... Le Mur des Garennes La forêt, le gibier et les « plaisirs du Roi » Les hommes qui, au Moyen Âge, avaient défriché des clairières pour établir leurs villages et leurs cultures, conservaient aux abords des terres agricoles (les finages), des espaces boisés nécessaires aux constructions, au chauffage, au pâturage, à la chasse et à la cueillette. Mais la forêt devint une richesse convoitée puis possédée par les seigneurs. En 1214, Guillaume Bateste, dont l’épouse Marguerite de Jagny était de la famille des seigneurs suzerains de Chatou, obtint de Philippe Auguste le droit d’établir une garenne dans le bois alors appelé bois de Cornillay ou Cornillon. Une garenne était une réserve pour l’élevage et la reproduction du gibier, principalement des lapins. «... pour mener leurs bestiaux paître dans la garenne qui est proche du village, les manants et habitants seront taxés pour lesdits droits d’usage à la somme de 16 livres 6 sols. » [1] Carte de la Garenne du Vésinet et ses environs (vers 1720) Etat des terres et prés dépendant de la Ferme du Roi (Vésinet), de la ferme de La Borde et des fermes à acquérir à différents particuliers ... Archives départementales des Yvelines.
La carte ci-dessus est réalisée pour le Maréchal de Noailles qui envisage d'étendre (de doubler) les terres cultivées de la ferme du roi en achetant 331 arpents de terres et prés au seigneur de La Borde, Claude Dodieu. Mais l'affaire ne se fera pas. On notera aussi les nombreuses remises (voir plus bas) dans les champs, jusqu'à la plaine de Houilles. Le terme de « rabaux » est cité au XVIIIe siècle sous des orthographes diverses. Les historiens de Montesson ont montré qu'au XVIIIe siècle le « canton des Rabots » aurait été un des secteurs du bois du Vésinet voisin des Terres Neuves de Montesson. Le mot « rabot » puis « rabaux », d’origine germanique (franque), désignerait le lapin. On en retrouve la racine dans le « rabbit » anglais, le « robbe » néerlandais. Une rabouillère est un mot encore usité pour désigner un terrier peu profond où les lapines font leurs petits. Ce secteur est donc au XVIIIe siècle particulièrement fréquenté par les lapins ! Ces lapins et autres lièvres, qui se multiplient selon l’adage, sont une calamité pour les cultures. Un arrêt du Conseil d’Etat a bien ordonné la destruction des lapins dans l’étendue des capitaineries royales, mais il n’est pas appliqué.[2] En avril 1782, c’est un tollé général dans toutes les paroisses situées dans la Capitainerie des chasses de Saint-Germain-en-Laye car, à la suite de l'introduction dans les garennes de lièvres de grande taille, toutes les cultures du voisinage ont été dévastées. Un représentant de Berthier de Sauvigny, l’Intendant de la Généralité de Paris, vient constater les dégâts. Les habitants rapportent que : « ... indépendamment des lièvres et perdrix qui ravagent leurs territoires, ils sont encore exposés à la voracité des lapins en assez grande quantité [...] dans les Larris de Chatou et dans cinq à six remises situées sur le territoire de Montesson près La Borde, et ailleurs près de la forêt ». Les remises sont des bosquets aménagés dans les champs pour le refuge et la reproduction du gibier qui sort du bois. La carte des Chasses du roi en indique une douzaine qui sont réparties sur tout le terroir. Certaines ont donné leur nom à des lieux-dits et des chemins : les remises de La Borde, de Palfour, des Châtaigniers, du Loup, du Val, de la Butte au Berger, du Mont Royal, des Douaires et la remise à Mort, dite encore Amor ou du Champ du Roi. D’autres ont disparu : remise des Quatre-Bornes, remise de la Genevrière ou remise des Bouillaux, remise du Pas de Loup.[3] « Nous cultivons des légumes pour servir aux approvisionnements de Paris, et si le gibier à quatre lieues à la ronde ne détruisait pas ces productions, elles baisseraient de prix. [...] Nous ne possédons pas un seul pré et notre herbe artificielle est dévastée par les lapins et les lièvres [...] la grèle a tout dévasté, les rigueurs de l’hiver ont gelé nos vignes, et le gibier, nourri avec soin pendant cette calamité, va nous dépouiller de toutes nos autres productions » Un article du Cahier de Doléances reprenait le même thème : « Le gibier détruit absolument toutes les récoltes, dévaste les terres, réduit tous les cultivateurs à la plus déplorable indigence et les réduit à mendier leur pain. En conséquence Sa Majesté sera suppliée de détruire à jamais la Capitainerie des chasses comme contraire aux droits sacrés de la liberté et de la propriété ». **** Le mur des Garennes à Chatou, à Croissy et à Montesson : le plan dit « de Dreux » (mars 1779) Déjà depuis longtemps on projetait la construction d'un mur pour protéger les terroirs de Chatou, de Montesson et de Croissy des ravages de ce gibier. Mais un tel mur représentait de grosses dépenses, et sur les instructions de M. de Bertin, Philippe Dreux [4] à Montesson en mars 1779, proposa de rectifier les limites des finages afin de faire une économie sur la longueur du mur. Sur un des plans, Dreux traçait hardiment sa proposition de mur de la pointe des Courlis jusqu'au bas de la Justice (rue des Landes) et de là à la borne de Croissy, évitant ainsi un grand nombre de lignes brisées. Un premier projet prévoyait des murs sur 3 930 toises en 17 angles, tandis que le projet de Dreux ramenait leur longueur à 3 370 toises en 5 angles. L'économie était appréciable puisque la dépense était ainsi diminuée de 10 000 livres comme il est spécifié sur le plan. On y voit aussi le fameux moulin à vent de Chatou – à l'emplacement actuel de la crèche face aux Ecoles Jules Ferry – et un calvaire à l'entrée de Chatou, sur la grande route de Saint-Germain. Dessin du Plan de Dreux (mars 1779) ...proposition d'un mur que l'on se propose de faire construire le plus tôt possible, d'où 10.000 livres d'économie L'original était conservé aux Archives départementales de Seine-et-Oise (A-1471) Sous Louis XVI, dans la partie sud de la forêt qui avoisine le village de Croissy, on commença le défrichage de quelques fractions de la garenne royale pour les livrer à la culture du tabac. Une ferme, longtemps exploitée par le sieur Debeau, fut construite et mise en valeur. Le reste de ce domaine devint la dotation de M. le Comte d'Artois, en même temps que les bâtiments et dépendances du Château-Neuf (Plans de Main, 1780 et 1783). Ce prince donna de nouveaux soins aux murs de la forêt et à la Faisanderie où existait un rendez-vous de chasse. Que les paroisses de Chatou et de Croissy, ayant obtenu la permission de fermer le bois du Vésinet par un mur, il était de toute nécessité que la paroisse de Montesson sollicitât la même faveur auprès de l'administration provinciale ; que le sol de cette paroisse étant plus ingrat et ne rendant à ses cultivateurs quelques productions qu'à force d'engrais, le gibier de la plaine enlevant une partie de ces productions, les maux seraient encore aggravés par le lapin, le daim et le chevreuil de la forêt qui, ne trouvant point d'issue pour se porter sur les territoires de Chatou et de Croissy, se jettent sur celui de la Borde et de Montesson et dévastent toutes les productions ; que d'après ces conditions, il croyait qu'il était du bien et de l'avantage de la paroisse de faire également une clôture pareille sur ce qui reste de la Forêt du Vésinet dans l'étendue du territoire de la Borde, dépendant de cette paroisse, jusqu'à la rivière de Seine, s'il plaisait au roi et à l'administration provinciale de lui accorder la même faveur. Cette supplique fut entendue. Montesson fut autorisée à édifier un mur, à partir du mur de Chatou, vers la pointe des Courlis, jusqu'à la Seine. La dépense votée le 28 décembre 1788 devait s'élever à 4 360 livres 10 sols payables en quatre années et pris sur les biens-fonds appartenant à la communauté (Montesson, Archives municipales). Après de nombreuses récriminations, le mur de clôture fut enfin construit et coûta 32 000 livres, somme que les habitants sur le cahier de doléances de 1789 déclaraient ne pouvoir payer. **** Notes et sources : [1] Une partie de ces droits subsistera pendant plus de deux siècles. Chaque année le conseil municipal établissait la liste des indigents autorisés à se fournir en bois mort dans la forêt devenue domaniale. La création du Vésinet au Second Empire mettra fin à ces usages. [2] Un arrêt du 26 janvier 1764 ordonnait la destruction des lapins, le recoupage des bois-taillis, ainsi que leur replant. Mais le Maréchal de Noailles mit très peu d'empressement à détruire les rongeurs et l'arrêt resta lettre morte. [3] Chemins et rues de Montesson au cours du temps. [... l'origine du nom des Rabaux], MHM, 2010. [4] Philippe Nicolas Dreux (1731-1808), petit fils d'un tabellion de LaBorde, fils de cultivateur-vigneron, frère d'un procureur fiscal, et lui-même cultivateur et marguiller de la paroisse de Montesson, issu d'une ancienne et nombreuse famille de la contrée qui lui a valu de nombreux notables ; il n'était ni arpenteur ni géomètre. [5] Le cliché (M. Antoine, SHV) représente les vestiges du mur à la fin du XXe siècle dans la parcelle appartenant alors à M. Dubray (SHV). [6] La Concorde, 10 août 1848.
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