Le Journal des Lettres et des Arts, 26 août 1941 [illustration SHV]

Le souvenir de Guillaume Apollinaire

Voici venu le 23e anniversaire de la mort du poète Guillaume Apollinaire, gravement blessé pendant l’autre guerre et qui mourut — ô ironie du destin ! — de la grippe espagnole le 9 novembre 1918, avant-veille de l'armistice. Il avait 38 ans.
Dans son Anthologie, récemment parue, Marcel Arland, sans contester les dons de poète de l’auteur d'Alcools, émet des doutes sur sa sincérité. Formulée de son vivant, cette critique eût chagriné Apollinaire. Avec quelle véhémence, traité de mystificateur à cause de son enthousiasme pour la peinture cubiste, il s’en défendit, en même temps qu’il défendit les peintres de cette école. Ceux-ci, il faut le dire, ne firent pas preuve à son égard d'une gratitude exagérée.
Au cinquième anniversaire de sa mort, un seul de ceux qu'il avait encouragés et soutenus vint s’incliner sur sa tombe, au cimetière du Père-Lachaise. Il est vrai que c'était un homme de haute classe : Picasso, et que sa présence compensait largement l’absence de trop de barbouilleurs oublieux ... et, au surplus, oubliés.

Apollinaire soldat dessiné par Picasso (1914).

Exposition, Paris, Bibliothèque nationale, 22 octobre-30 novembre 1969 (catalogue)

Apollinaire n'eût, certes, pas marqué tant d’indifférence à un camarade disparu. Il avait le culte de l'amitié et quand, le précédant de peu, le charmant poète René Dalize tomba au champ d’honneur, son chagrin fut immense.
Au doux temps de la paix, n’est-ce pas parce qu'il avait beaucoup d’amis, qu'il quitta sa jolie demeure du Vésinet.
Il manquait chaque nuit, comme il le disait drôlement, « tous les trains », retenu dans un bar anglais de la rue d'Amsterdam par des causeries sans fin sur l’art et la littérature. Il alla habiter tour à tour rue Gros, rue La Fontaine, puis, enfin, boulevard Saint-Germain, où il devait rendre son dernier soupir.

Partout, sa maison fut accueillante aux amis. N’avait-il pas écrit dans Le Bestiaire :

      Je souhaite dans ma maison

      Une femme ayant sa raison,

      Un chat passant parmi les choses,

      Des amis en toute saison,

      Sans lesquels je ne peux pas vivre.

C'est le culte de l'amitié, au reste, qui lui avait valu, en 1911, une sinistre aventure. Il fut arrêté pour avoir donné asile à un faussaire. Sombre histoire !
De longs jours s'écoulèrent avant qu’il pût se disculper établir une innocence dont ceux qui le connaissaient n'avaient pu douter un seul instant.
A l’instar d'Oscar Wilde, auteur de l'admirable Ballade de Reading, la prison l’inspira. Son malheur immérité l'avait meurtri, et c'est avec tristesse qu’il chantait du fond de son cachot à la Santé :

      Avant d'entrer dans ma cellule,

      Il a fallu me mettre nu,

      Et quelle voix sinistre ulule :

      Guillaume, qu es-tu devenu !

Que fût devenu Guillaume, le cher Guillaume Apollinaire, si la Mort ne l’avait emporté prématurément ? Il aurait aujourd’hui près de soixante ans. Son lyrisme brûlant n’était pas de ceux qui s'éteignent au souffle tentateur des invites officielles aux honneurs. Du moins veut-on le croire pour que demeure, pareille à elle-même, la fière et belle image du pauvre et grand poète assassiné ».

    Le Reporter

    [Le lecteur pourra rechercher les points communs avec l'article de Fred Robida paru dans le Bulletin municipal, n°23, décembre 1972, sous le titre même titre] [ici]


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