La Gazette du Vésinet, n°1, 1ère année, Dimanche 29 juillet 1888.

La Gazette du Vésinet, version 1888-1889

Le catalogue de l'exposition du centenaire, en 1975, a fait connaître ce journal local, éphémère, qui parut chaque semaine en 1901-1902 et compta 54 numéros. Mais ce n'était pas la première tentative. Une première fois en 1868-1869 [1], puis dix ans plus tard, en 1888-1889, un hebdomadaire avait été publié sous ce titre. Si nous ne savons à peu près rien de la toute première version (hormis des citations relevées dans d'autres périodiques) on sait que la Gazette du Vésinet avait été publiée durant quelques mois, à partir de juillet 1888, peut-être en relation avec la nouvelle municipalité sortie des urnes deux mois plus tôt. L'élection du 13 mai 1888 avait vu le maire sortant, Aimé Foucault, battu par son opposant, Alphonse Ledru, au terme d'une campagne rude.

 

En guise d'introduction, la majeure partie de la une de ce premier numéro du dimanche 29 Juillet 1888 est consacrée à la présentation de ce nouveau journal modestement sous-titré « politique, judiciaire, scientifique et littéraire ».

    Notre programme:
    Nos lecteurs nous sauront gré au moment où nous allons mettre pour la première fois le pied sur le terrain glissant de la politique, de leur exposer nettement notre programme.
    La plupart des honorables personnes à qui nous avons fait connaître notre intention de fonder la Gazette du Vésinet ont bien voulu mêler, à l'expression de la satisfaction que leur causait cette nouvelle, de sages et d'utiles conseils, dont nous sommes disposés à tenir compte dans la limite du possible.
    Malheureusement, c'est en matière politique que l'adage: tot capita, tot sensus, est surtout vrai. Toutes les opinions, — et Dieu sait si elles sont nombreuses et variées aujourd'hui — toutes les opinions ont, dans notre localité, des partisans convaincus et des défenseurs chaleureux.
    Nous devrions donc, pour ne blesser personne, parcourir la gamme des couleurs politiques, et tenir dans la même main le drapeau blanc et le drapeau tricolore, le Floquettisme et le Boulangisme.
    Quelque désir que nous ayons d'être agréables à nos lecteurs, malgré le respect que nous professons pour toutes les opinions honnêtes, nous ne pouvons pas, et surtout nous ne voulons pas faire le journal de tel ou tel de nos abonnés nous désirons que tous, aussi bien ceux qui conservent le culte du Passé que ceux qui sont attachés à l'état de choses actuelles deviennent les amis de la Gazette du Vésinet.
    Mais comment obtenir ce résultat?
    Devons-nous nous borner à servir le plat en laissant à nos lecteurs le soin de l'accommoder à leur goût ? Évidemment non ! Ce rôle effacé ne saurait nous convenir.
    Sans se faire le champion d'une idée plutôt que d'une autre, sans adopter une politique bien déterminée, un journal peut néanmoins avoir sa raison d'être. La politique, chacun la pratique à sa façon.
    Comment distinguer la bonne de la mauvaise ? Y en a-t-il une meilleure que l'autre ?
    Autant de questions auxquelles il est malaisé de répondre, surtout lorsqu'on assiste à ce spectacle qui sera toujours vivant, de voir les hommes varier, selon les caprices de leur ambition, dans leurs idées, dans leurs pensées. A part une infime minorité, réellement convaincue, l'homme politique ressemble à ce collégien qui, à la fin de ses humanités, jure un amour éternel, à la première femme qu'il rencontre.
    Laissons donc de côté la politique militante, pour nous attacher à l'étude, l'examen des besoins du pays
    [Le Vésinet] et de ce qui reste à faire pour lui assurer la splendeur et la prospérité auxquelles il a droit. S'occuper des intérêts matériels du pays, n'est-ce pas suffisant ? Nous le pensons.
    La gestion de la municipalité fera l'objet d'une constante vigilance de notre part nous suivrons pas à pas les actes de l'administration communale  nous nous permettrons de les commenter, de les discuter, de les apprécier, et de les critiquer, s'il y a lieu.
    Toutes nos réflexions seront faites en conscience, telles qu'elles nous seront inspirées par les choses elles-mêmes, sans que jamais l'esprit de parti et la discourtoisie pénètrent chez nous. Nous désirons vivre en bonne intelligence avec tous, même avec ceux que nous aurions été obligés d'attaquer dans leurs actes. La diffamation, l'injure, la calomnie, les allusions malveillantes seront rigoureusement bannies de nos colonnes. Nous éviterons ainsi à nos lecteurs le scandale qu'offre d'autres feuilles, qui ne vivent que de haine, de rancune et de malignité.
    A vrai dire la tâche que nous nous proposons n'est pas si facile à remplir qu'on pourrait le croire. C'est que quand on touche à la politique, et que l'on entend conserver une entière indépendance, on s'expose forcément à faire aussitôt des mécontents. Si le chroniqueur dit aux gens ce qu'il pense de leurs idées, de leurs actes, de leurs écrits, de leurs travers, de leurs ridicules, de leurs palinodies, on le trouve grincheux et débineur. Si, au contraire, il se montre indulgent ou seulement bienveillant, c'est un bénisseur . Il y a bien encore d'autres écueils, mais à quoi bon les signaler puisqu'il n'existe aucun moyen de s'y soustraire !
    Nous nous efforcerons malgré tout, de ne mériter aucun reproche et à travailler à l'amélioration de notre beau pays qui n'est pas assez connu au dehors. Du reste, nous essaierons de captiver nos lecteurs par la curiosité. Le Français est le peuple curieux par excellence. Tous — tant que nous sommes — nous avons faim et soif de nouvelles.
    Notre première préoccupation à notre réveil est d'ouvrir notre journal pour y chercher du nouveau.
    Et bien! Au Vésinet et dans les communes environnantes, il y a très souvent du nouveau. Nous offrirons, chaque semaine, ce régime à nos lecteurs et à nos abonnés. Mais voilà le danger: Donner place ici aux potins , aux cancans aux indiscrétions mondaines ou demi-mondaines, parler enfin de ces mille aventures galantes ou scandaleuses qui sont comme le fond de la vie, nous voyons d'ici le lecteur pudibond nous accuser de Zolaïsme.
    Que nos lecteurs se rassurent ! Si nous nous montrons quelquefois leste, ce sera toujours dans la mesure permise par la morale, la décence et les convenances. Désireux de justifier notre devise Utile dulci, nous publierons des articles de genre, des variétés littéraires, scientifiques et historiques, un roman pouvant être lu dans la famille, etc.
    De plus un de nos rédacteurs est spécialement chargé de faire passer sous les yeux des lecteurs les solutions des Tribunaux sur les questions les plus usuelles, particulièrement celles intéressant les communes, les fabriques des églises, les élections. Enfin, nous répondrons gratuitement aux questions qui nous seront posées sur n'importe quel sujet  nous donnerons des conseils pratiques et domestiques, des recettes, des nouvelles à la main, et toutes ces menues choses que le lecteur lit toujours avec plaisir.
    Le surplus du journal sera réservé à la publicité et aux demandes et offres des gens de maisons.
    Quoique opiniâtre au travail nous ne pourrions suffire seuls à la besogne. Aussi convions-nous nos lecteurs, sans exception, à nous adresser des articles, des études, des communications. Notre plus vif désir, est de voir chacun d'eux fournir son tribut. Les colonnes du journal leur sont ouvertes. Elles forment une tribune libre où chacun peut prendre place.
    De cette façon la Gazette du Vésinet deviendra le centre où viendront converger tous les efforts individuels pour le bien et les intérêts essentiels du pays. En terminant nous espérons être encouragés dans nos efforts et soutenus dans l'accomplissement de la tâche entreprise.

    Achille Lécolle [2]

Une prime était offerte aux abonnés d'un an (12 frs): Un portrait carte tiré par le photographe du Chalet des fleurs, 5, rue du Marché. Ce ou plutôt cette photographe, c'était Céleste Vénard, alias Mogador, aussi connue sous le nom de comtesse de Chabrillan. Cette promotion ne sauvera pas son commerce qui fermera ses portes quelques mois plus tard.
Outre un roman, Les Crimes d'un ange, publié sous forme de feuilleton, ce premier numéro propose une chronique locale, où l'on apprend par exemple que Madame Main, de la commune, est décédée après avoir consommé des champignons cueillis dans le bois, et que Madame veuve Gaumeau, 20 place du Marché, s'est suicidée... Des conseils de médecine ou d'hygiène constituent une autre partie importante du Journal. On y apprend comment soigner un panaris.
La Justice est également abordée de différentes manières. Questions usuelles de doctrine et de jurisprudence, comptes rendus des cours d'Assises de Seine  &   Oise.... Dans le même ordre d'idées, la Gazette reproduit in extenso un article paru quelques jours auparavant dans Le Figaro.

    Paru dans le Figaro du 25 juillet 1888 dans la rubrique " Prisonniers et forçats, recherches judiciaires"

    L'Abbé ***
    Pour l'honneur du clergé de France, nous n'imprimerons pas le nom du prêtre coupable qui est l'objet de cette notice. Ceux qui se rappellent sa faute le reconnaîtront sans peine ceux qui l'ont oublié ne liront point ces lignes.
    L'abbé était vicaire dans une petite paroisse desservie par la ligne de Paris à St Germain en Laye.
    Un jour, des jeunes filles racontèrent qu'il leur avait tenu, au confessionnal, des propos malsonnants l'une d'elles —une enfant— avoua plus tard que l'abbé, avec elle, ne s'en était pas tenu aux paroles. Nous n'insisterons point. Condamné à la réclusion, le vicaire de *** subit, comme Isnard, sa peine à Melun où il fit preuve d'une énergie presque sans exemple.
    Jamais il ne consentit à se rendre aux ateliers où les détenus trouvent dans le travail et surtout au contact de leurs compagnons de misère, un dérivatif aux pensées sombres qui les hantent.
    Obstinément cloîtré en sa cellule, il ne vit d'autres visages que celui du gardien qui lui apportait sa nourriture, et parfois celui du directeur et de l'aumônier de la prison. L'administration n'aime point à ce que les détenus demeurent isolés, parce qu'elle connaît si bien les conséquences de la solitude que neuf mois de ce régime équivalent pour elle, réglementairement, à une année.
    Par ordre, on invita le vicaire de *** à descendre aux ouvroirs, lui promettant, en échange de cette concession, une prochaine remise de sa peine.
    Il refusa. Redoutant une dépression subite de ses facultés intellectuelles, on lui proposa plus tard sa grâce pleine et entière à la condition qu'il quitterait la France et renoncerait à porter l'habit ecclésiastique. L'abbé refusa encore, et quand il sortit de la maison centrale, après sept ans de cette épouvantable existence, il reprit la soutane qu'il n'a jamais quittée depuis, et ne passa point la frontière.

Les paroissiens du Vésinet étaient, plus que d'autres, susceptibles de reconnaître ce condamné. Il s'agissait de l'abbé Léon Maret, premier curé de la nouvelle paroisse Sainte-Marguerite. Son ministère au Vésinet, qui s'était ouvert dans la liesse, le faste et l'allégresse, devait s'achever quatorze ans plus tard dans un terrible scandale. Dans son livre La curieuse Histoire du Vésinet Georges Poisson attribue à L'abbé Maret de nombreux titres ecclésiastiques honorifiques (camérier du pape, évêque in partibus de Sura, prîmicier, (premier dignitaire), du chapitre de Saint-Denis). Il le confond avec Henri Louis Charles Maret (1805-1884) un prélat et théologien éminent qui, à la même époque, défraya la chronique religieuse sur la question de l'infaillibilité pontificale.
Le Chanoîne Jean Baptiste Léon Maret, modeste curé de Ste-Marguerite de 1865 à 1879, était un collaborateur occasionnel au Journal Le Monde (celui de 1875) il était connu comme un spécialiste des statistiques religieuses. Il rédigeait aussi pour l'Almanach du clergé La France ecclésiastique, les biographies des prélats décédés. En 1879, il fut accusé de subornation de mineures et au terme d'une affaire qui fit grand bruit (on en trouve mention dans la correspondance de Flaubert), il fut condamné à dix ans de prison.

La Gazette du Vésinet était imprimée au Vésinet, sur les presses de la Société Générale d'imprimerie et de librairie, qui avait ses ateliers au 18, rue de l'Eglise. Cette imprimerie, dirigée par Monsieur Badou, produisait aussi l'Audience (Gazette de la Magistrature, du Barreau et du Notariat), La Gazette des Notaires, et la Revue des Cercles de Notaires.

En avril 1889, L'Avenir de St Germain, journal « républicain radical indépendant », adversaire politique de la Gazette, publia l'article suivant:

    La Gazette du Vésinet (46 abonnés S.V.P.) il vient de mourir d'inanition. — Requiescat in pace.
    L'adjudication de cette feuille boulangiste devait avoir lieu mardi dernier en l'étude de Me Theret , notaire à Paris, sur la mise à  prix de cinquante francs. Au jour et à l'heure indiquée, le représentant du chef autorisé du parti Républicain national s'est présenté en l'étude du notaire chargé de la vente, mais, hélas, le patron ayant filé la veille en emportant la caisse, son digne représentant n'a pu couvrir l'enchère, et pour terminer la liquidation de l'ex-société générale d'imprimerie, M. Badou, a dû se rendre acquéreur, moyennant soixante-dix francs, de la Gazette du Vésinet. Tout présageait du reste la fin prochaine de la Gazette. Notre aimable confrère Henri Faye qui a la spécialité d'administrer l'extrême-onction aux feuilles agonisantes du canton avait été vu dans la maison. La Gazette était donc condamnée.

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    Notes :

    [1] Dans le numéro du 21 octobre 1868, on pouvait lire dans le Journal de Seine et Oise: La Gazette du Vésinet, ayant acquis le droit de parler politique, se trouve armée de toutes pièces pour obtenir le résultat qu'elle se propose. Son premier numéro est bon et fait bien présager de la suite. Des questions d'intérêt local, des anecdotes, des comptes-rendus, de la causerie, rien n'y manque ... Espérons que les lecteurs ne manqueront pas davantage?" En août 1869, la Gazette cessait de paraitre.

    [2] Achille Lécolle, directeur et rédacteur en chef du journal judiciaire l'Audience, habitait 80, rue du Chemin de fer RD, au Vésinet.

     


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