L'Avenir de Saint-Germain, n°490, 6 juillet 1890.

Au Vésinet : le Cercle du Chalet des Fleurs

Le Cercle du Chalet des Fleurs [1], ainsi que nous l'avions annoncé dans un précédent numéro, a donné samedi dernier sa fête d'inauguration. Le temps a daigné prêter son concours précieux, et la soirée n'a rien laissé à désirer.
Qui, de ceux des habitants du Vésinet qui ont eu l'occasion de visiter le Chalet de la rue du Marché lorsqu'il servait d'école primaire communale, ou même lorsque Mme Lionel de Chabrillan y avait installé sa photographie, aurait pu se douter du parti que l'on pouvait tirer de ce petit immeuble, de ce petit carré de terrain pour l'usage auquel ils sont actuellement destinés. Le Comité du Cercle a véritablement été bien inspiré dans ses transformations, et tous les invités ne lui ont pas ménagé leur approbation.
Nous arrivons à 10 heures ; une rampe de gaz avec globes éclaire, avec une guirlande de verres de couleurs, toute la façade du jardin donnant sur la rue du Marché.
On entre par le pavillon de gauche dans le vestiaire, confortablement installé. A la suite se trouve le cabinet de toilette destiné aux dames, tendu tout en rose, garni de tentures et de glaces du plus bel effet. Le pavillon de droite, qui servait de remise, est transformé en un élégant petit salon rouge, dans lequel on pourra se rafraîchir et souper au besoin.
Des ballons orange et des lampadaires à gaz éclairent le jardin garni de fleurs à profusion. Nous remarquons un superbe oranger couvert de fleurs qui embaument tout le jardin, et des arbustes verts de grand prix.

Le Chalet dans sa version « originale » de 1858 selon Emile Bourdelin (détail)

Tout le rez-de-chaussée du Chalet ne forme qu'un vaste salon orné de glaces et de plantes vertes ; l'orchestre disparaît dans trois massifs de fleurs qui couvrent l'estrade et le fond de la salle. Le vestibule qui conduit à l'escalier et au premier étage est décoré par une immense panoplie de fleurets, d'épées de combat et d'armes de tir. Presque tous les membres du Cercle font, en effet, partie de la Société de tir, et tous les dimanches matin il y a, au Cercle, séance d'escrime sous la direction du Prévôt de Saint-Germain-en-Laye.
Au premier étage est installé le billard et l'estaminet. Nous sommes reçus, à l'entrée, par les membres du Cercle qui ont pour insignes, à la boutonnière, une petite rose mousseuse; un bouquet de roses est offert à toutes les dames. Le Cercle justifie bien son titre, c'est véritablement le « Cercle du Chalet des fleurs ».

Les danses sont commencées, l'orchestre est composé de six artistes-amateurs qui prêtent leur concours absolument gracieux à cette fête de famille. Les danses succèdent aux morceaux, les chants et les monologues aux danses ; la plus franche gaieté règne parmi tous les invités. Plus de place dans le salon pour les messieurs, qui ont la ressource du jardin et de la véranda couverte, pour circuler entre chaque danse.
Il est minuit, plus de cent cinquante invités ont déjà répondu aux invitations qui ont été très recherchées, mais forcémement limitées par l'espace disponible ; la fête bat son plein.
On annonce une tombola. C'est M. Charles Boucherat [2] qui a bien voulu se charger de l'organiser et de la tirer. Il distribue à toutes les dames et demoiselles un numéro gagnant. Il n'y en a pas d'autres.
Puis, avec le concours de Mlle Huller et de M. Emile Chameroy, il procède au tirage. Soixante lots sont successivement distribués, il y en a de fort jolis : nécessaires, écrans, sachets, mouchoirs, épingles, etc., etc.; d'autres, amusants : fromages, poires, pommes, fruits de toute sorte, en carton, tous de bon goût, et remis à chaque gagnante, avec un mot aimable, par M. Boucherat, qui est chaleureusement applaudi.
De nouveau l'orchestre résonne, les couples se forment :

    Vite à la danse,

    Chacun s'élance.

Puis l'appétit vient en dansant.
Le restaurateur Constantin est là, et chaque groupe d'invités va tour à tour prendre des forces. Ventre affamé à des oreilles quoiqu'en dise le proverbe, et le plaisir ne saurait être complet s'il n'est accompagné d'une bonne action. M. Breton, économe de l'Asile National, accompagnant Mlle M. Devot, et Mlle A. Foucault [3] accompagnée de M. H. Chameroy [4], parcourent les groupes. Les pièces blanches, les pièces jaunes tombent dans les plateaux des quêteuses, et une somme ronde de Cent francs est recueillie pour les pauvres du Vésinet. Cette somme est immédiatement versée à M. Breton, membre du Bureau de Bienfaisance qui se charge d'en opérer la remise au Receveur municipal.
Trois heures, il fait jour,

    Non, ce n'est pas le jour,

    Ce n'est pas l'Alouette... !

Et l'on ferme les rideaux pour danser encore. A quatre heures, avec un appareil photographique instantané, M. Chameroy prend des groupes... Ce sera un souvenir de plus de la délicieuse soirée que l’on vient de passer.
Cinq heures : l’on danse toujours, et l’on danserait encore s’il n’avait fallu que les musiciens reprissent le train à 6 heures ½ pour rentrer dans leurs familles. Nos compliments aux membres du Cercle, aux organisateurs de la soirée, aux artistes du chant et de la musique. Nous n’emportons qu’un regret de cette charmante fête, c’est qu’elle ait duré si peu.

Débarrassée de ses ailes, de sa galerie, de ses lambrequins et autres ornementations, la maison au début du XXIe siècle.

 

La propriété de nouveau réhabilitée en 2020-22.

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    Notes et sources :

    [1] Le nom « Chalet des fleurs » fut donné par Céleste Vénard dite Mogador, par son mariage comtesse de Chabrillan, femme de lettres, à la maison qu'elle occupa de 1880 à 1889. Par « Cercle » on entend un lieu loué et organisé à frais commun pour se réunir. Formation de la Société anonyme L'Union Amicale (pour exploitation du Chalet des Fleurs), rue du Marché, 5, au Vésinet (Durée : 99 ans) capital variable : 10.000 frs selon un acte du 17 janv. 1890.

    [2] Charles Boucherat, bienfaiteur local (60, avenue du Chemin-de-Fer, RD) avait institué en 1879 un prix portant son nom consistant en un livret de 20 frs offert à l'élève de l'école communale qui s'est montré le meilleur camarade. Ce prix de camaraderie était décerné par le suffrage de ses condisciples. Désiré Thibault, Histoire du Vésinet - La forêt, la Colonie, la Commune, 1889.

    [3] Alice Foucault, fille cadette de l'ancien maire Aimé Foucault. Sa sœur ainée, Juliette, avait épousé en 1887 Jacques Chameroy, fils ainé d'Hippolyte Chameroy (industriel et brillant inventeur).

    [4] Henri Chameroy est le fils cadet du même Hippolyte Chameroy. Foucault et Chameroy sont alors les chefs de file des Comités Républicains Radicaux et Socialistes dans l'arrondissement. Ils sont aussi francs-maçons (peut-être de « l'Union amicale, sous l'obédience du Suprême Conseil pour la France et ses dépendances du rite Ecossais ancien accepté » qui se réunit quelque temps au Chalet des Fleurs. On rappellera que la franc-maçonnerie, introduite en France par le roi Jacques II (roi d'Ecosse et d'Angleterre en exil) et sa suite, a eu sa première Loge au château de Saint-Germain et de là s’est répandue dans toute la France, en Allemagne et en Italie.


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