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Louis Gilbert (1831-1904), architecte
Les œuvres les plus "modernes" du Vésinet, qui traduisent les recherches d'un architecte sachant adapter les matériaux à une écriture originale, appartiennent à Louis Gilbert. Elève de Tendron, Moll et Ramousset, il expose au Salon de 1861 un projet de jardin d'hiver à élever dans le parc Monceau. Dans les années 1860, il s'installe à Bougival, où naît en 1872 son fils Georges Alphonse qui devait être également architecte. C'est à lui qu'en 1878 sera confiée l'édification de la nouvelle mairie du Vésinet et de ses bâtiments annexes.
Probablement motivé par la clientèle potentielle qu'offrait cette commune en plein essor, il s'installe 14 rue du Départ. Ses premières réalisations datent de 1874. Il devient architecte de la commune et de la paroisse, il est aussi architecte vérificateur, expert auprès du Tribunal de Versailles. Durant le dernier quart du XIXe siècle, il va marquer le paysage vésigondin. Outre la mairie et les écoles communales, on lui doit aussi l'école congréganiste des Sœurs de la Sagesse (Fondation Armand-Chardron) en 1884, et l'agrandissement de l'église paroissiale Sainte-Marguerite en 1896-98.
Louis Gilbert (1831-1904)
Né à Angers le 9 mai 1831, fils d'un vannier.
Architecte, élève de Tendron, Moll et Ramousset,
Louis Gilbert fut conseiller municipal du Vésinet (de 1888 à 1904).
Mort à Paris, 178 av. Victor-Hugo (16e) le 28 avril 1904.
Dictionnaire biographique encyclopédique de Seine & Oise (1909).
La Mairie et les écoles communales
Un procès verbal d'adjudication, le 25 février 1878, indique que la construction de la mairie, de deux écoles et d'une salle d'asile, est confiée à Gilbert, architecte des bâtiments communaux. Le style de Gilbert s'y retrouve facilement comme dans les bâtiments destinés aux écoles et contribue à intégrer le groupe municipal dans l'environnement architectural. On n'a pas cherché à le différencier des autres constructions en volume ou par la manière. Seule la très belle grille installée en 1881 par l'architecte Jean désigne l'édifice au passant. Les travaux de sculpture confiés à Etesse, entrepreneur de sculpture à Levallois-Perret montrent combien on a cherché à réduire la dépense (rappelons-nous la modicité du financement proposé, 183 000 frs. A l'extérieur on a recourt à de la pierre tendre "sans frais de modèle" et dans la salle du conseil à du carton pierre. Les thèmes retenus: palmettes, rosaces, chapiteaux ioniques ne présentant aucune symbolique républicaine telle qu'on la rencontre ailleurs (bonnet phrygien, tours crenelées, faisceau de licteurs). En ce qui concerne les inscriptions, Pallu a commandé le strict nécessaire : "Mairie, 6 lettres romaines."
Gilbert a également associé son nom au mobilier scolaire, très novateur, qui équipa les écoles de garçons et de filles qui entouraient la mairie.
Cette table a été construite pour répondre aux désirs de quelques spécialistes qui affirment qu'aucun inconvénient ne peut exister à la réunion de deux élèves. Cette table ne diffère de celle à sièges isolés, que par la continuité du siège et du dossier qui affectent le même galbe. Les lames contribuent à donner plus de légèreté et restent tout aussi hygiéniques.
Au Vésinet, M. Gilbert, architecte.
Le mobilier scolaire, médaille d'argent, exposition internationale de 1878
Mais le domaine où l'expression de l'architecte est la plus libre est celui des villas dont nous connaissons huit exemples, dont la villa Beau-Chêne, construite en 1891, qui sera la demeure de Josephine Baker durant une quinzaine d'années. La plupart de ses réalisations ont été inscrites dans la liste des demeures à protéger (annexe du plan d'occupation des sols de 1992) ; elles sont reportées dans le tableau ci-dessous.
Adresse
Date
Description [1]
Référence Cadastre
1, rue du Marché
vers 1874
Maison - En brique et en pierre, comme toutes les constructions de l'architecte, elle présente, en raison de sa position, deux façades traitées avec un soin égal: élévation symétrique du côté rue, marquée au centre par un pignon en pierre, irrégulière du côté de la voie ferrée avec deux bow-windows superposés, couverts en terrasse. Trait caractéristique de l'architecte, chaque détail architectonique ou décoratif est le résultat d'une réflexion. La brique, par exemple, dans la structure de pierre des chaînes en harpe d'angle, fait l'objet d'un graphisme différent selon sa position l'alternance de bandes en brique rouge et de bandes rayées en brique rouge et jaune, utilisée pour le rez-de-chaussée et le premier étage, est inversée au pignon. Les toits à ferme débordante donnent à l'édifice un caractère rustique, tempéré toutefois par une décoration "gothique" discrète, rare dans la production de Gilbert. Notamment, apparaissent ici deux éléments récurrents dans son oeuvre: le motif de la coquille et la baie géminée en plein cintre.
AN 259
31, rue Henri-Cloppet
vers 1874
Maison - Contemporaine de la précédente, elle se rattache encore un peu aux modèles classiques et palladiens par son volume cubique et le caractère ordonnancé de son élévation principale à trois travées. L'axe est marqué par une travée centrale surélevée par une large lucarne-attique ; des pilastres de pierre rythment l'ensemble. L'étage "noble" est souligné par une frise dans laquelle s'insèrent au-dessus des fenêtres des tables de pierre, à cadre de brique épaulé par deux enroulements rappelant certains motifs bellifontains. Dans des niches circulaires, posés sur des consoles triglyphées, sont placés des bustes représentant Bacchus et, vraisemblablement, Ariane.
AM 97
15, rue du Maréchal-Joffre
vers 1879
Maison - Le centre de la façade est souligné cette fois par un pavillon polygonal en pierre, la brique étant utilisée pour le reste de l'édifice. Selon l'usage classique, les baies de l'étage sont couronnées de frontons alternativement triangulaires et cintrés ornés de coquilles. Ces dernières cependant, très petites et supportées par un culot, semblent plutôt s'inspirer de modèles de la Renaissance.
AN 335
75, rue Henri-Cloppet
vers 1880
Maison - La forme complexe de cette maison alignée sur la voie est due à sa situation à l'angle de deux rues. Son style est proche de la maison 31 rue Henri-Cloppet (voir plus haut). On remarque en particulier la même lucarne-attique centrale, formée d'une large baie cintrée flanquée de tables au décor géométrique très élaboré: briques panneresses posées de biais et rangées de briques droites. On retrouve aussi la frise du premier étage et les encadrements des ouvertures dont les volutes très nettement découpées trouvent leur écho dans les ferronneries. Autre trait remarquable, les tables en pierre du premier étage sont sculptées de, motifs géométriques taillés en réserve et ornés de briques. Le rez-de-chaussée enfin affirme son caractère urbain par des refends horizontaux ou bossages continus et des consoles d'appui des fenêtres également empruntées au répertoire de la Renaissance.
Immeuble - Décoré par les sculptures du marbrier L. Bonnyaud, l'immeuble est proche de la maison "brique et pierre". La façade symétrique est scandée par trois pavillons, dont la verticalité est accentuée par un ordre colossal de pilastres dont les fûts sont bagués d'assises à bossage vermiculé. Les deux travées séparant les pavillons, légèrement en retrait, sont rythmées par des tables en brique, ponctuées d'un motif que l'on retrouve à plusieurs reprises dans l'oeuvre de Gilbert: un cartouche rectangulaire entre deux palmettes; jouant sur les pleins et les vides, Gilbert a percé un jour dans quatre cartouches. Le décor sculpté est remarquable tant par l'originalité des motifs que par la qualité de l'exécution. L'amortissement des baies par une table surmontée d'une coquille est, une fois encore, un emprunt à la Renaissance.
AN 329
28bis, avenue Georges-Clemenceau
1881-1890
Maison - Plus spectaculaire par ses dimensions et sa position privilégiée au bord du lac de Croissy, la maison est entièrement construite en brique. Elle date de 1890, environ ; les travaux ont été menés par l'entreprise Rugière frères. Manifeste d'une "nouvelle" architecture prônant les matériaux industriels: brique, céramique et fer pour les linteaux, elle ressemble à une illustration de l'ouvrage de Chabat [*]. Toutefois, Gilbert apporte une sensibilité toute personnelle dans l'utilisation du motif "de tapisserie". Selon son habitude, il hiérarchise les étages et, sans utiliser les ordres antiques, il crée une sorte de progression visuelle du plus rustique au plus raffiné en diminuant à chaque niveau le nombre des assises en brique des bandes horizontales (quatre au rez-de-chaussée, trois au premier étage, une au second). Dans le même but, il place sous les corniches couronnant les niveaux un décor de plus en plus riche: briques en dents de scie au rez-de chaussée, carreaux émaillés entre des modillons au premier étage, cabochons vernissés enchâssés dans un cadre métopique au second. C'est le matériau qui constitue l'unité de cet édifice aux volumes variés, aux ouvertures de tailles diverses, qui n'a pas en réalité de façade principale et s'oriente de tous côtés vers le paysage environnant, qu'il dominait depuis un belvédère, aujourd'hui disparu, placé au sommet du pavillon. Une photographie conservée aux Archives départementales des Yvelines représente la maison dans sa forme originelle beaucoup plus modeste. Elle est datée de 1881.
AO 16
46bis, avenue de la Princesse
(36, av.
Georges-Clemenceau)
1890
Maison en pierre et brique
caractérisque de l'architecture vésigondine. Elle reprend le répertoire
ornemental de la Renaissance en particulier dans la travée centrale au dessus
de la porte d'entrée.
Maison - Bâtie sur une très grande parcelle, c'est l'oeuvre la plus importante de Gilbert au Vésinet et chacune de ses façades a fait l'objet d'une recherche particulière, sur le thème du "brique et pierre". L'élévation principale est flanquée de deux pavillons carrés, formule que l'on rencontre dans les maisons de caractère "moderne" dès les années 1870, couverts de flèches très élevées. A l'étage, les angles des pavillons sont coupés, procédé déjà rencontré au 1, rue du Marché. Le centre de la façade est marqué par un léger avant-corps amorti par une composition pyramidante autour d'une lucarne à baies géminées en plein cintre. On relève des accents véritablement maniéristes dans le mouvement du fronton et surtout dans la disposition des ailerons qui calent la composition. La façade postérieure, reprenant un schéma classique, s'enfle dans sa partie centrale d'un large avant-corps occupé par le grand salon. On note une excroissance de couvertures tout à fait étonnante. Les façades latérales, curieusement, présentent un pignon découvert là où l'on attendrait un toit brisé comme pour le reste l'édifice. Mais le pignon fait l'objet d'un traitement particulier. Interrompu par la corniche qui dessine une sorte de fronton, le décor, plus que jamais, emprunte à la Renaissance: souches de cheminées, lucarnes, culots.., jusqu'au motif de cordelière qui encadre le fronton.
Au terme de ce bref catalogue des œuvres vésigondines de L. Gilbert, Sophie Cueille écrit :
Louis Gilbert apparaît donc avant tout comme un architecte imprégné d'une culture classique. Il ne fait pas de pastiche, ne marque ses oeuvres d'aucun historicisme particulier et si, à plusieurs reprises, nous avons relevé des éléments caractéristiques de l'architecture de la Renaissance, ceux-ci sont intégrés dans un système cohérent et homogène, émanant de la logique moderne de l'architecte. Le jeu des surfaces, la frise de couronnement, le type d'encadrement des ouvertures, les baies géminées cintrées et le motif de la coquille sont des traits récurrents de ses compositions. Son écriture, très linéaire et décorative, peut être qualifiée de maniériste. Il utilise, en outre toutes les ressources de la brique dans un esprit moderne et inventif.
Les lecteurs intéressés pourront trouver sur le site web du ministère de la culture (Base MERIMEE) des photographies et des informations complémentaires concernant les édifices recensés ci-dessus.
Dans l'Album guide Robert publié vers 1904, on trouve une publicité de M. Gilbert, architecte, rue du Départ, au Vésinet, proposant des constructions plus modestes dites "Pavillons économiques", qui ne font pas l'objet d'une telle protection mais sont pourtant l'exemple de la diversité architecturale rencontrée au Vésinet. Il s'agit ici plus probablement du fils de Louis Gilbert, Georges qui lui succède au 14 rue du Départ vers 1898.
Pavillons économiques de 6000 à 8000 frs.
Le rêve du citadin, du commerçant, de l'entrepreneur, de l'employé, comme du plus modeste ouvrier, c'est d'avoir sa petite maison, son chez soi, de n'avoir plus, à un moment donné, de loyer à payer.
Ce rêve peut se réaliser en faisant un faible effort quotidien pendant un certain nombre d'années. Vous retrouvez intégralement la somme que vous avez économisée en payant un loyer un peu plus élevé. Cette somme s'est capitalisée sur une propriété qui vous appartient et dont vous avez eu la jouissance immédiate.
Nos recherches nous font retrouver d'autres réalisations de Louis Gilbert, tel ce portail monumental pour la propriété de M. Tardiveau (1896). Elle est encore visible à l'entrée de la maison surtout connue au Vésinet pour avoir appartenu à Jeanne Aubert, dite Château des Tourelles ou autrefois Les Rives,
à l'angle de l'avenue Georges-Clemenceau et de l'allée
d'Isly (n°17).
Grille en fer de style Louis XV, composition de M. GILBERT, architecte, exécution de M. CARRIER, au Vésinet. — Cette grille mesure 6,20 m de largeur, y compris les guichets, et 3,80m de hauteur. Elle se distingue par la sobriété de la composition, par le goût et l'a-propos de l'ornementation que l'ouvrier a pu traiter sans être gêné dans son travail. Dans le plan de la grille, les volutes, qui forment un triple enroulement, sont d'une assez grande difficulté d'exécution pour les obtenir dans du fer carré de 0,025 qui leur donne un fort volume. Les coins d'angle qui fortifient l'encadrement du remplissage sont soudés. L'ornementation est en tôle repoussée au marteau. Ces dispositions prouvent que le constructeur a désiré, avant tout, faire un travail suivant les règles du métier. Nous avons pu juger par nous-même cette oeuvre qui fait le plus grand honneur à son auteur, lequel n'a rien négligé pour arriver à cet heureux résultat.
L'Art de la ferronnerie ancienne et moderne, 1896.
Pour être complet, il faut aussi signaler la tombe de l'abbé François Toussaint, curé du Vésinet (1879-1888), voisine de celle d'Alphonse Pallu, exécutée par le sculpteur Lardillier, où l'architecte Gilbert privilégie naturellement l'évocation religieuse : la croix, recouverte de lierre finement sculpté dans le marbre, est plantée dans un rocher, symbole de la colline du Golgotha, d'où émerge sur la droite la proue d'un navire. La conception de ce tombeau, plus novatrice, joue sur l'opposition de la pierre et du marbre.
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Notes et sources
Le
Vésinet, modèle français d'urbanisme paysager - Cahier de l'inventaire n°17, Imprimerie Nationale, Paris, 1989.[Deuxième édition en 2002]
L'Art de la ferronnerie ancienne et moderne. n°1,1896.
Le Vésinet illustré et ses environs -Albums
Guides Robert, Paris, 1902-1904.
Dictionnaire biographique encyclopédique de Seine & Oise, 1909.
[*] Chabat, Pierre - La brique et la pierre cuite, étude historique de l'emploi de ces matériaux, fabrication et usages. Paris, 1881-1888.
Société d'Histoire du Vésinet,
2008-2009 - www.histoire-vesinet.org