Monuments historiques > Eglise Sainte-Marguerite > Vitraux >

Emmanuel Chauche (1938-2021), maître verrier au Vésinet

Maurice Jean Emmanuel Chauche est né à Clermont-Ferrand le 27 février 1938. Il a installé son atelier de peintre verrier au Vésinet, 71 boulevard Carnot, à la fin des années 1970. En 1980, il se vit confier la restauration des verrières de l'église Sainte-Marguerite.

    Les vitraux de l'Eglise Sainte-Marguerite vont faire plomb neuf

    L'éclatement devenu fréquent des pièces de verre composant les vitraux de l’église Sainte-Marguerite a amené la Municipalité (propriétaire de l'édifice) à faire une étude approximative de ses causes et une étude de remise en état. Confiée au maître verrier du Vésinet, Emmanuel Chauche, et réalisée sous le contrôle des Services des Monuments Historiques, en raison du classement à l’inventaire complémentaire dont l’église Sainte-Marguerite a fait l'objet [1]. Cette étude fit apparaître la nécessité d’une remise en état de tous les vitraux. Certains sont des personnages, d'autres de simples motifs en grisaille. Inégalement répartis dans la nef et placés arbitrairement au fil des dates de leur réalisation, ces vitraux mériteraient d’être replacés dans une suite significative, et en relation avec l’orientation de l’église et son éclairement.

    Sous la direction de l’architecte des Bâtiments de France, M. Jean-Louis Lebigre et en parfait accord avec le Père Grognet et le conseil paroissial, les décisions de regroupement ont pu être prises en tenant compte d’une création de trois nouveaux vitraux qui viendront remplacer les personnages du chœur venant eux-mêmes remplacer les grisailles dans la nef. Des exigences techniques et la nécessité de maintenir l’église parfaitement accessible pendant les travaux font que l’ensemble de la rénovation s'étalera sur trois ans. [2]

Les subventions de l'Etat, de la Région et du Département, elles-mêmes étalées sur trois ans, la dépense annuelle s'élevait aux environs de 300.000 frs
Mais la commande faite au verrier ne se limitait pas à la simple restauration des plombs. Trois nouveaux vitraux originaux, de style contemporain, s'y ajoutaient. Les maquettes en couleur de ces trois nouveaux vitraux et une maquette d'ensemble figureront à l'Exposition du Centenaire de la mort d'Alphonse Pallu (17 octobre-4 novembre 1980) qui reçut le label de l'année du patrimoine, présentée comme l'attachement de la Ville pour son patrimoine propre illustrant ses efforts pour le préserver et l'enrichir. Plus tard, les maquettes furent transportées et déposées pendant quelque temps dans l'église Sainte-Marguerite permettant aux paroissiens de se familiariser avec des œuvres jugées par beaucoup comme incongrues. Une petite notice explicative préparée par Emmanuel Chauche et Jean-Louis Lebigre, financée par la Municipalité et le Conseil paroissial, fut mise à leur disposition et en constitue le témoignage. La « difficile harmonisation » entre l’environnement ancien et ces œuvres contemporaines a été « l’une des préoccupations de l'artiste qui a su y répondre par le jeu subtil des nuances et des rythmes » comme le précise la critique [3].

Emmanuel Chauche travaillant dans son atelier du Vésinet (71 boulevard Carnot) à la réalisation

d'un vitrail original pour le chœur de l'église Ste Marguerite (9 novembre 1982).

Le Vésinet, revue municipale n°61, décembre 1982.

 

L'atelier du maître verrier.

Le Vésinet, revue municipale n°63, juin 1983.

 

Emmanuel Chauche travaillant sur le « carton » des vitraux de création de Sainte-Marguerite (1982).

Le Vésinet, revue municipale n°63, juin 1983.

 

Dès 1983, un article dans la revue municipale présentait cet artiste à ses concitoyens : [4]

    Un Maître Verrier au Vésinet

    Un atelier minuscule au fond d’une cour du boulevard Carnot, d’où sortent les vitraux de cinq mètres de haut qui ornent les verrières de l’église Sainte-Marguerite, à quelques mètres de là. C’est ici qu’Emmanuel Chauche travaille à la restauration des vitraux de l’église de notre « village ».

    C'est à lui qu’a été confié l’ensemble du travail de création et de restauration des vitraux, tous déposés et remontés, à l’exception de ceux des deux chapelles latérales et du déambulatoire, signés Maurice Denis.

    Restaurateur de vitrail, bien sûr — et il met sa parfaite connaissance de l’histoire et de la technique de cet art au service de la conservation des vitraux — mais Emmanuel Chauche est avant tout un créateur ; il est l’auteur et le réalisateur des trois vitraux du chœur. Il parle de son métier — de son art — avec amour : un art né de la lumière, de la transparence, le seul à n’utiliser que la lumière naturelle d’une manière pure, sans artifice.

    Le vitrail est confronté directement à la lumière du lieu, lumière qui varie selon l’orientation, les aléas météorologiques. Il subit l’opposition entre la clarté du jour et l’obscurité de la nuit.

    Lorsque la lumière naturelle disparaît, c’est alors qu’apparaissent le contour du vitrail et le relief des plombs qui relient les verres entre eux.

    Pour que le mur et la résille de plombs dans lesquels est serti le vitrail ne se présentent pas comme l’envers du tableau sous l’éclairage artificiel, le vitrail et son support doivent être créés comme un ensemble, positif et négatif harmonieux et complémentaires. Le cadre du vitrail se présentera alors comme un bas-relief, non pas par hasard, mais parce que l’artiste l’a voulu ainsi.

    Toutes ces contraintes, un maître verrier comme Emmanuel Chauche les accepte volontiers, comme une stimulation et une invitation au dépassement de soi. A l’époque de la Renaissance, au moment où le vitrail était un art florissant, l’environnement, la vie quotidienne étaient gommés au profit d’une atmosphère irréelle, quasi paradisiaque, créée par le vitrail. La démarche actuelle de l’artiste est tout autre. L’isolement a fait place à l’intégration, il est tenu compte de l’environnement comme d’un apport, d’une composante. La vie, le contact avec la vie, ce sont des mots qui reviennent souvent dans la bouche d’Emmanuel Chauche.

    Du rapport de l’art avec la vie, il retire une stimulation supplémentaire, celle apportée par les commandes, encore un moyen de se dépasser, de sortir de son égocentrisme, de l’habitude, de la filière. La commande et les impératifs techniques se présentent pour lui comme les aiguillons de la création. Ses sources d’inspiration se trouvent essentiellement dans la nature : minéraux, végétaux, pour lesquels il éprouve une véritable passion née lors de son passage à l’île de la Réunion, où il a réalisé les vitraux de l’église de Saint-Denis.

Cette importante rénovation des vitraux de l'église, qui intervenait près de dix ans après la profonde transformation du décor (peintures intérieures, chœur, autel, dispatition du banc d'oeuvres et de la chaire, ...) se poursuivra jusque pendant l’année 1982, année qui vit la mise en place des nouvelles verrières, agréées par le Ministère des Affaires Culturelles, après un curieux « jeu de chaises musicales » au cours duquel les verrières historiques furent déplacées, parfois recomposées selon un plan que les auteurs de l'ouvrage Sainte-Marguerite du Vésinet, une église à nulle autre pareille ont tenté d'interpréter.[5]
En 1986, lors de l'inventaire réalisé sous la houlette de Dominique Hervier, Conservateur général du Patrimoine, une tentative de reconstitution de la disposition initiale fut tentée, se fondant sur des photographies anciennes et sur le descriptif laissé par Désiré Thibaut, instituteur en 1889 et auteur d'un précieux manuscrit. [6]

Les trois vitraux originaux créés par Emmanuel Chauche et installés en 1982.

***

Au début des années 2000, la ville du Vésinet et la paroisse Ste Marguerite firent de nouveau appel à Emmanuel Chauche pour l'analyse, des diagnostics puis l'entretien, cette fois, des verrières situées dans les chapelles latérales et le déambulatoire, toutes étant l'œuvre de Maurice Denis.
Entre temps, Emmanuel Chauche avait acquis une certaine notoriété. Les œuvres d’un verrier ne peuvent, par définition, se trouver réunies dans une salle d’exposition [7]. Quelques lieux permettaient alors d'admirer les œuvres d’Emmanuel Chauche : église Saint-Martin de Tallevende, près de Vire (Calvados) ; église Notre-Dame de Mesnil-Jean (Orne) ; église Saint-Jean-des-Vignes à Chalon-sur-Saône ; chapelle Saint-Léonard de Croissy.
l’étranger, il avait réalisé des vitraux à Malte, au Liban, à la Réunion
, participé à des expositions, réalisé aussi quelques ouvrages marquants dans sa région d'origine, l'Occitanie et particulièrement le Rouergue et plus précisément encore le Millavois où il passait une partie de l'année. L'exposition de ses œuvres à la Galerie Concha de Nazelle, à Toulouse, eut les honneurs de la presse :

    Sa dernière exposition [...] est un vêtement stupéfiant. Un kimono de verre vert mystique se joue des reflets qui le sabrent et le zèbrent. La lumière subtile glisse entre ses plis, créant de toute pièce un fantôme d’humain fantasque. Ce dernier porte cette longue tunique mouvante, respire à son rythme, puis se balance avec des crissements cristallins. Un vent léger, mêlé à nos regards, lui donne vie par magie. C’est du Mishima sculpté par les mains d’Emmanuel ! Ces chatoiements, qui s’irisent au gré des caprices de lumière, disent autrement le rapport de l’artiste au monde. Au-delà ou en-deçà de la forme et de l’apparence, se révèle ce point fragile d’équilibre où le créateur irrigue sa création et où la création imbibe son créateur. [8]

Le kimono de verre. Galerie Concha de Nazelle, à Toulouse.

    Le « kimono de verre vert » mystique est une pure merveille. Il se joue des reflets qui sabrent le verre et zèbrent l’espace. La lumière subtile glisse entre ses plis, créant de toute pièce le corps d’un humain fantasque. Ce dernier habite la longue tunique mouvante, respire à son rythme, puis se balance avec des crissements cristallins. Un vent léger, mêlé à nos regards, lui donne vie par magie. C’est du Mishima sculpté par le maître-verrier Emmanuel Chauche. Le secret des dieux de ces habits de lumière se cache dans l’atelier du maître de Millau. Au milieu d’innombrables cactus et orchidées, entre les étagères jonchées d’esquisses de vitraux, apparaît un entassement improbable de culs  et de cônes de bouteilles. Sont-ils des Château-Eyquem ou du Graal d’Edo ? Nul ne sait, même si je les subodore plutôt bourguignons ! Sciés dans le sens de la largeur, ils sont parfois brisés en mille morceaux jusqu’à atteindre la forme adéquate. Attachés les uns aux autres, ils composent les manches, le col ou les pans du fameux kimono. Leurs cercles - transformés en bracelets de verre - sont titillés par une vrille délicate qui laisse des empreintes régulières : points, stries, ondulations, anneaux concentriques. Comme une signature géométrique du maître, calligraphiée dans le verre, qui se reproduisait partout mais ne se trouvait nulle part. [9]

Et les cinq vitraux de la chapelle de Peyre, à quelques kilomètres de Millau et non loin (30 km) du village de Caylus où le maître verrier a élu domicile une grande partie de l'année, sont présentés comme son grand œuvre. [10]

    Dans l’insolite de la chapelle, accrochée au flanc d’un roc colossal, ses vitraux en dévoilent la luminosité ocre. Il [Chauche] a repris « la texture des voûtes avec des matières semi-transparentes », inscrivant dans le verre le tuf des grottes voisines. Il a même recréé l’humidité que chacun y ressent. Ses vitraux sont faits de « gouttes d’eau qui ruissellent ». Notre regard ébloui en frissonne encore !

En 2006, Emmanuel Chauche prit en charge les verrières situées dans les chapelles latérales et le déambulatoire de Ste Marguerite. S'agissant des onze chefs-d’œuvres peints par Maurice Denis et réalisés par Henri Carot en 1903, l'opération fut placée sous la direction d’Arnaud de Pémille, architecte du patrimoine (DPLG-DESHEC) mandaté par la ville du Vésinet pour en suivre la réalisation de cette restauration de fond.

Chauche (70 ans) au travail dans la chapelle du Sacré-Cœur (nord) en 2007.

Cette restauration complète, accompagnée d’une campagne photographique exhaustive de grande qualité par Nicolas Thouvenin, fut réalisée par Chauche de 2006 à 2008.
Le 25 janvier 2008, celui-ci présentait son travail aux différents partenaires de l'opération qui assistèrent aussi à une visite commentée des décors de l'édifice puis à une conférence à la maison paroissiale. Une exposition photographique qui resta en place quelque temps, permettait au public de découvrir les gestes du maître verrier. [11]
On ne mesurait pas alors, l'importance de cette démarche à visée pédagogique qui se révèlera précieuse.

Emmanuel Chauche (1938-2021) et un fragment de La pécheresse aux pieds de Jésus.

Archives municipales, 2007.

Dans la nuit du 25 juillet 2009, un incendie ravageait la chapelle du Sacré-Cœur, noircissant le reste de l’église.
L’édifice étant inscrit au titre des monuments historiques, la conservation régionale des monuments historiques et le service territorial de l’architecture et du patrimoine des Yvelines intervinrent immédiatement à titre de conseil dans le cadre du contrôle scientifique et technique de l’Etat et établissaient les premières constatations. Marie Parant-Andaloro et l’atelier Bis menèrent les premières études suivies de la restauration sous la maîtrise d’œuvre d’Arnaud de Pémille, accompagné d’un comité scientifique composé des représentants de la ville, du clergé, des services de l’Etat, des historiens de l’art spécialistes de la peinture et du vitrail et des ayants-droit de Maurice Denis. Concernant les vitraux, l’incendie ayant soufflé la verrière représentant Jésus guérissant les malades, se posa la question de sa restitution, les autres verrières ne nécessitant qu’un nettoyage. La documentation très précise, réalisée pour la toute récente restauration, a milité en faveur d'une restitution afin de rétablir l’œuvre de Maurice Denis dans toute sa globalité. La même équipe (restaurateur et photographe) fut donc sollicitée alliant la restauration à la décomposition de l’image, les moindres détails pouvant être respectés jusqu’à la largeur des coups de pinceaux des traits de grisaille.
Comme l'écrivit Marie-Hélène Didier, conservateur général du patrimoine, conservateur des monuments historiques : La restauration est source d’enrichissement pour chacun des acteurs et une « aventure » à vivre à plusieurs. Cette « aventure » fut couronnée par le prix Le Geste d’or en 2013. [12]

Emmanuel Chauche est mort à Lodève le 8 mars 2021, en pleine pandémie de Covid. Son amie Jane Hervé nous a laissé un hommage posthume dont nous tirons ce court passage :

    Emmanuel Chauche a disparu. « Les travaux du maitre-verrier épousent les mouvements du soleil dans le ciel, du levant au couchant » affirmait-il. Avec une délicatesse de gourmet, ce Millavois d’adoption en détaillait les infinies variations. Dans ses paroles, les vitraux de toute église tournaient, se révélaient et se renouvelaient selon l’orientation. Cette conjonction du rai solaire et du verre se joue dans tous ses travaux.

    Emmanuel habitait l’intelligence de ces lieux d’où émergeait une couleur native...

    Aujourd’hui sa compagne de toujours et son âme-sœur, l’autrice Geneviève Brun, porte désormais sa mémoire. Son chat Fouzik se love en ronronnant sur ses genoux. Son Emmanuel était aussi l’âme de Caylus, un village perché au-dessus de La Cresse, collé à la montagne comme l’est Peyre. Le maître avait largement contribué à restaurer cet habitat des cimes dans le respect des architectures locales et même à le défendre contre les destructions.

    Et moi, je garde d’Emmanuel, grand amoureux et connaisseur du langage, des parties de « mots fléchés » qui dérivaient volontiers en ironique complicité. Des « flèches » d’amitié, piochées sur le journal local !

Malgré son attachement pour ce Millavois d'adoption, c'est dans le cimetière municipal du Vésinet qu'Emmanuel Chauche repose désormais. Sa dépouille y fut inhumée en catimini, pandémie obligeant, avec une sépulture sommaire, en attendant que des jours meilleurs permettent de lui offrir mieux.

La tombe d'Emmanuel Chauche au cimetière du Vésinet en avril 2021.

Cliché SHV, 2021.

****

    Notes et sources :

    [1] Inscrite à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques (ISMH) par arrêté interministériel du 18 décembre 1978, elle sera, 38 ans plus tard, classée Monument historique (arrêté ministériel du 29 avril 2016).

    [2] Le Vésinet, revue municipale n°52, septembre 1980.

    [3] Le Vésinet, revue municipale n°56, septembre 1981.

    [4] Le Vésinet, revue municipale n°63, juin 1983.

    [5] Sainte-Marguerite du Vésinet, une église à nulle autre pareille, Société d'Histoire du Vésinet, 2015. Chapitre Les verrières de la nef et du chœur par Benoit Caux.

    [6] Le Vésinet, modèle français d'urbanisme paysager, Cahier de l'inventaire n°17, Imprimerie Nationale, Paris, 1989 [réédité en 2002].

    [7]Numéro spécial de la revue Métiers d’art, novembre 1982.

    [8] Jane Hervé, pour l'exposition à la Galerie Concha de Nazelle, à Toulouse, juin 2009. (Overblog).

    [9] Jane Hervé, Emmanuel Chauche faisait danser la lumière, mars 2021.

    [10] Jane Hervé, Ibid. 2021. Peyre est une ancienne commune de l'Aveyron attachée à la commune de Comprégnac, à 7 km de Millau. L’ancienne église, située tout à côté, est édifiée dans une excavation du rocher qui forme dans toute sa rusticité la paroi de gauche ; la voûte est fermée du côté droit par un mur d’un bel appareil, flanqué d’un clocher adossé au roc.

    [11] Le Vésinet, la revue, n°47 octobre 2007 et n°48 décembre 2007.

    [12] Fabienne Stahl, Les Beautés du Ciel de Maurice Denis (1898-1903), 2014. Le Geste d'Or est un concours annuel qui intéresse les équipes de Maîtres d’ouvrage, de Maîtres d’œuvre et d’Entreprises. Sont admis au Concours les chantiers français et internationaux du patrimoine bâti, de l’aménagement urbain et paysager, d’hier, d’aujourd’hui et demain. Le concours a pour double objectif de recenser et d’explorer la valeur pédagogique des opérations.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2021-2022 • www.histoire-vesinet.org