Une
paroisse instituée dans la contestation

L'édification de l'église

Doter le parc du Vésinet d'une église faisait partie du programme inscrit dans le Cahier des Charges de 1858. Chaque propriétaire, quelle que soit sa religion, versait un impôt pour sa construction. Dans les actes de vente contractés entre la Société Pallu et les acquéreurs, la mention du procès-verbal du 1er octobre 1858 stipulait "Que dans le cas d'édification d'une église, chaque propriétaire verse une contribution d'un centime par mètre superficiel et par an".
L'article 8 du Cahier des Charges, dressé en mai 1863, précisait :

~ ART. 8 ~
Édification d'une église.

MM. Pallu et Cie, ayant décidé la construction d'une église dans le parc du Vésinet, la font édifier à leurs risques et périls; mais, pour les couvrir de leurs dépenses à cet égard, chaque acquéreur sera tenu, par le seul fait de son acquisition, à leur payer, pendant six ans, une contribution de 1 centime par an et par mètre superficiel de sa propriété, le tout sans compte ni débat et à forfait.
Cette contribution, qui sera due à partir de l'acquisition, sera payable, en deux fractions égales et par semestre, les 15 avril et 15 octobre de chaque année, en même temps que les redevances applicables aux chemins et aux eaux.

Une fois de plus, la presse parisienne s'empara du nouvel événement que constituait la première fête patronale du 20 juillet 1862, relatant en détail ses différentes phases qui durèrent trois jours. Les Compagnies de Sapeurs-Pompiers de St-Germain, du Pecq, de Croissy et de Chatou assistèrent aux manifestations de la bénédiction de la première pierre. Les Pompiers de Chatou, présentant armes, assistèrent à la cérémonie religieuse et à l'arrivée de Monseigneur Mabile, évêque de Versailles. Celui-ci célébra une messe magnifique, accompagnée de musiques de Rossini, d'Alfred Adam et de Jean-Sébastien Bach, dans un concert de hautbois et de harpes. La pierre bénite, n'attendait plus que la nature et les plans de construction, car le concours d'architectes ne sera ouvert que le 15 novembre 1862 ! [1]

bénédiction de la première pierre

20 juillet 1862,
Bénédiction de la première pierre
de la future église du Vésinet
en présence de Monseigneur Mabile,
évêque de Versailles
.

Collection SHV

La bénédiction de la première pierre de l'église par l'évêque de Versailles avait ouvert les festivités. Le programme du dimanche 20 juillet se poursuivit par un concert à 14 heures dans le parc. L'après-midi fut animé par la fête foraine et des représentations théâtrales en plein air. Les illuminations féeriques entamèrent la soirée à 20 heures; le grand feu d'artifice fut tiré à partir de la pelouse des Concerts et enfin pour terminer, un bal fut donné sous la tente nomade de M. Choteau, montée sur la place du marché.

C'est le style éclectique proposé par Louis-Auguste Boileau, vainqueur du concours, avec l'emploi du fer et de la fonte, conjointement au "béton aggloméré" du système Coignet, qui devait conduire à l'édification d'une église moderne, et confirmer les élans saint-simoniens de la Société Pallu. L'année 1865 vit l'achèvement de l'édifice. Alors qu'elle n'était pas encore livrée au culte, l'église reçut sa cloche, baptisée le 14 mai 1865, au cours d'une cérémonie "intime". Seuls les propriétaires et les habitants, déjà fort nombreux, en furent avertis. La cloche, réalisée par la maison Dutot & Jérome, 51bis, cours de Vincennes à Paris, a été fondue à Saint-Etienne. Elle pèse 360 kg et donne un son grave, sonore et vibrant. Elle a pour nom, Marie-Marguerite et porte l'inscription suivante :

"LUGEO DEFUNCTOS, NATOS CANO, CONVOCO PLEBEM, NUNTIO FESTIA, PIA VOCE CELEBRO DEUM"

“mes fonctions sont de pleurer les défunts, de chanter les naissances, de réunir le peuple des fidèles,
d'annoncer les fêtes et de louer Dieu par les pieuses harmonies”.
[2]

Pour sa fabrication, les fondeurs de Dutot & Jérome, ont adopté le système de la société prussienne Bochum qui emploie sans autre alliage l'acier fondu, remplaçant avec succès et grande économie, le bronze jusqu'alors en usage. Une autre particularité novatrice, peu connue, de l'église du Vésinet.
La cérémonie est suivie par 400 à 500 personnes et clôturée par une large distribution de dragées à tous les enfants présents. Les prières sont dites par l'abbé Maret, vicaire de Bougival.

Ossature métallique conçue par Louis Auguste Boileau

Système de voûtes avec ossature de métal
(fonte et fer) de Louis Auguste Boileau,
utilisé dans la construction de l'église
Ste-Marguerite du Vésinet.

École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1863.

Enfin, le dimanche 2 juillet 1865, a lieu la fête très attendue : la consécration et l'inauguration de la nouvelle église. La cérémonie commence à 7 heures du matin avec l'arrivée des reliques. Elles sont portées sur les épaules par des lévites "dans une châsse recouverte d'un voile d'azur constellé d'étoiles d'argent". Le cortège accomplit le tour de l'église, avant d'y rentrer. Les reliques sont placées à la base du nouvel autel. On laisse entrer la foule pour la messe de 9h30. On compte à peu près 1800 personnes. Les dames s'assoient dans la nef; les hommes se tiennent debout dans les bas-côtés, les autorités et la famille Pallu, ainsi que les invités de marque, s'installent sur les banquettes dans le haut du chœur. Les artistes, venus pour chanter, et les familles des entrepreneurs de l'église prennent place dans la tribune de l'orgue. La messe est dite par l'abbé Maret, de Bougival. Jean-Baptiste Léon Maret vient d'être nommé curé de la nouvelle paroisse du Vésinet par Monseigneur Mabile, qui préside la célébration. Alphonse Pallu intervient pour prononcer un discours en présence de l'évêque.
La grand'messe se termine vers 11 heures. L'église restera ouverte toute la journée à la visite des fidèles. Les gens vont au restaurant ou rentrent chez eux, en attendant la suite des festivités de la journée. En effet, le grand concert débute à 15 heures, alors que la fête foraine bat son plein sur la place du Marché. Le soir, la cloche et les carillons tintent pour la première fois.

Vers la formation d'une nouvelle paroisse

Depuis l'inauguration de l'église, concerts religieux et célébrations se succèdent comme autant d'événements mondains.
Le 15 novembre 1865, on célèbre pour la première fois une grand'messe en faveur des sinistrés de la Guadeloupe en présence de l'évêque de Basse-Terre Monseigneur Boutonnet, qui loge au presbytère. La quête auprès des habitants du Vésinet rapportera de l'ordre de 200 frs destinés aux victimes de l'ouragan qui a ravagé la Guadeloupe le 6 septembre.

Deux jours après, l'abbé Léon Maret, l'architecte Boileau et les cinq membres de la commission administrative de la paroisse, élus lors de l'Assemblée générale des habitants du Vésinet, tenue le 27 août 1865 (MM. Pallu, Moncharville, Derignières, Malpas et Piat) scellent la seule pierre faisant partie de la construction (celle qui fut bénie en juillet 1862), en présence de Mme Pallu et ses enfants, des demoiselles de la confrérie de la Vierge, présidée par Mlle Gabrielle Moncharville, fille de Jean Moncharville. [3]

Au début de l'année 1866, à l'instigation de l'écrivain Galoppe d'Onquaire, l'Empereur fera don à l'église du Vésinet d'une série de tableaux à l'huile, constituant un "Chemin de Croix", exécutés dans les ateliers de la maison Alcan. Ce Chemin de Croix par le peintre parisien Alcan, fut offert par Napoleon III entre 1864 et 1869 à plusieurs paroisses, dans toute la France. Par la suite, Alcan se fit une spécialité dans l'édition de Chemins de Croix sous forme de peintures copiées d'après Victor-Casimir Zier (peintre hongrois) ou de lithographies de Léon Mauduison s'en inspirant.

L'inauguration du nouveau presbytère derrière l'église, donne lieu, elle aussi à une cérémonie, le jour de la Pentecôte de l'année 1866. Revêtu des ornements des beaux jours, précédé de la croix de la Rédemption, suivi de jeunes filles vêtues de blanc et de nombreux fidèles, l'abbé Maret quitte l'église pour se diriger vers le presbytère, où la foule se presse dans le jardin. "Flanqué d'une tour, le bâtiment s'inspire de l'architecture du XIVème siècle, que l'art et le progrès modernes tentent d'imiter dans le perfectionnement". Après le discours du curé, le cortège traversera la place du futur marché pour assister à la cérémonie d'inauguration de la première école.[4]
Le dimanche 3 juin 1866, on célèbre la fête du Saint-Sacrement. Un itinéraire religieux est parcouru pour installer trois reposoirs : - un au village, sur la route de Chatou, face à la maison en forme de demi-cercle, occupée par un pensionnat, - un autre sur le kiosque du concert dans le centre de l'île du Grand-Lac, au milieu du jardin anglais, - un troisième sur la place du marché dans l'axe de la rue conduisant à l'église, rue du village du Vésinet (aujourd'hui rue Thiers, entre le marché et l'église).

Une nouvelle paroisse contestée

Avant qu'un décret impérial ne l'institue officiellement, la formation de la nouvelle paroisse du Vésinet suscitait quelques remous. La Société Pallu avait annexé à sa propriété de l'ancienne forêt une portion de la commune du Pecq comprise entre le nouveau parc et la Seine. En juin 1865, 300 propriétaires alpicois de la rive droite rédigèrent une lettre de pétition adressée au préfet de la Seine-et-Oise, protestant "contre la mutilation arbitraire de la paroisse du Pecq par la compagnie Pallu". Ils évoquaient les conséquences néfastes qu'entraînait le partage : "réduction des ressources communales déjà trop minimes", et surtout, "allongement abusif des itinéraires rituels". En effet, l'église du Pecq est située à 1 km du Rond-Point, à proximité de la mairie, alors que celle du Vésinet est à 2 km plus à l'Est. Ainsi, le parcours d'un mariage passerait de 2 à 6 km, avec deux franchissements de la Seine, à savoir, 1 km pour se rendre à la mairie du Pecq, 3 km pour rejoindre l'église du Vésinet à l'opposé, 2 km pour revenir au foyer.
Concernant le cortège funèbre, on évaluait l'itinéraire à 5 km de transport du corps (à bras), depuis l'habitation au cimetière du Pecq, en faisant un grand écart par l'église du Vésinet. Les pétitionnaires reprochaient à la Compagnie de vouloir trop vite rendre prospère son entreprise, en imposant les limites et usant de son influence aux dépens du voisinage. Ils mettaient l'accent sur les intérêts divergents des actionnaires et des propriétaires de villégiatures qui profitent de la situation et négligent les intérêts des résidents sédentaires. C'est là l'amorce d'une lutte qui va se poursuivre entre les habitants « nomades » du Vésinet et ceux « sédentaires » depuis plusieurs générations dans des communes avoisinantes.
La plupart des résidents de la rive droite de la Seine, des Alpicois, soutiennent que la population de la colonie est insuffisante pour ériger une nouvelle paroisse. Ils proposent tout au plus une chapelle dépendante dans la section communale, afin de ne plus perturber leurs habitudes : "Qu'on nous laisse notre Eglise, avec notre cimetière, tant que nous avons notre mairie, et tant que notre territoire fera partie du Pecq"
[extrait de la lettre du 19 juin 1865].
A la lettre de pétition, la réponse préfectorale, en date du 30 juin, est péremptoire : "Les pièces relatives au projet d'érection en succursale de l'Eglise du Vésinet ont été adressées à Mr le Ministre des Cultes le 11 avril dernier. Je ne puis conséquemment donner aucune suite à la réclamation que vous m'avez adressée contre ce projet le 19 juin courant".
L'affaire fait aussi grand bruit à Croissy, où l'on s'inquiète de voir s'installer une église concurrente [5]. Les croissillons ne disposent alors que de leur ancienne église [Saint Martin] devenue trop exiguë. Ils envisageraient volontiers d'en bâtir une nouvelle. Mais comment faire prévaloir un tel projet et obtenir des fonds si une paroisse nouvelle s'installe à proximité ? Aussi, les élus et la population vont-ils tenter d'éviter puis de retarder l'institution de la paroisse Sainte-Marguerite.
Dès le 22 janvier 1865, le Maire Nicolas Paul Marquet et le Conseil Municipal de Croissy adressaient au Préfet un refus catégorique à la "pétition de MM. Pallu et Compagnie, tendant à ériger en paroisse l'église qu'ils viennent de construire au Vésinet". La prétention "d'englober dans l'enceinte de leur paroisse une partie notoire de ce territoire
[de Croissy]" est jugée exorbitante. Le Conseil "proteste donc contre tout empiétement, toute mesure qui aurait pour effet de retirer une partie quelconque de ce territoire" et il estime que "au point de vue de l'utilité de la paroisse demandée [...] la seule population fixe qu'on veut joindre à cette paroisse et qui fait partie de la commune de Croissy est celle de I'Asile Impérial, que cet Asile étant desservi par une chapelle spéciale ne peut en aucun cas militer en faveur de la pétition". Enfin il fait valoir "qu‘il n'existe qu'un très petit nombre d'habitations même dans la partie du territoire de Croissy faisant partie de la spéculation du Vésinet, que ces habitations ne contiennent d'ailleurs aucune population fixe mais une population flottante et mobile habitant seulement pendant les mois d'été", argument déjà invoqué par les Alpicois.

Un an plus tard, le 21 juillet 1866, l'Empereur décrètera néanmoins l'institution de la nouvelle paroisse du Vésinet avec un plan indiquant les limites de la nouvelle paroisse. [6]
En désespoir de cause les pétitionnaires lui demanderont de la limiter aux bornes de la propriété vendue naguère par l'État à la Société Pallu. Le Conseil municipal du Pecq délibérant le 4 septembre 1866, exigeait de Pallu "la restitution de la partie non incluse de la propriété du Vésinet".


Le plan annexé au décret impérial, englobant la Faisanderie de Chatou (en bas).

Il semble qu'une négociation ait eu lieu car l'évêque de Versailles, dans son ordonnance du 12 mars 1867 énonçait en 7 articles les mesures d'application du décret, dont le périmètre de la nouvelle paroisse. Or, le plan annexé à l'ordonnance est différent de celui du décrêt. Le point de discorde portait sur la Faisanderie, englobée dans le périmétre de la paroisse du Vésinet selon le décret impérial, mais finalement rendu à Chatou. [7]

Nef de l'église en 1880

Nef de l'église Ste Marguerite et la galerie des orgues.
On remarque la chaire et les grandes peintures, de part et d'autre du portail,
dons la famille Couverchel en 1865.

Carte postale shv.

Au centre de toutes les célébrations liturgiques, l'abbé Léon Maret. Son ministère au Vésinet, qui s'était ouvert dans la liesse, le faste et l'allégresse, devait s'achever quatorze ans plus tard dans un terrible scandale qui fit les choux gras de la presse et la joie des amateurs de chansons grivoises. En 1879, il fut accusé de subornation de mineures et au terme d'une affaire qui fit grand bruit, il fut condamné à dix ans de réclusion.

    Sources & notes:

    [1] Nilles, M. — La genèse d'une cité-jardin, Le Vésinet 1857-1866; mémoire de Maîtrise, Université Paris I, 1989.

    [2] L'Industriel de St-Germain, 20 mai 1865.

    [3] Jean Moncharville fut nommé administrateur provisoire de la nouvelle commune en 1875. Il était propriétaire de la grande villa à l'angle de la route de la Faisanderie et du boulevard de Ceinture RD, actuel boulevard des États-Unis, qui abritera la Kommandantur, durant l'Occupation].

    [4] Le chalet restaurant de la Station du Pecq, démonté et reconstruit au 5, rue du Marché (voir ici).

    [5] La Mémoire de Croissy, Supplément au bulletin 2006, recherches.

    [6] Archives diocésaines, Versailles.

    [7] Le quartier dit de la Faisanderie, à Chatou, avait été mis en lotissement en même temps que le parc du Vésinet mais n'appartenait pas à la Compagnie Pallu & Cie.


Société d'Histoire du Vésinet, 2007-2015 - www.histoire-vesinet.org