Bulletin municipal, n°11, décembre 1968

Le Syndicat d'Initiative : information – participation – contestation
Par Fred ROBIDA, décembre 1968

        Fils d'un de nos illustres concitoyens, le peintre Albert Robida, Frédéric "Fred" Robida (1884-1978) fut aussi un des historiens de notre ville et un de ses plus ardents défenseurs. En 1968, durant l'élaboration du nouveau Règlement d'Urbanisme et sous la menace de grandes voies routières régionales dont le tracé affectait le territoire de la commune, il publiait le texte suivant qui, près d'un demi siècle plus tard, conserve toute sa pertinence.

     

Un Vésigondin : Je crois savoir, Monsieur, que vous vous occupez du Syndicat d'Initiative du Vésinet ... Vous allez donc pouvoir me donner le mot d'une énigme dont je cherche en vain la solution depuis que, retraité, je me suis installé, pour longtemps j'espère, dans votre ville. Au cours de ma carrière j'ai séjourné dans différentes villes dotées d'un syndicat d'initiative et je m'étais fait un devoir de m'intéresser à l'action de ces organismes dont, d'une manière générale, j'ai pu apprécier l'esprit. Mais, celui du Vésinet est le seul, à ma connaissance, dont l'appellation traditionnelle, syndicat d'initiative, se complète de la mention « et de défense ». Qu'est-ce à dire et à quoi tend cette innovation ?

Fred Robida : "Je suis assez bien placé pour vous renseigner ayant fait partie, en 1932-33, de l'équipe qui a pris, entre autres initiatives de son ressort, celle de modifier ainsi le titre sous lequel depuis 1911, le Syndicat d'Initiative était connu [1]. Il s'agissait, après vingt-deux ans d'exercice, de tenir compte des conséquences de la première guerre mondiale, lesquelles avaient, qu'on en ait conscience ou non, transformé radicalement les conditions de la vie des particuliers comme celle des collectivités et introduit, dans la législation et les règles administratives des formules remettant en question les usages établis.
En quoi, me demanderez-vous, ces mutations, quelle que put être leur inspiration, pouvaient-elles inquiéter ceux qui, au Vésinet, que ce soient les autorités municipales ou les dirigeants du Syndicat, portaient la responsabilité du maintien, contre vents et marées, d'un état de choses jugé satisfaisant par quatre générations de Vésigondins ? Tout simplement en ceci, qu'au Vésinet, l'essentiel était de conserver les résultats acquis, et par conséquent, de se mettre en état de défense contre tout ce qui, dans l'esprit nouveau, risquerait de les compromettre. Il n'était que temps, à la veille d'une seconde guerre mondiale, qui devait singulièrement aggraver la situation.
Des innovations enregistrées, rien n'interdisait par contre d'adopter celles qui paraissaient de nature à renforcer les garanties existantes : c'est ainsi que la même équipe, dont je suis sans doute le seul survivant et dont faisait partie le père de notre Maire et Conseiller Général actuel [2] — qui a donc de qui tenir — cette équipe, dis-je, n'eut de cesse de faire jouer au profit de notre cité deux lois nouvelles : celle fixant les conditions dans lesquelles pouvait être reconnu d'utilité publique un plan d'aménagement, d'embellissement et d'extension, d'une part et, d'autre part, celle relative au classement ou à l'inscription à l'inventaire des sites et monuments naturels de caractère artistique, historique, scientifique, ou pittoresque.

U.V. Mais en quoi ces prétentions étaient-elles justifiées ? Certes, j'apprécie l'agrément du cadre naturel où je vis désormais et je suis le premier à souhaiter qu'il n'y soit pas porté atteinte. Pourtant, la vie moderne a ses exigences et je ne m'explique pas en quoi le cas du Vésinet serait à ce point exceptionnel que le Syndicat d'Initiative soit fondé à faire de sa Défense l'objet principal de son activité.

F.R. Permettez-moi de vous poser à mon tour une question — et ce sera ma manière de répondre à la vôtre. Connaissez-vous l'histoire du Vésinet ? Savez-vous que, du fait de cette histoire, nous sommes tous ici, vous compris, investis ou non d'une charge officielle, d'un mandat électif ou par vocation, responsables de la sauvegarde et de la mise en valeur d'une cité résidentielle unique en France dans sa conception et sa réalisation, créée il y a un peu plus de cent ans suivant un plan assorti d'un « cahier des charges » qui sont l'un et l'autre considérés par les historiens de l'urbanisme comme l'œuvre géniale de précurseurs.
Le miracle, c'est que cinq générations, après celle des fondateurs, se sont appliquées à poursuivre la réalisation du plan initial, sans se croire autorisées à y changer quoi que ce soit, de telle sorte que les Vésigondins de 1968, sept fois plus nombreux qu'à la fin du XIXe siècle, jouissent pleinement, grâce à des servitudes qui sont pour eux des garanties, des mêmes agréments qui séduisirent les premiers occupants, à savoir, selon les termes mêmes employés par les créateurs : « la jouissance d'un parc public, avec son animation, ses vues ravissantes, ses eaux, ses prairies » et, en outre, « le charme de la vie privée ». Vous admettrez avec moi que la défense d'un tel ensemble s'impose à nous au premier chef, alors que Paris déborde de toutes parts, que notre banlieue ouest, qui enchanta les peintres, et la boucle de la Seine dont nous occupons le centre, s'urbanisent à outrance, alors qu'aux limites mêmes de notre territoire protégé, de hauts immeubles collectifs se substituent aux cultures maraîchères d'antan.

U.V. Je commence à comprendre et, pour vous en donner la preuve, permettez-moi de vous suggérer, pour votre Syndicat d'Initiative et de Défense, une devise, style 1968 : Information, Participation, et, au besoin, Contestation...

F.R. Entièrement d'accord : informer, je viens de le faire à votre particulière intention, mais notre Syndicat ne manque pas de le faire, au jour le jour, afin que nul n'ignore ce qu'il convient qu'il sache ; participer aux efforts de ceux qui, Municipalité en tête, œuvrent pour le bien public, c'est ce que nous attendons de nos concitoyens, héritiers spirituels des premiers habitants du Vésinet qui, de 1856 à 1875, date de l'érection de la colonie indépendante en commune, administrèrent seuls leur domaine et fixèrent la tradition d'autonomie que nous nous flattons de maintenir ; contester enfin, c'est ce que nous sommes toujours prêts à faire lorsque l'horizon se trouble et qu'un péril surgit, ce qui fut récemment le cas du fait du projet d'ouverture de voies de grande circulation à travers le territoire, objet de notre constante sollicitude. [3]
Voilà je pense, et ce sera là, si vous le voulez-bien, la conclusion de notre « dialogue » improvisé, de quoi faire réfléchir ceux de nos concitoyens, je ne parle pas de vous qui êtes convaincu du bien-fondé de notre action défensive, qui n'ont pas encore apporté leur
adhésion au Syndicat d'Initiative et de Défense du Vésinet. C'est surtout, en ce moment, aux jeunes que je pense et qui doivent se tenir prêts à assurer la relève.

    Note :

    [1] Officiellement la modification ne fut publiée au J.O. qu'en 1951. Un autre exemple célèbre est celui du Syndicat d'Initiative et de Défense du Quartier des Champs-Elysées, fondé en 1930, devenu ensuite Les Amis des Champs Elysées.

    [2] Il s'agissait de Gaston Jonemann, père d'Alain Jonemann, maire en 1965 ... et grand-père de Didier Jonemann, maire en 2013.

    [3] Deux projets étaient alors en cause : une rocade urbaine nord-sud, reliant Montesson au pont de Bougival, en empruntant le boulevard des États-Unis et le pont de Croissy, et la déviation du CD 121 par la rue du Chemin-de-Ronde et la rue du 11-novembre très élargies.


Société d'Histoire du Vésinet, 2013 - www.histoire-vesinet.org