D'après René Sédillot, La Lyonnaise des Eaux a cent ans (1880-1980), SDE, Paris 1980 et Boire au Vésinet, Revue municipale, N° 63, juin 1983.

La Compagnie des Eaux

LABOR IMPROBUS OMNIA VINCIT

  "Toute réussite est le fruit d'un travail acharné"

Cette devise (celle d'Alphonse Pallu) figure toujours sur la façade du bâtiment des pompes de l'usine située Allée des Machines en bordure de Seine à Croissy. La plaque porte la date de 1860, année de l'inauguration des installations qui furent bénies par l'Evêque de Versailles.
La Commune du Vésinet n'existait pas encore mais la Société Pallu & Cie avait déjà entrepris de construire, dès 1856, un service de distribution d'eau puisant ses ressources dans le fleuve. L'eau de Seine empruntait une galerie maçonnée pour arriver dans le sous-sol du bâtiment d'où la refoulaient sur le réseau des pompes entraînées par des machines à vapeur. Il n'y avait pas de traitement. La Seine, il est vrai, était moins polluée qu'aujourd'hui sans pour autant être de bonne qualité ; le dernier saumon semble avoir été pêché à l'aval de Paris en 1830. Depuis, l'espèce avait renoncé à remonter le fleuve.

Quand la Seine arrive au pied du Pecq et tourne brusquement à droite pour suivre jusqu'à Maisons, les côteaux de Saint-Germain, on voit s'élever près de la berge, une vaste construction en brique harmonieusement croisée de pierre de taille et surmontée d'une haute cheminée de fourneau à vapeur. C'est la pompe à feu destinée à alimenter le parc du Vésinet. Des pompes puissantes, mues par deux machines horizontales, aspirent l'eau de la Seine et la refoulent dans un tuyau ascensionnel qui la déverse au point culminant du parc. De là, l'eau se répand d'elle-même dans chaque propriété en formant de sinueuses rivières, de beaux lacs et de pittoresques cascades. Elle va enfin se reverser dans le fleuve à l'autre extrémité de la colonie.

pompes à feux

Nouvelle pompe à feu destinée à fournir l'eau aux rivières du Vésinet

(gravure d'Emile Bourdelin)

L'art et la science peuvent donc presque renouveler la nature. Versailles et Saint Cloud, depuis longtemps déjà, Boulogne, Vincennes et Le Vésinet en sont la preuve. Le fleuve prête ses eaux bienfaisantes et l'abondance remplace l'aridité. Les fleurs naissent où croissaient les ronces. Les gazons étendent leurs riches tapis. Les arbres sont toujours verts. Les avenues n'ont pas de poussière. Il n'y a plus d'été brûlant. Le printemps se perpétue. Tout cela, grâce à la fraîcheur apportée par les sources nombreuses dont on entend à chaque pas, le doux murmure...”.

Emile Bourdelin.

Extraits du Monde Illustré du 24 septembre 1859

La distribution de l'eau était une des principales dispositions du cahier des charges de 1863. Le prix proposé était alors inférieur de 50% aux tarifs des autres grandes Compagnies de la région. Ce principe de tarification restera en vigueur durant 60 ans, jusqu'à la Convention signée en 1921 entre la Société des Terrains & Eaux du Vésinet, et le Syndicat des Propriétaires du Vésinet, association (loi 1901) constituée un an plus tôt.
En 1869, la Compagnie des Eaux fit percer un puits artésien d'une profondeur de 13 mètres, alimenté par les eaux souterraines que l'on trouve 2,50 m au dessous du niveau de la Seine. Le puits de 3 mètres de diamètre débitait 6000 mètres cubes en 24 heures à une température constante de 12 degrés. Les lacs, les rivières et toutes les propriétés du Vésinet mais aussi de Croissy et de Chatou étaient alimentés par ce puits. La qualité était appréciée avec les moyens de l'époque et déjà contestée. En 1889, Etienne Pallu distribuait aux habitants une brochure introduite par la lettre suivante :

    "La salubrité des eaux que la compagnie distribue aux trois communes du Vésinet, de Chatou et de Croissy a été contestée dans les journaux. Il était de mon devoir d'éclaircir la question. J'ai dans ce but soumis le cas à Monsieur le Préfet de Seine & Oise qui a saisi le Conseil d'Hygiène. Je m'empresse de vous faire connaître les résultats de cette investigation."

Les chimistes apprécieront, les biologistes resteront sur leur faim.

microbes de l'eau (1850)

microbes de l'eau d'alimentation urbaine en 1850 (Hassall)

Le premier réservoir ou "Château d'eau" avait été intégré au paysage avec beaucoup de soin.
Par la suite, les édifices prenant de la hauteur et du volume, il fut plus difficile de les dissimuler. Mais on pouvait leur trouver une certaine allure : "Le paysage du Château-d'Eau et du Lac supérieur est des plus riants. Aucun touriste ne manque de le venir visiter, surtout depuis la construction du pylône supportant l'immense réservoir de cinq cents mètres cubes qui semble, de loin, un aérostat. Sa vue intrigue le promeneur et fait l'admiration des connaisseurs [sans doute peu nombreux !] par la hardiesse autant que par l'ingéniosité de sa construction qui mérite une attention particulière. Entre les montants des pieds droits du pylône se trouve réservé un escalier permettant l'accès au réservoir en le traversant dans toute sa hauteur. Quand on arrive à l'extrémité de cet escalier, on se trouve dans une salle circulaire rappelant la lanterne d'un phare d'où l'on découvre un panorama absolument merveilleux. Des appareils électriques installés dans le pylône permettent au mécanicien de l'usine élévatoire, située à plus de 3 km, de surveiller à l'aide d'enregistreurs le niveau du réservoir et de régler la marche des machines. Il s'agissait là du deuxième château, mis en service par la Compagnie vers 1900
.

Le premier et le deuxième château d'eau (à droite)

La Société Pallu & Cie, devenue Société Sauvalle & Cie à la mort d'Etienne Pallu, puis Société d'Anterroches, du nom du beau-frère d'Etienne Pallu, aussi désignée sous le nom de Société des Eaux et Terrains du Vésinet signa le 2 avril 1921, une Convention avec le Syndicat des Propriétaires du Vésinet, association constituée le 22 avril 1920, représentée par Messieurs Léon Ozouf, président du Syndicat, Alfred Chollet, trésorier. La guerre ayant profondément modifié les conditions économiques existant à l'époque du Cahier des Charges, et les compteurs étant devenus le mode le plus général de distribution, les parties convenaient d'un commun accord d'une révision des conditions du "Service des Eaux privées" et précisaient le "Service des Eaux publiques" (l'entretien et l'approvisionnement des Lacs et rivières) :

    "La Société déversera dans les lacs et rivières une quantité d'eau suffisante pour alimenter un courant constant d'intensité notable jusque dans la partie du système de rivières et lacs la plus éloignée des points de déversement. [...] Les lacs et rivières seront toujours tenus par la Société en parfait état de propreté et d'étanchéité, sauf en ce qui concerne le Grand Lac qui appartient à la commune du Vésinet. Les curages et nettoyages auront lieu autant de fois qu'il sera nécessaire pour obtenir ce résultat. Les fuites seront aveuglées dès qu'elles se seront produites."

La convention comportait un chapitre intitulé Faculté de substitution prévoyant le désengagement de la Société d'Anterroches "au jour où ils auront constitué une Société spéciale pour ce service" [...] pouvant se charger de faire, à perpétuité et dans les conditions prévues, tant dans le Cahier des Charges que dans la présente convention, le service des eaux publiques et privées". Ce fut chose faite trois ans plus tard, avec la prise de contrôle de ses actifs, par la Société Lyonnaise des Eaux et de l'Eclairage (SLEE).
Au début des années 20, la SLEE, désireuse de développer ses activités dans la région parisienne, fit l'acquisition des Eaux de Boissy-St-Léger et des Eaux et Terrains du Vésinet [1924] qui constituait une amorce de réseau de distribution dans l'Ouest parisien. A la même époque, elle installa au Pecq son laboratoire de contrôle et d'étude des eaux qui devint plus tard le Centre International de Recherches sur l'Eau et l'Environnement (CIRSEE). Les machines à vapeur avaient survécu jusque là. Elles refoulaient encore de l'eau de Seine mais uniquement vers les lacs et rivières. La distribution publique utilisait de l'eau prélevée dans la nappe par des puits progressivement mis en service depuis le début du XXe siècle dans la plaine alluviale de la Boucle de la Seine, à Croissy et au Pecq.

dessin

La captation des eaux (croquis, 1950)

L'eau était captée par une série de forages dont les parois étaient cuvelées par un tube d'acier au fur et à mesure de l'avancement des travaux, en assurant l'étanchéité parfaite. Ces forages, reliés entre eux et à la conduite d'aspiration de l'usine, permettaient de puiser l'eau sur une grande surface sans crainte d'appauvrir la nappe, ni danger de pollution par la nappe d'alluvions. L'eau était ensuite distribuée à partir du réservoir mentionné plus haut. Un nouveau réservoir, [celui qui est encore en activité] fut mis en service en 1929. En 1932, lorsque le syndicat d'Initiative et le Syndicat des propriétaires réclamèrent le classement des "espaces verts" du Vésinet, la SLEE s'opposa à ce que la mesure s'étende à ses possessions : les lacs (sauf les Ibis, achetés par la ville en 1914) et les 4 km de rivières. Mais elle n'eut pas gain de cause. Au même moment, entre 1932 et 1937, la SLEE réalisait de grands travaux qui donnèrent aux installations la configuration qui subsiste encore : deux groupes de puits, Le Pecq et Le Mexique, et trois usines de pompage, Pecq-Minor, Pecq-Major et Croissy. En 1966, G. Massoulié, directeur d'exploitation à la SLEE, expliquait pour le Bulletin municipal (n°5) le développement et les mécanismes de l'alimentation en eau du Vésinet.

Des problèmes de goût se manifestaient à nouveau. Comme cela est souvent le cas avec les ressources souterraines, les eaux de la nappe renfermaient du fer et de l'ammoniaque. Ces deux composés favorisaient le développement d'algues génératrices de mauvais goûts, "pharmaceutiques" en particulier. Pour essayer de résoudre ces problèmes, furent installées une déferrisation et une stérilisation à l'eau de Javel.

En 1949, un contrat de concession d'une durée de 30 ans fut signé entre la commune du Vésinet et la SLEE qui renonçait au "privilège perpétuel" qu'elle avait hérité de la Société Pallu & Cie, entre autres le droit de poser des conduites d'eau dans toutes les voies de communication de la ville. En contrepartie elle obtint le droit exclusif de distribuer l'eau potable pendant la durée du contrat. En 1974, le contrat fut renégocié et modifié puis prolongé pour une nouvelle durée de 30 ans. En ce qui concernait les lacs et rivières du Vésinet, la SLEE s'engageait :

  • à recycler l'eau à raison de 100 litres par seconde grâce à deux stations de pompage ;
  • à fournir 300.000 mètres cubes d'eau par an ;
  • à renforcer les 12 km de canalisations ;
  • à entretenir les lacs et rivières (curage, enlèvement des boues et réparation des cuvettes) selon un programme annuel.

Après la guerre, l'urbanisation de la banlieue Ouest avait connu un développement prodigieux. Du point de vue du distributeur d'eau cela eut deux conséquences :

  • une augmentation des besoins qui enregistrait à la fois l'augmentation des populations et l'élévation de leur niveau de vie.
  • une menace sur la quantité et la qualité des ressources : la densification et l'industrialisation du tissu urbain diminuaient la quantité d'eau de pluie qui s'infiltrait dans un sol de moins en moins souvent perméable et augmentaient le risque de pollution des nappes; la Seine elle-même, dans laquelle on se baignait encore au début de la guerre, devenait un vecteur possible de pollution.

La nappe de la Boucle fut sauvegardée. Bien plus, sa capacité journalière qui n'était que de 40 000 m³ avant la guerre a été augmentée jusqu'à 150 000 m³. Ce résultat a été obtenu par la mise en oeuvre successive d'installations de traitement spécifiques de chacun des problèmes rencontrés:

  • Installation de nitrification biologique qui utilise le travail de bactéries adaptées pour faire disparaître l'ammoniaque de l'eau, ammoniaque qui entraînait, nous l'avons dit, des nuisances, algues et mauvais goûts (1953).
  • Affinage de l'eau à l'ozone. L'ozone est d'abord un stérilisant puissant, bactéricide, mais aussi virulicide. Mais l'ozone a également la propriété de détruire la plupart des molécules responsables des goûts de l'eau (1964).
  • Installation de réalimentation de nappe qui pallie la baisse de l'alimentation naturelle due à l'imperméabilisation croissante des sols des zones urbanisées, mais surtout qui limite et contrôle les échanges entre la nappe et le fleuve pollué (1957).
  • Affinage par filtration sur lit de charbon actif en grains. Le charbon actif est utilisé dans le traitement de l'eau comme dans les cigarettes pour arrêter des molécules indésirables qui auraient échappé à la destruction par l'ozone (1981).

Le développement ci-dessus n'a d'autre but que de souligner ce que l'existence actuelle d'une nappe de grande capacité, de bonne qualité dans la Boucle de la Seine, doit à l'acharnement thérapeutique de tous ceux qui en ont eu la responsabilité totale ou partielle, de ses installations de captage, de ses installations de traitement et de son environnement. Mais rien n'est jamais définitivement acquis et c'est avec la même patience qu'il convient de continuer à oeuvrer pour la pérennité de la ressource. En 1983, les pays de la CEE ont adopté une norme de qualité pour l'eau potable. Ce texte tenait compte des progrès réalisés depuis trente ans tant en matière de moyens analytiques, qu'en matière d'approfondissement des connaissances sur les conséquences à long terme sur l'organisme humain de tel ou tel produit naturel ou de synthèse. La réglementation antérieure (1961) ne considérait que 25 paramètres dont deux bactériologiques. Celle de 1983 en retenait 62, dont six paramètres bactériologiques. Sa mise en œuvre impliquait une plus grande complexité des chaînes de traitement : généralisation de l'emploi du charbon actif en grains et d'une double stérilisation. En effet, l'ozone, dont nous avons dit l'intérêt plus haut, a un point faible son instabilité. De ce fait, on ne retrouve pas de désinfectant résiduel aux extrémités des réseaux, Il faut donc désormais ajouter au traitement par l'ozone un traitement par le chlore, à dose très faible il est vrai. La volonté des pouvoirs publics protéger mieux que par le passé les nappes souterraines contre toutes les possibles agressions de l'environnement contemporain, amène à relancer toute une série d'actions. L'eau du Vésinet est de bonne qualité. il a fallu, pour en disposer, résoudre un grand nombre de problèmes. Cela s'est fait au fil du temps. Les installations sont fiables, le procédé de réalimentation de la nappe a permis d'ignorer la sécheresse de 1976. L'énorme réservoir souterrain que constitue la couche de craie nous met à l'abri des pollutions de la Seine. Il reste à acquérir des parcelles supplémentaires autour des bassins et des puits de sorte qu'aucune installation industrielle nouvelle ne vienne créer un risque supplémentaire de pollution. L'eau est contrôlée à toutes les étapes de son traitement, la bactériologie est faite quotidiennement au départ des trois usines, le taux de stérilisant est mesuré en continu. Chaque année c'est plus de 11 000 paramètres de l'eau qui sont mesurés et comparés aux normes de potabilité.

Jusqu'en 1970, l'eau des lacs et rivières était issue de la Seine. Depuis, près de 300 000 m³ sont pompés annuellement dans la nappe phréatique du Pecq-Croissy pour être injectés dans les lacs de Croissy (7 500 m³), Supérieur (9 900 m³) et de La Station (11 500 m³), avant d'emprunter les canaux reliant les lacs entre eux.
L'eau qui coule dans ce réseau a déjà subi un prétraitement issu de la technique de réalimentation de la nappe phréatique développée par le Centre régional des Yvelines de Lyonnaise des Eaux France. Elle n'est pas potable mais sa qualité permet aux poissons, cygnes et canards de vivre en toute quiétude. Le plan de circulation permet que l'eau s'écoule gravitairement depuis le lac de la Station et le lac de Croissy, vers le lac Inférieur avant de rejoindre la Seine. Afin d'augmenter son renouvellement et son écoulement, deux pompes assurent le transport de l'eau entre le lac Inférieur (11 600 m³) et le lac de Croissy d'une part, et entre le Grand Lac (24 000 m³) et le lac Supérieur d'autre part.


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