D'après Pierre Villain, Échos du passé dans Le Vésinet, revue municipale n°64, septembre 1983.

Le Vésinet : Promenade à travers le temps

Pendant des dizaines d'années, les allées du Vésinet, forêt royale, avaient retenti du bruit des nombreuses chasses qu y organisèrent les rois Henri IV, Louis XIII et le jeune Louis XIV, accompagnés de la cour, durant leurs séjours au château de Saint-Germain-en-Laye. La presse locale signala, en 1860, à l'occasion du creusement du lac Supérieur, qu'un terrassier avait trouvé un camée qui représentait Mlle de la Vallière, favorite du roi-soleil. Elle l'avait offert, poursuivait l'article, à Mme de Montespan, qui allait la supplanter auprès du souverain. Puis Versailles ayant éclipsé Saint-Germain et la Révolution partagé la forêt entre les communes de Montesson, Le Pecq, Chatou et Croissy, Le bois du Vésinet s'assoupit lentement.

L'arrivée du chemin de fer en 1837 ne le fit pas sortir immédiatement de sa léthargie, mais constitua un élément important de sa seconde vie.
En 1856, Alphonse Pallu, placé à la tête d’un groupe de financiers, racheta les bois qui étaient rentrés dans le domaine de la couronne. Pallu avait très vite compris tout l'intérêt que présentait Le Vésinet, proche de Paris et relié à la capitale par le chemin de fer. Il décida de créer, de toutes pièces, un quartier résidentiel.
Les travaux débutèrent en 1858, sous la direction du comte de Choulot, paysagiste.
A la même époque, sur la partie des bois conservés par la maison impériale, fut édifié l'Asile destiné aux femmes convalescentes. L’établissement, placé sous le patronage de I'impératrice Eugénie, reçut à plusieurs reprises la visite des souverains, qui suivaient en même temps les transformations de la forêt.
L'industriel de Saint-Germain, dans son numéro du 30 juillet 1858 relate une de ces visites :

    Leurs majestés, arrivées par Chatou, se sont rendues ensuite au parc du Vésinet, où elles ont mis pied à terre et parcouru les environs du lac de la Station, entourées des respectueuses marques de sympathie de la part de nombreux promeneur, qu'avait attiré le passage des deux voitures découvertes, sans aucune escorte, et précédées seulement d'un piqueur à la livrée impériale. On pense, d'après quelque paroles de l’Empereur que l’inauguration du nouvel Asile se fera d'ici à peu de temps.

Autre visiteur, Emile Augier, qui demeurait à Croissy, et qui amenait ses hôtes au Vésinet. Les Parisiens, en villégiature l'été, pouvaient croiser dans les allées l'écrivain accompagné d'Eugène Labiche, Sainte-Beuve, Mérimée, Alexandre Dumas fils ou Théophile Gautier.
Mais le premier habitant illustre du Vésinet fut Georges Bizet qui vint passer tous ses étés de 1864 à 1871, dans une petit maison que son père avait fait construire.
En 1865, Céleste Mogador, comtesse de Chabrillan, s’installa également dans la nouvelle « colonie ». Elle se lia d amitié avec le compositeur qui lui écrivait :

    Lorsque vous habiterez ici, on s'ennuiera moins au Vésinet. On pourra faire de la musique chez vous. Tâchez d’avoir un bon piano.

Elle quitta sa propriété en 1871. Elle revint en 1880 et acheta' une maison entourée d'un grand jardin. Mais, couverte de dettes, elle quitta définitivement Le Vésinet trois ans plus tard.
En 1879, s'installa la famille de Vlaminck avec Maurice, futur peintre, alors âgé de trois ans. Il connut ici son premier maître en peinture, Robichon. Les de Vlaminck quittèrent Le Vésinet pour Chatou à la fin du siècle. Cependant, Maurice revint souvint, notamment avec Apollinaire.
A cette même époque, demeurait également ici le critique dramatique Henri Bauer, fils naturel d’Alexandre Dumas père. Les duels étant fréquents alors ; il lui arrivait de se battre dans son jardin.

Portrait de Gabriel Fauré par Sargent

Le Vésinet, revue municipale n°64, septembre 1983.

Gabriel Fauré loua pour sa famille une petite maison au 26, rue Alphonse-Pallu. Ils vinrent y passer les étés de 1885 à 1888. Autre personnalité de la musique, certes moins connue, Cécile Chaminade, dont la représentation de son opéra Callirhoé cette même année révéla le nom. Elle resta au Vésinet jusqu'en 1925.

Albert Robida, écrivain, illustrateur des plus grands écrivains de l’époque [*], s’installa en 1894. Il fut le créateur du célèbre quartier du vieux Paris de l’exposition de 1900. Une de ses œuvres figure chez de nombreux vésigondins ; il s'agit de l’affiche publicitaire qu’il réalisa en 1897 en collaboration avec Eugène Bourgeois, qui vante le charme du site et sa desserte rapide et fréquente par le chemin de fer. Robida partit en 1917.
Pour la fin du XIXe siècle, on peut citer l'égyptologue Gaston Maspéro, qui passa ici plusieurs étés à la rédaction de ses ouvrages ainsi que l'auteur des Cloches de Corneville, Robert Planquette [1]. En 1898, naquit Robert Aron, le futur historien et académicien.
Celui qui devint « l'homme le plus fort du monde », le champion des poids et haltères Rigoulot naquit ici en 1903. En 1904, une personne d’origine polonaise, Madame de Kostrowitzky loua une maison pour elle et ses deux fils. L’aîné signait ses poèmes de ses premiers prénoms Guillaume Apollinaire. En fait, il passait beaucoup plus de temps à Paris qu au Vésinet. En avril 1907, il quitta définitivement la maison maternelle pour la capitale mais il revint de temps en temps accompagné d’amis comme Picasso ou Max Jacob jusqu'en 1911, date à laquelle sa mère partit pour Chatou.
Le 2 octobre 1906, Guillaume Apollinaire envoyait à un ami l’invitation suivante :

    Tu partiras, dit-on, vendredi pour l'Afrique

    Viens demain avec moi vider une barrique

    D’eau de vie ou de vin. Je t'attendrai à huit

    Heures jusqu'à midi, puis d'une heure à minuit.

    Aussi bien laisse donc ton maître à ses cravates...

    Prends pour le lire en route un roman de Beaubourg

    Et par les nuits d'automne engage au Luxembourg

    Quelque tante à l'œil vif, à la mine éclatante

    Puisqu'il faut, pour camper, en voyage une tente.

    J'habite au Vésinet, huit boulevard Carnot.

        Guillaume APOLLINAIRE

    P.S. Apporte le tonneau.

Il ne faut pas oublier le comte et poète Robert de Montesquiou qui acheta le Palais rose en 1908. Il ne quitta Le Vésinet que quelques mois avant sa mort, en 1921. [**]
Jean-Louis Barrault naquit au Vésinet en 1910. Il ne demeura que deux ans dans notre commune. Julien Green et sa famille s'installèrent courant 1913. Le futur écrivain fut très marqué par la mort brutale de sa mère en 1914. La famille quitta Le Vésinet en 1915.

A gauche, Georges Bizet [4]. A droite Emile Chartier dit Alain

En 1917, juste après sa démobilisation, Emile Chartier, plus connu sous le pseudonyme d'Alain, acheta une petite maison où il vint passer plusieurs jours par semaine. En 1933, à l'âge de 65 ans, il abandonna son cours de philosophie au lycée Henri-IV et s’établit définitivement au Vésinet, écrivant, recevant ses amis (Paul Valéry, André Maurois) ; il y demeura jusqu'à sa mort en 1951.
Le sculpteur Alexis Rudier [2] fit l'acquisition d'une propriété en 1918. En mai 1919 [5], il invita le statuaire Antoine Bourdelle dont la santé était chancelante et qui, après un court rétablissement, mourut en octobre de cette même année au Vésinet. Rudier vécut au Vésinet jusqu’à son décès survenu en 1954.
En 1940 [3], Joséphine Baker acheta une grande propriété appelée « Beau Chêne » où elle donna de nombreuses réceptions. Elle la revendit en 1947.
En 1937, on vit s'installer le couple Maurice Utrillo, Lucie Valore. Ils achetèrent un pavillon qui fut baptisé « la bonne Lucie ». Utrillo, véritablement séquestré, peignait toile sur toile, que sa femme se chargeait de vendre — avec ses propres œuvres — au marchand Pétridès. En 1955, ils partirent à Dax pour suivre une cure ; le peintre fut emporté par une congestion cérébrale à la fin de cette même année.
En mai 1940, le général de Gaulle qui venait d’être nommé à la tête de la IVe division cuirassée, installa pendant quelques jours son quartier général avant de partir pour le front. Toujours pendant la dernière guerre, Léopold Trepper fit de fréquents séjours en 1940-1942 dans une villa qu'il possédait. Le résistant Gilbert Védy qui avait pris le surnom de Médéric se cacha plusieurs mois au Vésinet jusqu'à son arrestation.

    Notes de la revue:

    [*]Présenté comme le Jules Verne du crayon dans un article de la revue Fiction, septembre 1954, p. 114.

    [**]Cf. Le Vésinet, revue municipale, n°63 p. 41.

    [***] C'était au 26, rue Alphonse-Pallu.

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    Notes et sources SHV:

    [1] Si cet article a été le point de départ de nombreuses recherches de la SHV, il compte ici une erreur. Le célèbre librettiste, qui a été confondu avec un résident d'origine néerlandaise, du nom de Alfred Henri de Plunkett, négociant.

    [2] Il s'agit d'Eugène Rudier, fils d'Alexis mort en 1897. Eugène Rudier a conservé la signature de son père comme une marque commerciale.

    [3] Cette date de 1940 est sans doute une coquille car Joséphine avait laissé de nombreux souvenirs au Vésinet, dès son arrivée en 1929.

    [4] Sur le dessin, on peut lire : Georges Bizet revenant de l'Ecole française de Rome en septembre 1860. (Croquis fait en wagon entre Chambéry à Ambérieux par Gaston Planté).

    [5] C'est l'année 1929. Bourdelle passera plusieurs mois au Vésinet, jusqu'à sa mort le 1er octobre.

 


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