Texte de Jérome Poggi, Octobre 2003.

Louis Martinet (1814-1895)

Ancien élève du Baron Gros, Louis Martinet exerce une honnête carrière de peintre jusqu'à ce qu'une maladie des yeux l'empêche de poursuivre son activité. Il entre alors en 1849 dans l'administration des beaux-arts en tant qu'inspecteur et sera intégré à l'équipe chargée de l'organisation des Salons entre 1850 et 1855. Victime de l'ostracisme dont fait preuve l'administration des beaux-arts à partir de 1857, il quitte ses fonctions pour reprendre ses pinceaux tout en agissant en tant qu'agent artistique auprès de grands collectionneurs comme le Comte de Morny. Membre actif de la caisse de secours des artistes, il s'associe en 1859 au marchand et expert Francis Petit avec qui il organise une exposition rétrospective d'Ary Scheffer au profit de cette caisse. La manifestation se tient dans une galerie construite dans le jardin du Marquis de Hertford, au 26, boulevard des Italiens, adresse à laquelle Louis Martinet associera désormais son nom pendant plus de dix ans. En 1860, deux grandes expositions consacrées à l'Ecole française moderne puis ancienne y créent l'événement: la première se substituant au Salon, la seconde remettant au goût du jour la peinture française du XVlIlème siècle. Louis Martinet publie alors un Album photographique consacré aux grands peintres contemporains qui marque une date importante dans l'histoire de l'édition d'art.
A partir de 1861, il reprend seul la direction du boulevard des Italiens qu'il parvient à transformer en une Exposition permanente. Jusqu'en 1865, il va tenter de faire de ces galeries un espace d'exposition alternatif et pluridisciplinaire, ultime résistance à l'économie de marché qui s'impose inexorablement au milieu artistique du Second Empire. Ardent défenseur du droit d'auteur, il tente d'imposer un commerce de l'art fondé sur la valeur d'usage des oeuvres plus que sur leur valeur d'échange. La plupart des artistes modernes exposeront dans ses galeries: Manet, qui y fera sa première exposition personnelle en 1863 à quelques semaines du Salon des refusés, Courbet, Whistler, Ingres, Delacroix (dont une exposition rétrospective est organisée en 1864), Rousseau, Millet, Puvis de Chavanne, Carpeaux, etc. Militant engagé, Louis Martinet parviendra à les réunir avec deux-cents autres peintres et sculpteurs au sein de la Société nationale des beaux-arts, fondée en 1862 dans le but de "rendre les artistes indépendants et leur apprendre à faire eux-même leurs affaires". A partir de 1861, le Courrier Artistique, journal hebdomadaire sur l'actualité artistique, offre une tribune aux idées alternatives, d'inspiration le plus souvent socialiste, qui cherchent à rénover l'économie artistique du Second Empire. Petit à petit, Louis Martinet élargit les activités de sa galerie en y organisant des concerts symphoniques ou de musique chambre, que dirigent en personne Berlioz, Félicien David, Bizet ou Saint-Saens, Il s'ouvre également à la littérature en s'associant des hommes de lettres comme Théophile Gautier, à qui il confie la présidence de la Société nationale des beaux-arts, ou Alexandre Dumas, qu'il invite à faire des conférences.
L'entreprise utopique de Louis Martinet ne résistera cependant pas aux pressions du marché, à la démobilisation des artistes et à la méfiance du gouvernement. La Société nationale des beaux-arts disparaît en 1865. Les galeries du boulevard des Italiens sont transformées en Théâtre des Fantaisies-Parisiennes dont Champfleury assure momentanément la direction. Louis Martinet entame alors une brillante carrière de directeur de théâtre pendant laquelle il réitère pour la musique et le théâtre ce qu'il a tenté pour les arts plastiques. Sa réussite le conduira à la tête du Théâtre Lyrique, l'actuel Théâtre du Châtelet. Malheureusement, quelques mois à peine après sa nomination, l'incendie du théâtre pendant la Commune va conduire Louis Martinet à la faillite et à la ruine. Il ne se relèvera que dix ans plus tard en revenant à son premier métier, Il anime dans les années 1880 le Cercle des arts libéraux de la rue Vivienne où Rodin et Renoir exposent à l'occasion.
A la fin de sa vie, il revient au boulevard des Italiens pour ouvrir une galerie dont on retient seulement qu'elle exposera Seurat en 1887.
Quelque peu oublié, Louis Martinet meurt en janvier 1895 alors qu'il travaillait à l'écriture de ses mémoires.

Jérôme Poggi

Centralien de formation, diplômé de l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales, Jérôme Paggi a exercé plusieurs fonctions dans le milieu de l'art contemporain. Il enseigne l'histoire de l'art et des politiques culturelles dans le cadre de programmes universitaires franco-américains


Société d'Histoire du Vésinet, 2005 - www.histoire-vesinet.org