Banlieues de charme, ou l'art des quartiers-jardins , Gérard Bauer, Gildas Baudez, Jean-Michel Roux, Editions Pandora, Aix-en-Provence, 1980 [extrait]

    2. Un bois de Boulogne résidentiel :
    Le Vésinet, Yvelines (France)

     

Le Vésinet est exactement contemporain de la gigantesque modernisation de Paris qu'a dirigée le baron Haussmann entre 1853 et 1870. L'idée de créer près de la capitale une "colonie", comme on disait alors, de villégiature groupant plusieurs milliers de logements vient du duc de Morny, demi-frère de l'empereur Napoléon III. Morny est à la fois ministre de l'intérieur et grand brasseur d'affaires en même temps qu'il lance le Vésinet, il fonde la célèbre station balnéaire de Deauville. C'est lui qui, au terme d'un fructueux échange, choisit l'emplacement du Vésinet une belle forêt de 450 ha dans une boucle de la Seine, à 13 km des murs de la capitale. Une transaction en or : depuis vingt ans déjà elle est traversée par la première ligne française de chemin de fer, celle de St-Germain en Laye, qui, chaque heure, permet de joindre la gare St-Lazare en 26 minutes.
C'est à Alphonse Pallu, industriel et homme politique habitant l'Auvergne, qu'en 1856 Morny propose de devenir le responsable du projet. Pallu est si enthousiasmé qu'à 46 ans il abandonne séance tenante sa situation provinciale et s'installe à Paris. Tout de suite il a en tête l'image (contemporaine) du Bois de Boulogne et l'idée d'une "ville-Parc". Il appelle, pour la mettre au point, Paul de Lavenne, comte de Choulot, "compositeur de paysages" autodidacte, assisté de MM. Olive, architecte-paysagiste, Petit, ingénieur des Ponts et Chaussées et Dufrayer, ingénieur des Eaux.
Les travaux et les ventes de lots démarrent dès 1858. On offre à tout acheteur le parcours gratuit en chemin de fer pendant trois ans. La réussite commerciale vient aussitôt. La clientèle est évidemment bourgeoise. Mais les lots sont prévus de taille très variée et, dès le départ, un certain nombre de maisons sont offertes à la location. C'est pourquoi on peut rencontrer, parmi les premiers habitants, un modeste professeur de musique, comme le père du peintre Maurice de Vlaminck, des artistes encore fort peu connus (Gabriel Fauré, Georges Bizet) ou des millionnaires de l'industrie et du commerce qui, eux, bien qu'ils n'habitent Le Vésinet qu'à la belle saison, font construire d'énormes châteaux et y entretiennent des dizaines de domestiques.
Dès 1875 la population du Vésinet est suffisante (1 500 habitants) pour parvenir à imposer la constitution d'une municipalité autonome, dont Alphonse Pallu est nommé maire. Cette population continuera à augmenter ainsi rapidement pendant un siècle, jusque vers 1960 sans que sa composition sociale ait beaucoup changé jusqu'à présent.

1910

1930

1954

1960

1975

5000 hab.

10 000 hab.

15 000 hab.

18 000 hab.

18 000 hab. (6500 Iogements)

La conception de l'urbanisme résidentiel du Vésinet est assez proche de celle de Riverside. Bien qu'antérieure de dix ans, elle apparaît néanmoins bien plus évoluée. Le dessin général prévoit d'abord davantage de variété d'une part dans le tracé des rues, qui sont tantôt courbes, tantôt droites, tantôt larges, tantôt étroites, tantôt plantées, tantôt non; d'autre part dans la surface bâtie par hectare, qui va de un à cinq de la périphérie au centre (rapport de la surface de plancher à la surface du terrain: 0,1 à 0,2 en périphérie, 0,5 à 1 au centre.2). Et surtout il inclut les immenses "coulées vertes" (expression qui fera fortune trois quarts de siècle plus tard chez les urbanistes fonctionnalistes, semble bien avoir été inventée par Choulot) et jeux d'eau publics qui font tout le caractère de l'ensemble.

Plan d’ensemble:
Mélangeant les grands tracés à la française et l'art anglais des jardins paysagers, qu'appréciait Napoléon III, le plan du Vésinet est caractéristique des parcs français d'époque Second Empire. Le centre, avec son réseau de rues plus dense et plus rectiligne, s’' distingue clairement du reste.
Les pelouses collectives occupent environ 1/6e de la surface totale.

Bauer G. et al., p. 45.

Au cours de sa déjà longue histoire, le paysage du Vésinet a subi trois alertes chaudes dans les années 30, puis dans les années 50, enfin dans les années 1960. En ces trois occasions les habitants ont fortement manifesté qu'ils avaient conscience de vivre dans un cadre extraordinaire, et qu'ils étaient décidés à le préserver. Ce cadre d'origine était défini dans un cahier des charges qu'avait établi Choulot en 1863. La première menace fut le morcellement incontrôlé des parcelles. Avant la deuxième guerre, il tendait à se généraliser si rapidement qu'en 1937 la commune du Vésinet s'est dotée, la première en France, d'un plan d'urbanisme destiné à l'interdire. Ce plan donnait force de loi au cahier des charges de 1863, qu'on avait tendance à oublier, et lui ajoutait plusieurs précisions. [1].
Vingt ans plus tard, les communes voisines du Vésinet se sont densifiées à tel point qu'une "muraille de béton" le cerne. Toutes les belles perspectives vers les lointains se sont bouchées les unes après les autres. Au Vésinet même, le respect du plan de 1937 s'est à son tour relâché. Des immeubles de 5 ou 6 étages commencent à pousser. La division parcellaire a repris.
[2]
L'étoile de la place de la République n'est plus qu'un échangeur. Un lycée et des lampadaires agressivement modernes sont apparus, ainsi qu'un peu partout des clôtures kitsch. En 1965 la municipalité jugée trop indulgente au "progrès" est renversée. Un nouveau plan d'urbanisme, d'esprit conservateur, est immédiatement mis à l'étude. La nouvelle équipe réussit à faire échouer un projet d'autoroute qui aurait coupé le Vésinet en deux et à faire inscrire la ville à l'inventaire national des sites.

Commentaire

"...
Les recherches pourraient s'appliquer aussi à un ré-examen des solutions de groupement des maisons individuelles qui ont donné satisfaction à leurs habitants, dans l'histoire récente, et qui restent des modèles de mode d'habiter urbain ou péri-urbain.
Il faudrait prolonger le travail de Gérard BAUER, Gildas BAUDEZ et Jean-Michel ROUX sur les "BANLIEUES DE CHARME ou l'art des quartiers-jardins" publié par Pandora en 1980. Dans cet ouvrage, les auteurs donnent l'exemple de trois "parcs habités" comme Le Vésinet en France, Riverside dans l'Illinois et The Woodlands au Texas. Ils étudient également deux "bourgs idylliques", Margarethenhöhe en Rhenanie et Brentwood dans l'Essex. Puis cinq quartiers-jardins créés du XIX° siècle aux années 30 en France, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne de l'Ouest et en Grande-Bretagne. Ces exemples mettent en oeuvre des densités différentes, des modes de composition variés allant d'une structure urbaine très hiérarchisée dans l'espace à des compositions paysagères cherchant à retrouver la spontanéité pittoresque des agglomérations villageoises. Ce sont quelquefois des opérations intégrées, associant urbanisation et construction des logements, mais le plus souvent des lotissements dont le promoteur s'est contenté de vendre les terrains sans bâtir lui-même. Dans tous les cas on peut noter une définition préalable de l'espace public par une composition associant parcs, coulées vertes, ronds-points, places et perspectives. Des prescriptions minutieuses définissent le tracé et le traitement des rues, les plantations et les détails d'aménagement. Elles émanent de professionnels qu'on pourrait désigner comme "urbaniste-paysagiste", plutôt que comme urbaniste ou comme architecte au sens où nous l'entendons aujourd'hui.
Sans être pris pour des modèles absolus, puisque les conditions de création étaient liées à l'époque, et notamment le zèle philanthropique de la plupart de leurs promoteurs, ces exemples de cités-jardins pourraient inspirer les urbanistes et les aménageurs d'aujourd'hui, et un travail d'analyse approfondie mériterait d'être engagé sur ceux de ces exemples dont l'actualité paraît la plus évidente.

De la maison individuelle - conditions d'intervention de l'architecte sur la conception de maisons individuelles, Volume 1
par Pierre Lajus, architecte diplômé par le gouvernement
et  Gilles Ragot, docteur en histoire de l'architecture, enseignant-chercheur à l'École d'architecture
Juin 1997

  • [1] D. Martinez et F. Van der Werf - Tissus urbains et règlements d'urbanisme in : Cahiers de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région parisienne, vol. 24, Paris 1971.
  • [2] Bien maitrisé durant une trentaine d'années, le morcellement a repris depuis le début des années 2000, permettant la construction d'une quarantaine de nouvelles maisons individuelles. En cinq ans (2001-2006) le nombre des demandes de permis de construire a connu une augmentation de 31%.

Société d'Histoire du Vésinet, 2007 - www.histoire-vesinet.org