Jean-Paul Debeaupuis, shv, 2023

Jean Lauthe (1884-1963) architecte vésigondin

Jean Antoine Lauthe, nait à Guingamp (Côtes-du-Nord) le 10 avril 1884 où son père, Pierre Alexandre Lauthe, alors capitaine-trésorier au 48e régiment d'Infanterie est en garnison [1].
Entré à l'École des Beaux Arts (admis en 2e classe le 3 novembre 1903), Jean Lauthe (matricule 5581) est élève d'Eugène Senès puis de Louis Bernier (à l'atelier le 6 mars 1907). Il est diplômé le 9 juin 1909 (84e de sa promotion). [2]
Il expose au Salon des artistes français à Paris en 1910 Églises de Bretagne (aquarelles). Il y exposera tout au long de sa vie. Vieilles maisons à Château-Gonthier, aquarelle (1919) ; Vieille maison à Guingamp, aquarelle (1926) : La maison de la Tourelle, Rodez ; Vieille Rue, Rodez (1927) : La Cathédrale de Rodez ; Le monastère, Rodez, mention honorable (1929) ; Guimiliau : le calvaire ; Quilinen : le calvaire, ; Église de la Clarté, Côtes-du-Nord, aquarelle (1937). En 1915, il présente à l'Exposition nationale des oeuvres des artistes tués à l'ennemi, blessés, prisonniers et aux armées deux toiles et deux aquarelles (juillet 1915).
Membre en 1910 de la Société des Architectes Diplômés par le Gouvernement (S.A.D.G.), il figure encore dans l'annuaire de 1962. Il est aussi membre de la Société des artistes français en 1927.
Marié à Paris (14e) le 9 janvier 1912 avec Valérie Provost, le couple aura deux enfants : Alice (1912-1996) épouse de Vitalie Toumarkine, un ingénieur russe de Smolensk (1901-1978) et Jean Lauthe (1918-1982) qui fera une honorable carrière d'artiste peintre abstrait. [3]

Le soldat
Conscrit en 1904, réserviste en 1907, Jean Lauthe est mobilisé en août 1914 à Verdun où se constitue le 9e régiment du Génie. Ce dernier sera ensuite fractionné et partiellement rattaché à la 72e Division d'Infanterie [4]. Lauthe, sergent fut de ceux-là. Deux fois blessé (Croix de guerre, 2 citations) il sera cité à l'ordre de la Division (n°113) en ces termes :

    Sous-officier très courageux. S'est distingué par son zèle et son sang-froid dans les missions qui lui étaient confiées, sous un violent bombardement ennemi, pendant les combats du 10 au 15 juillet [1916]. A été grièvement blessé par des éclats d'obus. [signé Ferradini]

Après la dissolution du 9e RG, il sera affecté au 17e RG en garnison à Nancy. Nommé sous-lieutenant à titre temporaire en janvier 1918, confirmé en juin, il sera démobilisé en 1923, versé dans la Réserve avec le grade de lieutenant (19 juin 1924). Chevalier de la Légion d'honneur (décret du 27 décembre 1923).
Pendant les quelques années passées en Lorraine, il peint toujours et expose encore. Il est remarqué alors par le poète et critique d'art René J. Beaudoin qui en fera mention plusieurs années plus tard :

    Je me souviendrai longtemps des œuvres exposées par Jean Lauthe, à la Société internationale d'aquarellistes. Elles étaient toutes consacrées au pittoresque pays vosgien, et leurs couleurs vives, presque brutales. leurs contrastes volontairement accusés. m'avaient frappé. Il y avait là les solides paysages du Hohnech, les vieilles maisons d'Obernai les pentes abruptes du Haut Kœnigsburg, l'impressionnante féerie de la Schlucht, le chaos de la Vallée de Schiessrothrled, la magie du Lac Blanc... Cette fresque moderne, curieusement traitée par larges touches, constituait à elle seule une collection remarquable. Elle témoignait comme les productions qui suivirent, d'un travail consciencieux en même temps que d'un louable effort vers des horizons nouveaux. [5]

L'architecte
Domicilié comme architecte à Paris (15e) entre 1912 et 1919 (36 rue Falguière) puis à Nancy, (31 rue du maréchal Gérard puis 63 rue des Jardiniers) entre 1921 et 1929, où il est membre de la Commission de Dommages de Guerre du Canton de Nomeny, il prend part à la reconstruction de la Lorraine. Il s’associe à l’architecte Théo Clément [6] et tous deux ont une agence à Saint-Mihiel. En Meurthe-et-Moselle, il restaure l'église de Nonhigny et reconstruit les églises de Montreux, Harbouey et Viéville-en-Haye et probablement l’église de Leyr.

J. Lauthe, architecte, 16 avenue de la Princesse, Le Vésinet (1925-1930)

Cliché SHV, 2002.

La famille Lauthe s'installe au Vésinet en 1925, d'abord au 16 avenue de la Princesse (aujourd'hui av. du Général-de-Gaulle) puis au 5 avenue des Courlis où Jean Lauthe a édifié sa maison, la Villa Bianca. Cette villa a été inventoriée dans le patrimoine architectural du Vésinet par l'équipe du ministère de la Culture en 1982. Elle est décrite en ces termes :

    Les idées d'avant-garde de Le Corbusier, de Mallet-Stevens, ont beaucoup de mal à parvenir jusqu’au Vésinet. Ville paysagère, il semble qu’elle ne se prête pas à la rigueur des nouvelles lignes, ou du moins ses habitants le pensaient-ils? [...] Pour sa propre maison, 5, avenue des Courlis Jean Lauthe inaugure au Vésinet un style résolument nouveau, proche des expériences de Mallet-Stevens. Élevée sur un soubassement de brique rouge, la maison affirme des volumes cubiques étagés, avec un solarium et un toit en terrasse. Les baies rectangulaires horizontales se déplacent vers l’angle du bâtiment, mais un trumeau large les en sépare encore, Lauthe hésitant peut-être devant les audaces techniques de ses contemporains. Les huisseries, notons-le, sont encore en bois et non en métal... [7]

La construction de cette maison est parfois datée en 1924 mais, sur les photographies aériennes de lnstitut Géographique National, aucun bâtiment n'est édifié sur cette parcelle avant 1933.

 

Villa Bianca, 5 avenue des Courlis au Vésinet

Construite par Jean Lauthe pour lui-même vers 1930.

Clichés shv (1) et JB Vialle (2)

Jean Lauthe présenta un projet de « dépôt des pompes à incendie » (et caserne de pompiers) qui devait être édifié rue Jean-Laurent, sur un terrain donné à la Ville vingt ans plus tôt par Monsieur Chardron et dont la construction fut en partie financée par un nouveau don de Mme Chardron. Le projet ne vit pas le jour et un bâtiment beaucoup plus rudimentaire fut inauguré à l'occasion de la fête nationale de 1927. Il demeura en fonction jusqu'à sa démolition en 1971 pour laisser la place à une résidence pour personnes âgées.

Jean LAUTHE - Projet de dépôt des pompes à incendie (~1925)

Dessin conservé aux archives municipales. Cliché shv (2017)

Profitant d'une période particulièrement propice à la construction sur les parcelles redécoupées en lotissements (exemple du lotissement des Charmettes), Lauthe et son confrère Colombey [voir ci-dessous] réaliseront une douzaine de villas au Vésinet entre 1925 et 1940. La plupart d'entre elles en portent encore la signature sous la forme d'une plaque émaillée scellée dans le mur.

Plaque des architectes J. Lauthe & R. Colombey

encore visibles sur de nombreuses maisons au Vésinet (shv, 2012)

Au cours de cette période, Lauthe conserve une adresse professionnelle à Paris, au 23 rue Lepelletier (9e) et remplit les fonctions d'architecte en chef des Monuments Historiques pour la capitale.
Au Vésinet, Lauthe et Colombey militent au sein du Syndicat d'Initiative pour la préservation du site [8]. Colombey, fut avec son confrère d'Escrivan et MM. Jarry et Schiffer aussi du Syndicat d'Initiative, avec Gaston Jonemann, conseiller municipal, dans la commission extra-municipale qui prépara le classement du site (1934) puis l'établissement du plan d'aménagement communal (1937). Le Vésinet leur doit beaucoup.
En 1951, Lauthe est attaché au bureau des régions sinistrées (agréé par le Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme) pour la Seine, la Seine-et-Oise et l'Oise qui siège à Noyon. Au début des années 1950, Lauthe quittera le Vésinet pour s'installer à Courbevoie où il résidera jusqu'à sa mort le 5 mai 1963. Il est inhumé au cimetière du Vésinet (Section 5, n°1394).

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« Lauthe & Colombey » une signature vésigondine

Rolland Georges Colombey est né le 18 janvier 1888 à Epernay (51), fils d'un tailleur de pierre qui deviendra épicier à Paris mais restera attaché au travail de la pierre et se présentera longtemps comme sculpteur. Rolland est « employé de bureau » à son mariage en 1910 et « dessinateur » à la naissance de sa fille en 1914. Exempté de service actif, il sera affecté à Paris (service des commis, direction de l'Intendance, ministère de la Guerre). Il est employé dans un grand cabinet d'architectes parisien, la Maison Granet lorsqu'il s'installe au Vésinet où il est recensé comme architecte. [9]
Il devient membre du Syndicat d'Initiative, une association initialement dédiée à l'organisation du Tourisme et à la promotion du lieu de villégiature qu'est Le Vésinet, mais qui se consacre de plus en plus, alors, à la défense des paysages.
Colombey entre ainsi au conseil municipal (1929) où il prendra une part active au processus qui aboutira au classement des espaces verts et à l'inscription des lacs et rivières de la ville-parc. [10] Il ne sera pas réélu en 1935 mais poursuivra, en tant qu'architecte du Syndicat d'Initiative puis secrétaire général adjoint de celui-ci, son travail au sein de la commission chargée d'étudier les améliorations à apporter au cahier des charges établi en 1858-1863, avec en perspective un
Plan d'aménagement, d'embellissement et d'extension réclamé par l'Etat.
En même temps, avec Lauthe, il bâtit dans tous les secteurs du Vésinet, des pavillons dans l'air du temps. Pour lui-même, au 54 avenue Horace Vernet, il construit une villa dans l'esprit Art-moderne ; en choisissant comme matériau principal de la pierre grise et rugueuse, très graphique, il s'éloigne du modèle lisse et lumineux adopté par son compère Lauthe.
Rolland Colombey est mort à son domicile, 54 avenue Horace-Vernet, le 26 novembre 1941, âgé de 53 ans.

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    Notes et sources :

    [1] Engagé volontaire à 20 ans en 1865, Pierre Alexandre Lauthe est sergent major lorsqu'éclate la guerre de 1870. Officier "sorti du rang" il est capitaine en 1883 à son mariage avec une Bretonne de Guingamp, Marie Josèphe Meltier, où il est en garnison. Ils auront deux fils, Jean Antoine (1884) et Martial (1886). Pierre Alexandre Lauthe sera chef de Bataillon (1890) décoré de la Légion d'honneur (chevalier, 1891 ; officier 1921).

    [2] Principaux résultats dans son dossier selon Marie-Laure Crosnier Leconte : Il a tenté l'admission aux Beaux-Arts en avril 1903 ; il est admis en 2e classe le 3 novembre 1903 (sujet du concours d'admission : Un Monument en souvenir d'hommes illustres) ; obtient un total de 20 valeurs ; lère classe le 30 juillet 1907 ; obtient un total de 19 valeurs dont une première Seconde Médaille (projet rendu le 15 juillet 1908) ; admis 6e supplémentaire au 2e essai du Concours de Rome le 10 mars 1909 ; diplômé le 9 juin 1909 (sujet du diplôme : Une Villa (sur la côte) en Bretagne) ; lère mention au Concours Godebœuf.

    [3] Jean Jules Charles Lauthe, fils de l'architecte, est né à Paris (15e) le 8 octobre 1918 ; il est connu pour ses œuvres abstraites (huiles, aquarelles, dessins, céramiques) qui passent épisodiquement en vente aux enchères publiques (24 fois entre 2005 et 2023). Mort à Clichy le 8 janvier 1982, il est enterré au Vésinet.

    [4] Le 9e Régiment du Génie, constitué à Verdun en août 1914, fut dispersé au sein de diverses unités. Son 25e Bataillon fut affecté à la 72e Division d'Infanterie et fut engagé sur l'Orne, à la bataille de Verdun, sur la Somme et en Champagne. Jean Lauthe en faisait partie comme sergent (48e d’infanterie, 2e bat., 7e comp.). Après la dissolution du 9e RG en 1919, il fut affecté au 17e RG à Nancy, jusqu'à sa démobilisation.

    [5] René J. Beaudoin pour Comœdia, 8 décembre 1927.

    [6] Théodore Clément, architecte belge, est un ancien élève de l'école de Saint-Luc. Membre de la société centrale des architectes belges, il a collaboré avec Jean Lauthe à l'élaboration des projets de construction des églises d'Harbouey et Montreux. En 1925, Clément s’installe au Vésinet (30 avenue des Pages) où il réalisera plusieurs villas, donnant la préférence au style cottage. En 1934, il fonde la revue L’Arche (1934-1936). En 1935, il est toujours mentionné comme architecte au Vésinet., mais il a également été actif sur la Côte d’Azur.

    [7] Le Vésinet, modèle d'Urbanisme paysager (1858-1930) Cahier de l'inventaire n°17, Imprimerie Nationale, Paris, 1989.

    [8] Lauthe est coopté au comité du Syndicat d'Initiative en juin 1930 pour en devenir l'architecte référant. Échos de Rueil et de Saint-Germain, (20) 11 juillet 1930.

    [9] D'abord domicilié au 110 rue des Landes à Chatou (1925), il fait construire sa maison au 54 avenue Horace Vernet qu'il occupe à partir de 1929.

    [10] Par arrêté du 1er février 1934, le ministre de l'Education Nationale (Beaux-Arts) inscrit à l'inventaire des sites dont la conservation présente un intérêt général le lac de la Station, le lac Supérieur, le lac de Croissy et le lac Inférieur du Vésinet, avec les cours d'eau qui les réunissent entre eux et au lac des Ibis. Puis un arrêté du 5 février 1934 classe parmi les monuments naturels et les sites de caractères artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, le Grand lac ou lac des Ibis et la majeure partie des pelouses formant le domaine communal.


Société d'Histoire du Vésinet, 2023 • www.histoire-vesinet.org