D'après M. l'Abbé Roussel, cité dans " Édouard de Naurois, sa vie et ses oeuvres. Le Vésinet. Auteuil" . Paris, 1877.

M. Édouard de Naurois, bienfaiteur

M. Edouard-Gabriel de Naurois appartient à une très ancienne famille du Languedoc. Il est né au château de Carmaux (Tarn), diocèse d'Albi, le 24 février 1799 (5 ventôse, an VII de la Révolution française).
Dès sa plus tendre enfance, M. de Naurois sentit battre dans sa poitrine un cœur chevaleresque et généreux. Dans ces temps troublés où on ne respirait que l'odeur de la poudre et du sang, sa vocation se dessina bien vite. En le voyant à l'œuvre, les parents et les amis du jeune gentilhomme prévoyaient qu'il était né pour la carrière des armes. Effectivement M. Edouard de Naurois ne rêvait que soldats et batailles. Au retour des Bourbons, alors qu'il était dans sa seizième année, il eut la satisfaction de voir ses rêves belliqueux devenir une héroïque réalité.
Ayant réuni plus de cinquante volontaires royaux du Midi, il marcha vaillamment à leur tête. Cette intrépidité dans un adolescent émerveilla les chefs de l'armée royale, qui jugèrent cet exploit digne d'une juste récompense, et le 16 juillet 1815 on remit à M. de Naurois le diplôme suivant :

    Conformément à l'article treize de l'Ordonnance de Son Altesse Royale Monseigneur duc d'Angoulême, lieutenant général du Midi, datée de Barcelone du 2 juin dernier, Monsieur Edouard-Gabriel de Naurois, ayant réuni plus de cinquante hommes et marchant à leur tête, est nommé lieutenant et jouira des honneurs, émoluments et prérogatives accordés audit grade, à compter de ce jour, et le présent lui servira de Brevet, jusqu'à ce qu'on lui en remette un signé de Son Altesse Royale, toujours aux termes de la même Ordonnance.

    Fait à Saint-Maurice, ce 16 juillet 1815.
    Chevalier de Rigaud, Attaché à l'état-major de Son Altesse Royale et chargé par Elle de porter et faire exécuter ses ordres dans les départements du Midi.

On comprend la légitime fierté de M. de Naurois quand il donne communication à ses amis de ce glorieux diplôme qu'il a conquis à 16 ans !
Le 21 septembre 1816, il prit rang dans l'armée régulière, où il continua à se distinguer. Il fit partie de l'expédition d'Espagne (1822-1823) et, pendant cette guerre, ses exploits héroïques lui valurent l'honneur d'être porté par son général pour la croix et l'avancement.
Qu'on nous permette de reproduire ici la lettre qu'il écrivait à son père après la bataille de Leado :

    Figueras, le 18 septembre 1823.
    Je viens de participer à la plus belle affaire qui - ait eu lieu depuis que les Français sont en Espagne.
    Le 14, je suis parti de Figueras avec mon bataillon pour aller à la rencontre d'une division de constitutionnels venant de Barcelone pour renforcer la garnison du fort de Figueras. Le soir, un bataillon du 8e de ligne est venu nous rejoindre avec un escadron de chasseurs du 22e ce qui faisait, en tout, 900 Français.
    Le 15, vers une heure de l'après-midi, nous avons trouvé l'ennemi, au nombre de 3,000 hommes, sur les hauteurs de Leado. Immédiatement l'attaque a commencé très-vivement de part et d'autre. Nous avons jugé de suite que nous n'avions pas affaire seulement à des Espagnols, ils se battaient trop bien pour cela.
    Il y avait effectivement parmi eux un bataillon de libéraux, composé de Français, de Piémontais et de Napolitains, tous réfugiés ils donnaient en véritables désespérés. L'affaire a duré jusqu'à la nuit, sans avantage d'un côté ni de l'autre mais il y a eu des morts et des blessés.
    Sur vingt officiers de mon bataillon, sept ont été blessés très-grièvement. Le capitaine de Cussac, que vous connaissez, est tombé le premier, mortellement atteint par une balle dans le bas-ventre. Ames côtés, mon sous-lieutenant en a reçu une dans la cuisse. Je ne connais pas encore le nombre des sous-officiers .et des soldats tués ou blessés, mais il est considérable.
    Nous avons passé la nuit dans nos positions. Le lendemain, à la pointe du jour, on nous prévint que l'ennemi était parti pour entrer dans le fort. Sans retard nous nous mîmes en marche à travers les montagnes pour aller lui couper le passage. Grâce à notre célérité, nous le devançâmes dans un endroit où nécessairement il devait passer. Bientôt il s'y présenta et marcha sur nous en faisant un feu très-vif, auquel nous avons riposté avec vigueur. Leur commandant et beaucoup d'officiers supérieurs furent mis hors de combat dans un instant. Le général Maringoné
    [1] profita de leur désarroi pour prendre d'excellentes positions. Par là les ennemis pensèrent que nous étions quatre mille hommes et se crurent perdus. Alors ils se rendirent à nous aux cris de « Vive le Roi! » même les réfugiés français sous le coup d'une condamnation à mort.
    Ainsi, avec 900 hommes nous fîmes 3,000 prisonniers. Ceci ne s'est encore vu nulle part. Nos soldats se sont parfaitement comportés. J'ai eu le bonheur d'échapper à tout danger, bien que je me sois constamment trouvé au plus fort de l'action. Je me sens très-fatigué, mais quelques jours de repos me remettront. Il est probable que cette affaire décidera la reddition du fort qui attendait ce secours. Maintenant tout espoir est perdu pour eux.

Avec cette modestie qui est l'apanage ordinaire de la bravoure, le jeune officier omet de parler de lui dans cette lettre, et pourtant que d'héroïsme il avait déployé dans cette journée !
Nous n'en citerons qu'un seul exemple : C'était sur le soir, à la tombée de la nuit le lieutenant de Naurois cherchait à rejoindre la troupe française avec les quelques hommes qui lui restaient. La fusillade était terrible, les balles sifflaient n'importe, il fallait arriver. Soudain, le dernier sergent de la compagnie tombe frappé de plusieurs balles. Mon lieutenant  ! mon lieutenant ! s'écrie-t-il, ne m'abandonnez pas! A ce cri suprême, M. de Naurois s'arrête et voit à deux pas de lui son pauvre sergent, qui le regarde d'un œil suppliant il veut l'emporter, mais le sac l'en empêche. Alors d'un coup de sabre, il coupe les courroies, se met à genoux auprès du blessé, lui prend les mains et, dans cette position très embarrassante, le charge sur ses épaules.
Cette opération terminée, il se relève avec des difficultés inouïes et porte ainsi son précieux fardeau jusqu'au campement français. Là, on entoure le courageux lieutenant, on le félicite, mais il se dérobe à tous ces éloges mérités et s'occupe de faire panser les plaies du blessé. Malgré tous les soins qui lui furent prodigués, ce dernier expira quelques jours après.
Ce trait ne peint-il pas tout l'homme ?

Un brillant avenir l'attendait. Mais, hélas  ! Un coup soudain, foudroyant, arrêta dans sa marche glorieuse ce jeune officier qui, par sa valeur et son courage, semblait destiné aux grades les plus élevés de l'armée. La guerre venait de finir, quand la mort de son père rappela subitement M. de Naurois au milieu des siens. Aîné de la famille, il ne voulut pas abandonner sa jeune mère désolée pour suivre la gloire qui lui tendait les bras  et, bien qu'il en éprouvât une véritable douleur, il sacrifia noblement sa carrière pour remplir le rôle de chef de famille. Ainsi, après huit années de bons et loyaux services, M. de Naurois envoya sa démission. Les chefs qui avaient su apprécier son rare mérite, regrettèrent vivement cet acte de générosité. Rentré dans la vie privée, M. de Naurois, dont l'ardente nature ne pouvait rester inactive, s'efforça de faire le bien. Sa fortune lui permettait, d'ailleurs, de suivre ses inclinations bienfaisantes.

Ce fut lui qui, en 1854, bâtit le magnifique marché de Saint-Martin, le premier qui ait été construit en fer. Peu de temps après, il fit percer une rue tout entière, à laquelle, par modestie, il déclina l'honneur de donner son nom.
Pendant la dernière guerre, non-seulement il ne voulut pas s'éloigner de Paris, mais il établit une ambulance dans son hôtel de l'avenue d'Eylau, et, quoique son âge avancé le dispensât de tout service, il monta bravement sa garde durant le siège, donnant ainsi à la jeunesse de son quartier l'exemple du patriotisme.
Après la signature de la paix désastreuse qui nous enlevait deux provinces, M. de Naurois, apprenant la formation de la Société de protection des Alsaciens-Lorrains, se hâta d'y souscrire comme membre fondateur. Ancien officier de l'armée, il voulait ainsi apporter sa part de soulagement aux infortunées victimes de la guerre. Mais là ne s'est point borné son amour du bien, et dès que la Société put acquérir, il lui fit don d'une belle propriété qu'il possédait au Vésinet. [2]

C'est dans ce terrain qu'il a construit, avec le concours de son habile architecte, M. Eugène Petit, l'Orphelinat des Alsaciens-Lorrains, dont il est parlé plus loin. Étendant davantage ses libéralités, M. de Naurois a doté cette maison d'une chapelle, dont la Bénédiction a donné lieu à une très belle et très touchante solennité.

A ce sujet, nous sommes heureux de pouvoir reproduire ici un témoignage de reconnaissance publique, d'autant plus précieux qu'il vient de plus haut, adressé tout récemment à M. de Naurois par le Président de la République :

    La Forest, 9 octobre 1877.
    Monsieur,
    Je m'empresse de vous remercier des intéressantes photographies de l'Asile alsacien du Vésinet que vous avez bien voulu m'envoyer. Il vous appartient plus qu'à tout autre de faire connaître un établissement à la fondation duquel vous avez si puissamment et si généreusement contribué. Le souvenir que vous m'envoyez ne peut m'être que très-agréable, et je fais les vœux les plus sincères pour la prospérité de l'asile.
    Recevez, Monsieur, l'assurance de mes sentiments distingués.

    Maréchal de Mac Mahon

Pour nous, la reconnaissance nous fait un devoir bien doux de ne pas clore cette courte notice consacrée à un homme de bien sans dire, ici, que l'Œuvre de la Première Communion et des Apprentis orphelins a le bonheur de posséder en M. Edouard de Naurois un insigne bienfaiteur, et nous, un bienveillant et généreux ami. Ses fréquentes visites à l'Œuvre témoignent de l'intérêt qu'il porte à de pauvres enfants qui, cependant, n'ont à lui offrir en retour que leurs prières quotidiennes et leur profonde gratitude. [3]

    Notes

    [1] Général Vionnet, vicomte de Maringoné.

    [2] Il avait acquis la propriété pour la restituer à son ancienne propriétaire, la comtesse de Chabrillan, dont il était le débiteur. La comtesse déclina l'offre et suggéra d'en faire don à une œuvre.

    [3] M. de Naurois est décédé l'année suivante, le 24 mars 1878, quelques jours après avoir reçu la croix de la Légion d'honneur (10 février). Il fut inhumé dans la chapelle.


Société d'Histoire du Vésinet, 2013 - histoire-vesinet.org