Le Petit Journal, n°4729, 7 décembre 1875.

L'Orphelinat du Vésinet

Hier dimanche, par un temps horrible, qui rappelait l'hiver de 1870, l'une des causes de nos désastres et de la perte de l'Alsace-Lorraine, a été inauguré solennellement au Vésinet l'Orphelinat créé pour les Alsaciens Lorrains sous les auspices de la Société de protection, 9, rue de Provence.
Nos lecteurs connaissent le dévouement de la Société, le zèle qu'elle déploie pour le placement des Alsaciens-Lorrains restés français, les secours qu'elle leur donne, son ardeur colonisatrice en Algérie et aussi le don magnifique qui lui a été fait par un des membres du comité, M. de Naurois.
M. de Naurois possédait au Vésinet une belle propriété d'un hectare environ, avec les bâtiments qu'il était facile d'approprier aux services d'un orphelinat. Il l'a offerte à la Société ; il a ajouté à ce don patriotique une somme de 50 000 francs. La Société s'est mise à l'œuvre, et, en quelques mois, elle a été en mesure de recueillir des jeunes filles, au nombre de seize à ce jour ; il y a de la place pour cinquante. [1]


Inauguration de l'Orphelinat d'Alsace-Lorraine au Vésinet
sous la présidence de Madame la maréchale de MacMahon

L'orphelinat est situé à gauche du chemin fer, du côté de la Seine, à quelques pas de la gare, tout près de l'asile de convalescents. Un chalet et une maison d'habitation composent les bâtiments, lesquels s'élèvent milieu d'un parc de 8 000 mètres, en partie planté d'arbres, en partie cultivé en jardins. Les aménagements ont été dirigés par M. Rumpler, vice-président de la Société, qui s'est consacré tout entier à cette œuvre. Rendons aussi un juste hommage à M. Petit, architecte, qui a mis gratuitement son talent et ses soins au service de la Société ; aux entrepreneurs qui ont voulu strictement rentrer dans leurs déboursés. Grâce à cette émulation dans le dévouement, la Société a pu ouvrir l'Orphelinat de Naurois, c'est sans doute le titre qu'il portera en témoignage de reconnaissance pour le donateur, ayant dépensé seulement 12 000 francs [1].
J'ai dit que l'orphelinat est disposé pour recevoir cinquante enfants et que hier, jour de l'inauguration, seize étaient installées. C'est un orphelinat de jeunes filles, appartenant toutes à des familles d'Alsace-Lorraine, de père et de mère pour la plupart ; les autres ont perdu leur père, qui a laissé une veuve avec plusieurs enfants. Les jeunes filles seront reçues depuis l'âge de cinq ans jusqu'à quinze ans ; elles recevront une instruction professionnelle qui les rendra femmes d'intérieur, habiles, capables de tenir une maison et d'apporter une bonne part d'utilité à un ménage ; elles resteront à l'orphelinat jusqu'à leur vingtième année ; la Société ne les abandonnera pas à leur sortie, et leur trouvera soit un mari, soit une place de confiance.
La pension est calculée à 400 frs par an. De généreux donateurs ont déjà fondé des bourses, dont le capital est de 8 000 francs ; il y en a treize jusqu'à présent mais on espère arriver à en avoir cinquante, autant que de places. En attendant, la Société payera la pension des orphelines sans bourse. Parmi les seize jeunes filles actuellement trois sont placées avec les bourses de :

    M. le duc d'Aumale

    Mme la princesse de Chalais

    Mme la comtesse de Grefulhe

Les bourses non encore utilisées ont été fondées par :

    Mme Erard

    Mme la comtesse de Chambrun

    Mme de Valbezen

    Mme la marquise de Raigecourt

    Mme de Vatry

plus six bourses provenant d'un legs, qu'il m'est impossible aujourd'hui de désigner plus clairement. La direction de l'orphelinat et l'instruction des enfants sont confiées à des religieuses, les sœurs de l'ordre de Saint-Charles de Nancy. La petite communauté de l'orphelinat a son siège dans le chalet qui composait autrefois la maison d'habitation de M. de Naurois [2]. Ce chalet contient, en outre, les dépendances de l'orphelinat parloir, infirmerie. L'orphelinat proprement dit est une grande maison fort simple, mais très bien disposée. Au rez-de-chaussée, la cuisine, le réfectoire leurs dépendances. Au premier étage, la chapelle-oratoire, la lingerie, les salles d'étude, l'ouvroir (salle de travail). Au deuxième étage les dortoirs. Le tout vaste, aéré, confortable sans luxe ; en est-il besoin dans un site charmant que, le printemps venu, égayera le beau soleil ?

Hier, le site était désolé ; la neige étendait son blanc manteau ; le froid était vif. Malgré tout, l'orphelinat a été inauguré sinon avec pompe du moins en présence des représentants du gouvernement, de l'Assemblée nationale et de l'armée, ces trois éléments essentiels de la France, de la mère-patrie. M. le comte d'Haussonville, président de la Société de protection, assisté de M. Rumpler, vice-président, faisait les honneurs. L'un et l'autre s'effaçaient devant M. de Naurois, à qui ils avaient imposé le premier rang, bien qu'il voulût modestement rester à l'écart.
Les seize jeunes filles, en costume alsacien, avec sur la tête le large ruban du pays, ont été présentées à Mme la maréchale de Mac-Mahon. La plus âgée, une charmante enfant de quatorze ans et demi, lui a offert un bouquet et lui a souhaité la bienvenue d'une voix tremblante de reconnaissance. Mme la maréchale de Mac-Mahon a remercié, par quelques paroles émues, à l'adresse la Société et de M. de Naurois. Il a été procédé ensuite à la bénédiction de l'orphelinat. Enfin, Mme la maréchale de Mac-Mahon, les dames de sa suite, les députés de la région de l'Est, MM. Keller, Lefébure, Dietz-Monnin, etc., les fondatrices de bourses, ont visité l'orphelinat et ses dépendances.

Je m'arrête, car il faudrait exprimer les émotions qu'éprouvaient les assistants. Il faudrait dire les paroles échangées à voix basse.

***

    Notes et sources:

    [1] Ce chiffre sera atteint et même dépassé 25 ans plus tard et la construction d'une annexe confiée à l'architecte C. Mewès sera bâtie derrière le bâtiment principal, qui sera lui même agrandi en 1942....

    [2] Naurois déclina l'offre. Il ne pouvait rendre public le rôle de la comtesse de Chabrillan, ex-Mogador, dans le genèse de l'Orphelinat mais il ne pouvait pas non plus en assumer la paternité de son vivant. Il laissera à Célèste une rente de 2000 frs à sa mort.

    [2] C'est le Chalet Lionel, la maison de style "australien" construite par Céleste de Chabrillan, ainsi nommée en souvenir de son défunt mari. Le comte de Naurois, ne l'a jamais habité. Il existe toujours.

     


Société d'Histoire du Vésinet, 2015 - www.histoire-vesinet.org