D'après B. Renoult, 1944 - Guerre en Ile de France, Vol. II, 2006

Le séjour du maréchal Rommel à l'hôpital du Vésinet

Le 17 juillet 1944, vers 16 heures, Rommel est sur le chemin du retour à son QG de La Roche-Guyon. Soudain, près de Livarot, deux chasseurs anglais arrivent de derrière en enfilant la route à trente mètres d'altitude. La gerbe de projectiles de la mitrailleuse frappe la partie gauche de la voiture de Rommel, déchiquetant le siège et le pare-brise. Le chauffeur, gravement atteint, s'affaisse sur le volant ; la voiture fait une embardée, heurte un arbre, rebondit et s'arrête dans le fossé gauche de la route. Rommel qui a heurté le pare-brise est projeté hors de la voiture.
Le Maréchal, avec une fracture du crâne, gît sur la chaussée inanimé. Essuyant les tirs d'un nouveau passage de l'avion, Lang, l'aide de camp et le caporal Holke tirent Rommel à l'abri. Karl Daniel, le chauffeur, gît dans son sang, le Major Neuhaus est contusionné, un projectile a explosé sur son étui de pistolet. [1]
Rommel inconscient attend durant une heure une voiture pour le transporter. Il reçoit les premiers soins à Livarot, puis il est conduit à l'hôpital de la Luftwaffe à Bernay.
A la Roche-Guyon, quand on apprend le drame, les hommes du QG se rassemblent consternés en attendant le diagnostic. Dans la soirée il fait état de "quatre fractures du crâne, le visage au niveau de l'oeil droit est fortement contusionné : longue indisponibilité". [2] Le QG envoie aussitôt à l'hôpital de Bernay le Hauptmann Behr et le docteur Scheunig...

Le dimanche, 23 juillet 1944, profitant d'un calme exceptionnel sur le front, une ambulance part chercher Rommel à Bernay. A cinq heures du matin, le maréchal est transporté à l'hôpital du Vésinet près de St-Germain-en-Laye [où se trouve le GQG West,voir note 3] où il arrive à neuf heures. Il est remis aux soins du service du professeur Esch de l'université de Leipzig. L'examen médical s'avère très satisfaisant grâce à la constitution robuste de Rommel. L'amiral Ruge, responsable des transports de la Kriegsmarine sur la Seine, arrive dans l'après-midi pour le distraire en lui faisant de la lecture. Il l'informe des suites de l'attentat manqué du 20 juillet contre Hitler, et du putsch avorté des généraux allemands à Paris. Ruge n'était au courant de rien quant au complot. Rommel lui fait part de son désir de se remettre vite afin de se présenter en personne à Hitler.
Rommel re çoit encore la visite du baron von Esebeck, un correspondant de presse qui aurait dû se trouver avec lui durant la tournée fatale en Normandie. Esebeck était resté à la Roche-Guyon en attendant son retour. Ce 23 juillet Rommel le reçoit dans sa chambre. "Faites donc une photo de moi, ainsi les Anglais sauront qu'ils n'ont pas réussi à me tuer". II bavardait normalement et revint sur son rapport à Hitler. "La guerre était perdue, la défaillance de la Luftwaffe en particulier le remplissait d'amertume", raconte Esebeck. Rommel ne dit pas un mot de l'attentat contre Hitler.

Rommel au Vésinet

Photo de Rommel prise le 23 juillet au Vésinet
par le correspondant de guerre H.G. von Esebeck. [4]

"Faites donc une photo de moi, aurait dit Rommel ainsi les Anglais sauront qu'ils n'ont pas réussi à me tuer".

Pendant que Rommel se morfondait à l'hôpital du Vésinet, un commando des SAS britanniques menait une opération sur La Roche-Guyon pour l'enlever ou le tuer. Ils avaient été parachutés dans la nuit du 18 au 19 juillet, alors que Rommel était soigné à Bernay. Personne du côté des Alliés n'avait encore mentionné l'attaque contre Rommel et ses blessures.

Vue aérienne de l'hôpital du Vésinet

où Rommel est soigné par le docteur Esch du service de traumatologie de Leipzig.

Le 26 juillet, son aide de camp Lang note "Il a eu une migraine effroyable, la nuit dernière, causée peut-être par l'oppressante chaleur. Pour tuer le temps, il s'assoit au pied de son lit une pantoufle à la main pour chasser les mouches, avec peu de succès vu qu'il ne voit que d'un oeil". Livré à ses pensées, il se demandait pourquoi la presse allemande n'avait pas encore annoncé officiellement son accident, on se servait de son nom et il craignait qu'on le rende responsable de l'inévitable écroulement du front. Il avait bien reçu un télégramme du Führer : "Acceptez mes meilleurs voeux pour votre prompte guérison". Mais il se sentait mis en quarantaine.
Le dimanche 30 juillet dans l'après-midi, Ruge revient voir Rommel au Vésinet. Il le trouve d'excellente humeur. Il veut absolument partir en Allemagne jeudi. Son aide de camp Lang à bien du mal à lui faire garder le lit. Malade indiscipliné, il refuse de reconnaître la gravité de ses blessures et de rester allongé comme on l'en priait. "Un chirurgien finit par lui apporter un crâne humain emprunté au service de pathologie et le fractura à coup de marteau. "Voilà dans quel état se trouve votre crâne" s'exclama-t-il, la démonstration achevée. Le maréchal se montra plus raisonnable pendant quelques jours".
Les Anglais ont finalement annoncé sa blessure sous des versions diverses. Ils ne savent pas encore que c'est un de leurs pilotes qui a tiré sur la voiture de Rommel [5]. L'amiral Ruge revient peu après 18 heures. Le temps s'est éclairci, il observe des combats aériens, un avion qui s'abat et plusieurs grandes formations de bombardiers.
Erwin Rommel rentrera finalement en Allemagne le 8 Août...

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    Notes:
    [1] M. Jean Baboux du Cercle d'Études vernonnais nous a adressé les précisions et corrections suivantes, concernant l'attaque de la voiture:
    « Dans la voiture, une Horsch, conduite par le chauffeur Karl Daniel, se trouvait à l'avant le Felwebel Karl Hulker à genoux et regardant vers l'arrière de la voiture décapotable. Derrière Daniel était assis Rommel et à sa droite le major Neuhaus ; l'Hauptman Lang était assis sur un strapontin devant Neuhaus et scrutait le ciel. L'attaque a été effectuée par deux Spitfire de la 602, le coup mortel a été tiré par Bruce Oliver, un pilote néo-zélandais qui devait se tuer en 1951 en effectuant de l'épandage aérien; l'autre spitfire était piloté par Jacques Remlinger, un as de la France Libre. »

    [2] Le dossier médical fait état de « de nombreux éclats dans la tête et une blessure à l'œil gauche ; une grave fracture à la base du crâne ; d'autres fractures aux tempes et à un maxillaire. » A la suite d'une grave commotion cérébrale Rommel resta assez longtemps sans connaissances.

    [3] Dans différents articles, et dans le Quid en particulier, on indique que "Rommel eut son quartier général au Vésinet, puis à La Roche-Guyon". Cette affirmation n'est étayée par aucun fait précis et n'est rapportée dans aucune des biographies consacrées à Rommel. Des villas réquisitionnées au Vésinet ont abrité durant toute l'Occupation des officiers généraux, en particulier parmi ceux affectés au Grand Quartier Général des Armées de l'Ouest à St Germain-en-Laye, avec à sa tête le Maréchal von Rundstedt de 1942 à 1944. Mais Rommel n'a jamais été affecté à St Germain-en-Laye, même s'il lui est arrivé d'y passer.

    [4] La photo a probablement été retouchée, voire montée. Selon des témoins, l'état du maréchal était plus grave que ce que suggère ce cliché. Le baron von Esebeck a publié par la suite un ouvrage sur Rommel en Afrique: Afrikanische Schicksalsjahre das deutsche Afrikakorps unter Rommel. Esebeck,HG. Limes Verlag Wiesbaden, 1949, 284 pages paru en français sous le titre : Rommel et l'Afrika-korps 1941-1943, Jouan éditeur, 1950.

    [5] Clin d'oeil du destin, Le "Renard du désert" aurait pu être abattu par le flight lieutnant Charley Fox de la RAF canadienne qui a revendiqué cette attaque, mais les heures ne coïncident pas ; des pilotes américains ont aussi été évoqués mais les éclats des obus ne sont pas ceux utilisés par l'US Air Force.

    Lire aussi:

      • The Rommel Papers - 1988 (reedition) - B. H. Liddell-Hart, (Editor), Da Capo Press.

      • St Germain-en-Laye Kommandatur, 2017 - Bruno Renoult et Jean-Paul Pallud (vol.I) et Bruno Renoult (vol. 2).

 


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