J.P. Debeaupuis : A propos du roman de T. Montoriol, Le roi chocolat, éditions Gaïa, Paris, 2018.

Le Vésinet et le roi chocolat

    Victor, journaliste, part en Amérique latine en 1910 inaugurer un opéra. Mêlé à la révolution mexicaine et aux trafics d'armes, il trouve refuge auprès des derniers Aztèques. Horrifié par les sauterelles grillées ou iguanes farcis dont on croit l'honorer, il survit à l'aide d'un breuvage miraculeux à base de sucre, de banane et du cacao hérité du dieu Quetzacoatl. De retour à Paris, bravant une malédiction, il joue à l'alchimiste pour réinventer la recette sacrée et la faire découvrir à ses enfants, au voisinage, puis à la France entière, jusqu'aux tranchées de la Grande Guerre. Le Banania est né. Écrit à partir des carnets de reportage de son inventeur, voici l'histoire vraie d'une aventure à peine croyable qui nous emmène à travers trois continents, deux civilisations et le Paris des Années folles.

C'est ainsi que sur la 4e de couverture, est présenté ce roman d'aventure tiré de la vie de Pierre Lardet, devenu Vésigondin après avoir découvert le Banania, auquel la SHV a consacré une notice en 2016. Thierry Montoriol, arrière-petit-fils du héros de cette vie rocambolesque, a souhaité en faire un roman. En rassemblant les informations éparpillées qui nous ont servi à composer notre notice, puis une biographie succincte, nous avions bien eu conscience qu'il y avait matière à un tel roman.

Né en 1957, navigateur et journaliste, Thierry Montoriol s'est déjà confronté à l'exercice en publiant d'autres romans, L'oiseau de Guerre (2005), Sangs mêlés (2013) et surtout Le baiser de la Tortue (2016). Son éditeur nous informe que « Grand reporter du magazine Bateaux, il a également collaboré à l'hebdomadaire Le Point ainsi qu'au journal Le Parisien. Lorsqu'il n'est pas en reportage, il se partage entre Paris, l'île aux Moines et le reste du monde. Son précédent roman, Le baiser de la tortue, a été finaliste du prix Gens de Mer — Étonnants Voyageurs, et a reçu le prix Ar Mor de la ville de Vannes ainsi que le prix du Cercle de la Mer.»

L'auteur d'un roman a bien le droit de prendre des libertés avec la réalité historique, mais les biographes de Pierre Lardet, Vésigondin célèbre et quelque peu oublié, ont été curieux d'apprendre de ce livre quelques bribes propres à compléter ce qu'ils savaient déjà. L'auteur ayant écrit son ouvrage « à partir des carnets de reportage de son inventeur », il revendique une « histoire vraie d'une aventure à peine croyable qui nous emmène à travers trois continents, deux civilisations et le Paris des Années folles. »
Première surprise, le héros est désigné tout au long de l'ouvrage sous le seul prénom de Victor. C'est même un parti-pris difficile pour l'auteur de n'utiliser quasiment jamais une autre forme excepté lorsque le héros se présente, à la page 18 : Pierre Victor Lardet reporter à la Libre Parole.
Précisons que l'identité de Pierre Lardet est bien établie grâce aux actes d'état civil, enrichis de mentions marginales, qui jalonnent son existence.
Pierre François Lardet est né à Mâcon (Saône-et-Loire) le 7 mai 1872. Son père, papetier, se prénomme ... Victor Jean-Baptiste. Erreur de lecture ou license créative ? Les lecteurs apprécieront.

Il faut attendre le troisième tiers de l'ouvrage pour que l'action nous amène au Vésinet. Au détour d'une anecdote, on nous apprend l'origine de la maison du 7 avenue Villebois-Mareuil où la belle-mère de Pierre Lardet a vécu et élevé sa fille Blanche. Henriette Fillion, ancienne artiste, reçut ce pavillon de son amant, père de Blanche, qui n'aurait été autre que Charles Garnier, l'architecte de l'Opéra de Paris qui l'aimait passionnément. Nous joignons donc au dossier de cette maison de caractère cette information romantique et culturelle.
Blanche Fillion, épouse Lardet, aurait eu vent du désir des propriétaires de La Louisiane de la mettre en location durant une assez longue période, devant partir à l'étranger. Après avoir envisagé de la louer, notre héros aurait acheté la villa, prenant conscience que l'industrie du Banania l'enrichissait plus vite que prévu.
L'auteur écrit : « Que la somptueuse demeure ait appartenu, avant Sophie [l'ancienne propriétaire], à la famille Couve de Murville lui [Victor]donnait le sentiment d'entrer sans effraction dans le monde des grands. » Cette remarque est un anachronisme ! Certes, comme nous l'avons signalé dans notre biographie, le premier propriétaire de la maison, Christian Caesar, fut le grand-père de Maurice Couve de Murville. Mais la renommée du petit-fils n'a rejailli que beaucoup plus tard sur celle de l'aïeul ! Le nom même de Couve de Murville n'existait pas alors, le patronyme de Murville n'étant ajouté par voie de justice que le 15 mai 1953.

Sur Le Vésinet proprement dit, peu d'informations sinon cette description: « Trente hectares de pelouses et de bois abritant cinq lacs artificiels, parcourus par quarante-cinq kilomètres de rivières créées de toutes pièces, n'aboutissant nulle part mais dessinant de charmants méandres autour de somptueuses propriétés. » Quarante-cinq kilomètres de petites rivières ! voici une estimation bien excessive pour un membre de la Société de Géographie !
Une réflexion peu amène sur l'épouse du maire, Camille Saulnier, « à qui personne n'aurait eu la cruauté d'offrir un miroir », et le récit de la renaissance du Casino des Ibis qu'on lira avec plaisir et curiosité teintée de circonspection. Car les raisons de douter de la réalité des faits énoncés ne manquent pas. En effet, on peut lire :

    « C'était un peu avant que ne soit tiré le feu d'artifice clôturant l'inauguration du casino des Ibis. Oui, à ce moment peut-être, même au milieu de l'euphorie générale, j'aurais pu m'inquiéter du poids de cette phrase étrange. Je me souviens. J'étais devant le nouveau tapis de la roulette. Des rouges, des noirs, des chiffres pairs et impairs, des passe et manque. »

Or, rappelons que le Casino des Ibis n'a jamais été un établissement de jeu, contrairement à ce que suggère son nom.
Même l'histoire familiale est traitée avec approximation. L'auteur préfère réserver à Blanche Lardet, fidèle épouse du héros, une mort romantique et prématurée laissant Victor inconsolable ...

    « Blanche est morte hier. Emportée par le typhus. Je la ferai enterrer dans un caveau de famille que j'avais fait construire il y a douze ans [...] Je regrette tellement de ne pas lui avoir donné l'existence qu'elle aurait dû vivre. De ne pas avoir répondu à tous les sacrifices auxquels elle a consenti. Elle est morte dans un dénuement proche de la misère après avoir reçu à sa table les plus brillantes personnalités de Paris. Ce serait dérisoire et pathétique si elle n'avait pas, jusqu'au dernier instant, montré cette force d'âme qui éclairait son visage malgré les traces de la maladie. Elle est morte en souriant. Ses yeux ne m'ont pas quitté, pleins d'amour, teintés d'une incompréhensible gratitude. »

Dans la vraie vie, elle lui aura survécu plus de dix ans. Elle est morte à Paris (17e) le 23 juin 1956.


Société d'Histoire du Vésinet, 2019• www.histoire-vesinet.org