D'après Louis Schneider pour Gil Blas (Paris), 4 décembre 1907.

Arthur Maury (1844-1907)

Arthur Maury qui vient de mourir est une figure bien parisienne. [1]
Cette mort attristera non seulement le petit monde philatéliste, mais encore les nombreux amis que comptait partout ce roi du timbre-poste. Arthur Maury était, en effet, l'homme le plus affable et aussi le plus foncièrement honnête qui fût. A vrai dire, son premier abord était réservé, strictement courtois, mais il se découvrait au bout de quelques instants l'homme bon, intelligent, spirituel qu'il était en réalité. De même, à première vue, son aspect physique n'avait pas tout l'agrément qu'aurait dû lui donner sa physionomie avenante, ses yeux pétillants de malice, ses traits distingués ; une légère gibbosité
[2] l'alourdissait bien vite au bout de quelque minutes d'entretien.
Si M. Maury était un malin, il l'était dans la meilleure acception du terme, il fut toujours, dans ce commerce des timbres-poste qui sert de prétexte à tant de duperies et de spéculations douteuses, de la plus scrupuleuse probité. Ceux qui ne sont pas collectionneurs comprennent difficilement cette passion du timbre rare, et admettent à grand'peine qu'on puisse payer fort cher, un petit carré de papier crasseux et taché d'encre, le plus souvent sans valeur artistique. M. Maury avait su rendre intéressante la collection, non seulement pour les convertis, mais encore pour les profanes.

Arthur Maury en 1889

Photogravure de Nadar, Le Collectionneur de Timbres-Poste.

Son petit journal, dont il était le directeur et le seul rédacteur, le Collectionneur de Timbres-poste, pouvait être lu par tous avec plaisir. Sur un thème qui paraîtrait aride à ceux que la passion philatéliste ne possède pas, il brodait des enjolivements inattendus, il juxtaposait des à-côté intéressants. Il parlait avec abondance et son sujet le soulevait, il avait des accents sincères et chaleureux, des ironies charmantes, des idées amusantes qui devenaient populaires.

Lors de la venue du tsar à Paris, en 1896, M. Maury fit graver une carte postale avec les drapeaux coloriés de la Russie et de la France, entrelacés, ainsi que deux écussons, l'un à l'aigle noir et l'autre au coq gaulois. Aux deux angles supérieurs de la carte se trouvaient le portrait de Félix Faure en timbre-poste et celui du tsar. Cette carte fut tirée à dix mille exemplaires raconte M. Maury dans son journal ; on en vendit cent mille ! Il y avait eu des contrefaçons. D'ailleurs, M. Maury s'en montrait enchanté ; pas un instant, il n'avait voulu se considérer comme lésé dans ses intérêts de commerçant ; l'essentiel était que son idée eût réussi, et que camelots, contrefacteurs, public, tous en aient été enchantés.
Arthur Maury était, d'ailleurs, mieux qu'un collectionneur, il est l'auteur de travaux historiques du plus grand intérêt et de la plus précieuse documentation. Ses articles sur Pierron de Chamousset, mort en 1773 après avoir inventé la petite poste et les compagnies d'assurances contre l'incendie, est désormais un document indispensable que tous les écrivains économistes doivent consulter.
Maury était aussi la providence de la presse. Les reporters l'assiégeaient dès qu'on annonçait une modification dans les timbres-postes un changement de couleur ou de vignette. Mais le siège était vite fait, les portes du cabinet de travail du philatéliste s'ouvraient toutes grandes.
Il rendit aussi de grands services aux tribunaux en qualité d'expert. Son avis était précieux : on le savait non seulement autorisé et judicieux, mais encore sincère et impartial.
Ce n'est pas seulement une figure bien parisienne qui disparaît avec M. Maury, ce collectionneur appartenait à la collection rare et précieuse des honnêtes gens.

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    Notes et sources :

    [1] Frappé de congestion le vendredi 29 novembre dans son Hôtel de la rue Spontini où il gardait des collections intéressantes de bibelots curieux et historiques souvent cités dans les Revues illustrées, il s'éteint le dimanche 1er décembre, à l'âge de 63 ans.

    [2] Il était légèrement bossu.


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