Ancien élève du Baron Gros, Louis Martinet
exerce une honnête carrière de peintre jusqu'à ce qu'une maladie des yeux
l'empêche de poursuivre son activité. Il entre alors en 1849 dans l'administration
des beaux-arts en tant qu'inspecteur et sera intégré à l'équipe chargée
de l'organisation des Salons entre 1850 et 1855. Victime de l'ostracisme
dont fait preuve l'administration des beaux-arts à partir de 1857, il
quitte ses fonctions pour reprendre ses pinceaux tout en agissant en tant
qu'agent artistique auprès de grands collectionneurs comme le Comte de
Morny. Membre actif de la
caisse de secours des artistes, il s'associe en 1859 au marchand et expert
Francis Petit avec qui il organise une exposition rétrospective d'Ary
Scheffer au profit de cette caisse. La manifestation se tient dans une
galerie construite dans le jardin du Marquis de Hertford, au 26, boulevard
des Italiens, adresse à laquelle Louis Martinet associera désormais son
nom pendant plus de dix ans. En 1860, deux grandes expositions consacrées
à l'Ecole française moderne puis ancienne y créent l'événement: la première
se substituant au Salon, la seconde remettant au goût du jour la
peinture française du XVlIlème siècle. Louis Martinet publie alors un
Album photographique consacré aux grands peintres contemporains qui marque
une date importante dans l'histoire de l'édition d'art.
A partir de 1861, il reprend seul la direction du boulevard des Italiens
qu'il parvient à transformer en une Exposition permanente. Jusqu'en 1865,
il va tenter de faire de ces galeries un espace d'exposition alternatif
et pluridisciplinaire, ultime résistance à l'économie de marché qui s'impose
inexorablement au milieu artistique du Second Empire. Ardent défenseur
du droit d'auteur, il tente d'imposer un commerce de l'art fondé sur la
valeur d'usage des oeuvres plus que sur leur valeur d'échange. La plupart
des artistes modernes exposeront dans ses galeries: Manet, qui y fera
sa première exposition personnelle en 1863 à quelques semaines du Salon
des refusés, Courbet, Whistler, Ingres, Delacroix (dont une
exposition rétrospective est organisée en 1864), Rousseau, Millet, Puvis
de Chavanne, Carpeaux, etc. Militant engagé, Louis Martinet parviendra
à les réunir avec deux-cents autres peintres et sculpteurs au sein de
la Société nationale des beaux-arts, fondée en 1862 dans le but
de "rendre les artistes indépendants et leur apprendre à faire eux-même
leurs affaires". A partir de 1861, le Courrier Artistique,
journal hebdomadaire sur l'actualité artistique, offre une tribune aux
idées alternatives, d'inspiration le plus souvent socialiste, qui cherchent
à rénover l'économie artistique du Second Empire. Petit à petit, Louis
Martinet élargit les activités de sa galerie en y organisant des concerts
symphoniques ou de musique chambre, que dirigent en personne Berlioz,
Félicien David, Bizet
ou Saint-Saens, Il s'ouvre également à la littérature en s'associant des
hommes de lettres comme Théophile Gautier, à qui il confie la présidence
de la Société nationale des beaux-arts, ou Alexandre Dumas, qu'il
invite à faire des conférences.
L'entreprise utopique de Louis Martinet ne résistera cependant pas aux
pressions du marché, à la démobilisation des artistes et à la méfiance
du gouvernement. La Société nationale des beaux-arts disparaît
en 1865. Les galeries du boulevard des Italiens sont transformées en Théâtre
des Fantaisies-Parisiennes dont Champfleury assure momentanément la direction.
Louis Martinet entame alors une brillante carrière de directeur de théâtre
pendant laquelle il réitère pour la musique et le théâtre ce qu'il a tenté
pour les arts plastiques. Sa réussite le conduira à la tête du Théâtre
Lyrique, l'actuel Théâtre du Châtelet. Malheureusement, quelques mois
à peine après sa nomination, l'incendie du théâtre pendant la Commune
va conduire Louis Martinet à la faillite et à la ruine. Il ne se relèvera
que dix ans plus tard en revenant à son premier métier, Il anime dans
les années 1880 le Cercle des arts libéraux de la rue Vivienne
où Rodin et Renoir exposent à l'occasion.
A la fin de sa vie, il revient au boulevard des Italiens pour ouvrir une
galerie dont on retient seulement qu'elle exposera Seurat en 1887.
Quelque peu oublié, Louis Martinet meurt en janvier 1895 alors qu'il travaillait
à l'écriture de ses mémoires.
Jérôme Poggi
Centralien
de formation, diplômé de l'Ecole des Hautes Etudes en sciences
sociales, Jérôme Paggi a exercé plusieurs fonctions dans le milieu
de l'art contemporain. Il enseigne l'histoire de l'art et des
politiques culturelles dans le cadre de programmes universitaires
franco-américains
Société d'Histoire du Vésinet,
2005 - www.histoire-vesinet.org