D'après Le Petit Réveil des Cantons de St-Germain et Poissy, 1er juin 1922. L'inauguration du Monument aux Morts (1922) Cérémonie patriotique au Vésinet La jolie commune du Vésinet que fréquentent tous les étés de si nombreux villégiaturistes, a été, elle aussi, lourdement éprouvée par la guerre. Deux cent dix sept de ses enfants ne sont pas revenus. Les personnalités présentes Le cortège comprend plus de 2.000 personnes parmi lesquelles MM. Poirson et Hugues Le Roux, sénateurs de notre département ; Bonnefous et Gant, députés de Seine-&-Oise ; Gaston Rouvier, ancien maire, ancien préfet des Vosges ; général Forqueray ; Henry Bertrand, conseiller général ; Eugène Gilbert, conseiller d'arrondissement ; Connat, secrétaire général de la Préfecture ; Bonin, 1er adjoint au maire de Saint-Germain ; Saulnier, maire ; Delcamp et Galampoix, adjoints et tous les membres du conseil municipal du Vésinet ; Chatel, maire de Chatou; Barbier et Petit, adjoints ; Lemarié, Villefranche et Chénier, conseillers municipaux ; Descombes, maire du Pecq et Beaujard, adjoint ; Gigonzac, commissaire de police de Chatou ; Leyval, président de la Société de tir ; Beauguittes, directeur de l'Asile national et Sisco, économe ; Richard, ancien receveur ; Galliard et Chassinat, du Syndicat d'initiative ; docteurs Mignon et Loustau ; Dubois, artiste peintre ; Delannoy, agent-voyer cantonal ; Constant Bernard, architecte, président du Comité du Monument ; de Casteran, ancien maire ; Lasernas, président de l'Union Sportive ; Hornet, receveur-buraliste ; Grandjean directeur de l'Orphelinat des Pupilles de la Seine à la tête d'une importante délégation de pupilles portant couronne et fleurs ; Conque ; Dischgand secrétaire de la mairie ; Delaty et Ecosse, secrétaires-adjoints ; Gilbert, receveur municipal ; Vigneron, agent-voyer communal ; Drugeon, président de l'Amicale ; le président et les membres du Comité de l'Union Républicaine et radicale ; Georgin, président de l'Union du Commerce ; Mlle Gallois-Brucker, présidente de L'Essor ; Odent, président de l'Union des Sapeurs-Pompiers ; Mimerel, président de la Croix-Rouge ; Roux, secrétaire du Syndicat d'initiative ; M. Courcier, président de la Société d'Horticulture ; Démartin, conseiller prud'homme ; Lurcher, président des Vétérans ; Decaris, président des Médaillés Militaires ; Bernelle, président de la Société des Croix de guerre ; Mme Hess, à la tête du Groupe Sportif scolaire ; M. Plumey, président du Club des Ibis ; Landsmann, de Saint-Germain ; Eugène Bonard, secrétaire en chef de la Mairie de Bougival ; nos confrères Bouquet du Petit Parisien, Martin de l'Agence Fournier; notre excellent collaborateur Simplex de Chatou ; Gilbert, directeur des écoles municipales et Debraine ancien directeur ; Mlle Gaillard, directrice de l'école des filles ; Tritsch, président de l'Epargne populaire ; Gauthier, Fleury et Rocourt, conseillers municipaux représentant la municipalité de Montesson ; Gaulard, etc., etc. Les discours Notre distingué concitoyen, M. Constant Bernard (architecte, président du Comité du Monument) prend la paroles en ces termes : Monsieur le Maire, Au nom de la Commission que vous avez instituée pour en assurer le concours, j'ai l'honneur de remettre, à vos soins, à votre surveillance et à votre sollicitude, ce Monument élevé à la mémoire des Enfants du Vésinet Morts pour la Patrie. Mesdames, Messieurs, Ce Monument dont l'ordonnance noble et sévère répond bien à sa destination, est le résultat des architectes du département. M. Bourgeois en fut le lauréat. Cependant, dès la première réunion de la Commission due à l'esprit libéral de notre municipalité, une divergence d'opinion se manifesta sur le choix de l'emplacement du Monument. Un certain nombre de ses membres, surtout de ceux qui, ayant connu l'époque lointaine qu'une voix retentissante appela, dans l'imprévision de l'avenir, l'année terrible, et voulant marquer dans l'hommage à rendre à nos jeunes plus de gloire que de deuil, plus d'admiration que de tristesse, souhaitaient que ce Monument fut érige sur une des places publiques de notre Ville, pour y être constamment sous les yeux des habitants et des visiteurs. Il leur semblait qu'après s'être si longtemps consolé du plaintif et douloureux Gloria Victis. il était bien de claironner enfin le triomphal Gloria Victoribus. Si légitimes que fussent ces désirs, ce projet dut être non pas écarté, mais ajourné, car il fallut s'incliner devant une raison dominante. Le monument projeté devant être en même temps qu'un mémorial un ossuaire, et abriter la dépouille mortelle d'un grand nombre de héros, dont le souvenir restera toujours vivant dans nos mémoires et dans nos cœurs, ne pouvait être édifié que dans ce lieu même. Ils reposent-là, appartenant à toutes les classes de la société, égales en héroïsme, et entre lesquelles la mort n'a pas fait de choix. Chacun de ceux qui dorment ici leur dernier sommeil, mériterait une mention spéciale qu'il ne m'appartient pas de leur décerner, mais de tant de sacrifices si vaillamment supportés, peut-être me sera-t-il permis de faire en quelque sorte la synthèse en adressant un hommage ému à ce chef de famille qui fut un de vos édiles, défenseur, à son heure, de la justice et du droit méconnus et qui a fait à la Patrie la sublime offrande de ses trois fils, en qui devait se continuer l'honneur de son nom. La France les prît tous les trois et ne lui en rendit aucun. Parmi toutes les douleurs que notre affectueuse sympathie ravive peut-être en ce jour, en fut-il une plus poignante et plus profonde. D'autres familles ont été aussi cruellement atteintes, et nulle part peut-être les dévouements et les deuils n'ont été plus nombreux que dans notre verdoyante commune qui semblait n'avoir été créée que pour connaître le bonheur et la joie. En 1914 elle comptait 1400 électeurs ; à l'appel de la France, victime de l'agression la plus brutale et la plus injuste, elle envoya 750 de ses enfants dans les rangs de ces divisions de fer auxquelles ils appartenaient. La guerre, la guerre cruelle, détestée des mères, en prit 217, et parmi ceux qu'elle lui rendit, un nombre presque égal était frappé d'incapacité physique plus ou moins complète. Pourrons-nous jamais faire assez pour exprimer toute notre gratitude à ces héros qui ont payé de leur vie, de leur sang ou de leur intégralité corporelle, le droit que nous avons encore de vivre et d'être Français. Ce n'est pas seulement à l'importance des avantages qu'ils nous ont procurés, limitée par des influences ultérieures, qu'il faut mesurer les services qu'ils nous ont rendus, mais encore et surtout, à l'insondable immensité des maux qu'ils nous ont épargnés. Devant ce Monument, dont la symbolique pyramide tronquée qui, de sa base terrestre, s'élance vers l'infini, d'un mouvement bientôt interrompu, comme l'éternelle aspiration de l'homme vers le mystère que ses efforts impuissants ne peuvent percer, laissez-moi rappeler les deux vers si nobles et si touchants de l'illustre génie dont j'ai déjà cité la parole : Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie Ont droit qu'à leur cercueil, la foule vienne et prie. Selon la pensée du poète, dont la grande voix eut seule pu retracer des événements qui dépassent la mesure humaine, ces mots de piété et de prière ne doivent-ils pas être entendus dans le sens le plus large. Ils ne comportent pas nécessairement les formules hiératiques et rituelles, chacun peut les interpréter suivant ses sentiments et ses convictions. N'est-ce pas aussi une prière des plus impressionnantes, que celle de tout un peuple qui, sur l'exemple de son auguste souverain, se recueille pendant quelques instants, pour concentrer la pensée de ses innombrables cerveaux, sur des faits qui dominent tous les autres événements de l'histoire. Nous reviendrons donc devant ce Monument que ne caractérise aucun emblème confessionnel, donnant à notre hommage la forme convenant à la conscience de chacun de nous, témoigner à nos Morts glorieux, de l'éternité de notre admiration et de notre reconnaissance. M. Saulnier, Maire, visiblement ému, prononce le discours suivant : Messieurs les Sénateurs, Messieurs les Députés, Messieurs, La population du Vésinet vous saura gré d'avoir bien voulu venir apporter à cette cérémonie le concours de votre présence. Ce Monument élevé par souscription publique, à la gloire des enfants de notre Ville tombés au Champ d'Honneur ne représente que bien faiblement la grandeur du sacrifice sublime de ceux qui reposeront là, ou de ceux qui sont encore épars sur le champ de bataille. Il rappellera dans l'avenir cette grande tourmente où la France, pour la défense de son sol sacré, dut faire de ses enfants une barricade humaine pour arrêter le flot envahisseur de la barbarie. eu loin de vous ces temps de dures épreuves ; à ces heures angoissantes ou nous entendions le grondement du canon, combien de mères, d'épouses, et de sœurs suivaient en tremblant I'écho de la tourmente, je les ai vues les larmes aux yeux écoutant ces sinistres déchirements de l'air qui se rapprochaient de nous ; dans leurs cœurs, elles associaient intimement la France à celui qui leur était cher. Ce supplice dura de bien longues années. Je revois encore les signes d'espérance, les physionomies s'illuminant à une foi nouvelle lorsque les roulements de la bataille s'éloignèrent, devenant plus précipités et plus sourds, nous comprenions que l'héroïsme du poilu de France venait de rompre la barrière et que notre cher pays leur devait enfin sa liberté.
Monsieur Saulnier, maire, rendant hommage aux Enfants du Vésinet tombés au Champ d'Honneur Cliché Petit Réveil, 28 mai 1922
Le sacrifice a été grand. Deux-cent-dix-sept de nos concitoyens ont signé de leur sang le traité de paix qui nous a réveillés de cet horrible cauchemar.Qu'il soit le dernier et que la sagesse des peuples mette enfin un terme à ces luttes homériques et fratricides. Que l'ambition de ceux qui seront appelés à gouverner, Ieur mette toujours devant les yeux l'horrifiant tableau de ce qu'est la guerre, de ses conséquences, de ses résultats. Pour nous tous, chers concitoyens, que cette stèle devienne un symbole de paix, qu'elle nous trace la voie du travail et de la fraternité. Au nom de la ville du Vésinet, je reçois ce monument, il deviendra pour nous un culte, et je prends l'engagement devant vous, familles de ces héros, que nos successeurs comme nous-même veilleront à perpétuer ce souvenir. Les clairons sonnent Aux Champs et M. Dischgand donne lecture des noms des 217 enfants ou habitants du Vésinet tombés au champ d'honneur. L'émotion est profonde dans l'assistance et bien des yeux se voilent de larmes. M. Henry Bertrand, Conseiller général, prend ensuite la parole. Au nom du canton de Saint-Germain, il s'associe aux paroles éloquentes que l'assistance vient d'entendre et il apporte ici l'hommage ému de sa reconnaissance aux enfants du Vésinet glorieusement tombés pour assurer le triomphe de la civilisation sur la force et la barbarie. [...] Comme le temps passe ! Près de 8 années déjà, depuis ce jour, tragique entre tous, où devant la plus odieuse violation de son territoire, la France s'est dressée frémissante pour défendre ses frontières. C'était alors de toutes part, il nous en souvient comme si c'était hier, l'enthousiasme le plus noble ! Tous, ouvriers, paysans, employés de toutes catégories, bourgeois et prolétaires, confondus dans un magnifique élan d'union fraternelle, oublieux de toutes leurs discordes, de toutes leurs divisions, répondent en masse à l'appel de la Patrie en danger ! et dans un calme imposant, l'émotion la plus poignante au cœur, ils quittent tout ce qui fait le bonheur, tout ce qui fait l'espérance, pour courir à leur poste de combat. Et pendant plus de quatre années, à l'admiration du monde, étonné de tant d'héroïsme ! dans la boue des tranchées, dans une tempête de mort, au milieu de difficultés et de souffrances qu'on aurait cru surhumaines, ils tiennent, les fils de la France ; l'ennemi n'a pas passé ! Gloire à votre mémoire, grands soldats de la plus grande des guerres ! Gloire la plus pure, gloire la plus noble ! Éternelle reconnaissance ! M. Hugues Le Roux, dont l'éloquence est connue, a fait couler bien des larmes. Le tableau qu'il a tracé des lettres du Poilu écrites au crayon puis le silence, indice de mort, était bien émotionnant. Ah ! quel éloge il fit de ces chers fils de France, lui le père au cœur meurtri. Il faut avoir souffert soi-même pour trouver de tels accents ! Et devant la beauté du sacrifice du cher enfant, cette noble parole « Il me semble que c'est mon père ! » M. Poirson termina la série des discours. Devant ce monument que votre piété a élevé aux enfants du Vésinet morts pour la Patrie, je me sens envahi d'une émotion profonde à la pensée de tant de jeunes gens ou d'hommes mûrs, disparus dans le rayonnement de leur jeunesse ou le plein midi de leur vie, et qui derrière eux ont laissé tant de foyers en deuil, tant de larmes qui ne sécheront pas, tant de plaies toujours ouvertes. La guerre a passé, la victoire est venue. N'oublions pas que pendant 4 ans ½, dans de durs combats, tous les Français ont communié dans la même pensée et le même espoir. Souvenons-nous que c'est à eux, dont les noms sont inscrits sur ce monument et qui dorment depuis longtemps leur dernier sommeil dans quelque cimetière du front ou quelque trou d'obus, que nous devons aujourd'hui de ne pas être Boches et asservis par le Germain. Ils sont mort pleins de gloire. Mais tout de même, ils ne sont plus là... Ils ne reverront plus la douce lumière du soleil ; ils ne réchaufferont plus de leur présence les foyers dévastés. Mais si toutefois votre douleur pouvait recevoir quelque apaisement, vous la trouveriez dans la vénération dont le monde entier les entoure, et qui ne fera que grandir tant qu'il y aura des hommes qui aimeront leur patrie, la justice et la liberté. Ils sont morts, en effet, non pour la gloire et la conquête, mais uniquement pour la défense du sol sacré du pays. En partant pour le front, vos fils, vos maris, étaient pleinement conscients du grand rôle humain que la destinée leur avait imposé ; ils savaient qu'ils étaient le bouclier du monde et que, s'ils succombaient, le monde civilisé, et pas seulement la France, s'abîmerait dans la barbarie. Nous avons donc le droit de dire : La Victoire de la Marne, où nous nous sommes trouvés presque seuls en face de toutes les armées allemandes, a sauvé la France. Mais elle a sauvé le Monde aussi. Voilà ce que le Monde entier ne devra jamais oublier. Je ne vous parlerai pas de l'effroyable guerre. Personne ne pourra I'oublier, jamais. Elle a duré plus de quatre années, pendant lesquelles pas un jour, pas une heure, pas une minute qui n'aient été d'héroïsme surhumain ! Elle s'est poursuivie des Vosges à la mer, dans la boue des tranchées, sous une mitraille incessante, au milieu de souffrances physiques inouïes, sous la perpétuelle menace de la mort immédiate et anonyme, venue de loin, avec le sentiment qu'on était dans la main du destin et qu'on ne vivrait aujourd'hui que pour mieux mourir demain. L'esprit se demande, aujourd'hui que l'excitation de la bataille est tombée, par quel miracle d'énergie et de volonté des hommes ont pu vivre des années, dans une pareille misère physique et morale. Il n'y en eut jamais de plus grands. Rien dans l'histoire ne peut leur être comparé. Ils ont fait reculer les limites de l'héroïsme. Il n'y a, dans aucune langue, de mots assez grands pour qualifier leur grandeur. La Victoire totale est enfin venue, mais après quelles souffrances, quelles angoisses, quelles ruines ! Plus de 1.500.000 Français morts. D'innombrables mutilés et blessés. Un fleuve de sang, je vous dis, un fleuve rouge a inondé nos plaines. Effroyable bilan du rêve insensé de domination mondiale, qu'a voulu réaliser l'impérialisme allemand, dût le monde en mourir ! La victoire est venue, qui a sauvé le monde, mais nous l'avons achetée par trop de sacrifices, nous n'en sentons pas la douceur. Le monde d'ailleurs, a bien de la peine à reprendre son équilibre. Il tremble encore des secousses trop violentes qui l'ont ébranlé. Il ne le reprendra que le jour où tous les peuples de la terre auront enfin compris que la force brutale doit disparaître pour faire place aux idées de justice et de bonté qui sont l'honneur, la raison d'être, l'éternel programme de la Démocratie française, et pour lesquelles vos enfants ont donné leur vie. Vous garderez pieusement leur mémoire. Le Monument sur lequel sont gravés leurs noms, sera entouré de vénération et d'hommages. Vous y viendrez prier, pleurer, y recueillir les subtiles leçons d'abnégation et d'oubli de soi-même qu'ils ont données, vous lui apporterez vos fleurs et vos larmes, vous y viendrez écouter la grande voix de vos morts. Le culte que vous aurez pour eux, n'aura ni incroyants ni infidèles et d'âge en âge de générations en générations, auprès de cet autel sacré rayonnera d'un éclat toujours plus pur, la mémoire de vos morts immortels. Tous ces discours furent très vivement applaudis. Puis chacun défila devant le mausolée pendant que l'harmonie faisait entendre une dernière marche funèbre. Gloire à notre France immortelle ! Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
Société d'Histoire du Vésinet, 2019 • www.histoire-vesinet.org |