Société d'Histoire du Vésinet, 2022.

Armand et Adèle Chardron, bienfaiteurs du Vésinet

Joseph Armand Chardron est né au Gué-d'Hossus, un petit village des Ardennes près de Charleville-Mézières, où ses parents tenaient une épicerie. On ignore tout de ses études ou de ses jeunes années passées dans le petit village ardennais de Thin-le-Moutier où naquit sa sœur en 1844 et où son père se livra au négoce du bois avec une certaine prospérité.
Armand a 25 ans et exerce la profession de comptable à Rethel lorsqu'en 1863, le 15 septembre, il épouse Adèle Appoline BERTHE, fille d'un manouvrier d'un autre petit village ardennais, Vaux-Champagne où Adèle est née le 1er décembre 1836 [1].
Le couple Chardron habite Paris, 24 rue Fabert (7e) lorsque nait leur fille, Pauline Adèle, le 29 mai 1866. Le père de famille est toujours comptable ; il apparait comme liquidateur de sociétés dissoutes (1888-1889), comme commissaire aux comptes de filiales internationales (1893-1903) en particulier des compagnies de chemin de fer (Argentine, Brésil, Vénézuela, Santa Fé, ...) et filiales de la compagnie Fives-Lille, compagnie de construction d'ouvrages de génie civil, d'appareils mécaniques divers et de locomotives, située à l'origine à Fives, faubourg puis quartier de Lille. Cette compagnie produisit les premiers ascenseurs de la tour Eiffel.

En 1886, M. Chardron est secrétaire général de plusieurs sociétés. La famille est alors domiciliée à Paris, 3 rue de Montholon (9e), et réside à la belle saison au Vésinet, au 6 de la rue Thiers (actuellement rue Henri-Cloppet). C'est au cours d'un de ces séjours que meurt leur fille unique, Pauline, à 20 ans, le 13 juillet 1886.

Armand CHARDON (1838-1905) et Adèle BERTHE épouse CHARDRON (1836-1931).

Archives familiales.

Dès leur arrivée au Vésinet, Monsieur et Madame Chardron ont manifesté une exceptionnelle générosité. A l'égard de la communauté catholique de la paroisse de Ste-Marguerite, d'abord, par une fondation qui permit l'édification d'une institution qui prendra le nom d'Ecole congréganiste des Sœurs de la Sagesse (Fondation Armand-Chardron). Il semble que cette fondation ait été motivée par l'urgence de reloger la communauté des sœurs de la Sagesse dont l'établissement (un pensionnat payant, des classes gratuites, un asile et une crèche) situé au 68 route de Chatou (actuel boulevard Carnot) était frappé de vétusté. Il sera démoli par la suite. A la mort de M. Chardron, c'est une Association scolaire de Sainte Marguerite du Vésinet fondée pour la circonstance qui sera propriétaire du terrain à l'angle de la rue du Village (n°4) et de l'avenue Horace-Vernet (n°11), soit un ensemble de plus de 4000 m². [2, 3]
Cette générosité sera bien mal récompensée par le sort. Le 13 juillet 1886, durant un séjour au Vésinet, leur fille unique Pauline meurt, à peine âgée de 20 ans.

Pauline Adèle CHARDRON (1866-1886)

Ne nous est parvenue que cette mauvaise copie d'une photo de famille.

Le 25 décembre 1905, à son domicile parisien de la rue Montholon, Armand Chardron meurt à son tour à seulement soixante-huit ans « des suites d'une courte maladie ». Ses obsèques furent célébrées le vendredi suivant, en l'église St-Vincent-de-Paul (10e). On insista sur « l’aménité de son caractère, sa grande compétence et sa droiture parfaite ». [4] Il laissa encore à la ville du Vésinet un terrain où sera bâti, vingt ans plus tard, le commissariat de police.
Sa veuve ne sera pas en reste. En 1911, en souvenir de son mari, Adèle Chardron donne à l'Évéché de Versailles une propriété située au 55 boulevard d'Angleterre (plus de 5000 m²). Elle y fera édifier par la suite, principalement sur ses fonds propres, une église sous le vocable de Sainte-Pauline, à la mémoire de sa fille. L'édifice, de style « gothique » est l'œuvre de l'architecte Debeauve-Duplan. Les travaux furent exécutés par l'entreprise Génoni du Vésinet. Parmi les vitraux qui furent détruits durant la seconde guerre mondiale des suites d'un bombardement figurait un grand vitrail, dominant l'autel, représentant la patronne de l'église, Sainte Pauline, à qui l'on avait donné le visage de Pauline Chardron. Dans la partie inférieure du vitrail, Joseph et Adèle Chardron étaient représentés en médaillon. [5]

Madame Chardron qui avait cédé sa propriété du 6 rue Thiers pour une plus modeste au 9 rue Villebois-Mareuil eut encore des occasions de faire profiter de ses largesses les œuvres vésigondines. En 1922, elle fit un don de 15.000 frs pour l'installation d'un dispensaire. « En reconnaissance de cette fondation généreuse le nom de M. Chardron en mémoire de qui elle est faite, sera donné à une rue du Vésinet. La somme permettra de couvrir les frais de premier établissement et de mise en route » peut-on lire dans le registre des délibérations du conseil d'administration du Comité du Vésinet de la Croix Rouge. Cette promesse ne fut tenue qu'en partie puisque le nom d'Armand Chardron ne fut donné qu'à la voie privée qui longe un des côtés de sa fondation, l'ancienne rue du Village.
Tandis que la construction du dispensaire est en cours et qu'une nouvelle promesse précise qu'il s'appellera « Dispensaire Armand Chardron », Madame Chardron fait en juillet 1924 un nouveau don de 15.000 frs offrant la possibilité d'agrandir le projet. En 1925, les travaux sont achevés. Le Comité décide que « seuls seront admis les indigents qui bénéficient de l'assistance gratuite ou les mutilés et réformés de guerre ». Mme Chardron refuse que le nom de Chardron apparaisse sur le fonton du dispensaire. Finalement, on apposera à l'intérieur une plaque en simili-marbre « don de Madame Chardron – 1925 ». [6]

La fête nationale de 1927 fut une nouvelle occasion de rendre hommage à cette famille. L'inauguration de l'immeuble dans lequel devaient s'installer les services de police, d'incendie et de secours permit au maire Camille Saulnier de rappeler que cet immeuble, était construit sur un terrain donné à la Ville vingt ans plus tôt par Monsieur Chardron. En outre, il avait pu être bâti grâce à la générosité coutumière de sa veuve qui avait encore une fois financé les travaux. Le maire, pour terminer cette cérémonie, leva son verre « en l'honneur de Mme Chardron, des habitants du Vésinet et de la République ». Il ne pouvait faire moins. [7]

C'est dans sa maison du 9 rue Villebois-Mareuil qu'elle ne quittait plus guère que s'éteignit Adèle Appoline Berthe veuve Chardron, le 13 février 1931. Elle avait 95 ans.

Le dernier domicile de Madame Chardron au Vésinet

cliché shv, 2008.

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    Note et sources

    [1] La sœur d'Armand, Marie Emilie Nathalie, née en 1844 à Thin-le-Moutier, épousera un tourneur sur bois, Jean-Baptiste Gennesseaux qui poursuivra le négoce du bois.

    [2] Une Société immobilière des écoles libres se forma, au nombre de 25 membres avec un capital de 110.000 frs en 1884. L'association sera renommée par la suite en Association pour l'encouragement et le développement des oeuvres éducatives et scolaires du Vésinet (archives cadastrales). Cet ensemble scolaire que l'on désignait simplement comme les Ecoles Chrétiennes, Saint- Charles pour les garçons et Jeanne d'Arc pour les filles, existe toujours malgré quelques évolutions.

    [3] Parcelles du lotissement général : Ilot 16, lots 42 et 43 (4534,57m²).

    [4] Le Matin, 29 décembre 1905. Il est inhumé dans le caveau familial, au cimetière du Père Lachaise [1ere Division, C. n°82]

    [5] Le Vésinet, modèle français d'urbanisme paysager (1858-1930), Cahier de l'inventaire n°17, Imprimerie Nationale, Paris, 1989.

    [6] Le dispensaire était situé avenue des Écoles (actuelle Henri-Dunant) derrière la salle des fêtes qui laissera la place à la Poste en 1962. L'ensemble du quartier fut remanié en 1967-1971 par l'Opération Joffre.

    [7] Le Cri des cantons de Saint-Germain-en-Laye, Maisons-Laffitte, Marly-le-Roi, 16 juillet 1927.


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