Jean-Paul Debeaupuis, Société d'Histoire du Vésinet, mai 2016.

Les Établissements Tricotel
Travaux rustiques pour décoration de jardins et treillages

Le premier Monument Historique du Vésinet, classé en 2000 (il avait été inscrit à l'inventaire supplémentaire en 1993), la propriété dite Wood Cottage, est une réalisation des établissements Tricotel. Le bâtiment principal, une maison-fabrique presque unique en son genre et ses annexes (un pavillon de gardien, un pigeonnier, un abri) ont été édifiés vers 1864 et constituent un ensemble homogène en style et en matériaux remarquablement conservé.
La société des établissements Tricotel existe toujours et, d'après les documents qu'elle publie depuis le milieu du XIXe siècle, publicités, catalogues, elle fut fondée en 1848.
« À l'origine, l'entreprise fabrique et pose des clôtures en bois de châtaignier appelées Treillages à la Mécanique puis se développe rapidement et s'oriente vers l'aménagement des espaces extérieurs. Dès la fin du 19ème siècle, le catalogue Tricotel comprend, outre les clôtures en tous genres, des kiosques et des chalets rustiques, des tonnelles, berceaux et perspectives, des sièges et des meubles de jardin et du treillage artistique et architectural. C'est alors la grande époque du renouveau du treillage en France et la société assoit sa notoriété en travaillant avec les plus grands architectes de jardins, notamment avec Henri et Achille Duchêne, architectes paysagistes (1841–1947)
...»
[1]
C'est ainsi que sur son site web et diverses brochures elle présente son histoire.
Ailleurs, elle décrit et résume l'une des principales activités, la réalisation de treillages décoratifs en ces termes :

« Comment camoufler une vilaine façade, un mur lézardé et sans attrait, inventer un jardin imaginaire sur une terrasse ou se mettre à l'abri des regards ? une seule solution efficace, le treillage qu'une entreprise française réalise à la demande et selon votre univers. Cette entreprise participe à la restauration de monuments historiques mais travaille aussi pour des particuliers ou pour des copropriétés, dans des cours d'immeubles... Dans leur atelier, ces artisans tracent à la craie le dessin du panneau avant de couper les lattes de pin, de châtaignier ou de chêne, pour les fixer avec des clous en laiton. Chaque site fait l'objet d'une création architecturale de bois, unique et prêt à poser...»

Profitant de la multiplication des maisons de campagnes dans toute la région parisienne, de la pratique très en vogue de la villégiature, elle gagne rapidement en notoriété et l'on trouve dans les revues de l'époque de nombreuses allusions à ses réalisations. Ainsi par exemple, dans la Revue Contemporaine :

« Des pelouses du vert le plus frais, une fontaine, un petit bassin dans lequel s'ébattent des canards fort rares, dit-on, une très coquette maison rustique de M. Tricotel, un élégant pavillon chinois où sont rangés les fruits les plus beaux de toutes les contrées, concourent à rendre le jardin des fleurs très attrayant ; l'architecte qui l'a dessiné, M. Loyre, mérite nos éloges ; impossible de tirer un plus brillant parti et en aussi peu de temps, du terrain plat et triste qui avait été mis à sa disposition. »[2]

L'Exposition internationale d'Horticulture de 1856, à Paris, est l'occasion de faire connaître largement sa production, et de la faire apprécier. Tricotel, fabricant de Rustique, remporte une médaille d'argent de première classe. Son catalogue est un classique du genre avec « treillages à la mécanique pour clôtures de chemins de fer, parcs, prairies, chasses, etc. Grillages en fil de fer et en fers galvanisés. » Mais ce sont les constructions rustiques qui séduisent la clientelle.

« Il suffit tout simplement de s'entendre avec le propriétaire du champ, et cela fait, de jeter à la poste une lettre à MM. Seiler, Muhlemann et Cie, ou à M. Tricotel, et un mois après vous pourrez voir, à l'endroit que vous aurez désigné, se dresser un chalet suisse avec escaliers et balcons à jour découpés en dentelle, en torchis et branches de chêne, couvert d'un toit de chaume fleuri de joubarbes ; à moins que vous ne les préfériez tissés en osier, comme une corbeille, en fil de fer, en fonte ou en zinc, encadrant des vitraux coloriés. » [3]

Outre ses grillages, treillages et autres clôtures, la Maison Tricotel construit aussi des gloriettes, des kiosques et des chalets rustiques où le bois sert de structure portante et apparente. Il utilise la grume apparente écorcée comme structure et des hourdis de divers matériaux comme remplissage. Wood Cottage et ses annexes constituent probablement l'exemple le plus abouti de ces réalisations. D'autres ont attiré l'attention des contemporains et ont été souvent mentionnées, par exemple un Chalet rustique à Billancourt, un hangar-abri et poulailler au Champ-de-Mars [4], ou encore les bâtiments qui servaient de logement aux animaux, au jardin d'acclimatation de Paris. [5, 6]


Pavillons Tricotel - abris pour animaux au Jardin d'acclimatation de Paris.
Dictionnaire raisonné d'architecture et des sciences et des arts qui s'y rattachent, 1877-1878

En 1867 l'entreprise compte déjà huit médailles d'or ou d'argent dans les expositions internationales.
On peut encore citer deux réalisations inscrite à l'inventaire général du patrimoine culturel : – Le Théâtre en plein air à Maisons-Laffitte. Fondé et dirigé par Charles Domergue, il a été conçu par l'architecte Emile Boursier et construit par Tricotel (restauré dans les années 1930 par les ateliers Tricotel). – La Maison du Parc, à Buc, construite en 1851-1852 pour la première phase puis en 1868 pour le chimiste François Edme Frémy, membre de l'Académie des Sciences. En 1914 elle sera acquise par Louis Blériot. Le bâtiment sur rue, sans doute le plus ancien, est en pierre et brique, avec un toit à croupes couvert d'ardoise. Le bâtiment principal construit en 1868 est en pans de bois écotés avec remplissage en moellons de meulière avec pignon couvert et ardoises mécaniques. Une tour en hors œuvre est couverte d'ardoises. La partie centrale a été transformée par l'adjonction d'une galerie en pans de bois et brique. Les communs sont eux aussi en pans de bois écotés.

Extensions Tricotel  -  La Maison du Parc à Buc.

Le développement de l'enteprise Tricotel conduira à la création d'une usine à Asnières, 9 rue Parmentier puis une seconde à Valence dans la Drôme. Enfin, les succursales de Marseille (avenue du Prado, à l'angle de la rue de la Borde) et de Nice (72 route de France) seront nécessaires lorque la Société aura atteint un rayonnement national, au cours des années 1860.

Alphonse-Charles Tricotel (1810-1884), architecte

Il est le fondateur de l'entreprise en 1848, et il en assure la direction jusqu'au moment de sa mort, en 1884.
Né à Versailles, le 12 février 1810, il est le fils d'un marchand de bois de la rue des Chantiers, Jacques Casimir Tricotel et de son épouse Charlotte née Lemaire. Son cousin paternel, Pierre Gabriel Tricotel, est fabricant de Faïances à Paris, rue de la Roquette.
On ne sait rien de sa formation ni des premières années de sa carrière. Installé à Paris, on lui connaitra plusieurs adresses successives, Faubourg Poissonnière, 37 rue des Vinaigriers, 51 rue d'Hauteville (qui est peut-être surtout une adresse professionnelle) et 6 rue de Ponthieu, son dernier domicile. De nombreuses « réclames » de la Maison Tricotel mentionnent ces adresses tout au long de sa vie.

Dès le début des années 1850, Tricotel a noué avec les compagnies de chemins de fer des relations fructueuses, établissant le long des lignes des compagnies de l'Est, d'Orléans, du Midi, des Deux-Charentes, de l'Etat belge et du Centre belge, des milliers de kilomètres de clôtures qui, pour une large part, fondent la prospérité de l'entreprise. Mais Tricotel est aussi novateur. Il établit des clôtures fruitières et, en 1867, il fonde avec le banquier Henri Place la Société MM. Tricotel & Cie dite aussi Société de clôtures et plantations pour chemins de fer. Auteur avec Place d'un rapport sur les possibilités offertes par ces plantations, il se propose de rentabiliser dans une véritable entreprise agricole, l'expoitation des clôtures fruitières.


Haie fruitière pour clôtures - 1870.

Un des plus ardents défenseurs de ce projet est Eugène Lacoix [7] qui fut par ailleurs un des architectes de l'Asile Impérial, au Vésinet. Lacroix écrit :

« Dans un mémoire appuyé par des chiffres, MM. Tricotel et Place ont prouvé que les clôtures fruitières étaient, pour les voies ferrées, un système économique qui dégrevait le chapitre des travaux sans profit et ajoutait une page bien nourrie au chapitre des revenus. La société Tricotel ne s'est pas bornée à une élucubration théorique. Elle a installé, avec treillage mixte, fer et bois, une haie d'arbres fruitiers à Billancourt, au bord de la Seine, et une au Champ-de-Mars, dans le parc du matériel des chemins de fer, près d'une fausse porte de l'avenue La Bourdonnaye. Elle a tenu à donner une idée des plantations qu'elle a déjà exécutées avec succès sur plusieurs chemins de fer français et belges. (En France : lignes de Coulommiers, d'Orléans, du Midi, des Charentes. En Belgique : lignes de l'Etat et du Centre belge).
D'après ces messieurs, il y a en France 16 000 kilomètres de voies ferrées en exploitation, qui représentent 32 millions de mètres de clôtures, lesquelles coûlent au minimum 1 fr par mètre; de plus, l'entretien annuel de ces clôtures coûte en moyenne à peu près 0,05 frs par mètre, soit 1 600 000 francs par an, représentant, pendant les quatre-vingt-dix ans de jouissance des compagnies, une somme de 144 millions. En outre, pendant ces quatre-vingt-dix ans, les compagnies auront été obligées de renouveler au moins trois fois les dépenses de construction, soit encore 64 millions »...

Il reprendra le même thème deux ans plus tard dans un Dictionnaire raisonné d'Architecture [8] dans lequel, on peut le signaler au passage, les auteurs, architectes, écrivent « notre confère Tricotel ».

On a souvent contesté la qualité d'architecte pour Alphonse-Charles Tricotel. Et ce fut même une raison, pour certains, de discuter la valeur architecturale de Wood Cottage et au-delà son classement en Monument Historique. Sans clore le débat, nous y versons quelques pièces complémentaires, parfois anecdotiques. Ainsi, en 1871, dans le Journal Officiel de la République Française, on peut lire, dans une liste de citoyens appelés à sièger dans un jury d'assises « Tricotel, architecte, rue d'Hautville, 51 » [9] et si l'on en croit la presse, il aura été convoqué à ce titre au moins deux fois entre 1863 et 1870. [10]
Plus sérieusement, dans les annuaires professionnels comme l'Annuaire général du commerce, il figure à la rubrique Architectes entre 1854 et 1874. [11]
De même, dans l'ouvrage d'Eugène Sageret [12], dans les deux éditions consultées de 1866 et 1869, il figure, au 51 rue d'Hauteville, à la fois comme architecte et comme « constructions rustiques en bois, treillages, etc. »

Les établissements Tricotel furent, avec les établissements Vuitton, une des principales entreprises d'Asnières au XIXe siècle. Mais Alphonse-Charles Tricotel semble s'être personnellement impliqué dans l'administration de la vie locale puisque le décret du 13 mai 1863 nommant les membres des conseils municipaux des communes du département de la Seine mentionne pour Asnières, entre autres, Alphonse-Charles Tricotel [13]. Dans la même publication, en 1876, Tricotel est le second adjoint du maire d'Asnières, Thomas-Pierre Durand. [14]

Le 16 décembre 1884, Alphonse-Charles Tricotel meurt à son domicile parisien de la rue de Ponthieu. Il a 74 ans. [15]
Sa veuve Adèle Victoire Tricotel, née Finet, fera don à la communauté catholique d'Asnières d'un terrain sur lequel fut édifiée en 1889 la chapelle Saint-Charles, rue des Couronnes. Pourvue d'un transept et d'une grande nef, elle fut construite en briques et surmontée d'un clocheton. [16]

Les établissements Tricotel au XXe siècle

Au début du XXe siecle apparait le renouveau du treillage artistique et architectural en France et la société assoit sa notoriété en travaillant avec les plus grands architectes de jardins, notamment avec Henri et Achille Duchêne, architectes paysagistes (1841 – 1947). Vers 1910, Tricotel réalisera, entre autre, trois projets de prestige pour Achille Duchêne : les portiques de treillage de l'Ambassade d'Autriche, aujourd'hui l'Hôtel Matignon, le treillage de l'hôtel particulier de Moïse de Camondo, aujourd'hui musée Nissim de Camondo et le Salon Madame au château de Champs-sur-Marne.
On peut découvrir certaines de ces réalisations sur le site web de l'entreprise.

Après la seconde guerre mondiale, la Société Tricotel s'est rapprochée d'une entreprise dérivant aussi du commerce du Bois, fondée en 1859 par M. Lemaire, un cousin d'Alphonse-Charles. L'entreprise Tricotel abandonne alors ses activités de clôture pour se consacrer exclusivement au treillage décoratif tandis que Lemaire développe la clôture et la protection périmétrique.
Les deux sociétés, situées alors à Taverny, se sont regroupées en 1993 et occupent depuis le site actuel d'Herblay. Aujourd'hui, la société Lemaire – Tricotel « met au service de ses clients un bureau d'étude, deux ateliers de métallerie et de menuiserie, une structure travaux, un département automatisme et contrôle d'accès ainsi qu'un département négoce. Dans ses domaines de compétence, elle est en mesure de prendre en charge tous les projets de la conception à la réalisation. La clôture et le contrôle d'accès sont commercialisés sous la marque Lemaire. Le treillage décoratif et les aménagements extérieurs sont commercialisés sous la marque Tricotel. » [17]

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    Notes et sources :

    [1] Tricotel, l'Art du treillage depuis 1848, Tricotel-Lemaire éd. 2010.

    [2] Revue contemporaine (Paris) 1855.

    [3] Revue de l'exposition universelle : les merveilles de la civilisation. Série 2; 1855-1856.

    [4] La Propagation industrielle : revue des arts et des manufactures, 14 décembre 1867.

    [5] Dictionnaire raisonné d'architecture et des sciences et des arts qui s'y rattachent. T. 4, Pontceau-Zotheca, Firmin-Didot (Paris) 1877-1880.

    [6] Alphonse-Charles Tricotel est membre de la Société zoologique d'acclimatation (Bulletins de la Société, 1860 et suivants).

    [7] Eugène Lacroix, Portefeuille des conducteurs des ponts et chaussées et des garde-mines, Organe du Syndicat des ingénieurs des travaux publics de l'Etat et des collectivités territoriales (France), 1870-02.

    [8] Eugène Lacroix, Nouvelle technologie des arts et métiers des manufactures, des mines, de l'agriculture etc. Volume 3,Tome 6, E. Lacroix (Paris) 1872.

    [9] Journal officiel de la République française, 22 février 1871.

    [10] Journal des débats politiques et littéraires, La Presse, Le Temps, 21 février 1863 et 15 septembre 1870.

    [11] Annuaire général du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration..., Firmin-Didot frères (Paris) 1854 - 1864. - Almanach des fabricants de Paris et du département, A. Cambon (Paris) 1873.

    [12] Liste générale, par rues, du personnel du bâtiment: extrait et résumé des professions comprises dans l'Annuaire du bâtiment, des travaux publics et des arts industriels. E. Sageret [les deux éditions consultées, 1866 et 1869] Bureau de l'Annuaire, Paris.

    [13] Recueil des actes administratifs de la Préfecture du département de la Seine, 1863.

    [14] ibid., 1876.

    [15] Sur son acte de décès enregistré à la mairie du 8e arr. de Paris, il est encore qualifié d'architecte.

    [16] Etat des communes à la fin du XIXe siècle. Asnières - notice historique et renseignements administratifs, 1902. C'est désormais une paroisse de Bécon.

    [17] Documentation Lemaire-Tricotel.


Société d'Histoire du Vésinet, 2016 - www.histoire-vesinet.org