D'après l'article de Fred Robida paru dans le Bulletin
municipal, n°23, décembre 1972, sous le titre Le Souvenir de Guillaume Apollinaire [voir note 5]
La maison de Guillaume
Apollinaire, au Vésinet
On s'est plu souvent à
dénombrer les personnalités du monde des arts et
des
lettres ayant habité plus ou moins longtemps au
Vésinet,
sans d'ailleurs, sauf exception, s'intéresser plus
particulièrement au caractère exceptionnel de la
localité, sans doute trop bourgeoise à leurs
yeux, qu'il
s'agisse des écrivains Gérard Bauer, Alain, Pierre Hamp et Julien Green, des musiciens Gabriel Fauré et Cécile
Chaminade, des artistes Utrillo, Vlaminck ou mon père Albert
Robida. Il ne me semble pas que l'on ait jamais cité
Guillaume
Apollinaire [1].
Il a fallu que me tombe sous les yeux, tout récemment, le
fac
simile de l'enveloppe d'une lettre à lui
adressée
par son ami Picasso pour que j'apprenne que le poète,
contesté et contestable, qui s'est fait connaître
à Paris
aux premières années du XXe siècle,
avait
résidé, de 1904 à 1907, au
Vésinet, 8
boulevard Carnot.
Né à Rome en mai 1880, Guillaume Apollinaire
avait alors
vingt-quatre ans. En fait, il était
hébergé par sa
mère, la pseudo comtesse polonaise de Kostrowitzky, qui
avait
loué au début de l'été 1904
une villa
appartenant à un artiste lyrique, Charles-André
Royer, et
y vivait avec son ami du moment, Jules Weil, employé
à la
Banque de l'Ouest, place du Havre, face à la gare St-Lazare
et
son plus jeune fils, Albert, né, lui aussi, à
Rome.
Étranger à la vie des lettres, ce jeune homme devait
s'embarquer
en 1912 pour le Mexique où, sans avoir fait parler de lui,
il
mourrait du typhus, quelques mois après son frère
Guillaume et leur mère. La location de la villa du 8
boulevard
Carnot était faite au nom de celle-ci qui, sauf erreur, y
vécut jusqu'à sa mort en 1919 [2].

La
maison où vécut Guillaume Apollinaire, de 1904 à 1907. (aujourd'hui disparue)
(cliché décembre 1989) |

Carte postale adressée à Guillaume Apollinaire
par son ami Pablo Picasso en 1907. [3]
|
"Au Vésinet,
écrit Pierre-Marcel Adéma, Mme
de Kostrowitzky donna toute la mesure de son original
caractère
et de ses humeurs fantasques. La villa qu'elle occupe est spacieuse,
deux étages, atelier vitré, terrasse sur le
boulevard,
vastes communs, parc garni de beaux arbres, avec un bassin
surmonté d'un petit pont rustique. Bientôt, elle
fera
combler le bassin, brûler le ponceau dans le
calorifère,
abattre un grand chêne dont elle trouva l'ombre excessive,
envoyant promener le propriétaire qui s'est permis quelques
observations". Il s'agit d'une
construction brique et pierre assez
soignée, à peu près
abandonnée aujourd'hui
semble-t-il, cernée par des pavillons
élevés plus
récemment aux dépens de son parc,
réduit, en
façade, à quelques mètres. Plus de
soixante ans
ont passé et s'il leur était donné de
revivre, ni
le propriétaire ni l'irascible locataire ne s'y
retrouveraient. [4]

|
 |
Retournons donc en arrière.
"Selon son état de
fortune, le couple engage une domestique
ou la renvoie, à moins que les subits emportements,
facilement
suivis de voies de fait de Mme de K. ne provoquent le départ
prématuré de la servante. Si le
caractère paisible
de son frère s'accommode de l'humeur de leur mère,
Guillaume ne réagit pas de même et,
déjà
très indépendant, il ne séjourne au
Vésinet
que le strict nécessaire. En semaine, il ne s'y rend que le
soir
fort tard s'il n'a pas trouvé asile chez l'un ou l'autre de
ses
amis. Le dimanche, il s'échappe vers la campagne
environnante..."
La campagne environnante, c'est la boucle de la Seine, le pont de
Chatou, la Grenouillère, rendez-vous de peintres et de
canotiers. Joyeux compagnon, le jeune Guillaume s'y fait des amis,
lesquels ont nom André Derain et Maurice de Vlaminck.
D'autre
part, ses allées et venues ferroviaires du
Vésinet
à Paris lui valent (la fréquentation des
cafés des
environs de la gare St-Lazare lui plaisant davantage que celle des
salles d'attente) de faire la connaissance de Pablo Picasso et de
l'écrivain Max Jacob (selon celui de ses biographes
à qui
nous devons ces indications, il aurait même perdu dans le
train
le manuscrit d'un de ses premiers récits).
On peut en toute certitude affirmer que c'est grâce
à son
séjour au Vésinet que ce fils naturel d'une
aventurière russo-polonaise et d'un brillant militaire
italien
qui ne l'a pas reconnu, a vu sa carrière
littéraire
prendre son orientation définitive, orientation dont
Montmartre
d'abord, Montparnasse ensuite confirmeront le caractère
ultra
fantaisiste.
Ce n'est ici ni le lieu d'évoquer la vie tumultueuse de
l'écrivain, ni ses amours, ni son œuvre,
marquée, que ce
soit en matière de poésie ou de critique d'art,
du
constant souci de rester à l'avant-garde. Pour le faire
utilement, il faudrait citer tous les écrivains, tous les
artistes de sa génération qui tous, à
un titre
quelconque, témoigneraient de ce qu'il fut, en tant qu'homme
de
lettres. Il est permis d'ailleurs de ne pas aimer ses vers et de ne pas
partager ses admirations. Il convient toutefois de rappeler que c'est
la guerre de 1914-18, à laquelle ce "sans patrie" avait tenu
à prendre part après avoir obtenu la
nationalité
française, qui mit fin à sa vie et à
son œuvre.
Mal remis d'une grave blessure à la tête
reçue en
mars 1916, le lieutenant d'infanterie Guillaume Apollinaire mourut le 9
novembre 1918, deux jours avant l'armistice, alors que ses conceptions
littéraires paraissaient évoluer vers les formes
plus
classiques. S'il avait survécu, peut-être, comme
certains
de ses compagnons, tel Jean Cocteau, serait-il entré
à
l'Académie Française ![5]
****
Notes SHV :
[1] La maison est brièvement entrevue dans un téléfilm réalisé en 1960 par Jean-Marie Drot, "A la recherche de Guillaume Apollinaire" dans la série L'art et les hommes. (29/05/1960 - 45 min). Repris par la suite dans plusieurs émissions TV, ce document est disponible à l'INA.
[2] La mère d'Apollinaire quittera le Vésinet en 1912 pour s'installer
à Chatou, au 10 villa Lambert, jusqu'à sa mort, le 7 mars 1919. Elle est inhumée au Cimetière (des Landes) de Chatou dans le tombeau de son compagnon Jules Weil dont le nom seul figure sur la tombe.
[3] On connaît une cinquantaine de lettres ou cartes de Picasso à Apollinaire, entre 1905 et 1916, dont beaucoup sont illustrées.
[4] La toiture se dégradant au point de faire tomber par grand vent des ardoises et autres matériaux sur le trottoir, la maison a dû être démolie en 1994.
[5] Au vu de cette dernière remarque, on ne peut s'empêcher de faire le lien avec un autre article, intitulé Le Souvenir de Guillaume Apollinaire, paru 30 ans plus tôt dans le Journal des Lettres et des Arts, sous la plume anonyme d'un certain "Reporter". La fugace allusion à sa "jolie maison du Vésinet", justifie que ce texte figure dans nos pages. [Ici].
|