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Un fougueux gascon
Paul Adolphe Marie Prosper Granier de Cassagnac (1)

Né à La Guadeloupe en 1842, Paul Granier de Cassagnac, est issu d'une vieille famille gasconne.
Il vint très jeune en France, commença ses études à Paris, les poursuivit en province, fit une première année de droit à Toulouse, puis fut reçu licencié à Paris. Sa vocation le poussa vers le journalisme, et il ne tarda pas à s'y faire une bruyante notoriété par les emportements de sa plume et par ses nombreux duels.
En 1862, il fonda l'Indépendance parisienne. Après un bref passage à la Nation, dont son père était le rédacteur en chef, il entra au Diogène, feuille satirique. Il y montra un talent incisif et gouailleur qui était tout à fait à sa place, et ses attitudes provocantes suggéraient déjà qu'il devrait étudier l'escrime aussi bien ou mieux encore que les lois du style.
Dans un duel qu'il eut avec Aurélien Scholl, rédacteur du Nain jaune, à propos de l'affaire du marquis de Harlay-Coëtguen, il le blessa grièvement. C'était le premier de ces grands coups d'épée qui lui ont fait une renommée toute spéciale.

Paul de Cassagnac
Wikipedia (UK)

Appelé, en 1866, à la direction du Pays, Cassagnac père s'adjoignit son fils comme chroniqueur quotidien. Cité en police correctionnelle comme diffamateur, celui-ci se vit condamner à quatre mois de prison. L'empereur lui fit remise de sa peine. Son père ayant été chargé, comme délégué de la Chambre, d'une mission dans le Midi, Paul de Cassagnac l'accompagna en qualité de secrétaire, et publia une relation édifiante de cette tournée: "Dans la bonne ville d'Auch se trouve un certain personnage que je ne nommerai pas [...] Ce personnage ayant commis une insolence vis-à-vis de votre serviteur, je lui ai interdit, sous des peines sévères, le séjour de sa ville natale, pendant tout le temps que je daignerais y rester. Inutile de vous dire qu'il a obtempéré à mon désir avec une prudence parfaite..."
Devenu rédacteur en chef du Pays, Paul de Gassagnac se fit de nouveau condamner comme, diffamateur, cette fois vis-à-vis de M. Malespine, de l'Opinion nationale (janvier 1867) à deux mois d'emprisonnement, peine qu'il ne subit pas plus que la précédente.
Nous ne dirons rien de son duel avec Henri Rochefort (lui aussi coutumier de passes d'armes), sinon qu'il eut lieu à propos de Jeanne d'Arc et que Rochefort fut blessé.

Dans toutes ces affaires, Paul de Cassagnac avait été le provocateur. Provoqué à son tour par le lieutenant de vaisseau Lullier, il refusa de se battre. Trois mois après, il affrontait Henri Lissagaray, son cousin germain, qui reçut un coup d'épée en pleine poitrine...


Extrait du "Magasin Illustré" n° 98 du 12-9-1868.

Un duel au Vésinet
Dans la forêt du Vésinet les oiseaux chantaient, les ruisseaux murmuraient, les petites fleurs souriaient, l'herbette verdoyait, et les brises folâtraient avec le feuillage des chênes.
Six hommes arrivèrent. Ils ne mêlèrent point l'hymne de leurs coeurs à l'hymne matinale de la forêt. De nombreux nuages passaient sur leur visages.
Deux d'entre ces hommes se détachèrent du groupe, se dévêtirent jusqu'à la ceinture, s'armèrent d'un fer si aigu que l'air lui-même semblait en redouter la pointe, échangèrent un regard chargé d'une homicide colère, et les yeux dans les yeux se ruèrent l'un sur l'autre, essayant réciproquement de se percer le coeur. Les fleurets, expression des sentiments des deux adversaires, se déchiraient, se mordaient, se repoussaient en frémissant, et de nouveau se précipitaient l'un sur l'autre en sifflant ainsi que d'affreux reptiles.
Après quelques minutes, des gouttes de sang jaillirent de la main d'un des combattants. Ce sang qui noircit les plantes qui le reçurent n'apaisa point la haine de ces hommes. Le blessé, après avoir lavé sa main dans l'eau d'une fontaine voisine, reprend son arme et recommence le combat, combat dont je ne veux pas retracer ici les dramatiques péripéties pour arriver plus vite au dénouement.
Le voici ce dénouement.
Par un dernier effort, par un de ces efforts suprêmes dus au galvanisme d'une colère sans bornes, les deux ennemis, pâles mais d'une pâleur semblable à celle d'un lis mordu par une vipère, lassés, chancelants, défaillants, se précipitèrent l'un sur l'autre et multiplièrent tellement leurs coups qu'on eût dit une mêlée furieuse d'un millier d'épées. L'acier disparaissait sous le rayonnement des éclairs qu'il lançait. Enfin l'un des deux tombe. Le fer croit avoir trouvé le chemin de son coeur. Le vainqueur, jeune homme encore, s'avança près du blessé qu'entouraient les quatre témoins, lui tendit la main en signe de réconciliation, mais celui-ci, persistant dans sa haine, refuse de prendre cette main et, d'une voix mourante, provoque son adversaire à un combat à mort.
On dit qu'à ce triste spectacle les oiseaux cessèrent un instant de chanter, les ruisseaux de murmurer, les petites fleurs de sourire, et les brises de folâtrer dans le ramillage des grands chênes, car l'homicide colère avait troublé l'harmonie universelle.
Ce duel sanglant a eu lieu entre MM. Paul Granier de Cassagnac,
rédacteur en chef du "Pays", journal de l'empire, et Lissagaray, rédacteur de "l'Avenir", d'Auch.
Et cela pourquoi ? Parce que ces messieurs ne sont pas du même avis.
Mais si tous ceux qui dans notre cher pays de France ne sont pas du même avis imitaient la conduite de M. Paul Granier de Cassagnac et de M. Lissagaray, la forêt du Vésinet deviendrait bien vite un grand lac aux flots de sang. une horrible mer noire.


Et en juillet 1869, il eut avec Gustave Flourens un duel dans lequel celui-ci reçut trois blessures, dont l'une mit ses jours en danger. Vers cette époque, Cassagnac refusa encore un duel exceptionnel où on lui proposait de se battre au pistolet, à bout portant, avec une seule arme chargée. Pas fou, Cassagnac a, du reste, toujours refusé les duels dans lesquels son adresse à l'escrime aurait pu être annulée.

Comme journaliste politique, il prêcha l'annexion de la Belgique à la France, réclama la frontière du Rhin, poussa à la guerre contre la Prusse avec une extrême violence, d'abord à propos de la question du Luxembourg, puis à propos de la question espagnole. A la suite des premiers revers, en août 1870, il déposa la plume et s'engagea dans un régiment de zouaves. Fait prisonnier à Sedan, il fut interné dans la forteresse de Cosel, sur la frontière de Pologne. De là, il écrivit le 2 février 1871, au Messager du midi, une lettre avec ce passage: "Le rôle de l'empereur est irrévocablement fini; le rôle du prince impérial ne saurait commencer. La France n'a besoin ni d'un vieillard ni d'un enfant. Au milieu des ruines de mon pays, je n'ai plus de passion dynastique, je n'ai que la passion patriotique et française... J'ignore si la France rappellera les Bonaparte; mais ce rappel, je ne le souhaite pas"...
En reprenant la rédaction en chef du Pays, quelques mois plus tard, il changea totalement d'idée à ce sujet, et la restauration de l'Empire, ne cessa d'être l'objet de ses vœux les plus ardents. Il est mort à Saint-Viâtre en 1904.

Paul de Cassagnac fut l'auteur de "Allez, Messieurs!" - Essai sur le duel (réédité aux éditions Baudinière, 1935, Paris).
Notons que chez les Cassagnac, les duels étaient une tradition familiale.

 

    [1] CASSAGNAC ou CASSAGNAC (GRANIER DE) V. GRANIER.

    Une question très-contestée est de savoir si M. Bernard-Adolphe Granier, né à Avéron-Bergelle (Gers) le 12 août 1806, et non en 1908 comme le dit le Dictionnaire des Contemporains, par M. Vanereau, a ou non des droits à la particule nobiliaire de c'est-à-dire s'il se nomme Granier tout court ou Granier de Cassagnac. Ce n'est pas ici que ce problème doit trouver sa solution ; nous croyons pouvoir assurer qu'il sera complètement résolu à l'ordre alphabétique GRANIER; là tout sera pesé, examiné, sans haine et sans passion, sine ira ac studio, comme dit Tacite.
    On aurait tort de confondre le Grand Dictionnaire avec le journalisme, qui est toujours libre de soulever les questions qu'il aime à traiter. Chez nous, l'ordre alphabétique est la seule règle; il n'est pas de terrain, si brûlant qu'il soit, que nous ne nous croyions obligé de fouiller. Cette voix est toujours derrière nous, qui nous crie comme à Ahasvérus : "Marche ! marche ! " Quoi qu'il doive arriver, nous sommes contraint d'obéir à cette épigraphe écrite à la première page de notre œuvre: "La vérité, toute la vérité, rien que la vérité". Mais, nous le répétons, point de passion, point de parti pris. Quand de nouveaux documents lui arrivent, le Grand Dictionnaire ne dit jamais : "Mon siège est fait".
    Grand Dictionnaire Encyclopédique du XIXe siècle

     

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