Jean-Paul Debeaupuis, shv, 2023.

Théo P. J. Clément (1884-1937) architecte au Vésinet

Théodore Pierre Joseph Clément est né le 16 août 1884, au lieu-dit Oneux, au domicile de ses parents, près du village de Theux (province de Liège, en Belgique) où son père est instituteur privé. Cette petite localité ardennaise se situe sur le versant oriental de la Hoëgne à proximité de la route Verviers-Theux dite chaussée de Verviers à 2 km de Theux et à 7 km de Verviers.
Théodore fréquente l'École Saint-Luc à Liège (ESL) dont il sort diplômé en 1906 (7e année) avec un premier prix. [1] Il est membre de la Société Centrale d'Architecture de Belgique (SCAB) [2] quand il débute sa carrière dans sa région de Theux (Verviers) par la construction de quelques villas. Il s’établit ensuite à Bruxelles en collaborant avec son compatriote Fernand Bodson (Ferme-école pour enfants anormaux à Waterloo, 1912) [3]. Il est alors influencé par la vogue des cottages anglais et le « rationalisme constructif » qui vont s'épanouir dans le concept des cités-jardins de l'entre-deux-guerres (1912-1926). Clément traduit Charles Voysey (Nationalisme et Architecture, dans la revue Tekhné, 1912) [4].
Entre 1914 et 1919, il contribue à la publication d'une série de recueils de relevés commentés [5]
Pendant la guerre, il s'exile en Angleterre avec sa jeune épouse, Marie Louise née Jacquemotte (1887-1947). Leur deux enfants, Harold (1916) et Albert (1919) naîtront au cours de ce séjour.
Pour préparer la reconstruction des régions belges sinistrées, Clément suit les travaux l'International Garden Cities and Town Planning Association [6] et du Belgium Town Planning Committee et il propose un projet pour la reconstruction de Louvain [7, 8]
En 1919, il est lauréat d’un vaste concours organisé par le quotidien anglais The Daily Mail pour l'élaboration des plans d'une maison de travailleurs dans le Sud de l'Angleterre [9].
En 1920, il s'installe dans l'Est de la France et il prend part à la reconstruction de la Lorraine, associé à l’architecte français Jean Lauthe. Ils ont tous deux une agence à Saint-Mihiel (Meuse) où ils œuvrent à la reconstruction de nombreux édifices publics et privés.

Théodore “ Théo ”Clément (1927)

La vie à la Campagne n°285, 1er mars 1927. Collection particulière tous droits réservés

Vers 1924, Clément s'installe au Vésinet où s'ouvrent de belles perspectives pour les architectes. Son confrère Jean Lauthe fera de même mais ils suivront des voies différentes. Théo Clément n'est pas un adepte de la plaque d'architecte pour signer ses réalisations. En revanche, il publie beaucoup. Ainsi, sa maison personnelle Le Home (1924) construite au 30 avenue des Pages [10], plusieurs fois donnée en exemple, et diverses villas dans un style inspiré du cottage anglais, seront largement décrites dans les quelques revues qui nourrissent l'engouement des lecteurs pour la maison individuelle : La Vie à la Campagne, Maisons pour Tous, etc.
Dans Le Vésinet, modèle français d'Urbanisme Paysager [11] Clément est présenté comme « le créateur du cottage moderne au Vésinet. » C'est un jugement hâtif d'autant qu'il est affublé du prénom Théophile et confondu dans le texte avec Théophile Bourgeois, architecte de la génération précédente. [12] Quant aux documents de recensement conservés aux archives municipales (1931), ils sont eux aussi erronés quant aux origines (belges) de Théo Clément et de son épouse Marie Louise Jacquemotte, ce qui n'aide pas à construire une biographie rigoureuse ...

Le Home. Maison construite pour lui-même par Théo Clément.

Maisons pour tous, n° 24, 15 janvier 1929.

    LE HOME. – Un vaste bow-window, encadré par une grande toiture en tuiles normandes, donne une note dominante à l'ensemble de cette habitation suburbaine, située dans un cadre délicieux. La tonalité rouge foncé du soubassement, le ton crème des murs, le bleu d'outremer des volets et des boiseries et la teinte vieillotte du toit composent un assemblage de couleurs du plus heureux effet, applicable d'ailleurs à toute construction de moindre importance. La façade principale au Midi met en relief le bow-window et son cadran solaire. Un large balcon contigu à la Chambre à coucher fait office de solarium. La façade Nord, sur laquelle prennent jour les locaux accessoires, est de caractère plus austère. Largement ouverte au Midi, une cour qui sert de salle à manger l'été et se prête aux ébats des enfants, se transforme avantageusement en séchoir...

Le Home. La façade principale au Midi...

... met en relief le bow-window et son cadran solaire. Maisons pour tous, ibid.

 

Le porche du Home au Vésinet. (P.J. Clément, architecte).

Cette entrée dont la brique constitue l'élément essentiel est d'allure tout à fait accueillante.

Maisons pour tous n°41, 15 octobre 1930.

 

Maison 30, avenue des Pages (Le Home)

construite par T.P.J Clément en 1924 (Vue perspective vers 1990)

Le Vésinet, modèle français d'urbanisme paysager [11]

Clément publie de nouveau en 1929 dans Maisons pour Tous [12] son Home, la maison qu’il a construite pour lui-même au 30 avenue des Pages (voir ci-dessus) et qu’il représente comme « le prototype de l’habitation suburbaine » destinée à être habitée toute l’année « dans la profusion de l’air, de la lumière, de la verdure et des fleurs. »

    Le « home » en rez-de-chaussée, ouvre son « living-room » au sud par un « bow-window » de vastes proportions qui monte jusqu’à l’étage de comble. Les murs « réduits au minimum de hauteur » sont percés de larges baies. L’entrée, marquée par un motif de serlienne en brique, est rejetée au nord pour réserver le maximum de soleil aux parties habitées. La maison ouvre sur un porche intérieur qui débouche sur le hall, « centre de gravité de la maison ». Le jardin enfin est conçu pour prolonger l’espace intérieur, la cour pouvant, selon l’architecte, servir de salle à manger d’été. Le cottage de Clément, de dimensions raisonnables, se caractérise par la fonctionnalité de son plan et l’importance démesurée du toit par rapport au volume total de l’édifice. Tout décor est supprimé, mais les coloris sont choisis avec soin : « Rouge foncé pour le soubassement des toitures, blanc-crème pour les murs, blanc pour les croisées, bleu-outremer pour les volets... achèvent de donner la distinction que d’aucuns s’efforceraient de réaliser par un mélange hétéroclite d’ornements superflus. »

Clément a construit d’autres édifices du même type au Vésinet, dans l'avenue des Pages, l’avenue des Courlis, la rue du Maréchal-Pétain (devenue rue du Général-Leclerc à la Libération), etc.
Dans la revue La Vie à la Campagne, il expose un régionalisme sobre et rationnel adapté au climat, au paysage et aux traditions constructives des diverses régions de villégiature où il construit : villa basque, bungalow dans les Landes, maison et chalets de montagne.

    Un bon Plan restera toujours à la base du succès en matière de construction. De l’habileté de sa conception dépendront uniquement tous les avantages que vous pouvez espérer retirer de voire projet. L’élaboration d’un bon plan est le fruit exclusif d’une longue expérience. La nôtre, comptant plus de vingt-cinq années, est à votre entière disposition. Voulez-vous en profiter ?

    Exposez-nous votre programme en détail, nous serons heureux de répondre à vos demandes de renseignements et de vous fournir des esquisses avec prix pour la construction ou la transformation de Maisons, Bungalows, Villas, Manoirs, Châteaux, etc., dans n’importe quelle région.

    Nous pourrons enfin, grâce à de puissants moyens de réalisation, vous remettre un prix forfaitaire (clefs en mains) pour l’intégralité de vos travaux, supprimant ainsi, pour vous, tous les aléas possibles. Écrivez-nous ou venez nous voir. Nos consultations sont données à titre gracieux et ne vous engagent nullement.

La même année, il participe (et remporte) le concours « LA JOLIE MAISON » classé premier par les lecteurs de la revue Maisons pour Tous [13] qui fait écho à l'annonce de la Loi dite Loucheur qui sera promulguée en 1928 afin de pallier la crise du logement de l'entre-deux-guerres, qui engageait l'État français à investir des fonds pour la réalisation de 200 000 habitations à bon marché et de 60 000 habitations à loyer modéré sur une durée de cinq ans.[14]

 

    Une Maison à la portée de tous

    Base d'une habitation unifiée et parfaitement équipée, utilisant intégralement la surface, groupant les éléments du même ordre pour limiter la dépense

    La pénurie actuelle de domestiques, jointe au coût élevé de la construction, tendent à créer un mouvement en faveur de l’Habitation de proportion réduite, d’un entretien facile pour la maîtresse de maison et d’un prix accessible à tous. Le moment est opportun pour tenter à nouveau un acheminement vers la solution de ce problème, certes très complexe, et analyser les raisons qui ont voué à l’échec, jusqu’à ce jour, la multitude de conceptions intéressantes dans cet ordre d idée. Notre modeste contribution ne servirait-elle qu'à faire le bonheur et la joie de quelques familles en quête d'un Home confortable, économique et d’allure distinguée qu il y aurait déjà tout lieu de se réjouir en attendant l’avènement de « la Maison pour Tous ».

    Dans le projet de Maison que voici, nous avons voulu esquisser la synthèse du Logement d’après guerre en tâchant de réunir sous le volume le plus condensé les desiderata de la masse.

    Cette Habitation comprend en sous-sol : un Garage accessible de la rue par une rampe très douce ; une buanderie équipée, avec entrée directe de l’extérieur par le jardin ; des caves à provisions (la cave à charbon munie d’un déversoir). Le rez-de-chaussée surélevé se compose : d’un Porche largement ouvert et débordant sous une Pergola (remplaçant avantageusement la peu sympathique marquise vitrée) et suffisamment spacieux pour permettre de prendre les repas à l'extérieur durant la bonne saison ; d’un Hall d’entrée ; d'une Salle à manger ; d’une Chambre (Studio, Salon, Bureau, etc.) ; d'une Cuisine scientifiquement disposée et aménagée. C’est ainsi, par exemple, que les installations d'eau ont été prévues pour réduire les tuyauteries au strict minimum ; un w.-c. complète cette distribution.

    L' étage groupe deux Chambres à coucher spacieuses pourvues chacune d’un conduit de fumée ; une Salle de bains et un Cabinet de toilette. Au cas où une troisième Chambre à coucher serait requise, elle pourrait être aménagée à 1'emplacement de la Salle de bains et entraînerait une légère diminution de la surface de la Chambre arrière. La Salle de bains serait alors reportée dans le cabinet de toilette.

    Tous les moindres recoins sont utilisés pour y loger des placards, des casiers à livres, une armoire à linge chauffée en permanence par le réservoir d’eau chaude, une grande penderie, etc. Partout de vastes baies d’éclairage et de larges pans de murs disponibles pour meubles.

    La disposition générale du plan est conçue de façon à ce que deux habitations semblables puissent être jumelées sans nuire aucunement à l’intimité de chaque logement. La silhouette extérieure n’en serait, que plus plaisante.

    Enfin, un dernier point, qui présente une grande importance ; cette Maison peut être édifiée sur un terrain de 10 m de façade, tout en permettant le tour d’échelle utile d'une part et, de l’autre, le recul nécessaire à des vues directes sur la propriété voisine.

    La réalisation d’une Maison de ce genre en grande série, en vue de la rendre accessible aux budgets les plus modestes, est un point capital sur lequel nous reviendrons. Limitons-nous aujourd’hui à donner un aperçu succinct des matériaux employés dans le cas d’une construction isolée, exécutée avec les moyens limités dont disposent les entrepreneurs locaux.

    La construction sera avant tout en matériaux de premier choix. La meulière ou le moellon dur pour le soubassement et l'élévation du rez-de-chaussée en façade principale jusqu'à hauteur d’allège. Maçonnerie en briques de 22 cm pour les autres murs extérieurs, laquelle peut rester apparente ou être recouverte d’un enduit ciment-pierre (voire d’un mouchetis tyrolien à la truelle par raison d’économie). Linteaux de baies et hourdis du rez-de-chaussée en béton armé. Toiture en petites tuiles du Nord (22 au m). Zinc pour les cheneaux, noues, solins et descentes des eaux pluviales. Menuiseries extérieures et escalier en chêne. Volets et toute la menuiserie intérieure en sapin. Peinture sur toutes les menuiseries ainsi que sur les murs de la Cuisine et de la Salle de bains. Eau, gaz et électricité, w.-c. avec fosse septique. La Maison, pourvue de ce que nous appelons le « Confort moyen », reviendrait à 58 000 frs environ. Traitée avec le grand confort, comprenant parquets chêne, chauffage central par fourneau de Cuisine, distribution d’eau chaude, Salle de bains installée, ventilation naturelle des locaux, assèchement, etc., cette Maison reviendrait à 75 000 frs environ dans l'agglomération parisienne.

    Théo. P.-J. CLÉMENT. (Architecte diplômé S.C.A.B.)

La même année 1927, il participe au concours pour l'édification du Palais de la Société des Nations à Genève.
Par décret du 3 février 1933, la famille obtient la nationalité française. Il est précisé que les deux enfants, Harold (17 ans) et Albert (14 ans), enfants mineurs lorsque les parents bénéficient du décret de naturalisation, sont donc Français par effet collectif.
En 1934, Clément fonde la revue bimestrielle L'Arche (1934-1936) qui dénonce les méfaits du développement industriel, la désertion du monde rural et prône un retour à une vie plus simple et plus naturelle. Il entre notamment en contact avec le peintre cubiste Albert Gleizes, fondateur de la communauté agricole de Moly-Sabata, qui publie plusieurs articles dans L'Arche. Mais Clément ne se manifeste pas dans les démarches tendant à faire profiter Le Vésinet de la Loi du 2 mai 1930. Malade, il abandonne vers 1935 son bureau du Vésinet et s’installe avec sa famille dans une vieille maison partiellement en ruine à Chambray-lès-Tours (Indre-et-Loire) qu'il entreprend de restaurer selon les techniques traditionnelles utilisées par les Compagnons du Tour de France. Il meurt à Chambray-lès-Tours le 9 mai 1937.

Projet d'affiche pour Le Vésinet. Théo Clément (1933)

Gouache et pastel sur papier noir (545x420) ; Fonds Théo Clément (Editions AAM, Bruxelles).

Le Fonds Théo Clément (Editions AAM, Bruxelles) est constitué d'une quarantaine de dessins originaux ou de tirages anciens. En dehors d'un dessin d'académie et de quelques projets incomplets, il renferme essentiellement des documents relatifs à son activité en France où il s'établit après la Première Guerre mondiale. Il s'agit presque exclusivement de dessins de présentation sous forme de perspectives ou de façades. Le fonds comporte une série de très beaux documents à la gouache, souvent réalisés sur du papier noir ou coloré. La plupart des dessins à l'encre de Chine ont été conçus pour la publication dans des revues d'époque.
Fonds classé (1991) non inventorié.

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    Notes et sources :

    [1] École Supérieure des Arts Saint-Luc à Liège fondée par la Congrégation des Frères des Écoles chrétiennes. Leur objectif essentiel est de former, avec un esprit d’ouverture et de respect, des artistes fiables et expérimentés dans leur conduite et dans leur travail. Créée en 1890, l’école s’implante rue Sainte-Marie dès 1899 grâce à un don. L’enseignement mis en place à cette époque concerne déjà toutes les industries et tous les métiers liés à l’art : les Arts et Métiers.

    [2] La Société Centrale d'Architecture de Belgique (SCAB), importante association fondée à Bruxelles en 1872 est une des trois plus anciennes sociétés consacrées à l'architecture en Belgique.

    [3] Ferme-école provinciale de Waterloo (collaborateur de F. Bodson) : plans, coupes (conciergerie, habitation du directeur, cuisine, économat, pavillons pour les pensionnaires, atelier, gymnase, lazaret et ferme. Les pavillons sont prévus pour accueillir soixante enfants).Travaux d'académie (1912)

    [4] Théo Clément, « Nationalisme et Architecture, traduction résumée d'un rapport de C.F.A. Voysey », Tekhné, n°57, 27 avril 1912, et n°58; 4 mai 1912.

    [5] Théo Clément, Jules Ghobert, Camille Huart, Les anciennes constructions rurales et les petites constructions des béguinages en Belgique, t. I à IV, 1914-1919.

    [6] International Garden-Cities and Town Planning Federation (Fédération Internationale de l'Aménagement des Villes, des Campagnes et des cités-Jardins) fondée en 1913 à Paris. Elle a tenu ses premiers congrès à Londres (1914) et à Bruxelles (1919).

    [7] Le Comité d'urbanisme belge, créé à Londres en 1915, était censé permettre aux architectes, ingénieurs, géomètres, avocats, conseillers municipaux et autres experts d'étudier les problèmes de reconstruction et de les traduire en plans et directives préparatoires. C'était aussi la « mission de Verwilghen », du nom de l'architecte Raphaël Verwilghen (1885-1963) chargé de mettre en place ce Comité et connu comme l'un des pionniers des cités-jardins en Belgique.

    [8] Resurgam. La reconstruction eu Belgique après 1914, Bruxelles, Crédit communal de Belgique, 1985.

    [9] Reproductions of the Best Designs entered in the Daily Mail Architects Competition for Workers' Homes (1919) Winning Design : Midland Industrial Area.

    [10] Théo Clément, « Le Home au Vésinet », dans Vie à la campagne, vol. 46, 15 août 1927.

    [11] Le Vésinet, modèle français d'urbanisme paysager, Cahier de l'inventaire n°17, Imprimerie Nationale, Paris, 2002 (2e édition).

    [12] Bourgeois (Théophile), La Villa Moderne, Plans, façades et devis détaillés de cent petites constructions. Librairie Centrale des Beaux-Arts, Paris 1899.

    [13] Concours Maisons pour Tous,. modèle n°3, page 5 du n°12, 16 Janvier 1927)

    [14] La loi Loucheur du 13 juillet 1928, votée à l'initiative de Louis Loucheur, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale entre 1926 et 1930, prévoyait l'intervention financière de l'État pour favoriser l'habitation populaire.

     

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2023 • www.histoire-vesinet.org