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Albert Robida
Dessinateur, lithographe, aquafortiste, caricaturiste et romancier

"Ecarquille tes yeux à la beauté des choses".
ex-libris d'Albert Robida.   

Albert Robida naît le 14 mai 1848, rue des Boucheries, au cœur du vieux Compiègne. Son père, menuisier d'origine flamande, et sa mère née Hallmenschlager originaire d'Alsace, vivent rue de Bouvines et le jeune Albert fréquente la vieille école Hersan, voisine de Saint-Antoine, entre l'impasse du même nom et la rue de Paris. Il a deux frères: Edmond, contremaître d'imprimerie au Progrès de l'Oise, Emile qui partira en Amérique du Sud, et une soeur, Marie.
Albert est de type nordique, long, maigre et roux. Son père juge qu'il n'a pas de disposition pour un travail manuel: il est myope et maladroit. Sa réussite à l'école est modeste. Mais sa belle écriture le fait engager chez maître Rouart, notaire. Il y occupe différentes fonctions de 1862 à 1865. Une malicieuse tradition rapporte que le jeune clerc lançait, depuis les fenêtres, des boulettes sur les consommateurs du café de la Cloche, actuelle annexe de l'Hôtel de Ville. Il profite aussi des cours de dessin gratuits assurés par la ville en faveur des garçons de Compiègne et fait honneur à son maître, Félix Deligny, en remportant le premier prix de dessin en 1866. Là se distingue déjà l'humoriste: il passe son temps à caricaturer son entourage. "Le manuel du parfait notaire" qu'il rédige et illustre n'est pas du goût du maître qui le met à la porte.
Sa vie de dessinateur humoriste est caractérisée par une soif énorme de créer. Alliant une imagination enfiévrée, un sens de l'histoire vivante, un amour du pittoresque, une extraordinaire préscience des choses à venir, Albert déploie une technique d'exécution primesautière, rapide et expressive.

Croquis à la plume d'Albert Robida, publiés en 1895 dans le Journal La Nature

Croquis à la plume d'Albert Robida ...

De 1866 à 1890, il est chroniqueur et caricaturiste de tous les journaux voués à la satire des moeurs et dès 1880 rédacteur en chef de "La caricature". Pendant toute cette période, il voyage en Europe et croque châteaux, vieux bourgs, cités médiévales. Il doit cette prédilection pour le Moyen-âge au grand restaurateur-architecte, Viollet-le-Duc. Toujours attaché Compiègne, sa ville natale, dans laquelle il reviendra régulièrement, Robida déclarait à Ferdinand Bac en lui montrant la façade de l'Hôtel de Ville: "Voilà le berceau de ma carrière! C'est ce décor qui est à l'origine de tout! Je me suis senti tellement uni à lui que je ne pouvais plus m'en séparer. Il m'a hanté toute ma vie et même dans l'actuel si absorbant, il arrive au premier plan et s'impose comme une vision du temps de Rabelais!
Sa contribution à la gravure satirique, à la promotion des provinces françaises et à l'anticipation fut tellement extraordinaire par le nombre et la qualité des oeuvres et dessins, qu'il est encore pratiquement impossible d'en dresser la liste exhaustive. L'excellent livre de Philippe Brun "A. Robida, sa vie, son oeuvre" recense quelque 60 000 dessins et gravures et 200 livres illustrés. Mais qui pratique la recherche de vieux bouquins et papiers de collections aura sans doute la grande joie de découvrir de temps en temps une gravure inédite de Robida. Le musée Antoine Vivenel doit à la générosité de la famille d'Albert Robida, notamment son fils Frédéric, mort en 1978, de conserver un grand nombre d'oeuvres de l'artiste: dessins, estampes, journaux et livres. S'y ajoutèrent divers dons, accumulés depuis les années 1930, et les achats récents de l'Association des Amis des Musées. Cette collection, riche de plus de 500 pièces, permet d'offrir une vue étendue de la production du maître en à peu près tous les domaines. On remarque tout spécialement une série d'aquarelles de monuments français, allemands ou espagnols, réalisés par Robida lors de ses nombreux voyages en Europe. La bibliothèque Saint-Corneille de Compiègne possède, quant à elle, plusieurs dizaines de livres illustrés par Robida. La plupart sont visibles, tout au long de l'année, dans les différents bibliothèques municipales à la faveur d'expositions thématiques.

Croquis à la plume d'Albert Robida, publiés en 1895 dans le Journal La Nature

... sur les lacs gelés du Vésinet ...

Le style de Robida est unique par sa légèreté et la précision du trait, Il crée un type de femme qui "mène bien ses affaires sans se laisser distraire [..] des seins qui avancent en emplissant le corset, la taille mince, des hanches superbes qui évoquent en leur courbes exagérées le rêve des chairs ..., des jambes plantureuses aux mollets riches de galbe et des pieds de rien du tout".

Croquis à la plume d'Albert Robida, publiés en 1895 dans le Journal La Nature

... parus dans le journal "La Nature" en 1895.

L'oeuvre la plus remarquable de Robida fut sans conteste ses ouvrages prémonitoires sur le XXe siècle qui transportent le lecteur dans les années cinquante à Paris (qui comporte 64 arrondissements, dont celui de Chatou-Croissy). Son génie créatif et critique prévoit l'avènement de la télévision avec le téléphonographe, internet, le RER et le TGV par les tubes terrestres et aériens, l'industrie alimentaire, les chaînes de pizzas de la "compagnie d'alimentation" qui distribue les repas à domicile. Il plonge aussi dans la science-fiction "La guerre au XXe siècle", "La vie électrique", "La vie au XXe siècle" avec ses engins motorisés, aériens, sous-marins mais aussi les gaz toxiques. Il restera obsédé par la prémonition des effets dûs à la transformation du monde par la science.
Son petit-fils Michel n'hésite pas à le qualifier de puritain. L'illustrateur des journaux satiriques, tel "Le chat noir", "Le journal amusant" et "La vie parisienne" aux dessins légers voir hardis, était un bourgeois sévère à la morale stricte. Il tenait les siens au respect, non pas à cause de sa célébrité mais par éducation. "Austère dans sa mise comme dans ses propos, il ne tolérait aucune grossièreté, aucune familiarité". Fantaisiste oui, mais sur le papier! Sa vie intime est une quête de "travail heureux, de maison paisible, de femme aimée, d'enfants beaux et sains". En juin 1869, il habite Belleville alors un village avec son vignoble. Il s'y marie et aura trois enfants. Mais Belleville devient un arrondissement parisien et s'urbanise. Il le quitte en 1882 pour Argenteuil, au près de la Seine, inspiratrice des Impressionnistes (qu'il condamne!).
Argenteuil aussi se "bétonne" et Robida cherche à se rapprocher de la Grenouillère, à Croissy, une des sources friande de son inspiration. Finalement, il choisi de faire construire suivant ses projets dessinés. Il achète en 1894 un terrain au Vésinet, au 15 route de la Plaine, et confie la construction à un ami architecte, Bucot.

Croquis à la plume d'Albert Robida, publiés en 1895 dans le Journal La Nature

C'est une maison de la fin du XIXe siècle, hérissée de bow-windows, de toits enchevêtrés, de porches, de girouettes, de pinacles et, à son ajout, à pont de bois. Au deuxième étage se trouvait son atelier, éclatant de lumière grâce à ses grandes fenêtres, occupant toute la largeur de la maison. Dans le jardin subsistent les traces d'un paysage compliqué de buttes artificielles, de sentiers tortueux au milieu de charmilles et des arbres centenaires. Un mur, véritable monument historique, en plein milieu de la propriété, est l'unique vestige du Mur des Garennes, soigneusement conservé par Robida et ses successeurs.

De 1780 à 1788, les habitants de Chatou et de Croissy obtiennent de Louis XVI, la construction d'un mur les protégeant des dévastations des lapins et lièvres qui proliféraient dans le bois du Vésinet.

Vestige du Mur des Garennes (en 2000) dans la propriété occupée jadis par Albert Robida.

Robida vécut heureux dans celle maison. Il faisait de longues marches au bord de la Seine, ou pour aller acheter son journal à la gare de Chatou. Un jour il s'y hasarda à bicyclette et "s'écrasa contre les barrières du passage à niveau". Distrait, il l'était! A la naissance de son septième enfant, le voilà parti à pied, bien sûr, à la mairie du Vésinet pour le déclarer. En route il oublie qu'il doit s'appeler Georges ; ce sera Jacques. À peine installé, il réalise la première affiche publicitaire "Le Vésinet villégiature parisienne" avec la collaboration du peintre Emile Bourgeois. De 1900 à 1908, il siège au conseil municipal du Vésinet.

"Le Vésinet, villégiature parisienne"

Affiche des chemins de fer de l'Ouest par Albert Robida & Eugène Bourgeois.

Après des années de bonheur, les drames s'abattent sur sa famille en 1914. D'abord Camille, son deuxième fils, très grièvement blessé pendant la bataille de la Marne, rapatrié dans un hôpital béarnais, est amputé d'une jambe. Son cas étant jugé désespéré, son père se rend à son chevet ; Camille survivra... A son retour au Vésinet, Albert Robida trouve son fils Frédéric qui l'attend à la gare pour lui annoncer la mort Henry, son cinquième enfant. Architecte du roi de Siam, Henry était revenu pour s'engager. Sous-lieutenant au 29e chasseurs à pied, il est tué aux Eparges (Meuse) le 22 septembre 1914. On ne reconnaîtra pas son corps dans le charnier. Robida ne supporte pas ces drames. Il fuit la maison chargée de souvenirs et part pour Neuilly. Toutefois il revient l'été, louant un chalet près de la gare de Chatou dans l'actuelle rue Aristide Briand.
Il s'éteint à Neuilly, le 11 octobre 1926. Il est inhumé à Croissy, dans le caveau familial dessiné par son fils Camille.

Tombe de la famille Robida au cimetière de Croissy

Outre les mentions des dépouilles d'Albert, Camille, Arnaud, Cécile, Marthe Robida et Célina Noiret,
Une inscription évoque Henry Robida, st-lieut. au 29e Chasseurs, mort pour la France devant St-Milhel (1888-1914)

 

A voir : L'extraordinaire richesse de son œuvre dessinée (article)

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