Jean-Paul Debeaupuis, Société d'Histoire du Vésinet, 2009.

MM. Chameroy, inventeurs

Edme-Augustin Chameroy [~1790-1868]

En 1830, Edme Chameroy dirigeait une manufacture d'instruments de musique à Paris. Il produisait des harmonicas à bouche et commercialisait les premiers harmonicas à clavier (accordéons). En 1836, il pris une série de brevets dans le but de construire des orgues expressifs. Il habitait au 136 rue du Faubourg St-Martin ; l'atelier était installé au installé 68, rue des fossés-St-Martin [actuelle rue René Boulanger], non loin de là. Mais quelques mois plus tard, en 1837, il prend de nouveaux brevets concernant les tuyaux bitumés, puis il vend son atelier d'instruments de musique et ses brevets à Jean-Baptiste Napoléon Fourneaux. Dans le même temps, il fait construire une usine.

M. Chameroy, Edme Augustin, facteur d'instruments de musique, demeurant à Paris, rue du Fg St-Martin, n°136 auquel il a été délivré le 10 janvier dernier [1838] le certificat de sa demande d'un troisième brevet d'invention et de perfectionnement et d'addition au brevet d'invention de dix ans, qu'il a pris le 9 août 1837 pour la fabrication des conduits, tuyaux et corps creux en asphalte, bitume minéral combiné avec diverses substances ligneuses, fibreuses, animales et végétales

Bulletin des Lois, B n°582 (11) 1838. p. 1022

Chameroy fait bâtir la nouvelle usine dans le sud de Paris. Comme il a besoin d'eau, il obtient de la puiser dans la Seine et, pour couvrir les frais de ses installations, il vend de l'eau aux communes voisines d'Issy et de Bagneux. Une délibération du 9 juillet 1837 invoque deux ordonnances royales, l'une du 26 novembre 1836, l'autre du 22 mars 1837, réglant les conditions dans lesquelles le sieur Chameroy est autorisé à fournir la commune de Bagneux de l'eau de Seine prise dans le petit bras d'Issy, entre les îles Panckouke et Seguin.
Une société nouvelle est créée : MM. Chameroy & Cie.

... Un capital d'UN million est divisé en 2 000 actions de 500 frs; lequel sera doublé si l'Assemblée générale le juge utile et alors les actionnaires auront le droit de prendre au pair un nombre d'actions égal a celui dont ils seront propriétaires.
Les actions sont payables par cinquième, dont un en souscrivant et les autres de deux mois en deux mois. La Fabrique est en pleine activité, et sa mise en Actions n'est dictée que par le capital nécessaire aux commandes. S'adresser pour les renseignements à M. Chameroy, gérant, rue du Faubourg-Saint-Martin, n°136, ou à la Fabrique, rue de Chatillon à Paris.

Journal des débats politiques et littéraires, 24 avril 1838.

Chameroy, publicité 1838

Les premiers tuyaux bitumés (ou bituminés) Chameroy sont faits avec des tôles cintrées, rivées, soudées et plombées. A l'intérieur on les enduit avec un vernis composé de bitume et de cire. La surface extérieure de la tôle est ensuite recouverte d'une couche de un à deux centimètres de bitume, qui est retenue par une corde enroulée en hélice sur la tôle même du tuyau. Le but de cette couche de bitume est de préserver la tôle de l'humidité et donner une certaine rigidité aux tuyaux pour faciliter leur manutention. La jonction de ces tuyaux s'obtient, par des bagues coniques fixées aux deux extrémités, l'une à l'intérieur du tuyau et l'autre à l'extérieur. Ces bagues, faites en plomb et étain, sont coniques de manière à entrer à frottement l'une dans l'autre. [Dictionnaire encyclopédique et biographique de l'industrie et des arts industriels , E. O. Lami et A. Tharel; Paris, 1881-1891.]
La production de tuyaux bitumés est un succès. L'entreprise profite de l'essor des canalisations d'eau et de gaz d'éclairage pour conquérir une clientèle nombreuse et se diversifie. Elle propose :

  • Des tuyaux en bitume et asphalte remplaçant ceux de plomb, de fonte et autres pour conduites d'eau et de gaz avec 40 pour 100 d'économie et résistant à des épreuves doubles de celles auxquelles la fonte est soumise ;
  • Corps creux de toutes formes et dimensions remplaçant les fontaines, les cuves, les tunnels sous terre et sous l'eau ;
  • Toitures très légères pouvant être déplacées et replacées sans perte autre que la dépose et la repose.

En 1845, M. Chameroy reçoit de l'Académie des Sciences un prix de 2.500 frs "pour l'industrie qu'il a créée en fabriquant des tuyaux de tôle bituminée pour le gaz-light". Les villes de provinces équipées en tuyaux Chameroy se multiplient (Lyon, Angers, Rouen, Toulouse,...) et le système se généralise au point que le "tuyau chameroy" passe dans le langage courant jusque dans les manuels scolaires. L'avantage de ces tuyaux, reconnu aujourd'hui, aura été l'opportunité offerte de réaliser rapidement de grands réseaux de distribution de gaz, pour un coût raisonnable, même s'il fallut ensuite, au fil des ans, les remplacer par des matériaux plus durables.

Depuis quelques années M. Chameroy fabrique des tuyaux en tôle étamée intérieurement, et recouverte à l'extérieur d'une couche épaisse de mastic bitumineux incrustée de sable; des vis et des écrous en alliage, coulés sur les tuyaux eux-mêmes, servent à les réunir. Ces tuyaux, imperméables, d'une pose facile, sont ainsi mis à l'abri de l'oxydation et exempts de soufflures; outre que leur assemblage plus facile et plus prompt, donne lieu à moins de fuites que les assemblages des tuyaux en fonte. Ces avantages remarquables sont déjà bien appréciés par les fabricants de gaz; d'ailleurs à section égale, les tuyaux bituminés coûtent environ 33 pour 100 moins cher que les tuyaux en fonte. Les tubes en grès ou en verre qu'on peut employer, seulement pour les tuyaux de diamètre moyen, ne présentent d'économie que dans certaines localités."

Le Journal des sçavans ,1845.

Pour l'anecdote, signalons que Monsieur Chameroy avait engagé en 1844 un personnage hors du commun: Louis Gargan. Né en 1818, à Coucy-le-Château, dans la maison, d'un modeste serrurier, il était venu à Paris pour faire son apprentissage dans une usine de constructions mécaniques. Il entra ensuite comme ouvrier, puis comme contremaître, dans les meilleurs ateliers de l'époque, et il suivit, pendant cette période les cours du Conservatoire des Arts et Métiers. En 1844, il devint directeur des ateliers, dans la maison Chameroy. Il y resta dix ans et dès 1847, il prenait le premier des treize brevets d'invention qui témoignent de la fertilité et de l'ingéniosité de son esprit. En 1851, Gargan fit partie de la délégation des trois ouvriers qui furent envoyés à l'exposition universelle de Londres. Il conçut alors l'idée d'avoir des ateliers personnels et de rivaliser avec les constructeurs anglais. Cela le conduira à fonder sa propre entreprise près du village de Livry qui deviendra Livry-Gargan. Bel exemple de promotion sociale, il sera le premier ouvrier fait chevalier de la légion d'honneur.

A la même époque, M. Chameroy, tente d'élargir l'activité de l'entreprise à un nouveau secteur, celui des Chemins de fer.

Le sieur Chameroy (Edme-Augustin) fabricant de tuyaux, demeurant à Paris, rue du Faubourg-Saint-Martin, n°136, auquel a été délivré, le 5 juin dernier [1844] le certificat de sa demande d'un brevet d'addition et de perfectionnement à son brevet d'invention et de perfectionnement de quinze ans, en date du 11 mai précédent, pour des appareils locomoteurs applicables aux chemins de fer et dans toutes les circonstances où il faut employer la traction.

Les trains atmosphériques ont été en vogue mais pâtissent de graves défauts. Chameroy propose un système révolutionnaire, allant jusqu'à en réaliser une portion à ses frais pour en démontrer les avantages.
M. Chameroy place dans le sol, sur le trajet du chemin de fer, entre les deux rails, une conduite en tôle et bitume (T) [fig. ci-dessous], d'un diamètre déterminé, essayée à dix atmosphères. Cette conduite est fermée, c'est-à-dire qu'il n'y a ni ouverture, ni soupapes longitudinales, ni soupape de rentrée; elle est remplie d'air comprimé au moyen de machines fixes à vapeur, hydrauliques ou à vent.

Conduite en tôle bitumée T fermée (sans ouverture, ni soupapes) remplie d'air comprimé.
Embranchements R tous les 50 à 100 mètres environ;venant aboutir au centre de la voie, pour distribuer l'air comprimé. Robinet K, portant le levier gK.

L'autre partie dépasse le niveau du sol. Conduit en tôle très aplati. A l'extrémité supérieure est pratiquée une gorge a au-dessus de laquelle est fixé horizontalement et parallèlement à la voie, un tube cylindrique B, terminé par deux cônes c et c' (fig. 496).

Un des cônes c fermé, l'autre cône c' ouvert par de petits orifices, garniture en cuir. Cette disposition d'embranchement permet l'application de l'air comprimé à la locomotion des convois à l'aide d'un appareil mobile attaché aux wagons.

 

 

Traité élémentaire des Chemins de fer
par Auguste Perdonnet, Tome 2
Langlois & Leclerc, Paris, 1856

Sur ce réservoir immense sont établis des embranchements (R) à des distances de 50 à 100 mètres environ; ces embranchements, qui viennent aboutir au centre de la voie où ils sont solidement fixés, font office de pistons, et servent à distribuer, en temps utile, l'air comprimé.
La partie de ces embranchements qui se trouve dans le sol est munie d'un robinet (K), portant le levier (gK); l'autre partie, qui dépasse le niveau du sol, est composée d'un conduit en tôle très aplati. A l'extrémité supérieure de ce conduit aplati, est pratiquée une gorge (a) au-dessus de laquelle est fixé horizontalement et parallèlement à la voie, un tube cylindrique (B), terminé par deux cônes (c et c') [fig. 496]; l'un de ces cônes (c) est fermé, l'autre cône (c') est ouvert au moyen de plusieurs petits orifices, et porte une garniture en cuir. Cette disposition d'embranchement forme une des parties les plus ingénieuses de cet appareil comme nouveau moyen de transmission de la force des machines fixes; elle permet l'application de l'air comprimé à la locomotion des convois à l'aide d'un appareil mobile attaché aux wagons.
Cet appareil est composé de tubes métalliques, réunis entre eux par des joints flexibles, de manière à ne former qu'un seul tuyau articulé, évasé à ses extrémités, et auquel est pratiquée intérieurement une ouverture longitudinale (aaa); cette ouverture est fermée intérieurement par une lanière en cuir qui fait office de soupape. Libre dans toute sa longueur, cette lanière est maintenue à chaque bout par un bras (X), monté à charnière aux extrémités du tube articulé. A chaque extrémité de ce tube est encore disposée une soupape métallique (b), placée obliquement et manoeuvrant à charnière. Les surfaces supérieures en contact n'exercent l'une sur l'autre qu'une faible pression. Pour compléter le système et pour empêcher que l'air ne puisse pénétrer dans l'intérieur du tube de propulsion, un réservoir formé par deux baguettes horizontales et rempli de graisse, est établi dans toute la longueur; il renferme des ressorts et s'élève de quelques centimètres en contre-haut de la partie supérieure.
Mais, malgré les encouragements enthousiastes de François Arago, le projet ne sera pas réalisé, et l'extrait d'article suivant résume bien l'opinion des autorités:

"Encore un nouveau système de chemin de fer atmosphérique. Cette fois ce n'est plus le piston qui se meut dans le tube où se fait le vide; c'est le tube lui-même, réduit à de petites dimensions, et placé sous le train, qui court à la rencontre de pistons immobiles fixés de distance en distance sur la route. C'est toujours sous l'influence de l'air, soit raréfié, soit comprimé, que s'opère ce mouvement, par un mécanisme que nous n'essaierons pas de décrire ici. Ce nouveau système est de l'invention de M. Chameroy, ingénieur. Nous persistons à nous refuser de croire à l'application sérieuse des chemins de fer atmosphériques, et nous aurions encore de la peine à nous rendre après les avoir vus fonctionner".

Journal des débats politiques et littéraires. 2 octobre 1844.

Cet échec ne freine pas l' expansion de la Société qui ouvre à Lyon une nouvelle usine de production de tuyaux bitumés, où Edme Chameroy fils, ingénieur civil, fera ses premières armes.

Edme Augustin Chameroy fils [1827-1890]

Ingénieur des ponts et chaussées, il succèdera à son père, à la mort de celui-ci en 1868 en qualité de directeur gérant de la Société Chameroy et Cie.
Marié à Claire Flasche, ils ont deux enfants nés à Lyon: Edmond Augustin [1853-1917] et Marguerite [1855-1883], mariée le 23 avril 1879 à Paris, avec Paul Eugène de Singly [1844-1912].
La principale contribution technique de M. Chameroy fils aux activités de l'entreprise concerne les perfectionnements dans l'assemblage de tuyaux de métal en remplaçant les systèmes à vis par des systèmes de joints combinés [plusieurs brevets entre 1850 et 1855] et divers autres sujets: pour un moteur hydraulique (1851), système de construction de chaussées (1851), perfectionnements apportés aux bornes-fontaines (1854), pour de nouveaux composés métalliques (1853):

...Cette invention se rapporte à la production d'un nouveau composé métallique qui est dit posséder les qualités de solidité, de dureté, de facilité de soudure, la fonte à basse température, et le moulage de n'importe quelle forme, tandis que sa nature est particulièrement immuable. Cela est fabriqué par fusion d'une 1 part d'un certain métal fusible facilement dans un chaudron, puis mélange avec 4 parties de métal fusible moins facilement battu en fines particules, et déjà imprégné d'une solution d'ammoniac. Lorsque mélangés, les composés se déversent, et le mélange est alors prêt à l'emploi. (traduction)

Edme-Augustin Chameroy, of Paris, France ; Patent dated January 6, 1853 (n°35)

The Chemist: a monthly Journal of Chemical Philosophy. Vol. 4,. 1852-53

Mais il est surtout un chef d'entreprise qui saura consolider la Société, diversifier sa production et conquérir d'importants marchés, à commencer par la Ville de Paris et sa Compagnie Parisienne dont il est l'un des principaux partenaires.

"La Compagnie parisienne, pour tous ses travaux de canalisation, paraît n'employer que le système de tuyaux en tôle et bitume provenant des usines de la Société Chameroy. La pose de ces tuyaux, qui se fait par emboîtement d'une grande précision, ne nécessite l'emploi d'aucun métal ni de matières étrangères comme pour la pose des tuyaux en fonte de fer. La longueur des tuyaux en tôle et bitume posés depuis 1838 pour l'éclairage de la ville de Paris et de sa banlieue est d'environ 1 million 200,000 mètres (1200 km).

L'invention du robinet intermittent, que l'on doit à son frère Bernard-Hippolyte Chameroy, va apporter, en 1870 de quoi développer un secteur jusque-là limité, celui de la construction métallique et des instruments de précision. Le succès de la Société Chameroy à l'exposition universelle de 1878, avec deux médailles d'or et de nombreuses médailles d'argent, illustre ce remarquable développement.

Premier modèle, 1870
Il se compose essentiellement d'un levier à came LK et deux pistons GE et CB. La came K porte sur la tige du piston GE et force ce piston à descendre, quand on donne à la poignée la position de la figure ci-contre.
Le piston CB appuie sur un ressort Al, qui tend à le pousser de bas en haut; intérieurement, il est traversé dans toute sa hauteur par un tube qu'obture imparfaitement un petit cylindre DZ; celle obturation incomplète s'obtient au moyen d'un léger plat ménagé sur le cylindre dans le sens de sa longueur. Enfin la partie B est cannelée latéralement pour permettre le passage de l'eau.

Robinet à repoussoir Chameroy,
Modèle perfectionné, exposition universelle, 1878.

30 mai 1876. M. Chameroy (représenté par Armengaud jeune, Paris, boulevard de Strasbourg, 23), prend un nouveau brevet (n°113.144) en vue de l'application de l'acier à la fabrication des tuyaux en tôle et bitume ou autres. L'invention a pour but l'emploi des tôles d'acier dans la fabrication des tuyaux et la suppression des tôles de fer et bitume dont on augmente graduellement l'épaisseur, quand la conduite doit supporter des pressions considérables, ce qui élève beaucoup le prix de revient.
Pour parer à cet inconvénient l'inventeur se sert de tôle d'acier qui, à épaisseur égale, offre une bien plus grande résistance que la tôle ordinaire. La tôle d'acier est plombée sur les deux faces par immersion ou autre procédé, puis roulée pour former un tuyau qui est ensuite rivé et soudé dans la longueur. Les tuyaux fabriqués par ce moyen ne donnent qu'une légère augmentation de prix. L'inventeur n'a apporté aucun autre changement à son mode de fabrication. L'épaisseur de la tôle d'acier est calculée en raison de la pression que les conduites doivent supporter. Les joints précis Chameroy et les joints à vis du même constructeur et tous autres joints peuvent s'adapter à ce nouveau système de tuyau. "L'inventeur se réserve le droit de l'application spéciale de l'acier de toute nature en feuille à la fabrication des tuyaux pour conduits d'eau, gaz et tous autres fluides soumis a es pressions élevées".
En 1879, Edme-Augustin Chameroy, grâce à ses bonnes relations avec la ville de Paris, réussit une nouvelle conquête. Après les tuyaux bituminés qui courent sous toutes les rues de la capitale, après le robinet intermittent qui équipe tous les points d'eau publics, voici qu'il place son nouveau produit phare: les balances.

"La Ville de Paris vient de faire installer dans chacune des vingt mairies un bureau de pesage public muni d'une bascule imprimante où chacun peut demander le contrôle du poids d'une marchandise achetée, d'un colis à expédier, etc.; moyennant une faible redevance, l'employé délivra au public un ticket portant le poids obtenu imprimé par la bascule. Ce mode de pesage donne une sécurité entière contre toute erreur; le ticket, poinçonné, est un contrôle certain et indiscutable qui évite toute contestation sur le poids de l'objet. Nos lecteurs parisiens ont certainement déjà remarqué trois de ces bureaux placés sur la voie publique: l'un, rue de Lafayette; un autre, quai de Conti; le troisième, rue de la Bienfaisance; ils possèdent chacun un pont-bascule de la force de 10.000 kilogrammes, pour servir au pesage des voitures. Ces appareils, comme les petites bascules des mairies, donnent le poids imprimé.
Les bascules imprimant le poids, dont l'heureuse idée est due à M. Chameroy, constructeur à Paris, rue d'Allemagne, 147, étaient déjà employées-pour le pesage public aux Halles centrales et au marche aux bestiaux de la Villette, où elles donnent d'excellents résultats. La Ville possède actuellement 10 ponts-bascules et 30 bascules portatives de ce système justement récompensé par la médaille d'or de l'Exposition universelle de 1878.

Le Gaulois, 15 juin 1879 - Numéro 3884.

Bernard-Hippolyte Chameroy [1838-1922]

Autre fils de Edme Chameroy, il est né du mariage de celui-ci avec Marguerite-Françoise-Désirée Goddier (1809-1891).
Ingénieur civil, Hippolyte Chameroy n'est ni un capitaine d'industrie, ni un grand homme d'affaire. Il se définit lui-même comme inventeur. Après ses études, il s'est lancé dans la fabrication de persiennes en tôles mais l'entreprise est mise en faillite après seulement quelques mois et il part pour l'étanger. En Italie d'abord, à Turin, il représente l'affaire familiale. Là, il épouse Augusta Ferdinanda Grosso, qui lui donnera quatre fils dont le premier Jacques François Ferdinand naît à Turin en 1863. Puis il séjourne en Belgique, à Molenbeck-Saint-Jean, près de Bruxelles où nait un second fils, Henry Désiré, en 1871 puis un second, Emile-Ferdinand en 1875. Le dernier Albert Joseph [1878] naîtra en France, à Maisons-Laffitte.
A son retour en France, Hippolyte Chameroy collabore au développement de la Société familiale, dirigée alors par son frère aîné, Edme-Augustin Chameroy. La mise au point du robinet intermittent (perfectionné dans les ateliers Chameroy) et le succès commercial qui s'ensuit contribuent à un nouveau développement de la Société.
Grâce à ses relations privilégiées avec la Compagnie parisienne, la société Chameroy va en écouler des milliers d'exemplaires en quelques semaines. C'est une occasion de développer le secteur de la construction mécanique en ouvrant des ateliers rue d'Allemagne [aujourd'hui le boulevard Jean Jaurès, dans le 19e arrondissement]. La version améliorée recevra une médaille d'or à l'Exposition de 1878.

C'est un robinet économique destiné à la distribution de l'eau dans nos maisons. Il doit permettre de donner l'eau à discrétion et sans contrôle tout en mettant les abonnés dans l'impossibilité de provoquer un écoulement d'eau constant quel qu'il soit. Jusqu'à ce jour, tous les systèmes adoptés, à vis, à clef, à repoussoir, etc., peuvent être calés à volonté; nos ménagères sont là pour l'attester; or la Ville de Paris n'a guère que 450.000 mètres cubes d'eau à dépenser par jour; chaque,robinet, calculé pour fournir 45 litres par personne, peut en débiter 100.000 par le calage; ces chiffres suffisent à donner une idée de la dépense énorme d'eau qui peut se faire chaque jour en pure perte à Paris. Le robinet intermittent automatique pouvait seul obvier à ces graves inconvénients; c'est là l'intérêt tout particulier que présente le système Chameroy. Ce robinet donne de plus, l'eau sous la pression directe des conduites et peut enfin remplacer les compteurs et les jauges sans avoir leurs inconvénients.

Héraud, Secrets de la Science, 1878.

Lorsque treize ans plus tard, Hippolyte Chameroy dépose sa demande de brevet pour une burette de graissage (13 mars 1893), il semble encore lié à la Société Chameroy, puisque la demande de brevet est domiciliée au 196, rue d'Allemagne, son Siège. Mais les extensions pour ce brevet et tous les autres qui suivront seront domiciliés au Vésinet, et Bernard Hippolyte Chameroy se fera assister par un bureau d'ingénieurs-conseils en matière de propriété industrielle (la Société Assi & Genès à Paris, rue du Havre, n° 6).
Ceci ressemble à une rupture.

Burette à graisser

Une burette à graisser à pompe, pouvant graisser dans toutes les positions, caractérisée:
a. par une soupape d'aspiration à bille maintenue par un ressort léger formé par le prolongement du ressort de rappel du piston de manière à maintenir la bille en n'exerçant sur elle qu'une faible pression (fig. 1);
b. par une soupape de refoulement à bille maintenue par un ressort léger, constitué par une languette découpée dans une rondelle en métal élastique (fig. 2 et 3).
Brevets français, 13 mars 1893; suisse: 9 juin 1894; uk 7 août 1894; ...

Entre temps, la Société Chameroy a connu de profonds remaniements. Après le retrait de Edme Chameroy, la Société des Tuyaux Chameroy, toujours basée au 196, rue d'Allemagne, est confiée à Paul de Singly, le gendre (veuf depuis 1883). Une autre entité, comprenant la robinetterie et les instruments de pesage, est dirigée par Edmond-Augustin, le fils, centralien et ancien directeur des usines de Lyon et de Paris. Le siège de cette Société va s'installer un peu plus loin, de l'autre côté de la rue d'Allemagne, au n°147.
Edmond Chameroy va se montrer aussi inventif que ses aînés. Il compte à son actif une trentaine de brevets, en France mais aussi en Italie, en Grande Bretagne, en Belgique, en Allemagne et en Espagne. Ils concernent plus spécialement les instruments de pesage qui constitueront le fleuron de la marque Chameroy.

Edmond-Augustin Chameroy [1853-1917]

Fils d'Edme-Augustin II, il est né à Lyon le 8 novembre 1853. Elève de l'Ecole Centrale des Arts & Manufactures, il en sort ingénieur et rejoint en 1878 l'entreprise familiale, alors dirigée par son père. Il est plus particulièrement chargé de la robinetterie et des instruments de pesage, secteur en forte expansion. Grâce au succès des robinets intermittents, et au lancement de la balance imprimant le poids, elle aussi médaille d'or, se justifie l'agrandissement de l'entreprise. Tandis que le siège de la Société des Tuyaux Chameroy est installé au 196, avenue d'Allemagne, dans le 19e arrondissement, les ateliers de mécanique de precision sont à quelque distance, de l'autre côté de l'avenue, au n°147.
Edmond Chameroy se montre d'abord un ingénieur inventif. Par quelques innovations brillantes dans le domaine des balances (la balance imprimante, et ses déclinaisons) et une vingtaine d'autres brevets pris en France et plusieurs autre pays d'Europe, il contribue à donner un nouvel élan à la Maison Chameroy.

En 1885, il succède à son père à la tête de la Société Chameroy, tandis que son beau-frère, Paul de Singly reste directeur gérant de la Société des Tuyaux Chameroy qui est toujours aussi prospère. La Compagnie parisienne de l'éclairage au gaz de la ville de Paris lui fait exécuter un travail important dans les rues de Paris. Elle fait poser une grosse conduite partant de sa nouvelle usine de Clichy-Asnières pour aboutir place du Théâtre-Français. Cette conduite principale n'a pas moins de un mètre de diamètre sur 6.000 m de longueur. "Pour tous ses travaux, la Compagnie parisienne emploie les tuyaux-Chameroy, en tôle et en bitume, de la Société Chameroy, seul fournisseur de la Compagnie parisienne, qui en possède actuellement 1.700.000 m" affirme le Journal des Débats.

Edmond Chameroy va s'employer à promouvoir son entreprise en s'appuyant sur les applications multiples de sa balance / bascule à impression du poids.
C'est une bascule construite sur le principe des ponts à bascule, mais peu encombrante et dont la portée varie de 500 à 6 000 kilogrammes, suivant les modèles. Le mécanisme proprement dit est logé dans une petite fosse recouverte d'un fort tablier, dont la partie supérieure coïncide avec le plan du sol. Il n'y a d'apparent que la romaine composée, servant à effectuer la pesée (figure ci-dessous).

Bascule Chameroy

On commence par avancer le curseur C supposé au zéro de la graduation, en plaçant le couteau qui en fait partie dans une encoche du fléau F et en passant d'une encoche à la suivante, jusqu'à ce qu'on ait dépassé la position d'équilibre indiquée par les index, puis on recule le curseur C d'une division. On complète alors le poids en déplaçant le verrou curseur V jusqu'à ce qu'il y ait équilibre.

La figure suivante représente le système d'impression sur ticket pour obtenir l'inscription du poids. La bascule n'est pas modifiée extérieurement. L'inventeur a transformé le curseur seul en appareil d'impression. Cette impression est faite en creux sur un bulletin en carton un peu épais, disposé de manière à recevoir successivement deux empreintes, indiquant séparément le poids brut du fardeau et celui de la tare. On relève le tourniquet T pour mettre le fléau au repos, on introduit le ticket dans la fente du curseur C, puis on amène vers soi le levier L, sans secousse. Des chiffres en relief placés sur le fléau viennent alors s'imprimer sur le carton.

Système d'impression du poids Chameroy

Manoeuvre de l'appareil. — Pour opérer, on commence par avancer, comme à l'ordinaire, le curseur C sur le levier A, en l'arrêtant à la division multiple de 100, la plus rapprochée en dessous du poids à constater; puis, pour compléter la pesée, on fait glisser la petite'règle B de gauche à droite jusqu'à ce que l'équilibre s'établisse.

On introduit alors le ticket dans l'ouverture F du curseur et on soulève la manette L, ce qui produit immédiatement sur le carton le poinçonnage des chiffres représentant le poids du fardeau.

Edmond Chameroy est un chef d'entreprise avisé qui aura recours à toutes les méthodes modernes de "réclames". Il multiplie les publicités illustrées dans la presse, et les opérations de prestige (installation gratuite de balances – payantes – dans les lieux publics (par exemple le Jardin du Luxembourg) et les pharmacies, pesage des voitures dans les compétitions automobiles qui vont connaître une vogue croissante à partir de 1890. Et le sponsoring sportif dans les sports nautiques et mécaniques.
Les rapports du jury international de l'Exposition Universelle de 1900 de Paris (Ministère du commerce, de l'industrie des postes et des télégraphes) sont très élogieux pour la Société Chameroy.

Appareils divers de la mécanique générale. p. 37
M. Edmond Chameroy, de Paris, soumettait au Jury une remarquable série d'appareils de pesage et de contrôle, comprenant :

  • Un pont à bascule de la force de 6,000 kilogrammes, à mécanisme de calage et à impression de poids, pour le pesage des voitures;

  • Une bascule à impression sur ruban, pour peser les wagonnets et compter leur passage;

  • Un appareil à double compteur pour l'enregistrement des passages des wagons ou wagonnets circulant dans un sens ou dans un autre sur une voie ferrée;

  • Une bascule à peser le bétail, avec impression de tickets;

  • Une bascule métallique à impression à encre grasse;

  • Une bascule avec romaine à verrou à crémaillère;

  • Des bascules couplées pour le remplissage automatique des bidons, très employées particulièrement dans les raffineries de pétrole;

  • Une bascule simple pour le remplissage automatique des fûts;

  • Des bascules à impression de poids, pour le pesage des personnes;

  • Des bascules de comptoir, enfin, et des balances de divers modèles.


    M. Chameroy et sa bascule (1904)

M. Chameroy exposait également un poulain de chargement ainsi qu'un tricycle ou chariot pour transport de colis ou marchandises, et participait, de plus, à la Section des appareils d'hydraulique, où figuraient ses intéressants robinets et ses bornes-fontaines à suppression de coups de bélier.

  • M. Edmond Chameroy, à Paris: — Poulain de déchargement, et tricycle ou chariot pour transport de colis ou marchandises.

Les deux médailles d'or vaudront à l'industriel la Légion d'honneur.
Plusieurs médailles d'argent récompenseront la branche tuyaux qui a su se recycler et proposer de quoi remplacer avantageusement les vieux tuyaux bituminés dont tout le réseau est à remplacer....

MM. P. De Singly et Cie de Paris, (ancienne Société des tuyaux Chameroy), dont la maison ne fabriquait tout d'abord que les tuyaux Chameroy en tôle et bitume, ont étendu leurs travaux à tout ce qui concerne la tuyauterie en tôle et ses accessoires ; et c'est ainsi qu'ils présentaient :

  • Dans la Classe 2-1 , des tuyaux de tous systèmes pour conduites d'eau et de vapeur ;

  • Et, dans diverses autres classes, des photographies de travaux exécutés, ainsi que des tuyaux et accessoires pour le gaz, les épuisements et irrigations, la puisaterie, la submersion des vignes, le chauffage et la ventilation, les travaux dans les colonies, etc.

    

Jacques François Ferdinand Chameroy [1863-1958]

Fils aîné de Bernard Hippolyte Chameroy et Augusta Grosso, Jacques Chameroy est né à Turin (Italie) le 2 juillet 1863, durant le séjour de son père dans ce pays. Ingénieur des Arts & Manufactures (1885), il montre très vite des dispositions pour la mécanique et la direction d'entreprises. Il sera successivement Chef du Bureau des Etudes de la Compagnie Générale du Gaz pour la France et l'Étranger ; Chef des Services extérieurs de la Compagnie du Gaz de Bucarest (Roumanie) ; Directeur de l'Usine à Gaz de Louviers. Puis il rejoint l'entreprise familiale comme directeur de l'Usine de la Jonchère pour la fabrication de tuyaux métalliques flexibles, puis directeur des usines de Lyon et de Paris de la Société des Tuyaux Chameroy (1893-1905).
Enfin, il accède à la tête de la Société des Tuyaux Chameroy en tant que Directeur-Gérant après le départ de Paul de Singly. Il sera fait chevalier de la Légion d'Honneur pour sa contribution à l'Exposition de 1937, "le Gaz et ses applications".
Le 28 mai 1887, il a épousé à la Mairie du Vésinet, Juliette Reine Foucault, fille du Maire Aimé Foucault
. Son père, partageant les idées radicales de Foucault et son anticléricalisme, se lancera l'année suivante dans la lutte politique, tandis que Jacques poursuivra une brillante carrière d'industriel.

Emile Ferdinand Chameroy [1875-1943]

Troisième fils de Bernard Hippolyte Chameroy et Augusta Grosso, il est né à Molenbeek (Belgique). Ingénieur, il a créé et développé les Etablissements Chameroy au Vésinet. Après avoir collaboré avec son père au perfectionnement de brevets sur les bandages antidérapants de roues, il s'est lancé dans la production et la commercialisation avec son jeune frère Albert (diplômé de l'Institut Commercial de Paris). Entre 1907 et 1911, il a produit plusieurs modèles de voitures automobiles sous la marque Chameroy.
Marié à une anglaise, Helen Stunnel (1905), ils auront une fille, Marie Yvonne, née au Vésinet en 1906.
A partir de 1911, il semble qu'Emile Chameroy, qui habite au 71bis route de Montesson une maison que sa femme tient de ses parents, ait abandonné cette activité de constructeur automobile, devenant représentant de la marque KAP, recensé avec cette fonction jusqu'en 1931. Veuf, il meurt le 7 novembre 1943 à l'Hôpital de St Germain en Laye, toujours domicilié au Vésinet.

 


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