Jean-Paul Debeaupuis, Société d'Histoire du Vésinet et Syndicat d'Initiative et Défense du Site, 2017.

Les chênes séculaires du Vésinet

Les habitants du Vésinet ont souhaité, depuis les débuts de la commune, placer celle-ci sous le signe du chêne. Arbre majestueux s'il en est, chargé de symboles dans notre culture et notre Histoire, le chêne figure donc sur les armoiries de la ville sous la forme des deux feuilles qui flanquent la marguerite (autre symbole local) et par les deux rameaux qui accotent l'écu.
Avant ces armoiries, adoptées par le conseil municipal en 1897, un artiste local, Alfred Couverchel, avait proposé une autre composition héraldique pour la paroisse Ste Marguerite en 1865 avec «  ..un écu d'or à l'arbre de sinople, au chef d'azur cartonné à dextre et à senestre de deux marguerites d'or » accompagné de la devise «  Quercus marguaritis emicant  », qui signifie «  les chênes s'élèvent d'entre les marguerites.  »

A côté des armoiries officièles du Vésinet, le projet d'armoiries pour la Paroisse Ste Marguerite et sa devise :

Quercus marguaritis emicant (Alfred Couverchel, 1866)

Il est vrai que, dès 1517, le récit de voyage d'un ecclésiastique allemand [1] mentionnait un petit bois qui ne s'est jamais développé et s'appelle encore aujourd'hui le bois de la Trahison, une forêt de chênes «  mal-venans  » (de petite taille et de conformation irrégulière) résultant de pousses spontanées plutôt que d'une forêt plantée.
Ce «  bois taillis, presque tout de chesnes qu'on appelle le bois de la Trahison  » sera repris au fil du temps dans toutes les brochures touristiques qui ont fleuri au XIXe siècle pour distraire les voyageurs, sur les bateaux empruntant la Seine puis dans les trains de la première ligne de voyageurs. La légende et le décor serviront à bâtir la légende de la Trahison de Roland, lointain épisode de l'histoire de la forêt du Vésinet.

Si l'on se réfère aux documents historiques, plans de boisement, entretien, Comptes des bâtiments du Roi, documents comptables, on trouve trace de plantations massives d'ormes et, en moindre proportion, d'érables, de tilleuls et de châtaigniers, mais de chênes ... point.
Louis XIV a pourtant fait créer de nombreuses Rouvraies (forêts de chênes) à travers tout le royaume pour alimenter la construction navale et rivaliser avec la concurrence anglaise ou néerlandaise. Mais manifestement pas au Vésinet où les «  expertises  » commandées par le roi Louis XV et son administration décrivent des terres non labourables qui sont en friches, bruyères, hayes, buissons, pasturages, quelques bois taillis de petitte contenance où certes le gibier abonde –  au grand dam des laboureurs du voisinage. Mais sur ce pauvre terroir délaissé " qui sert de garenne peuplée de lapins" on ne dénombre que " quelques petits baliveaux" . Ces derniers, à peine assez développés pour échapper au broutage des petits cervidés, ont été probablement et sont encore, peut-être, les vieux chênes auxquels les Vésigondins sont tellement attachés.

Les « chênes géants de la forêt du Vésinet, appelée alors la forêt d'Echauffour » qui surgissent dans la littérature du XIXe siècle ne sont que la représentation romantique de la forêt imaginaire d'autrefois  : Source cristalline, chênes géants, biche et faon à l'allure incertaine et légère ...

La description de la forêt du Vésinet au moment de son acquisition par la Société Pallu en 1856 est à ce titre intéressante. En voici la synthèse [2]:

    ... On peut la rapprocher des rapports des gestionnaires des Forêts de la Couronne et du plan de 1824 qui offrent une vision des bois trente ans plus tôt. On y lit la poursuite de la composition que nous avons vue s'élaborer au fil des siècles : une très vaste partie boisée, coupée par des routes et ronds points et une surface de taille assez importante (12 ha), l'ancien champ de manoeuvres " entièrement déboisé. "
    On note surtout que la Société Pallu a choisi d'investir dans un site jugé humide et au sol de qualité assez médiocre, peu propice au développement de la végétation.
    On peut rapprocher ces notations de la remarque qui avait été faite au milieu du XVIIIe siècle au sujet du « terrain le plus aride des environs de Paris » que venait d'acquérir le duc de Noailles et du constat de 1826 : « sol sablonneux, maigre et peu profond ».
    La végétation des bois est " constituée d'un mélange de chênes, de charmes, de bouleaux, de pins sylvestres et maritimes" . Que sont donc devenus les 13000 pieds d'ormes, tilleuls et châtaigniers plantés en 1664  ? Les coupes effectuées dans la forêt les ont fait disparaître au fur et à mesure des aménagements successifs, le choix des essences replantées différant d'une époque à l'autre. Cette indication montre la rotation des différentes plantations dans une forêt exploitée, liée aux politiques successives de gestion forestière. Elle souligne d'autre part les limites de nos connaissances au sujet d'un massif forestier, en fonction essentiellement des documents d'archives disponibles ou non.
    Il est de plus indiqué que la forêt du Vésinet fait l'objet, en 1856, d'un " aménagement peu régulier" , que le renouvellement se fait tous les vingt ans et que des coupes ont lieu annuellement. Ces indications nous aident à nous faire une idée de l'aspect de la forêt du Vésinet lors de son achat par la Société Pallu et Cie en 1856. L'entretien et l'exploitation de la forêt n'ont visiblement pas été effectués de manière aussi réglée qu'il avait été prévu. Le boisement n'est certainement pas homogène, des parties déboisées n'ayant sans doute pas été replantées.

     


Carte des Environs de Paris publiée dans " L'Atlas curieux ou le Monde représenté dans des cartes générales..."

D'après Nicolas de Fer, à Paris, Chez I.F. Bernar, gendre de l'auteur, 1725.

 

En observant la carte du XVIIIe siècle ci-dessus et la façon très particulière dont le territoire du Vésinet est représenté –  représentation très habituelle sur les cartes topographiques de cette époque comme on peut le voir sur la page dédiée –, on doit se souvenir qu'avant son rôle cynégétique, la Garenne du Vésinet contenant 1009 arpents 20 perches, sera conservée pour l'ornement du château de Saint-Germain. [État de 1674, E 3627, fol. 16v.] Les plantations en alignement, en 1664 et après, avaient d'abord pour but de dessiner des perspectives, un lieu où les alignements ont plus d'importance que ce qui pousse dans les espaces ainsi délimités. Dans ces espaces, le Chêne, essence endémique du lieu, continue de pousser spontanément.

La main du Paysagiste puis de l'Urbaniste

C'est donc une végétation sans vertu, paresseuse et languissante, où les arbres sont rachitiques et rabougris, les chênes moroses envahis par la bruyère et dont les arbrisseaux obstruent tout horizon qu'Alphonse Pallu confie en 1857 au Comte de Choulot pour y réaliser un des parcs dont il a le secret. La presse ne cache pas son scepticisme. Le bois est connu comme ... à peine vivifié par les précipitations et lors des saisons pluvieuses, des mares se forment, génératrices de moustiques. Et, toujours selon les témoignages du XIXe siècle, si la cognée de l'Etat éclaircit de temps à autre les massifs de chênes et de trembles, les chemins y sont fort mal entretenus. En principe, on exploite 20 hectares par an. La révolution (périodicité) est de 20 ans. La forêt est décrite comme taillis sous futaies de chênes épars, de charmes et de bouleaux avec des pins sylvestres par bouquets.
Évidemment, Choulot fera la part belle aux chênes qui, une fois mis en valeur, présenteront une allure majestueuse et leur conformation médiocre du point de vue de la sylviculture n'en sera que plus romantique.


Le Bois du Vésinet au début du XXe siècle.

...les arbrisseaux obstruent tout horizon...

 


L'allée des Chênes dans le parc de l'Asile national du Vésinet au début du XXe siècle.

... les chênes moroses envahis par la bruyère ...

Avec les cartes postales anciennes, la période de couverture photographique réalisée vers 1900-1920, donc quelque 50 années après la réalisation initiale, fait apparaître les paysages au début de la maturation des principales plantations nouvelles, où les effets voulus sont donc déjà perceptibles. A contrario, elle fait aussi apparaître [images ci-dessus], dans les secteurs non exploités ou pas entretenus (quartier des Charmettes bois de l'Asile) un retour à la forêt d'avant les premiers défrichements de la Compagnie Pallu.

Chênes " historiques" (antérieurs à la création du Vésinet)

Sinuosité du tronc, nœuds vicieux, troncs fourchus, multiples, jugés médiocres du point de vue sylvicole mais ô combien pittoresques ...

malgré des houpiers déséquilibrés par la coupe de branches charpentières.

Les règlements et plans de sauvegarde

Si l'on s'accorde à considérer que le Vésinet a pu conserver son charme, son caractère pittoresque et son statut de ville-parc grâce aux règlements qui l'ont protégé dès son origine, il faut remarquer que rien ne figure dans les Cahiers des Charges de 1858 et 1863 pour conférer la moindre protection aux plantations. Pas davantage lorsque l'Acte d'Abandonnement, en 1876, fait passer les " espaces verts" dans le domaine du droit public. On peut penser qu'alors, les arbres et particulièrement les chênes paraissaient si nombreux qu'il n'y avait pas de dommage à en abattre quelques-uns. En 1937, dans le prolongement des mesures de Classement du Site, un Plan d'Aménagement, d'Embellissement et d'Extension est mis en place et déclaré d'Utilité publique. Là encore, son Règlement des Servitudes, très rigoureux en matière de construction, ne fait aucunement mention des arbres en général, des chênes en particulier. Il faudra attendre le règlement d'Urbanisme de 1970 pour qu'on se préoccupe enfin des arbres de grand développement.
Un chapitre consacré aux servitudes de protection générale des paysages est ajouté au règlement  :

    ...La suppression d'arbres dans les bois et parcs de moins de 4 hectares et l'enlèvement des arbres d'alignement qui risqueraient de modifier le caractère des paysages, tels que les abattages d'arbres le long des voies publiques ou privées ne peuvent être réalisés qu'après le dépôt en mairie d'une déclaration indiquant les travaux projetés, qui sera instruite dans les conditions prévues par l'article 3 du décret n° 59-1059 du 7 septembre 1959.

    ...Au dossier de demande de permis de construire seront jointes les indications relatives aux arbres de haute tige à abattre et aux plantations à réaliser. Dans le cas où la construction des bâtiments entraînerait l'abattage d'arbres de haute tige, le propriétaire du terrain devra replanter un arbre de haute tige pour remplacer chaque arbre abattu. Dans le sous-secteur d'habitations basses avec jardins il sera exigé de maintenir ou de créer des plantations à raison de 30 arbres de haute tige minimum à l'hectare.

    ...Dans le sous-secteur résidentiel d'habitations individuelles il sera exigé de maintenir ou de créer des plantations à raison de 100 arbres de haute tige minimum à l'hectare."

Enfin, dans le règlement du Plan d'occupation des Sols  (POS) de 1979, de nouvelles prescriptions apparaissent  :

    ...Des surfaces sont obligatoirement réservées aux espaces verts  leur emprise est de 20% au moins de la propriété bâtie en secteur UAa et 35 % au moins de la propriété bâtie en secteur UAb, 50% dans le secteur UE, 60% en secteur UH ....

    ...Il est exigé un arbre de haute tige par 100 m² de terrain libre au minimum. Tout abattage d'arbre est soumis à l'autorisation du Maire.

Le Chêne dans la microtoponymie locale

Les habitants, de leur côté, ont toujours été sensibles à la présence des chênes et pour ne pas se limiter à la rue des Chênes tracée avec le Hameau du Petit-Montesson dès les années 1860, et la Villa Beau-Chêne édifiée en 1891 par l'architecte Louis Gilbert et connue de nos jours pour avoir été la demeure de Joséphine Baker, les noms de maisons faisant référence aux chênes sont nombreux. Pas moins de sept maisons ou villas de caractère ou de style très différents ont été nommées Les Chênes ou Villa des Chênes, deux autres Les Trois Chênes. Il faut y ajouter Les Vieux-Chênes, La Chesneraie, Le Grand-Chêne, La Rouvraie, Les Rouvres, donnant à l'essence chère à Saint-Louis, le premier rang dans la toponymie locale.
En 1975, pour le centenaire de la Commune, un chêne est planté près du Lac des Ibis, à proximité de la Villa La Marguerite ancienne demeure d'Alphonse Pallu. Et lorsque quelques années plus tard, Alain Jonemann, maire et natif du Vésinet veut rassembler les plus anciens habitants de la commune dans une association d'entre-aide, il la nomme ... Le Club des Chênes.

Considéré longtemps comme le plus vieux chêne du Vésinet, datant de la fin du XVIIe siècle, il était contemporain des chasses du Roi-Soleil.

Abattu par la tempête de 1999 sur la Grande Pelouse. Cliché 1986.

L'approche scientifique

Une importante étude dite " historique et paysagère" fut rendue publique en 1995. Cette étude faisait suite au Contrat Départemental d'Environnement établi en 1991 entre le département des Yvelines et la commune du Vésinet [2]. Il portait d'une part sur l'établissement par un ingénieur-écologue d'un diagnostic sanitaire du patrimoine arboré de la commune et d'autre part sur la réalisation par un paysagiste d'une étude paysagère de l'ensemble du territoire communal, tant public que privé. En 1994, les Contrats d'Environnement ont été recentrés sur la protection du patrimoine naturel et des paysages.
La conclusion de l'étude sanitaire sur l'état du patrimoine arboré du domaine public faisait apparaître qu'un arbre sur trois serait à abattre " dans les 15 ans à venir" . En effet, on était arrivé alors en présence d'un fonds très ancien des principaux chênes, préexistants à la création du Vésinet, dont l'âge estimé se trouvait alors entre 300 ans pour les plus anciens, de 250 à 200 pour les plus nombreux. D'autre part, le reste du patrimoine arboré, constitué de plantations contemporaines des années 1860 et suivantes, constamment enrichies sur 50 ans, au fur et à mesure de l'édification progressive du lotissement était composé d'essences variées, autres que le chêne et, dans l'ensemble, de moindre longévité. L'étude détaillée concernait 6000 arbres, représentant 92 espèces. [3]

Entre les premiers défrichements en 1857 et l'arbre du centenaire planté en 1975, aucun plan global de replantation de chêne n'avait été appliqué. Il n'y avait donc alors pour ainsi dire aucun jeune chêne hormis ceux –rares– qui avaient pu pousser spontanément.
Pourtant, la lecture des revues municipales régulièrement publiées à partir de 1965 révèle que l'état sanitaire des chênes suscite depuis longtemps bien des inquiétudes. Le Capricorne est déjà là et semble invulnérable en dépit des nombreux traitements chimiques (parathions, organo-phosphorés, etc.) tous toxiques et dangereux à manipuler et d'ailleurs proscrits par la suite. A partir de 1985 s'ajoutent les appels à la raison des propriétaires, prompts à élaguer de façon inconsidérée.
Les recommandations émanant de spécialistes (inspecteur de la protection des végétaux, ingénieur en chef agronome, pharmacien) ou de propriétaires bien intentionnés et curieux incitent tous à préférer des " espèces résistantes" plutôt que des chênes pour conserver au Vésinet son caractère forestier. Les propriétaires ne semblant plus guère enclins à planter des chênes dans leurs parcelles, le Syndicat d'Initiative et de Défense du Site, dès 1987, proposait une aide financière aux particuliers en faveur de telles plantations.
Après la présentation de l'étude historique et paysagère, la ville a initié une importante campagne de reboisement. De nombreux jeunes arbres ont été plantés sur tout le secteur public, parmi lesquels de nombreux chênes avec la volonté de conserver les espèces d'origine : Quercus robur (chêne pédonculé), Quercus petraea (chêne rouvre), Quercus pubescens (chêne pubescent). [4]

Chêne du Centenaire de la commune du Vésinet

Planté le 4 mars 1975, don de Mlle Rudolphe, fille du champion cycliste, il fut inauguré le 22 juin 1975 [6]

C'est aujourd'hui un chêne cinquantenaire.

L'effet des catastrophes naturelles

Les grands arbres de notre ville-parc ont aussi souffert d'épisodes climatiques violents. Ceux de 1780 (ouragan), de 1870 (ouragan), de 1896 (ouragan ou cyclone) et de 1931 (tempête) ont laissé des souvenirs vivaces à leurs contemporains et quelques écrits en font état sans toutefois permettre d'évaluer les dégâts localement. Plus récemment, les tempêtes du 27 mai 1967 qui a abattu une quarantaine de grands arbres, celle du 3 août 1971 durant laquelle " une quarantaine d’arbres ont été déracinés, dont plusieurs chênes centenaires, 30 propriétés touchées, 400 abonnés sans téléphone, une centaine de maisons sans électricité, des caves inondées, des poteaux brisés, des toitures endommagées, 3 rues coupées par des arbres, des clôtures effondrées, l’éclairage public gravement perturbé, les trottoirs jonchés de branches cassées" . Ce jour-là, un vent à près de 120 km/h, accompagné de pluie et de grêlons s’est abattu sur la Commune durant une vingtaine de minutes. Les 3 et 4 février 1990, des rafales d'une rare violence ont déraciné ou brisé 67 arbres. Devant ce lourd bilan, la Ville proposa d'aider les particuliers à reboiser avec une aide substantielle de 800 frs.
Mais surtout, à l'aube du 26 décembre 1999, une tempête hors norme a ravagé le nord de la France et n'a pas épargné la ville-parc. Cinq cents arbres du domaine public ont été abattus [5]. 230 autres ont subi des dommages souvent irrémédiables. Parmi eux 68 chênes dont 59 grands sujets, antérieurs à la colonie du Vésinet dits " historiques" – ils avaient peut-être côtoyé Louis XIV à l'affût d'une grue ou d'un courlis.

Tempête

Brochure de 20 pages (35 illustrations) publiée par la Ville du Vésinet aux lendemains de la tempête du 26 décembre 1999.

... Adieu vieilles forêts, adieu têtes sacrées...

Adieu chênes, couronnes aux vaillants citoyens ...

Au cours des trente dernières années, avec le développement de l'Ecologie (discipline scientifique entrée tardivement à l'Université française) et les nombreuses connaissances qu'elle a permis d'acquérir –  connaissances encore très parcellaires  –- la façon de concevoir et de traiter les interactions entre insectes et végétaux a beaucoup évolué. Le rôle écologique des espèces considérées comme nuisibles se fait jour, le respect de la biodiversité oblige à renoncer à l'élimination quasi systématique par voie chimique de certaines d'entre elles au point que désormais, pour ne retenir que le cas du Capricorne, le chêne ne doit plus être considéré comme la victime de l'insecte mais comme le biotope au cœur duquel l'insecte (espèce protégée) passe une grande partie de sa vie, et que l'on doit à ce titre le conserver en l'état. [7]


Grand capricorne (Cerambyx cerdo) un parasite des vieux chênes.

De la forêt aux parcs et jardins : les arbres

Au-delà du Chêne et de la valeur emblématique qu'il revêt, Le Vésinet fut conçu par ses fondateurs comme une forêt habitée.
A ce qui constituait cette forêt à l'origine – ce que les urbanistes-paysagistes désignent à présent comme la couverture primaire  –, s'est ajoutée au fil des ans une couverture secondaire, beaucoup plus diversifiée (on a recensé 92 espèces), tributaire des modes, des aléas climatiques, des invasions de parasites et de la densification obligatoire.
Les différents états-des-lieux, réalisés occasionnellement dans la forêt du temps des chasses royales et jusqu'à l'arrivée du train ont signalé quelques essences, toujours les mêmes, qu'on peut qualifier d'endémiques bien que certaines aient été introduites il y a plusieurs siècles, par la main de l'homme : ormes, trembles, tilleuls et châtaigniers, plantés en grand nombre au XVIIe siècle.
Au XIXe siècle, peu avant les transformations que réalisera la Compagnie Pallu, l'avis des experts consultés par le propriétaire du bois était que «  le sol est sablonneux, maigre et peu profond, son essence dominante est le chêne, c'est pourquoi il paraît préférable que la forêt soit aménagée à 15 ou 18 ans au plus tard parce qu'à cet âge les cinq sixièmes des pousses s'arrêtent et le bois ne gagne plus l'intérêt de l'argent qu'il produirait s'il était vendu  ». Ils précisent que «  le bois ainsi venu ne peut être débité en charpente, mais seulement être transformé en bois de feu  ». On y relève presque exclusivement, outre les chênes, des charmes et des bouleaux épars ainsi qu'un assez grand nombre de «  bouquets de pins sylvestres et maritimes dont la contenance totale ne dépasse pas deux hectares.  » On y décrit aussi de vastes charmilles, non au sens de l'art topiaire mais comme des plants de petits charmes en taillis.
Depuis la création de la Ville-Parc, et l'établissement de la couverture secondaire, l'étude fait apparaître un faible indice de diversité des essences due à la prédominance, parmi les arbres d'alignement, des platanes, tilleuls et marronniers, constituant à eux seuls plus d'un arbre sur trois du Vésinet, sur le domaine public en tous cas. S'y ajoutent le peuplier d'Italie et chêne sessile sur les rivières, les robiniers et platanes sur les lacs.

Couvertures arborées primaire (originelle) et secondaire

Rapport de présentation ZPPAUP  /  AVAP (projets) 2010-2016. [9]

Les acquéreurs de parcelles feront preuve de beaucoup plus d'imagination pour décorer leurs parcs et jardins. Grâce à eux, on peut relever çà et là quelques sujets isolés de très grande taille, de couleurs variées, d'essences exotiques : cèdres, séquoias, hêtres roux, gingkos, pins et sapins, catalpas, etc.

Écrin de verdure autour des villas aux styles variés

Rapport de présentation ZPPAUP  /  AVAP (projets) 2010-2016. [9]

La couverture arborée, primaire et secondaire, constitue un élément essentiel dans le paysage vésigondin car il fait le lien et permet l'harmonisation entre les nombreux styles architecturaux qui composent son riche patrimoine en leur offrant un écrin de verdure. C'est ce qui explique les efforts renouvelés à chaque nouveau plan d'urbanisme pour préserver les espaces végétalisés, une taille de parcelles compatible avec la présence des plus grands arbres, des limitations drastiques à la tentation de minéraliser les sols.

De nombreux aléas contribuent à façonner ou à transformer l'action de l'homme. Plantés en grand nombres au moment du lotissement pour donner de la verticalité au décor, les peupliers d'Italie ont presque tous disparu lors des tempêtes de 1931, 1967 et 1971. Les ormes, introduits en grand nombre au XVIe siècle sous forme d'ormeraies, récoltés au XVIIIe, ont laissé des rejets qui ont presque tous été victimes de la graphiose, une maladie cryptogamique associée à un scolyte qui a sévi dans les années 1960-1970.
Le marronnier d'Inde, essence importée des Balkans, plantée en abondance au Vésinet depuis le développement de la colonie puis de la commune, tant comme arbre d'alignement que comme élément décoratif des parcs, est infesté par les larves d'un papillon, la mineuse (
Cameraria ohridella), qui s'attaque au feuillage auquel elle donne un aspect fané, automnal, dès le mois de juillet. Le parasite apparu au début du XXIe siècle, s'est très vite répandu à tous les marronniers blancs du territoire il n'a pas encore de prédateur et aucun traitement aisé n'est disponible pour le moment.
Les platanes, les érables et sycomores, les buis, les thuyas ont aussi leurs maladies et le dérèglement climatique peut en être le catalyseur.

Encouragée depuis les études paysagères globales et les diagnostics sanitaires, l'introduction d'une plus grande diversité dans les essences a fait apparaître de nouvelles variétés. C'est le choix de la Fondation pour Le Vésinet qui a entrepris une campagne de reboisement du site des Ibis depuis 2015.
La démarche n'est pas nouvelle. Au début du XXe siècle, Eugène Schott, un Vosgien ayant fait fortune dans le négoce du houblon et passionné de botanique et de dendrologie, qui a habité entre 1920 et 1936 plusieurs vastes propriétés sur les deux rives de la route de Montesson (Villa Bizette et Villa Beau-séjour), y a implanté de nombreuses espèces de conifères (Pins, Sapins, Épicéas, Pseudotsugas, Cyprès, Génévriers, aux teintes glauques, bleues ou très pâles) et en a probablement fait profiter ses voisins. Quelquefois signalées dans la presse de l'époque ses plantations très appréciées ont pu subsister. [8]

La « forêt » du Vésinet aujourd'hui, vue de la Terrasse de St Germain

Syndicat d'Initiative et de Défense du Site, 2012.

Si, dans la microtoponymie locale, le chêne bénéfcie comme on l'a vu d'une position dominante, les autres arbres, collectivement, lui font concurrence. Charmes, marronniers, acacias, bouleaux, peupliers ont leurs voies communales ainsi que les bocages. Les Ifs, les cèdres et les mélèzes ont leurs villas comme les charmes et les charmilles, les platanes et les tilleuls sans oublier plusieurs sapinières ...Et notre concitoyen Alain Decaux (1925-2016) pouvait écrire dans sa préface à La curieuse histoire du Vésinet «  Une Jacquerie au Vésinet  ? Je la prédis, si l’on touche à nos arbres  !  »

Conscients à des titres divers de l'importance des arbres dans notre ville, autant pour le plaisir de nos sens que pour leur rôle bénéfique dans notre environnement, les municipalités successives ont essayé de protéger, de faire connaître et reconnaître ce qu'on tient désormais comme une des richesses patrimoniales essentielles du Vésinet : ses arbres. Ils ont fait l'objet d'un recensement pour figurer dans le Plan local d'Urbanisme de 2014 puis après un inventaire complémentaire, pour être inclus dans le Plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine qui définit les règles en vigueur sur le Site Patrimonial Remarquable du Vésinet. [10]

    Pour aller plus loin, lire de Peter Wohlleben  :  La Vie secrète des Arbres, Editions des Arènes, Paris, 2017 et La Vie au cœur de la Forêt, Editions Trédaniel, Paris, 2017

     

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    Notes et sources:

    [1] Rubrique littéraire, Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, 1903.

    [2] Ville du Vésinet, Contrat départemental d'Environnement. présenté par Sylvie Dumont, urbaniste, Adeline Hamon, historienne et Dominique Pinon, paysagiste, 1994.

    [3] Si les propositions d'aménagement envisagées dans cette étude n'ont jamais été réalisées, le diagnostic territorial servant de fondement au Plan local d'Urbanisme de 2014 puis du Plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine de 2017 et, à un degré moindre, à l'aménagement du Parc Princesse, en est largement inspiré, alimentées par divers documents disponibles (plans, cartes postales anciennes, photographies, etc.) afin de bien saisir la pensée créatrice des fondateurs du Vésinet, et confrontées avec l'observation fine du terrain.

    [4] La Fondation pour le Vésinet a entrepris en 2015 d'importantes campagnes de reboisement avec la volonté d'élargir le choix des espèces, faisant évoluer le site des Ibis, en particulier, vers une sorte d'arboretum comprenant des essences plus exotiques, plus colorées.

    [5] Aucun bilan n'a été publié quant aux dégâts subis par le domaine privé qui comptait au recensement de 1992 (révision du POS) environ 4 à 5 fois plus d'arbres que le domaine public.

    [6] Le sujet planté en 1975 n'a pas survécu à la sécheresse de 1976 et on a dû le remplacer l'année suivante par un sujet plus petit, pour une reprise plus probable. Il présente toutes les caractéristiques d'un chêne de plein-champ (isolé) qu'il partage avec beaucoup des chênes historiques du Vésinet.

    [7] Le grand Capricorne est protégé au titre du Réseau Écologique Européen dit " Natura 2000" . Tout comme, durant des années, les chênes infestés ou sains ne pouvaient être abattus ou amputés de branches charpentières que pour des motifs de sécurité, ce n'est désormais que pour ces mêmes raisons de sécurité qu'un chêne devenu biotope d'une colonie de capricornes ne peut être abattu de crainte de voir disparaître avec lui les précieux coléoptères.

    [8] Il fonda l'Abiétinée, une Société d’amis des belles plantes et répandit dans parcs et jardins des Vosges et en Lorraine des espèces rares de conifères. La Terre et la vie - revue d'histoire naturelle de la Société nationale de protection de la nature (France),  janvier 1936.

    [9] Documents illustrant les premiers projets de Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), repris dans les projets d'Aire de valorisation de l'architecture et du patrimoine (AVAP) élaborés entre 2006 et 2017 pour aboutir au Plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine qui définit les règles en vigueur sur le Site Patrimonial Remarquable du Vésinet institué selon la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP).

    [10] Une Charte de l'Arbre élaborée par le Pôle Cadre de Vie et Développement du Vésinet, long et délicat chantier, a été présentée en Conseil municipal et adoptée en 2015.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2017- histoire-vesinet.org