D'après Le Petit Journal, 29 juillet 1896 et Le Matin, 28 juillet 1896 [1]

La Ville-du-Vésinet dans la tourmente

L'ouragan de dimanche [26 juillet 1896] a été terrible, on le sait, pour les aéronautes qui avaient eu la témérité d'aller le braver : deux morts, MM. Foucart et Guillaumin ; cinq blessés, MM. Boiteux, Legrand, Crépillon, Leloup, Bourgue ; quatre aérostats mis à mal, le Jupiter, l'Explorateur-Céleste, le Pionnier et la Ville-du-Vésinet.

Au Cercle aéronautique, nous nous entretenions hier de ces catastrophes avec un de nos confrères de l'Aéronaute, le bulletin de la Société française de navigation aérienne, dans le dernier numéro duquel paraissait, il y a quelques jours, un article de M. Leloup, une des victimes.
Ces messieurs déplorent, avec raison, qu'à l'époque où sont en vigueur les arrêtés interdisant aux petits chiens la libre promenade dans Paris et où se dresse à tous les carrefours le fameux sceptre pour la circulation intermittente des voitures, aucun article de police ne réglemente la conduite des aérostats. On a la pudeur de feindre l'examen de capacité pour les cochers de fiacre, mais d'un pilote d'aérostat ou d'un amateur de promenades aériennes, on n'exige absolument aucune expérience, et il est plus facile d'enlever cinq personnes à deux mille mètres, au risque de leur casser le cou, que de tenir dans un café une réunion au cours de laquelle seront agitées quelques balivernes politiques.

Les "collections" et les "bulletins" des lois, Dalloz, Duvergier, Haureaume ne mentionnent, depuis plus de cent ans, aucune réglementation concernant les Aérostats. M. le comte Anglès, préfet de police, rendait pourtant une ordonnance, le 21 août 1819, n'autorisant que "sous certaines conditions" l'ascension des "ballons qui s'enlèvent par terre et d'un foyer quelconque suspendu au-dessous de leur orifice" mais ces machines-là n'ont rien de commun avec l'aérostat d'aujourd'hui.
Depuis dix ans, la Société française de navigation aérienne réclame un règlement de police interdisant au premier venu de courir seul, ou en compagnie d'autres imprudents, les risques d'une ascension en ballon. On peut voir par les noms des blessés ou des morts de dimanche que les quatre aérostats sinistrés emportaient ce jour-là bien peu de vrais aéronautes.
Il faut espérer que la quadruple catastrophe forcera l'attention des autorités compétentes qui, en l'espèce paraissent se résumer en la personne de M. le préfet de police, et qu'un règlement concernant les ascensions aérostatiques et le pilotage aérien ne tarderont pas à être publié. Si M. Lépine est embarrassé, qu'il jette un coup d'oeil sur cette ordonnance du "bon vieux temps" datée du 23 avril 1784, et signée par M. Lenoir, lieutenant général de police: "Nous faisons très expresses inhibitions et défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, de fabriquer et faire enlever des ballons et autres machines aérostatiques auxquelles seraient adaptés des réchauds à l'esprit de vin, de l'artifice et autres matières dangereuses pour le feu.
Ordonnons que ceux qui voudraient enlever d'autres ballons aérostatiques seront préalablement tenus d'en demander et obtenir la permission, laquelle ne pourra être accordée qu'à des personnes d'une expérience et d'une capacité bien reconnues, et contiendra le lieu le jour et l'heure auxquels pourront être faites les dites expériences le tout à peine contre les contrevenants de cinq cents livres d'amende."
Il est évident que si cette ordonnance de 1784, excellente, bien qu'antérieure aux immortels principes, était encore respectée aujourd'hui, le monde aéronautique compterait deux braves garçons de plus et cinq éclopés de moins.

Les aérostats n'ont pas moins souffert de l'ouragan de dimanche que les aéronautes. Le plus beau des quatre ballons accidentés, le Pionnier, appartenant à M. Archdeacon et cubant 1300 mètres a été mis en lambeaux par les branches qu'il rencontrait dans sa course vertigineuse. Le Jupiter, cubant également 1300 mètres, est hors d'usage. l'Explorateur Céleste, 650 mètres, et la Ville-du-Vésinet, 400 mètres, sont en piteux état. Tout cela fait des dégâts assez considérables.
Le prix d'un ballon, se composant essentiellement d'une enveloppe de soie ou de coton vernie, d'un filet en cordages de chanvre ou de soie et d'une nacelle munie d'agrès, est de deux à trois mille francs pour 500 mètres cubes, de quatre à cinq mille pour mille mètres cubes, et de cinq à six, mille pour 1500 mètres cubes. Les ballons d'un volume supérieur sont rares. Le ballon de M. André, pour son expédition au pôle Nord, est exceptionnel. Il est formé de trois enveloppes de soie séparées par deux enveloppes de caoutchouc, incûbé 4,500 mètres, et il a coûté plus de 50.000 francs. Il sort d'un des grands ateliers aérostatiques de Paris, qui compte cinq établissements de ce genre: deux à Grenelle, un à Vaugirard et deux à Montmartre.
On loue des ballons comme des bicyclettes à raison de cent à deux cents francs, plus le gonflement qui revient à vingt centimes au minimum par mètre cube de gaz absorbé. En somme, une promenade en ballon est une partie de vingt à vingt-cinq louis, sans compter les fractures.

Le Jupiter
Ballon de 1300 m3, appartenant à M. Besançon, loué pour l'occasion par M. Boiteux, un marbrier d'Aubervilliers assez peu expérimenté.

A l'occasion de la fête d'Aubervilliers, l'enlèvement du ballon monté par le capitaine Boiteux accompagné de trois de ses amis, MM. Legrand, Foucard et Crépillon, demeurant tous trois route de Flandre, eut lieu à 16h 30, au pont de Stains. Par suite de l'orage terrible qui a sévit sur Paris et ses environs, le capitaine ne put plus maîtriser son ballon qui filait avec une rapidité terrible. Une déchirure occasionnée par l'ouragan se produisit et le ballon vint tomber d'une hauteur de plus de 100 mètres dans la plaine de Mitry-Claye.
Au lieu dit des Quatre-Chemins,près du pont de la Rosée, deux des voyageurs, profitant du moment où la nacelle n’était qu’à quelques mètres du sol, sautèrent sur le chemin. Un troisième voulut en faire autant, mais le ballon s'était relevé. De plus, le malheureux se prit les jambes dans une corde qui pendait à la nacelle et il fit une chute terrible. C’était M. Foucart, un homme d’une cinquantaine d’années, demeurant rue de Flandre.
Il restait dans la nacelle le quatrième aéronaute, M. Crépillon. Le malheureux s’était blotti dans fond du panier et ne bougeait plus; on n’entendait que ses cris.
Des quatre aéronautes, un seul put revenir à Aubervilliers : M. Legrand, tout couvert de contusions, il a raconté que, dans la chute, M. Foucart avait eu un œil crevé et M. Boiteux, la jambe cassée. Ils étaient restés à Mitry où on leur donnait les soins nécessaires. Quant à M. Crépillon, il fut récupéré par les gendarmes lorque le ballon acheva sa course dans les branches d'un arbre. Les gendarmes, à l’aide d’échelles purent l’enlever sans connaissance et le transporter au village de Gressy où les premiers soins lui furent donnés.
Quant à M. Foucart, il succomba le lendemain aux suites de ses blessures..

L'Explorateur Céleste
cubant 650 m3, appartenant à M. Gass, employé aux postes & télégraphes.

l'Aérostat était monté par un jeune homme de dix-neuf ans, Xavier Guillaumin, membre de l'Ecole française de navigation aérienne, demeurant à Antony, rue du Moulin. Employé de banque, il en était à sa sixième ascension. Il était accompagné d’un de ses amis faisant partie de la même société d’aérostation, M. Leloup, âgé de trente ans.
Parti d'Issy-les-Moulineaux, il planait au-dessus de Neufmoutiers, à cinq kilomètres environ de Meaux, lorsqu'il fut saisi par la tempête. Entrainé à une vitesse vertigineuse, ce ballon n'était qu'à quelques mètres du sol, mais complètement désemparé lorsque l'un des voyageurs tomba de la nacelle et vint s'abîmer sur le sol. Des habitants accoururent, mais, lorsqu'ils relevèrent le malheureux aéronaute, il était mort. Il s'agissait de Xavier Guillaumin. Ils portèrent alors le cadavre à la mairie de Meaux.
Après la chute du malheureux aéronaute, le ballon remonta dans les airs, emporté par le cyclone, et alla s’abattre à Lizy-sur-Ourcq, à 16 kilomètres de Meaux. Il n’y avait plus personne dans la nacelle.
M. Leloup fut retrouvé peu après à Charny, dans un jardin clos de murs "dans un état de prostration inouï". Il ne souffrait cependant pas de graves blessures. Il avait probablement été projeté hors de la nacelle avant son compagnon.

Le Pionnier
cubant 1.300 m3, appartenant à M. Ernest Archdeacon.

Le Pionnier, monté par le capitaine Gass fils et MM. Raingunsberg, Gaspard et Bourgue, était parti de Suresnes dimanche soir, à quatre heures. A Pantin, d'après le récit du capitaine, l'aérostat fut assailli par la pluie et par le vent ; pendant quelques minutes, l'obscurité fut si complète que les aéronautes ne se distinguaient même plus dans la nacelle. Le ballon, à partir de ce moment, tournait parfois sur place pendant quelques minutes.
Le capitaine fit coucher ses camarades au fond de la nacelle et s'y plaça lui-même pour éviter d'être blessé par les grêlons. Mais M. Bourgue, qui en était à sa première ascension, voulut voir au bout d'un instant ce qui se passait et se releva. A ce moment, l'aérostat passait au-dessus des bois de M. Cellerier, à Montfermeil. L'ancre heurta un chêne qui fut brisé, la nacelle bascula et M. Bourgue tomba de branche en branche jusqu'au pied de l'arbre.
Le ballon fit encore quelques bonds désordonnés et alla se déchirer en deux sur la cime d'un chêne dans le bois de Mme Wurtz.
La nacelle resta ainsi suspendue dans le vide pendant vingt minutes. A ce moment seulement M. Gass, qui était évanoui, reprit ses sens ; il s'aperçut alors de la disparition de M. Bourgue. A l'aide de la corde de l'ancre le long de laquelle ils se laissèrent glisser, les trois aéronautes parvinrent enfin à toucher terre et se mirent aussitôt à la recherche de leur malheureux camarade qui s'était traîné au bord de la route.
Le blessé qui avait une jambe brisée, plusieurs côtes enfoncées et une plaie à la tête, fut transporté Montfermeil puis à son domicile à Paris. L'aérostat, le Pionnier, qui est complètement en lambeaux est absolument perdu.
 

La Ville-du-Vésinet
Petit ballon cubant 400 m3, appartenant à M. Perpette, aérostier.

Au Vésinet, le 26 juillet 1896 était le jour de la fête communale et l'enlèvement d'un ballon était programmé dans la cour de la Mairie à 14 h. Monsieur Maurice Perpette, membre de l'Association aérostatique de France (il en sera plus tard le secrétaire général) proposait à l'occasion de ces fêtes, une attraction aérienne. On lui connaît plusieurs ballons, généralement de petite taille (400 à 500 m3), le Tzar, Le Gulliver, Le Général Joubert ...que l'on retrouve au programme de fêtes locales de 1893 à 1914 et cette Ville-du-Vésinet dont c'était peut-être la première (et la dernière) sortie.
Le gonflement du ballon, dès le matin, était une attraction très prisée. L'entrée dans l'enceinte du ballon coûtait 25 centimes et un billet de tombola, 50 centimes. On pouvait soit faire un vol de "baptême de l'air", soit une ascension "captive".
Petit aérostat monté par un seul aéronaute, M. Delagarde, du Vésinet, la Ville-du-Vésinet était partie à quatre heures et demi et fut très rapidement rabattue sur terre et traînée sur le sol sur six kilomètres. Le ballon ne put être maîtrisé qu'à Carrières-Saint-Denis, par un groupe d'agriculteurs. L'aéronaute en a été quitte pour des contusions multiples mais sans gravité. La Ville-du-Vésinet a été sérieusement endommagée. [3]

Monsieur Perpette (à gauche) prêt à l'enlèvement

Maurice Perpette puis son fils André figurèrent au programme de nombreuses manifestations en particulier au Chesnay. Quelques années plus tard, des essais de parachute seront pratiqués depuis un ballon de M. Perpette, au dessus de l'usine à gaz de Rueil.

 

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    Notes :

    [1] Tous les journaux (La Croix, La Presse, Le Matin, Le Journal des Débats, le Petit Parisien, Le Figaro, etc.) rendirent compte "à chaud" de ces accidents. Tous les récits divergent ainsi que toutes les circonstances et déroulement des faits. L'article dont est tiré le détail des accidents, paru trois jours après la tempête, s'appuyant sur les rapports de gendarmerie, semble le plus digne d'intérêt.

    [2] Dans la revue Le Musée des familles, du deuxième semestre 1896, dans la rubrique "Mouvement Scientifique", un article consacré aux phénomènes météorologiques fait mention de la mésaventure des quatre aérostats. Il comporte une carte montrant la trajectoire des ballons. Il semble que les auteurs aient confondu Carrières-St-Denis (ancien nom de Carrières-sur-Seine) et St-Denis (93) pour la trajectoire du Ville-du-Vésinet.

    [3] Dans le numéro 7-8 de L'Aérophile de 1896 (revue mensuelle de l'aéronautique et des sciences qui s'y rattachent) un article de A. Cléry est consacré aux "catastrophes aériennes du 26 juillet". Si pour les trois premiers ballons, les faits rapportés concordent avec les récits ci-dessus, pour le quatrième, il est dit simplement: "A peine la tempête était-elle calmée, que l'Argus, de 480 mètres cubes, monté par M. Delagarde, s'enlevait intrépidement de la jolie ville du Vésinet, et le voyage se passait sans incident notable". Il est vrai que l'article, militant contre toute règlementation en matière d'aéronautique, cherchait plutôt à minimiser les faits.

     


Société d'Histoire du Vésinet, 2011-2013 – www.histoire-vesinet.org