ; Système de changement de vitesse par poulies extensibles, 1899 ; Système de changement de vitesse particulièrement applicable aux voitures automobiles, 1899 ; Bandage élastique à segments métalliques sur caoutchouc pour roues de véhicules, 1900 ; etc.). Ses fils Albert et Emile obtinrent les licences pour exploiter ces brevets (1903) et se lancèrent dans la production de bandages antidérapants puis de "protecteurs" adaptables sur les pneumatiques.
Enfin, Emile seul se lança dans la construction de voitures et voiturettes (1907-1911).

Le fruit des recherches

Si, durant vingt ans, il fut impossible de trouver un dessin ou une photographie des voitures en question, on put rassembler une somme d'informations sur leurs caractéristiques techniques et sur les membres de la famille Chameroy (une remarquable dynastie d'inventeurs) qui les avaient construites.


Buvard publicitaire, 1908

Les Établissements Chameroy fabriquaient des voitures légères dont la principale originalité concernait le mode de transmission. Hippolyte Chameroy avait déposé un brevet pour le système d'embrayage par courroie qu'il avait conçu. Le catalogue de 1909 présentait quatre modèles de voiture : Type A (3 cv) • Type B (4 cv) • Type C (6,5 cv) •Type D (9 cv) qui étaient proposés à la vente, soit en châssis nus, sans pneus, soit en voitures complètes avec carrosserie à la demande. Certains modèles étaient équipés de moteurs Aster. Les Ateliers de Construction Mécanique Aster basés à Saint Denis (93) ont produit des moteurs de 1900 à 1910 pour divers constructeurs automobiles (Le Zèbre, Gladiator, Clément et Ariès) en France mais aussi à l'étranger (Argyll, Dennis, Singer, Swift, West et Whitlock en Grande Bretagne). Pendant une période, Aster a produit également à Wembley pour le marché britannique.

Chameroy 1907 – Un cylindre 5HP (2500 frs)

Un des tout premiers modèles de la marque

Document collection Fons Alkemade

Dans le Génie civil [2] dans la rubrique Les progrès de l'automobilisme en 1908 qui rend compte du Salon de l'Automobile et de l'Aéronautique, à Paris, on note à propos de la transmission et des changements de vitesse :

    La transmission par courroie se retrouve sur plusieurs véhicules légers [...] dans la voiture Chameroy, comme organe de changement de vitesse et d'embrayage. Dans ce dernier véhicule, la courroie se trouve tendue automatiquement par l'effort même du moteur à l'aide du dispositif que montre schématiquement la figure 26.

    A est l'arbre du moteur; il porte un pignon P, engrenant avec une roue R sur l'axe de laquelle se trouvent les poulies étagées E qui reçoivent la courroie C. L'ensemble, articulé autour de l'axe du moteur, étant abandonné à lui-même, on voit que l'effort tangentiel du moteur provoque la tension de la courroie. On produit le débrayage en agissant en sens inverse à l'aide d'une pédale. La courroie attaque des poulies E', étagées en sens inverse des précédentes, montées sur un arbre intermédiaire 1, attaquant une des roues arrière par chaîne.
    La figure 27 montre d'une façon plus détaillée le montage des poulies conductrices.

     

     

Mais avant la Voiture Chameroy de 1907, les Établissements Chameroy existaient déjà, pour preuve cette carte postale, oblitérée à Paris le 27 décembre 1903, qui nous montre que Chameroy s'intéressait déjà aux voitures à défaut d'en construire. Exposant au Salon d'Automobiles pour ses protecteurs antidérapants (pas encore pneumatiques), il disposait d'un dépôt à Paris.
L'atelier et les bureaux sont indiqués " Route de Sartrouville, au Vésinet (S-&-O) " en précisant parfois " près gare du Pecq ". Ouverts vers 1898 par Hippolyte Chameroy pour l'étude, la fabrication et le montage des systèmes antidérapants, ils seront ensuite le lieu de construction des différents modèles de voitures et voiturettes (1907-1911). Ils ont probablement été affectés par les crues de la Seine en 1910.

Au vu de cette carte postale publicitaire, on comprend mal pourquoi l'automobile à connu si vite un tel engouement !

Collection Ghestem

Il y avait en France, à cette époque, plus de 450 constructeurs d'automobile. On en a dénombré près de 1400 au total.

[...] L'industrie de l'automobile est née à Paris.
Le Grand Palais, avec ses salons annuels à partir de 1901, puis les premiers magasins permanents sur les Champs et sur l'avenue de la Grande-Armée, mettaient ses produits en scène et lui servaient de points de vente. Les usines de construction se rassemblent alors en banlieue ouest sur les rives de la Seine, où les terrains sont moins chers. Dans les 36 communes qui forment, depuis 1964, le département des Hauts-de-Seine, on a pu inventorier pas moins de trois cents entreprises de construction automobile, sans compter les carrossiers, équipementiers et accessoiristes. On pense bien sûr à Louis Renault à Billancourt, mais on peut se souvenir aussi, et avant lui, de De Dion-Bouton à Puteaux, d'Alexandre Darracq à Suresnes, de Fernand Charron à Courbevoie ou d'Adolphe Clément, dit Clément-Bayard, à Levallois-Perret, pour ne citer que quelques grands.
Cette concentration de l'industrie naissante en région parisienne relève en partie de la disponibilité d'une main-d'œuvre qualifiée, rompue dans la capitale aux métiers de la carrosserie hippomobile, de la construction mécanique ou de la fabrication de bicyclettes. Mais elle s'explique surtout par la proximité d'une clientèle domiciliée majoritairement dans les arrondissements à l'ouest de Paris, une clientèle aux allures emmitouflées de "sportsmen", d'amateurs de "la vie au grand air", forcément aisés. Car la voiture automobile coûte très cher : le premier prix dans le catalogue Panhard et Levassor de 1892 est 5 000 francs, soit l'équivalent de quatre ou cinq années de salaire d'un ouvrier métallurgiste de la région parisienne. Et ce premier prix n'est qu'un début. Il faut d'abord faire carrosser le véhicule dont on n'a payé que le châssis avec le moteur. Ensuite, à moins d'être centralien ou garagiste, il faut encore pouvoir gager un chauffeur et le loger.
Une fois le fabuleux jouet acquis, qu'en faire ? Où le faire voir ? Où se retrouver ? Où aller ? Dans un premier temps, vers le bois de Boulogne, destination traditionnelle des équipages mondains, mais assez rapidement, toujours plus à l'ouest...

Paul Smith,
chercheur,
Sous-direction des études, de la documentation et de l'Inventaire,
Direction de l'architecture et du patrimoine

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    Notes et sources :

    [1] Le Vésinet, la revue n°6, juin 1997.

    [2] Le Génie civil : revue générale des industries françaises et étrangères (Paris) 30 janvier 1909.

    [3] Sur les origines de l'industrie automobile en France, voir LAUX, James M. In First Gear, The French Automobile industry to 1914. Montréal : McGill-Queen's University Press, 1976.

    [4] La Société d'Histoire remercie M. Mario Montanaro (expert) et M. Fons Alkmade (historien) pour les précieuses informations et les documents qu'ils lui ont communiqués. Mmes Sophie Becquet De Megille (Zmirov Communication) et Anne-Claire Mandine (Artcurial) pour leur concours gracieux.

     

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...Pour en savoir plus : MM. Chameroy, inventeurs (2009)• Bernard Hippolyte Chameroy au Vésinet (2009)• Les persiennes en tôle (2013)• La voiturette Chameroy (2018)• La dernière des voitures Chameroy (2018)


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