Extraits de Revue des Jardins de France, décembre 1986.

Choulot, l'anti LeNôtre...
... il calquait la nature.

D'après un article de Christian de Fleurieu [1]

"Malgré le génie de Le Nôtre,
ses jardins sont compassés, cérémonieux comme la société de son temps.
On ne peut s'empêcher de regarder les jardins français plutôt comme des abus de l'art,
que comme une création utile au génie".

Crime de Ièse-jardinier ! Qui ose porter ce jugement sur LeNôtre, gloire nationale incontestée, incomparable créateur des jardins qui confèrent aux plus beaux édifices du Grand Siècle leur complément de majesté ? Qui ? Un simple amateur, français de surcroît, que rien ne destinait à se dresser un jour contre son illustre prédécesseur dans l'art des jardins, un certain Paul de Lavenne, connu plus tard sous le nom de Choulot.

L'homme : une double destinée

Il fut un déçu de la politique; né en 1794, grandi sous I'Empire, il ne donna jamais son adhésion au régime, mettant toute sa fougue au service de la cause légitimiste. C'est dire que le jeune homme assiste avec transports au retour du podagre Comte de Provence sur le trône de France et ne lui ménage pas ses services. Le Prince n'est pas ingrat, il fait du jeune Lavenne son garde du corps et le gratifie du titre de Comte de Choulot qu'il conservera par la suite. La fidélité vouée à Louis XVIII se reporte tout naturellement sur le cadet Charles X, mais surtout pas sur le cousin d'Orléans, ce fils de régicide, devenu Louis-Philippe 1er. Choulot manifeste son opposition en servant la Duchesse de Berry dans sa folle équipée jusqu'au jour où force est de se rendre à l'évidence le Duc de Bordeaux, destiné au titre d'Henri V, a trop peu de chances d'accéder au trône pour que Choulot, qui a pris de l'âge, s'entête davantage.
C'est alors qu'un bouleversement se produit dans sa vie. Cet homme d'action et d'engagement politique va se consacrer désormais au plus pacifique des métiers celui de créateur de jardins. Il ne nous a pas révélé la raison de cette reconversion ni comment le goût de la nature lui était venu. Est-ce le souvenir d'une courte émigration en Angleterre où fleurissaient les jardins de "Capability" Brown ou les chasses de Chantilly dont il fut le capitaine avant 1830
[2]?
Choulot n'a pas livré son secret, mais nous pouvons penser que ce caractère énergique a refusé l'apathie engendrée par l'échec et a trouvé dans la création de 280 parcs qui constituent son oeuvre un dérivatif à son besoin d'agir.
Âgé d'une cinquantaine d'années, Choulot va donc produire beaucoup pendant 20 ans et son oeuvre est parvenue jusqu'à nous sous deux formes : par ses jardins d'abord, dont un grand nombre existent encore, et par sa "Théorie sur l'art des jardins" publiée de son vivant et récemment rééditée par le syndicat d'initiative du Vésinet.

Art des Jardins, Comte de Choulot

La brochure rééditée en 1982 par le Syndicat d'Initiative du Vésinet, est le fac simile de l'édition complète de 1863. La première publication de l'Art des Jardins s'est faite par fascicules à partir de 1846.

( Extrait )

Tout dans la rédaction de cet ouvrage – profondeur de la réflexion, clarté du texte, originalité de la méthode proposée, précision de l'exécution – montre la maîtrise atteinte en quelques années par Choulot qui aurait pu prétendre au rôle de chef d'une nouvelle école française si les jardins avaient chez nous la place qu'ils occupent chez plusieurs de nos voisins européens.

Des théories originales empreintes de romantisme

Original, Choulot l'est en effet, et pas seulement dans son jugement sur Le Nôtre; adoptant le style général des parcs Anglais, dans la ligne de Brown, il y apporte les correctifs qui constituent sa marque. D'abord Choulot s'interdit de limiter le futur parc à un périmètre donné ; il lui faut s'inspirer du paysage, s'imprégner de l'atmosphere ambiante, rechercher les vues sur les lointains, examiner enfin l'aspect changeant des lieux, le jeu (les ombres et de la lumière aux différentes heures du jour et des saisons. C'est ce que Choulot appelle le "tout". Dans ce "tout" intangible, l'artiste va insérer une "partie" – le parc lui-même de telle façon qu'aucune limite perceptible au promeneur ne vienne isoler cette "partie". C'est elle seulement que Choulot façonnera, pour lui permettre de se fondre dans le "tout".Pour cela on supprimera si nécessaire les arbres coupables de faire écran à la vue ou au jaillissement de la lumière, on créera les plans d'eau qui, comme des miroirs dans une pièce, agrandiront le paysage proche, on plantera les bosquets sur lesquels les yeux se reposeront, on établira au besoin des plans successifs qui multiplieront l'effet de profondeur; surtout on constituera les coulées" auxquelles Choulot donne son sens actuel qui désigne les dégagements permettant à la vue de se porter sur les lointains choisis. Ces coulées jouent un rôle essentiel dans les créations de Choulot puisqu'elles permettent de relier la "partie" au "tout" en guidant naturellement le regard du promeneur tout au long de son itinéraire.

Exemple de Coulée au Vésinet
...Les coulées, guident naturellement le regard du promeneur tout au long de son itinéraire

Enfin, parce que les parcs de Choulot sont des parcs "agricoles" par opposition à des parcs "parés" (il faut comprendre "artificiels"), ils font une large place aux pâtures où des troupeaux apportent la paisible animation qui convient à un entourage campagnard.
Ce n'est ici que l'essentiel d'une théorie et l'énoncé des principales règles dont l'application se vérifie sur le terrain, Encore faudrait-il, pour être complet ajouter nombre de principes plus généraux inspirés du romantisme triomphant de l'époque; les recommandations, par exemple, de "rechercher les mille rapports qui unissent les cieux, la terre et les eaux" de se pénétrer des beautés infinies de la nature pour l'interpréter et "arriver à l'expression d'une beauté idéale", ou encore de "ne jamais violenter la nature ni changer son caractère avec les petits moyens dont l'artiste dispose" sont bien de leur époque. Mais, pour générales qu'elles soient ces directives n'en devraient pas moins inspirer toute création de jardin, autant que faire se peut. Ces évocations doivent faire naître chez le promeneur non pas l'admiration-choc que suscitent nos grands jardins classiques, mais "les émotions douces et calmes que font éprouver les scènes riches et variées de la nature".
On comprend donc mieux le reproche que Choulot adresse aux jardins français, non pas qu'il conteste leur majestueuse beauté, mais chacun d'eux a été considéré comme un "tout", créé pour lui-même, abstraction faite du cadre naturel dans lequel il a été découpé; si il est beau là où il est, il le serait tout autant ailleurs. Il paraîtrait criminel à Choulot de réaliser le même projet dans la lande bretonne, sur le bords du Léman ou dans sa Nièvre natale.

Des réalisations à l'épreuve du temps

Parce que les parcs créés par Choulot sont calqués sur la nature elle-même et inclus dans leur cadre naturel - dans un "tout" immuable - ils ont, mieux que d'autres, résisté aux outrages des ans et survécu aux difficultés de leur entretien au quotidien. Aussi est-il facile, aujourd'hui encore, de retrouver, entourant de belles demeures dont les provinces françaises sont riches, des parcs répondant aux principes énoncés par leur créateur commun; chacun a sa particularité, son style, un élément dominant autour duquel Choulot a réalisé sa composition: un paysage de collines, un vallon, la courbe d'une rivière, un plan d'eau, mais tous procurent la même impression de naturel au point que le promeneur pourrait attribuer à un heureux hasard la satisfaction qu'il éprouve, alors que c'est bien un parc qui se dessine autour de lui.
Facile de localiser ces parcs, disons-nous Choulot nous y a aidés en effet en nous laissant (dans son ouvrage signalé plus haut; la liste de ses travaux ainsi connaissons-nous, par département, le nom de chaque parc et celui de son propriétaire à l'époque de sa création; en revanche le nom de la commune nous est inconnu, ce qui oblige a un effort de recherche compliqué du fait que nombre de propriétaires ont changé depuis plus de 100 ans! Et puis le temps a fait son oeuvre, malgré tout, et si la nature n'a pu se renier, l'absence d'un entretien minimum, les lotissements, les exigences de l'agriculture moderne, ont parfois eu raison de l'œuvre d'origine.

Parc de La Brosse (Cher)

Parc du Château de La Brosse (Farges Allichamps, Cher), dessiné par le Comte de Choulot en 1863.

C'est dans le centre de la France que les parcs de Choulot sont les plus nombreux puisque si ce Nivernais a travaillé dans cinquante départements français, en Suisse et en Italie, c'est à sa région qu'il a réservé la majeure partie de son oeuvre: une centaine de parcs dans la Nièvre et ses départements limitrophes et une autre concentration en Maine-et-Loire. Leur superficie est en général considérable: plusieurs dizaines d'hectares incluant des pâtures et des bois et Choulot matérialisait ses projets sur des plans coloriés de grandes dimensions semblable à celui dont on peut voir ci-dessous la reproduction.

Dessin de parc (La Chesnaie) du comte de Choulot

Ajoutons que l'on ne peut parler de Choulot sans réserver une mention particulière au Vésinet dont il composa le parc dans l'ensemble extrêmement original réalisé par Alphonse Pallu, instigateur de l'ensemble. On trouve, à l'origine de cette opération, un échange de terrains (demandé par Napoleon III qui abandonnait 450 hectares appartenant au domaine impérial contre une forêt complétant ses chasses). Pallu conçoit alors un projet de lotissement avant la lettre; il fait appel à Choulot qui doit concilier la création d'un grand parc avec des exigences sociales nouvelles pour l'époque: des parcelles de 1000 à 5000 mètres carrés destinées à des populations diversement fortunées entoureront les parties publiques. Pour ces dernières, Choulot crée les quatre kilomètres de rivières, les cinq lacs [3], les grandes pelouses que nous voyons encore. Rien n'est négligé pour assurer le succès de l'opération. Les transports avec Paris seront assurés gracieusement pendant des années aux acquéreurs et l'évèque de Versailles se déplace pour bénir les travaux. Ainsi sollicité, le succès est complet!
Aujourd'hui le Vésinet se souvient.[...] A cet hommage se joignent ceux qui lui doivent – ne serait-ce qu'à un échelon beaucoup plus modeste qu'au Vésinet de goûter dans le parc qui entoure leur habitation "les joies d'une nature qui marche à leur côté, les émeut et leur dévoile le secret de ses harmonies".
[4]

    [1] Propriétaire d'un parc Choulot, Parc de Laye (Rhône).

    [2] Le Comte de Choulot resta au service du duc de'Bourbon, Prince de Condé, comme capitaine des chasses jusqu'à la mort de celui-ci, le 28 août 1830.

    [3] Initialement, six lacs figuraient sur les plans de Choulot. Après la mort de celui-ci en 1865, des aménagements furent faits.

    [4] Une association Des Amis des Parcs Choulot s'est créée en 2005 pour tenter de retrouver les parcs encore existants, restaurer, promouvoir l'oeuvre du Comte de Choulot.

     

Société d'Histoire du Vésinet, 2005 - www.histoire-vesinet.org