Alain-Marie FOY, conseiller municipal dans Le Vésinet, Revue municipale, n°52, septembre 1980.

Alphonse Pallu (1808-1880)

Fondateur et premier maire du Vésinet

Cent ans après la mort d'Alphonse Pallu, force est de constater que maintes interrogations parsèment le récit de son existence. Peu d'écrits sont parvenus jusqu'à nous et la tradition orale recueillie par ses descendants est réduite, car de ses quatre enfants, tous morts jeunes, un seul a fait souche pour laisser, trop tôt, trois orphelins. La biographie d'Alphonse Pallu ne peut donc prétendre qu'à une esquisse, en l'état actuel de nos connaissances.
Avant de fonder Le Vésinet, puis d'en devenir le premier maire, A. Pallu conduisit une activité d'industriel à laquelle vint s'ajouter une première expérience de magistrat municipal. Il est toujours arbitraire de découper en plusieurs phases la vie d'un homme, pourtant trois périodes apparaissent distinctement dans celle d'Alphonse Pallu, localisées successivement à Tours (1808-1836), à Pontgibaud (Puy-de-Dôme, 1836-1854) et enfin au Vésinet.

Pallu et ses origines

L'an mil huit cent huit, le vingt juin à midi par-devant nous [...] sont comparus le sieur Nicolas Valéry Antheaume, chirurgien accoucheur [...] lequel nous a déclaré que Justine Mayaud, âgée de vingt-cinq ans, épouse du sieur Ambroise Pallu, négociant, âgé de trente-sept ans, demeurant à Tours rue du Commerce, est accouchée aujourd'hui à neuf heures du matin d'un enfant du sexe masculin, que ledit sieur Antheaume nous a représenté et auquel il a déclaré vouloir donner le prénom d'Alphonse.

Tel est l'acte de naissance d'Alphonse Pallu. Il est issu d'une "grande famille de Touraine et du Poitou, les Pallu" – ce qui constitue le titre d'un ouvrage de Raymond Gibert, publié en 1954. L'auteur situe le "berceau probable" de la famille dans le duché de Thouars, son nom provenant sans doute de celui d'une petite rivière, la Pallu, qui coulait en bordure de propriétés appartenant à cette famille. La généalogie d'Alphonse Pallu est reconstituée à partir de la fin du XVIe siècle. Godefroy Pallu devenant échevin de Poitiers au XVe siècle.
C'est en effet une grande famille aux multiples ramifications, on rencontre les Pallu de la Martinière, de Chaperonnière, de l'Allemandière, du Bellay, de Boisbrunier, de Chaulnay, de la Fauble, de Lessert et bien d'autres encore, et Etienne Pallu, sieur du Ruau, maire de Tours en 1612, lointain ancêtre d'Alphonse Pallu. On trouve beaucoup d'hommes ayant exercé des fonctions éminentes comme magistrats, avocats, conseillers d'Etat. Le fils d'Etienne Pallu. prénommé de même, fut un jurisconsulte de grande réputation et devint aussi maire de Tours, en 1629. Bien des fils et des filles entrèrent en religion, le plus célèbre ayant été Mgr François Pallu, au XVIIe siècle, qui fut évêque d'Heliopolis (Égypte) et administrateur général des missions en Chine où il mourut. Fénelon prononça son oraison funèbre sept ans plus tard.
Les armoiries de la famille Pallu représentent depuis le XVIIe siècle un palmier entre deux queues d'hermine et leur description héraldique est la suivante: "d'argent à un palmier de sinople (vert) sur une terrasse (champ d'herbe) de même, mouvante (naissant) de la pointe de l'écu, accosté de deux mouchetures (queues d'hermine) de sable (noire)".
La devise de la famille est "Pro patria virescit" (Il verdit pour le patrie), mais on ne sait de quand elle date.

La période tourangelle

De l'enfance et de la jeunesse d'Alphonse Pallu, on ne sait encore rien. Les archives d'Indre-et-Loire, consultées tout récemment, reconnaissent qu'il est impossible de reconstituer la vie scolaire d'Alphonse Pallu. Comment se prépare-t-il à sa carrière industrielle autrement qu'en exploitant l'usine de fabrication de céruse et de minium, créée au Portillon, dans la banlieue nord de Tours par son père en 1831 sous la raison sociale Pallu Jeune et Fils ? Fit-il des études d'ingénieur ? Cela reste à découvrir.
Quand on cherche à savoir s'il eut une activité militaire, les archives de l'armée répondent qu'elles n'en ont pas trace. [1] Et enfin, les archives de la Légion d'honneur le concernant furent détruites dans l'incendie de l'Hôtel de Ville de Paris ! [2]
La fabrique du Portillon se distingue très rapidement par la qualité de ses produits extraits du plomb qui valut à ses dirigeants une médaille à l'Exposition des produits de l'Industrie nationale en 1834, trois ans seulement après la fondation de la société, qui compte alors vingt ouvriers. Mais on ne loue pas que sa réussite technique, elle s'accompagne d'une attention portée à la protection des ouvriers et des peintres contre les maladies qu'occasionne le plomb.
En 1839, le ministère de l'Agriculture et du Commerce attribuait à MM. Pallu et Cie un diplôme venant confirmer la médaille de 1834 mais A. Pallu s'intéresse maintenant aux mines de Pontgibaud.

Pontgibaud

En 1836, A. Pallu s'installe à Pontgibaud, commune baignée par la Sioule, vingt-trois kilomètres à l'ouest de Clermont-Ferrand. A cette époque. les mines de plomb argentifère [3] sont en pleine activité, sous l'impulsion du Comte de Pontgibaud, propriétaire du château, monument très bien conservé aujourd'hui encore, et qui date du XIIe siècle. On ne sait ce qui conduisit A. Pallu en Auvergne, mais il se trouve en terrain connu, si l'on peut dire, avec les mines gibaldipontaines, prolongeant ses premières expériences tourangelles.
En juillet 1836, A. Pallu a vingt-huit ans et s'associe avec le Comte de Pontgibaud pour fonder une société d'exploitation des mines des environs. Deux ans plus tard, le Comte cède ses droits et la société en commandite "Pallu & Compagnie" se crée, puis se développe. A. Pallu, pour autant, ne délaisse pas l'usine du Portillon, dont il reste le principal actionnaire et dont la société d'exploitation ne sera dissoute qu'en 1950. L'établissement des mines de Pontgibaud comprenait quatre mines aux alentours de la fonderie, siège administratif de la société.
En 1838, A. Pallu vend une maison qu'il possédait au Portillon et, pour une quinzaine d'années, il se consacre, semble-t-il, à Pontgibaud. A remarquer qu'il fit en 1845 un séjour en Angleterre pour visiter les exploitations minières, sous les angles technique, économique et financier. Aucun événement particulier ne jalonne sa vie jusqu'à son mariage, célébré à Paris, en l'église Saint-Sulpice, le 10 février 1847 avec Louise-Léontine-Charlotte Angot des Rotours, de quinze ans sa cadette. Comment se sont-ils connus ? Pas de réponse. L'année suivante [1848] marque tout particulièrement dans la vie d'A. Pallu. Le 7 juillet nait à Pontgibaud son premier fils, Marie Arthur. Le mois suivant, le 31 août, il est élu maire de la commune. Et, le 3 septembre, il devient conseiller général du Puy-de-Dôme, représentant le canton de Pontgibaud.
Dans une note qu'il établira trente ans plus tard, pour l'Exposition universelle de 1878, A. Pallu rappellera en ces termes son action publique: Membre et secrétaire du Conseil général du Puy-de-Dôme, il a puissamment contribué par ses études et ses écrits à la création de voies de communication qui font aujourd'hui la richesse du canton de Pontgibaud. Comme maire de Pontgibaud, il a doté sa commune d'une halle, d'une mairie et justice de paix ; il y a fondé dans des conditions exceptionnelles des écoles qui donnent asile non seulement aux enfants de la commune mais encore à tous ceux du canton qui y trouvent, par suite d'une organisation spéciale et économique, le coucher et la surveillance, - Déjà, Pallu manifeste son attachement aux questions scolaires.
De même il a montré - comme au Portillon - l'attention qu'il témoignait à ses ouvriers, il fonda une caisse de secours et de prévoyance à leur profit, institution encore rare et, comme il le rappellera dans la même note de 1873, pendant la famine de 1847, il pourvoyait à la nourriture de ses nombreux ouvriers qui ne cessèrent un instant de travailler et ne laissa pas dans le pays un seul ouvrier inoccupé. En novembre 1849, A. Pallu est nommé chevalier de la Légion d'honneur. Le 2 mai 1850, naît à Pontgibaud sa première fille, Marie-Marguerite (en fait, comme pour Arthur son fils, c'est le second prénom qui est à considérer).

Le duc de Morny

C'est le moment de parler de Morny, qui n'est encore que comte, député du Puy-de-Dôme depuis 1842, réélu en 1846 et qui jouera un rôle déterminant dans la vie d'A. Pallu. En 1852, Pallu est reconduit dans ses fonctions de maire, nommé par le préfet. En même temps, il est réélu au Conseil général du Puy-de-Dôme, dont Morny, ministre de l'Intérieur, devient le président. Dans une lettre conservée aux Archives nationales, Pallu avait eu l'occasion, quelques mois auparavant, de rappeler à Morny les bonnes relations qu'il avait "toujours été assez heureux d'avoir [avec lui]". L'un des derniers passages de cette lettre est à citer, car on y trouve des idées que Pallu développera par la suite: "Faites la guerre aux parasites, vous ferez refluer vers le travail toutes ces intelligences besogneuses qui sont la lèpre de notre société moderne et la France bénira le gouvernement de Louis-Napoléon Bonaparte".

Charles-Auguste-Louis-Joseph, Duc de Morny ( 1811-1865)

A partir de 1852, il semble, à la lecture des registres municipaux de Pontgibaud, qu'Alphonse Pallu soit assez fréquemment absent, mais son Conseil municipal fait graver une plaque en son honneur qui est scellée sur le fronton de la mairie. Permettons-nous de rapporter une anecdote: en 1852, A. Pallu acheta, lors d'un voyage à Paris, une girouette qui fut placée sur le clocher de la halle.
En 1853, Pallu dépose un brevet d'invention relatif à un procédé de fabrication de bois artificiel (sorte de contreplaqué) spécialité qui ne correspond d'ailleurs pas à son domaine d'activité habituel, Et c'est l'année suivante qu'il quitte Pontgibaud. Son troisième enfant, Etienne, nait à Paris le 24 janvier 1854. Quelque temps après Pallu met fin à ses fonctions de maire, mais il restera conseiller général du Puy-de-Dôme jusqu'en 1857. Le 31 août 1854, il déclare vouloir transférer son domicile à Paris, 52 rue Taitbout.
Quant aux mines de Pontgibaud qu'il avait prises - dit-il - avec un personnel insignifiant, il les abandonnait "en pleine prospérité avec 1.200 à 1.500 ouvriers" à la société animée par un ingénieur anglais qui avait pris la suite en 1853, et qui connut quelques difficultés aux débuts. Mais à la fin du XIXe siècle, les gisements se raréfiant, l'exploitation des mines cessa. Et aujourd'hui, à Pontgibaud, localité de 800 habitants, subsistent les hautes tours du château médiéval et la grande cheminée, vestige inesthétique de l'usine de la société Pallu & Compagnie.

La fondation du Vésinet

Nous entrons maintenant dans la partie la plus connue de la vie d'Alphonse Pallu, car elle est, pour tout Vésigondin, indissociable de la fondation de notre cité, Il ne fait pas de doute que c'est Morny qui fit découvrir Le Vésinet à Pallu, Morny qui avait des intérêts dans les affaires du banquier Henri Place. Il avait pu apprécier l'esprit d'entreprise et les talents de gestionnaire de son collègue du Conseil général du Puy-de-Dôme, que ce fut à la tête de sa société ou de sa municipalité.
Le 20 novembre 1856 intervient l'échange du territoire du Vésinet (relevant du domaine de la Couronne) contre des terrains de Chambourcy, Fourqueux, Vaucresson, Rueil, etc. (ressortissant à la liquidation Place, dont l'administration était confiée à Pallu). Cet échange intéressait fort Napoléon III pour assurer la jonction des forêts de Marly et de Saint-Germain. En 1857, A. Pallu est donc à pied d'oeuvre, mais n'oublions pas qu'il a quitté Pontgibaud en 1854. Or, il n'est pas homme à rester inactif deux ans et on doit supposer qu'il a soigneusement préparé son affaire.
Deux nouvelles années s'écoulent encore avant la première adjudication, le dimanche 10 octobre 1858, de vingt-quatre lots boisés situés aux abords du rond-point du Pecq. Il fallut, au préalable, mettre au point le dispositif financier de la Société des Terrains du Vésinet, dans lequel le rôle du banquier Ernest André serait intéressant à étudier. Il fallut définir le cadre juridique des acquisitions, les droits et devoirs des acquéreurs : le premier cahier des charges pour parvenir à l'adjudication de terrains dans le parc du Vésinet fut enregistré par devant notaire le 1er octobre 1858. II fallut que le Comte de Choulot, assisté du paysagiste Olive, transforme la forêt domaniale, mise jusqu'alors en coupe pour l'exploitation de son bois et percée depuis 1837 par la voie ferrée, en un parc destiné à se coloniser progressivement sans perdre son caractère agreste. Il fallut commencer de tracer les voies nouvelles, aménager les lacs et les rivières, procéder aux travaux d'adduction d'eau, car, bien entendu, Le Vésinet n'a pas été aménagé en deux ans !

Marguerite Pallu

Plusieurs adjudications ont lieu en 1858 et 1859, année de l'inauguration de l'Asile impérial des Convalescentes fondé par Napoléon III. Pas de vente de terrain en 1860, année de la mise en service des machines hydrauliques de la Société des Eaux au Vésinet. On attend l'ouverture, en 1861, de la gare du centre, pour reprendre les adjudications.
Mais en 1860, c'est le premier drame de la vie d'Alphonse Pallu, sa fille Marguerite meurt à dix ans, la veille de Noël, et c'est à elle que Pallu dédiera ensuite Le Vésinet. Elle sera inhumée dans le cimetière du Vésinet communal dès qu'il sera ouvert en 1877.

Tombe de la famille Pallu, cimetière du Vésinet

Quinze mois plus tard, le 3 mars 1862, Mme Pallu donne naissance à une seconde fille, Marie, plus précisément, selon la tradition des Pallu, Marguerite-Marie.
Peu après, la première (et seule !) pierre de l'église Sainte-Marguerite est posée, précédant de vingt-quatre heures celle de l'opéra de Paris. A. Pallu s'était pris d'intérêt pour le système Coignet de construction en béton aggloméré sur une ossature métallique. Le Vésinet se développe. A la mi-1861, une centaine de maisons sont construites. En 1863 entre en vigueur la version définitive des charges, clauses et conditions spéciales au Vésinet, complétant et remplaçant le cahier des charges de 1858. La même année, A. Pallu, qui n'a pas relâché son intérêt pour l'industrie, dépose un brevet de fabrication du blanc de zinc.
1864-1865 : en deux ans Pallu voit disparaître les trois hommes qui l'ont accompagné dans la fondation du Vésinet, le Comte de Choulot, Ernest André et le Duc de Morny.
Mais l'œuvre d'Alphonse Pallu au Vésinet n'était pas achevée.

Alphonse Pallu au Vésinet

Petit à petit va mûrir l'idée d'autonomie du Vésinet, car les habitants qui acceptent tous les mêmes conditions du cahier des charges ont le sentiment de constituer une communauté originale. A la fin de 1867 est lancée la première pétition. Nous ne raconterons pas ici toutes les péripéties qui allaient conduire à la loi de 1875, érigeant Le Vésinet en commune. Mais il est indéniable que Pallu prit l'initiative des opérations. En 1867, il devient président-fondateur de l'Union des Propriétaires, bien qu'il ne vienne établir officiellement son domicile au Vésinet, quittant Paris, qu'au 1er janvier 1869. Nous ne savons pas où il habite puisque, au mois de juillet, il fait poser à sa fille la première pierre de sa demeure définitive, la villa La Marguerite, dont l'acquisition du terrain est signée un mois plus tard. La présence permanente d'Alphonse Pallu sur place va faciliter son action en faveur de l'autonomie du Vésinet. Il ne se soucie d'ailleurs pas que des habitants puisque, en 1869, la Société Protectrice des Animaux lui décerne, en Sorbonne, une médaille d'argent pour son action en faveur des nids artificiels. 2.000 nids en terre ont déjà été placés au Vésinet, 5.000 autres vont l'être. Les oiseaux, dira plus tard un journaliste du Libéral de Seine-et-Oise, furent les premiers habitants du Vésinet. La villa La Marguerite se construit, bénéficiant d'une situation exemplaire. Malheureusement. nous ne la voyons plus aujourd'hui sous son aspect original, l'un de ses propriétaires ayant cru bon, il y a trente ans, de la blanchir. Seul, le pavillon de gardien est resté intact.

Ses idées économiques, politiques, sociales

Survient l'année sombre, pour la France, 1870-1871. A. Pallu est à Paris pendant le siège et exerce les fonctions de chef d'ilot. En ces heures graves, l'autonomie du Vésinet n'est plus la préoccupation essentielle. Sitôt le calme revenu, Pallu publie le fruit de ses réflexions, tirée de son expérience de dirigeant d'entreprise et d'homme public, dans une étude intitulée La souveraineté nationale et les réformes sociales (juin 1871) et dont l'auteur, parmi ses titres nombreux, indique celui de fondateur-directeur du parc et de la colonie du Vésinet.
Cette plaquette est un cri du cœur, contre les politiques plus soucieux de leurs privilèges, de leurs pouvoirs que du bien-être de ceux qui les ont élus. Depuis 1789, la France a été trompée par les égoïstes, les ambitieux et les rhéteurs, elle a constamment cherché son salut dans la politique, au lieu de le chercher dans l'administration. Le rôle néfaste des partis est dénoncé avec une virulence prémonitoire. Et pourtant, dit-il, non, mille fois non, La France n'est pas ingouvernable.
L'analyse de Pallu traduit une profonde attitude de démocratie et de libéralisme, bien que nettement caractérisée par un souci d'ordre moral. On doit rechercher le salut de la France, après l'expérience de l'Empire, de la Restauration et du Second Empire, dans la gestion rigoureuse des affaires publiques et non dans la politique partisane, où les promesses durent le temps d'une campagne électorale. On retrouve, de plus, l'aversion de Pallu pour l'oisiveté, les parasites que sa lettre de 1852 adressée à Morny stigmatisait déjà.
Les propositions de Pallu sont nombreuses et certaines d'entre elles sont encore bien d'actualité. Ainsi l'instauration du vote obligatoire, l'amélioration des rapports entre l'administration et le public (l'administration doit être bienveillante, polie, prévenante, désintéressée et patiente avec le public), le choix d'occupations utiles pour les militaires.
D'autres suggestions ont été réalisées, telle la séparation de l'Église et de l'Etat, l'élection – et non la nomination – du maire dans toutes les communes. Pallu souhaite aussi que le préfet soit élu par le Conseil général et non représentant du gouvernement, que les lois soient ratifiées par les Conseils élus (municipaux, cantonaux, généraux), que le principe du jury d'assises soit étendu à toutes les juridictions, civiles et pénales. Enfin, Pallu dénonce l'inutilité et le danger du Sénat car, notamment "un sénateur, illustre ou non, est un homme parvenu au bout de sa carrière, au sommet des honneurs, n'aspirant, par conséquence qu'au repos".
Après ses propositions tendant à établir l'organisation d'une véritable souveraineté nationale, par opposition à la monarchie de droit divin, ou à la confiscation du pouvoir par les partis politiques, A Pallu, faisant parler le chef d'entreprise, expose sa conception des rapports entre le capital et le travail, entre les patrons et les ouvriers ("rivés les uns et les autres à une chaîne indissoluble, vous devez vous aimer réciproquement"). Leur association est nécessaire. Le patron doit assurer les lendemains de l'ouvrier et renoncer à la pratique du congédiement sans règle. Toute cette partie des idées de Pallu mériterait de plus amples commentaires. Que ce fut à l'usine du Portillon ou à la tête des mines de Pontgibaud, Pallu avait montré, et pas seulement par des écrits. qu'il était un "patron social", au sens fort du terme.

Alphonse Pallu, maire du Vésinet

La loi érigeant Le Vésinet en commune votée le 31 mai 1875, les premiéres élections municipales ont lieu le 25 juillet et le 1er août. Les douze conseillers municipaux se réunissent pour la première fois le dimanche 15 août. Alphonse Pallu ayant été nommé maire par le préfet (Pallu avait obtenu deux voix de moins que Gastambide, mais ce dernier, étant conseiller à la Cour de Cassation, ne pouvait devenir le maire). Dans son premier discours Pallu ne cache pas qu'il a hésité à accepter - comme à Pontgibaud un quart de siècle plus tôt - la magistrature municipale : "Je retrouve ici les mêmes difficultés de concilier mes nombreuses occupations avec les mille détails de l'administration municipale".
Mais, de plus, il est le responsable de la société qui a transformé Le Vésinet et il avoue que ceci a "augmenté momentanément mes hésitations". La suite allait montrer la difficulté de concilier les deux casquettes. Le 8 octobre 1876 - on est revenu à l'élection du maire par le Conseil municipal - Alphonse Pallu est élu par neuf voix contre trois bulletins blancs. Un an plus tard, il est révoqué par le gouvernement en vue des élections législatives des 14 et 28 octobre 1877. Pallu avait refusé de couvrir de son autorité la pose des affiches du candidat "officiel" de la circonscription. Le préfet de Seine-et-Oise demande la révocation au ministre de l'intérieur en raison de l'hostilité notoire du maire du Vésinet à l'égard du gouvernement, Pallu rejoint ainsi l'impressionnante charrette de préfets, maires, adjoints, faite par le gouvernement pour mieux préparer les élections. Mais, on le sait, cela ne servit à rien, les républicains gardèrent la majorité, et Albert Joly, que Pallu avait soutenu, fut élu dans la circonscription.
C'est sous le mandat d'Alphonse Pallu que vont être entrepris les travaux de construction de la mairie et de l'école communale.

Le projet de Ville écolière

En 1876 Pallu lance son projet de Ville écolière et publie une brochure, "L'éducation paternelle", qui en expose les objectifs, c'est-à-dire l'éducation par la suppression de l'internat, l'enseignement des sciences appliquées, la pratique des langues vivantes précédant l'étude du grec et du latin, les humanités, la préparation à l'enseignement supérieur. Cet opuscule comporte une longue étude pédagogique d'un professeur, M. Hippeau - auquel Pallu confie le soin d'exposer le détail de l'organisation de la scolarité dans l'établissement à fonder. Pallu part de l'idée qu'il faut "réformer la société par l'enfant, - faire une génération nouvelle - développer dans cette génération les qualités effectives et positives qui la rendront forte - lui donner l'instruction qui lui permettra d'utiliser ses forces, la rendre capable de surmonter les difficultés de la vie". Pallu ajoute "Tel est le projet que l'industriel dans sa carrière, le philosophe dans ses réflexions, le père de famille dans sa sollicitude, a conçu et va développer".
Pallu insiste sur la distinction entre l'éducation (développement des forces physiques et morales, formation des caractères, savoir-vivre, savoir-faire) et l'instruction (dont le but principal est la culture de l'esprit) toutes les deux sont inséparables. L'enseignement doit désormais se libérer de l'auréole qui s'attache traditionnellement aux études littéraires générales, alors que le monde de l'industrie a besoin de spécialistes de la science et de la technique.
L'établissement projeté devait comporter des pavillons pour les divers types d'enseignement et des villas dans lesquelles devaient vivre des familles de dix à quinze enfants, ayant à leur tête un tuteur, mandataire direct du père de famille, L'ensemble devait occuper le périmètre délimité, aujourd'hui, par l'avenue Horace-Vernet, le boulevard des Etats'Unis et l'allée des Bocages. En 1878, A. Pallu présente l'étude financière prévisionnelle de l'opération qui recueille le soutien de certaines personnalités comme François Coppée, Emile de Girardin, Victorien Sardou ou Viollet Le Duc.

Les dernières années

Le fils aîné d'Alphonse Pallu, Arthur, meurt en 1877, à l'âge de vingt-neuf ans, à Melbourne. L'Australie, pour lui, était synonyme d'exil consécutif à des écarts de conduite que son père ne lui avait pas pardonnés. La révocation de Pallu, maire, ayant été rapportée le 31 décembre 1877, il est réélu, à l'unanimité, à la tête du Conseil municipal issu des élections de janvier 1878. Mais cette unanimité sera de courte durée. Le premier incident intervient au mois de mai à propos de l'enseignement. Aimé Foucault, porte-parole de treize conseillers municipaux (sur seize), demande que l'école communale gratuite de filles soit dirigée par des institutrices laïques et non plus par les Soeurs de la Sagesse. Cette réforme, dit-il, est "réclamée par l'opinion publique" et par les membres protestants de la commune. Il est fait observer aussi que les religieuses ont ouvert à côté de l'école publique une école payante dont elles vantent la supériorité. Le compte-rendu de la séance indique: "M. le Maire, dont les idées anticléricales sont parfaitement connues et qui respecte la religion si malheureusement exploitée par le cléricalisme dans un intérêt politique, ne repousse pas en principe la proposition, mais il la considère comme intempestive, de nature à exciter les passions et à faire revivre les divisions et les haines que le 16 mai a engendrées". Après débat, le vœu présenté par Foucault sera adopté à l'unanimité.

Alphonse Pallu (1808-1880)

Deuxième incident, au mois d'août. Foucault, de nouveau, prenant parti contre l'avis de Pallu, sur une proposition de création d'une commission pour le matériel scolaire, Pallu essaie de mettre en relief la séparation des pouvoirs entre le maire et le Conseil municipal pour de tels actes de gestion. Néanmoins, la commission est créée à l'unanimité.
Troisième incident, au mois de septembre : un rapport de la commission des bâtiments communaux est présenté au Conseil municipal, sans que Pallu en ait eu connaissance au préalable, comme cela s'était déjà produit pour l'affaire des religieuses. Pallu considère que les commissions n'ont pas à empiéter sur les prérogatives du maire. Il trouve cette façon de procéder "inconvenante et blessante". Il ajoute que plusieurs votes du Conseil, notamment en ce qui concerne la nomination de l'adjoint (J. Laurent) lui paraissent "des actes de défiance et de mauvais procédés", La séance se poursuit dans un climat houleux, les uns dénonçant l'agressivité ou la susceptibilité exagérée de Pallu, ce dernier maintenant les reproches faits à ses collègues quant à leur manque de confiance en lui, "L'incident est clos", mentionne ensuite le procès-verbal.
De nouveaux incidents se produiront en novembre, en décembre, jusqu'au moment où A. Pallu démissionnera en avril 1879.
Aux élections municipales partielles qui suivent, Pallu, qui n'était évidemment pas candidat, recueille quatre voix et son fils, Etienne, qui a vingt-cinq ans, cinq voix. Le 8 mai 1879, Jean Laurent devient maire. Mais les attaques contre la gestion de Pallu se poursuivent quelques temps encore. Le projet de ville écolière, quant à lui, ne verra jamais le jour, malgré sa présentation à l'Exposition universelle de 1878.
Le malheur frappe de nouveau A. Pallu, le 27 novembre 1879, avec la mort de sa seconde fille, Marie, à l'âge de dix-sept ans. Il s'éteindra un an plus tard, le 4 novembre 1880, après une existence féconde et passionnée, mais les dernières années de sa vie furent singulièrement éprouvantes.
Son dernier fils, Etienne, prendra sa succession à la tête de la Société Pallu et Compagnie, mais il mourra à trente-six ans, en 1890, laissant trois enfants âgés de quatre à huit ans. Quant à Mme Pallu, qui aura vu disparaitre ses quatre enfants, elle décèdera en 1898.
Le 1er novembre 1880, le Conseil municipal débaptisa une grande partie de la rue de la Faisanderie pour lui donner le nom d'Alphonse Pallu.

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    Notes:

    [1] Une attestation du préfet d’Indre-et-Loire, datée de Tours, le 4 juin 1829, mentionne qu’Alphonse PALLU a fait partie de la classe 1828. Au tirage du canton de Tours-Centre, il a obtenu le numéro 73 alors que le contingent fixé par le conseil de révision avait été arrêté au numéro 60.

    [2] Il reçut la Croix de chevalier de la Légion d'Honneur en 1849 pour sa participation à l'Exposition de l'Industrie Française.

    [3] La galène est le minerai de plomb le plus abondant. Les gisements de galène (anc. « plomb argentifère ») contiennent des quantités notables d'argent comme impuretés, et ont longtemps constitué une source importante de ce métal. Leur exploitation est source de pollution et cause fréquente de saturnisme.


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