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Le Vésinet, terre de duels

Les duels furent en France un moyen officiel de résoudre les conflits entre personnes jusqu'à la fin du XVIe siècle. Par la suite, les autorités s'efforcèrent d'éradiquer ce qui apparaissait comme un fléau, causant la mort de nombreuses personnalités de valeur.
Au XIXe siècle cependant, les bois et les clairières du Vésinet étaient encore des lieux de rendez-vous particulièrement appréciés des hommes désireux de vider leurs querelles d'honneur. Quelques échos de ces duels sont parvenus jusqu'à nous.
Celui qui opposa Robert Hyenne, ami de Victor Hugo qui sera par la suite rédacteur en chef de la Démocratie du Midi, à Henri de Pène, alors rédacteur au Figaro, qui sera plus tard rédacteur en chef du Gaulois, ardent polémiste anti-républicain, se déroula au tout début du défrichement. Henri de Pène, plus connu sous le pseudonyme de Nemo, était en 1858 rédacteur au Figaro. "La qualité-mère d'Henri de Pène est la distinction; il n'écrit ni avec négligence, ni avec emportement, de peur de recevoir le reproche d'homme mal élevé. Il aime mieux se passer d'originalité que de savoir-vivre, et je le crois plus fier de sa réputation d'homme du monde que de celle de journaliste" écrit de lui un de ses confrères.  Aussi fut-on étonné, à Paris, au début de mai 1858, lorsqu'on apprit que des sous-lieutenants, trop susceptibles peut-être, l'accusaient de les avoir insultés, non pas personnellement, mais en corps, ce qui était la même chose, en leur reprochant, dans un de ses papiers du Figaro, "de n'être pas des Brummels". Le duel eut lieu au Vésinet. Il fit la une du Figaro qui annonça avec émotion la mort de son collaborateur. Annonce prématurée puisque Henri de Pène se rétablit. Il mourut dans son lit trente ans plus tard, le 25 janvier 1888.

Paul Adolphe Marie Prosper Granier de Cassagnac (1842-1904)

journaliste politique, député bonapartiste ...et duelliste

En 1868, Paul de Cassagnac fut condamné par la sixième chambre du tribunal correctionnel de la Seine à six jours de prison et 200 frs d'amende à la suite de son duel victorieux avec Prosper-Olivier Lissagaray. Les quatre témoins furent condamnés à 50 frs d'amende chacun. La victime, elle, se contentant de soigner ses blessures...

Henri Lissagaray

Hippolyte Prosper-Olivier Lissagaray (1838-1901)

fondateur des conférences publiques, animateur littéraire, journaliste français républicain et socialiste indépendant.

Le 21 novembre de la même année, se déroulèrent les obsèques de Rossini à l'église de la Trinité à Paris. Un journaliste du Figaro, Gaston de Coetlogon, eut une altercation avec un soldat du service d'ordre et frappa son sous-lieutenant, Charpentier, qui voulait le faire arrêter. "Une rencontre était devenue nécessaire" indique la presse locale (La Gazette du Vésinet). Le duel eut lieu "dans une allée des bois, sur la rive gauche du chemin de fer", au fleuret démoucheté. M. de Coetlogon toucha le premier. Le coup transperça le biceps et effleura la poitrine, et l'on se réconcilia. Le vainqueur fut condamné à un mois de prison (certes pour coups et blessures, mais aussi pour voies de fait et violences exercées sur un citoyen chargé d'un service public) et 200 frs d'amende, tandis que les témoins furent condamnés à 50 frs d'amende.

Au mois d'août 1869, on retrouve Paul de Cassagnac victorieux d'un duel avec Gustave Flourens, dans l'enceinte du champ de courses (grande pelouse des Ibis) à cinq heures du soir. Condamné à trois mois de prison pour ses actions politiques contre le Régime de Napoléon, Flourens avait eu à subir de violentes attaques, de la part du journal Le Pays. Dès qu'il eut purgé sa peine, il se battit en duel, au Vésinet, contre Cassagnac, signataire des articles. Le combat avait mis en alerte toutes les brigades de gendarmerie du canton, dès trois heures du matin dans les bois du Vésinet, l'île de Croissy et les environs de Saint-Germain. Le duel put durer cependant vingt-cinq minutes. Flourens reçut deux blessures légères au cou et à la ceinture, et deux plus graves, à l'épaule et au sein droit, cette dernière provoquant l'évanouissement du blessé. Les deux adversaires, nous dit-on, "ont fait preuve d'une très grande énergie".

Gustave Flourens

Gustave Flourens

Flourens reçut deux blessures légères au cou et à la ceinture, et deux plus graves, à l'épaule et au sein droit, cette dernière provoquant l'évanouissement du blessé. Les deux adversaires, nous dit-on, "ont fait preuve d'une très grande énergie"

[Flourens se rétablit. Il sera tué à Rueil, d'un coup de sabre, le 3 avril 1871, à la tête d'une colonne de fédérés.]

Le 6 novembre 1869, Monsieur Bagot transperça à l'épée monsieur Fould, député des Basses Pyrénées. Une semaine plus tard, le 14 novembre, un duel à l'épée opposa deux Espagnols, MM. Ramon de Erazu, propriétaire à Paris, et Angel de Miranda qui se refusait à rectifier un article publié dans Le Gaulois, accusant le frère de M. de Erazu d'avoir quitté la France en laissant des dettes "et pour cent mille francs environ de billets échus et protestés". Miranda fut légèrement blessé à l'épaule et à la cuisse. Mais l'affaire n'en resta pas là: le tribunal correctionnel de Versailles condamna, en janvier 1870, le vainqueur et ses témoins, tous deux Espagnols également, à 200 frs d'amende chacun. En revanche, quinze jours de prison furent infligés aux témoins de Miranda, Frédéric Sanchez Bedoya, capitaine d'artillerie de l'armée espagnole, et Aureliano de Lopategui, secrétaire d'un duc d'Espagne. La reine d'Espagne fit alors intervenir son ambassadeur en France, mais le Garde des Sceaux, Emile Ollivier, refusa la grâce. Les deux témoins se fondant sur l'iniquité du jugement, faisaient valoir que, possédant mal la langue française, ils n'avaient pu présenter clairement leur défense. Peu après, en avril 1870, l'ambassadeur sollicita directement Napoléon III, qui accorda la grâce refusée par son Ministre de la Justice et des Cultes. Ce dernier n'eut plus, alors, qu'à commuer la peine en 500 frs d'amende pour chacun.

Loin d'être clandestins, les duels faisaient l'objet d'entre-filets comme celui-ci du 8 mars 1880 " à la suite d'une altercation aux dernières courses d'Auteuil, une rencontre à l'épée a eu lieu hier entre M. Maurice Weil, commissaire des courses du Vésinet et Monsieur le Baron Seillière. Ce dernier est assez grièvement blessé"; ou de communiqués de presse, tels celui-ci, publié par le journal Le Temps du 27 juillet 1873.

Les journaux du matin publient le procès-verbal suivant:
Aujourd’hui samedi, 26 juillet, une rencontre à l’épée a eu lieu au Vésinet, à six heures et demie du soir, entre M. Georges Périn, député à l’Assemblée nationale et M. Edmond Poirier, rédacteur du Pays.
A la première passe, les deux adversaires ont été blessés à la poitrine. M. Poirier ayant été désarmé et son épée faussée, on a changé d’épées. Les témoins ont jugé que le combat pouvait continuer, mais après la seconde passe, qui a été sans résultat, une hémorrhagie s'étant déclarée par suite de la blessure de M. Georges Périn, ses témoins ont décidé qu’ils ne pouvaient l’autoriser à continuer. Les quatre témoins déclarent que les deux adversaires se sont battus avec une grande bravoure et que l’honneur est satisfait. En foi de quoi ils ont signé le présent procès-verbal.

    Victor Schoelcher, député de la Martinique.

    Edouard Lockroy, député des Bouches du Rhône.

    Capitaine de La Garde, chevalier de la Légion d’honneur.

    Capitaine S. Gassion.

Vésinet, le 26 juillet 1873.

En 1883, le 26 mai, Alphonse Daudet crut devoir se battre en duel, à propos d'une critique un peu trop acerbe de ses œuvres, avec Albert Delpit. Celui-ci lui reprochait "d'avoir décarcassé le style de Chateaubriand, d'employer encore plus d'épithètes que l'auteur des Martyrs, d'imiter de trop près Dickens, de manquer complètement d'imagination et de ne pas savoir faire une pièce". L'article manquait de courtoisie, sans être précisément haineux ou méchant. Alphonse Daudet exigea néanmoins une réparation par les armes. La rencontre eut lieu au Vésinet, à l'épée de combat, et Albert Delpit reçut au bras une blessure sans gravité.

Enfin, on se doit de mentionner le curieux duel "littéraire" fort plaisamment raconté par Alfred Capus, opposant Emile Zola et Pierre Loti, qui vinrent échanger quelques balles de pistolet au Vésinet, pour une raison futile, et se découvrant mutuellement à l'occasion de cette promenade à la campagne.

Les duels au Vésinet devaient donc être chose bien connue puisqu'une pièce de théâtre, Le Bois du Vésinet, comédie-vaudeville en un acte fut écrite par un certain Delacour et fut représentée pour la première fois au Théâtre des Variétés le 28 décembre 1875. La pièce évoque les suites sentimentales et burlesques d'un duel. La victime s'est fait héberger par un marchand de laine parvenu et au naturel borné. Sa femme, une ancienne marchande de tabac, ne laisse pas indifférent le héros malheureux, qui feindra un profond affaiblissement pour profiter le plus longtemps possible des délices vésigondines. Nous ne savons pas si la pièce eut un quelconque succès, il faut espérer que non, tant elle est insignifiante.
L'affaire n'est du reste pas très originale puisque deux ans plus tôt, Eugène Labiche lui-même situait le duel de sa pièce "Vingt-neuf degrés à l'Ombre" dans le bois du Vésinet:

Pomadour - Sapristi! dans quelle affaire m'avez-vous fourré-là?...

Piget - Ce n'est pas moi.

Pomadour - Mais si!... tu m'as dit que le tien ne s'était pas défendu.

Piget - C'est vrai... il n'a fait que parer... Par exemple, je n'ai jamais pu le toucher.

Pomadour - Comment ?

Piget - Nous sommes allés cinq jours de suite au Vésinet... Le premier jour, il y a eu vingt-huit reprises... j'avais amené un médecin... c'était horrible!... le second, dix-neuf... le troisième seize... J'avais lâché le médecin... il me prenait vingt francs par séance; ma foi, quand j'ai vu que je ne pouvais pas le toucher, je n'y suis plus retourné! Tu comprends, j'ai mes affaires, moi!

Pomadour - Parbleu! moi aussi!... Mais, voyons, sacrebleu! qu'est-ce qu'il faut faire? Il faut prendre un parti... Il est là dans l'orangerie... qui attend...

Piget - Moi, à ta place, j'accepterais ses excuses.

Pomadour - C'est que... j'aurais l'air de reculer.

Piget - Tu ne recules pas, puisque c'est lui qui te fait des excuses!

Pomadour - C'est juste!... De quoi s'agit-il, au bout du compte?... D'un baiser?... Ah! s'il s'agissait... comme pour toi... d'une de ces injures qui déshonorent un homme à tout jamais...

Eugène Labiche "Vingt-neuf degrés à l'ombre" pièce en un acte
représentée pour la première fois à Paris, au Théâtre du Palais-Royal, le 9 avril 1873.

En poussant les recherches un peu plus avant, on découvre que cette scène de duel existait déjà, mot pour mot, dans la Cagnotte Comédie-Vaudeville en cinq actes, des mêmes Eugène Labiche et Alfred Delacour, représentée pour la première fois au Théâtre du Palais-Royal, le 22 février 1864.

Maupassant, dans Bel ami, roman écrit en 1885, fait le récit d'un duel au pistolet, un matin d'hiver où régnait un "froid de Sibérie". Laissons Maupassant nous peindre le paysage: "C'était une de ces rudes matinées d'hiver où toute la nature est luisante, cassante et dure comme du cristal. Les arbres, vêtus de givre, semblent avoir sué de la glace ; la terre sonne sous les pas; l'air sec porte au loin les moindres bruits: le ciel bleu paraît brillant à la façon des miroirs et le soleil passe dans l'espace, éclatant et froid lui-même, jetant sur la création gelée des rayons qui n'échauffent rien." Chacun des adversaires tira une fois sans provoquer de blessure et l'on en resta là.

La pratique du duel au Vésinet devait tendre à disparaître avec la réduction progressive des bois. Cependant, l'acharnement des duellistes parvenait à contourner tous les obstacles, comme le mentionne le personnage d'un roman de Henri Beauclair, Tapis vert (1897):

— L’endroit choisi?

Le champ de courses du Vésinet, monsieur. II paraît que ces messieurs vont là d’habitude... en donnant la pièce au garde, on y est comme chez soi... à ce qu’ils ont dit...

Cet autre exemple, tiré du Roman de la duchesse, histoire parisienne de Arsène Houssaye (1877) propose une autre option:

[...] Le duc, sachant le marquis moins fort que lui à l’épée, avait lui-même proposé le pistolet. Il fut décidé que le duel aurait lieu à huit heures, au Vésinet, à la villa de M. de Sarmattes, qui avait un parc considérable pris à l’ancienne forêt.

La fiction, ici, s'inspire de la réalité car dans les années 1880, il arriva que Henry Bauër, critique dramatique, fils naturel d'Alexandre Dumas et père de l'écrivain et critique Gérard Bauër, se batte en duel dans la propriété du 6, route des Bouleaux, qu'il occupait l'été entre 1882 et 1892.

Henri Bauër

Henry Bauer (1852-1915)

Le Mousquetaire de la plume selon le titre de la biographie que lui a consacré Marcel Cerf

Dans son numéro du 7 septembre 1869, le journal Le Charivari, premier quotidien satirique du monde, annonçait la parution prochaine d'un nouveau magazine : "Les duels étant à la mode et les rencontres dans les bois du Vésinet, de Vincennes, de Saint-Germain et de Viroflay devenant de plus en plus nombreux, nous avons jugé nécessaire de fonder un organe spécial pour ces petites fêtes de l’épée. Ce journal s’adresse à tous les duellistes en particulier et aux badauds en général. Beaucoup de paisibles bourgeois aiment à être au courant de ces rencontres ; le récit d’un duel est plus intéressant pour eux que le roman le plus palpitant du vicomte Ponson du Terrail."

Dans un spécimen de cette publication hebdomadaire "qui deviendra quotidienne si messieurs les spadassins nous fournissent assez de copie", un premier article concernait la colonie du Vésinet.

    Une compagnie va organiser au Vésinet un enclos spécial pour les duels à l’épée et au pistolet. On a l’intention de construire un vaste bâtiment de cinq étages. Au premier étage, il y aura une ambulance où trois chirurgiens seront toujours de service. Au deuxième, une étude de notaire où les personnes, avant de se battre, pourront dicter leurs dernières volontés.

    Au troisième, un service télégraphique pour envoyer aux parents et aux amis les résultats des duels.

    Au quatrième, un restaurant pour les petits festins entre amis, quand les duels n’auront pas eu de conséquences graves.

    Au cinquième, un bureau de rédaction où tous les chroniqueurs pourront venir rédiger des entrefilets sur les duels du jour.

    Enfin, une vaste cour vitrée et blindée pour les rencontres à l’épée et au pistolet, objet indispensable pour ceux qui veulent se battre tranquillement, même par dix degrés de froid, sans risquer d’attraper une fluxion de poitrine ou un rhume de cerveau. Il est en effet fort désagréable de ne recevoir qu’une légère blessure au bras et de mourir d’une pleurésie.

    On n’attend plus que l’autorisation de la police pour commencer les fondations de ce bâtiment. Plusieurs personnes prétendent que cette autorisation se fera longtemps attendre. Ce serait regrettable : il ne serait pas juste de refuser aux duellistes un confortable dont ils ont grand besoin.

Évidemment, ce projet n'eut pas de suite ... et le magazine non plus.

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    Sources:

    Lorsqu'on se battait en duel au Vésinet, A.-M. Foy (1974) Bulletin Municipal n°29.

    Grande Encyclopédie du XIXe siècle, P. Larousse, 1875-1878.

    Le Figaro, mai 1858, novembre 1869,

    Le Temps, juillet 1873, mars 1880; mai 1883.

    Le roman de la duchesse, histoire parisienne (1877) A. Houssaye, C. Lévy, (Paris).

    Tapis vert, H. Beauclair, (1897) P.-V. Stock (Paris).

    Le Charivari, 38e année, 7 septembre 1869.


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