Les Mondes - Revue Hebdomadaire des Sciences, tome VI, 450-453, septembre-décembre 1864.

Belles et grandes entreprises : Le Parc du Vésinet

II nous a été donné, le mois dernier, de visiter la belle création de M. Pallu, et nous sommes heureux de pouvoir lui rendre publiquement l'hommage auquel il a tant de droits, par son initiative, son activité, son intelligence et son talent admirable d'organisation.
Le parc, autrefois la forêt ou le bois taillis du Vésinet, est situé près des bords de la Seine, au pied de la terrasse de Saint-Germain, à proximité de tant de lieux enchanteurs, Chatou, Croissy, Bougival, Port-Marly, Le Pecq, Montesson, etc. avec vue sur les magnifiques coteaux de la Jonchère, de Louveciennes, de Marly, de Saint-Germain et de Cormeilles. C'est là, c'est dans cette situation tout à fait exceptionnelle, nous dirions presque unique au monde, que M. Pallu a organisé la colonie de plaisance qui devra donner à ses habitants non-seulement le charme de la campagne, mais tous les agréments d'un parc public avec son animation, ses voies dessinées à l'anglaise, ses pelouses, ses ombrages, ses eaux réservées, ses accidents et ses points de vue pittoresques.
Le service général des eaux, lacs, rivières, cascades, et l'alimentation de l'eau particulière pour chaque propriété, sont assurés par un établissement hydraulique que sert une machine à vapeur de 120 chevaux, et qui embrasse tout le parc dans sa canalisation gracieusement dessinée, sur une longueur totale de 72 kilomètres.
Les moyens d'approvisionnement et de construction, déjà assurés par Saint-Germain, Le Pecq et Chatou, sont doublés par la création dans le Vésinet même d'un village et de plusieurs centres commerciaux, avec réserve des emplacements nécessaires pour plusieurs marchés. L'église Sainte-Marguerite, bientôt érigée en paroisse, est placée au centre du village, à portée de tous les habitants.
L'entretien du parc et sa surveillance sont faits par une brigade de cantonniers dont les habitations sont réparties sur douze points principaux, et qui seront toujours prêts à donner les renseignements sur le parcours de la propriété.
Trois cents maisons sont déjà bâties, et de nouvelles s'élèvent chaque jour. On prétendait que le sol du Vésinet défriché était stérile; il est, au contraire, d'une fécondité remarquable, et des jardins, des potagers, des vergers, des prairies de récente création, sont aujourd'hui en plein rapport. Dans notre conviction intime, la Société fondatrice a consciencieusement rempli son programme; le parc du Vésinet se prête merveilleusement à sa nouvelle destination et forme déjà l'une des plus charmantes colonies de plaisance que l'on puisse citer.
La construction de l'église avait été confiée à M. Boileau, l'habile architecte de l'église Saint-Eugène, la première dans laquelle on ait fait un large emploi du fer et de la fonte de fer. Elle est formée de trois nefs terminées par une abside et deux bas-côtés avec chapelles saillantes à l'extérieur.


PLAN

Le portail formant porche est surmonté d'un clocher avec flèche et flanqué de deux nouvelles chapelles. L'édifice a 52 mètres de longueur sur 17 mètres de largeur des nefs, et 17 mètres de hauteur des voûtes de la nef centrale. La flèche aura 40 mètres de hauteur; la construction entière couvre 814 mètres carrés. M. Pallu, très avide du progrès, avait désiré qu'on adoptât pour la maçonnerie le béton aggloméré de M. Coignet; et M. Boileau, sûr de son système de construction moitié pierre, moitié métal, n'a pas hésité à tenter un essai qui pouvait sembler périlleux. Pour la première fois il nous a été donné d'admirer une église monolithe, dont les murs d'une seule pièce, les colonnettes avec leurs chapiteaux et leurs bases, les galeries ajourées, les clochetons, les fleurons décorateurs sont un simple mélange de sable et de chaux.

Nef de l'église Ste Marguerite (projet)

La division des nefs est faite par des faisceaux de colonnettes en fonte; ces colonnettes, avec celles adossées aux murs latéraux, reçoivent la tombée des voûtes ogivales; et reliées à la couverture par des arcs et autres pièces en fonte et en fer, constituent l'ossature de l'édifice. Cette ossature en métal part donc du sol et s'élance jusqu'au toit. La substitution d'arcs en métal, assemblés d'une seule pièce, rigides et invariables, aux arcs en maçonnerie composés de petites pierres en forme de coins ou voussoirs exerçant une poussée continue; l'allégement de la masse au sommet, obtenu par une très heureuse disposition qui consiste à revêtir les arcs en fonte ou en fer de deux parois légères laissant entre elles un espace rempli par de l'air confiné; l'opposition établie entre les voûtes latérales boutantes et la poussée réduite des voûtes supérieures, font de la nouvelle construction un chef-d'œuvre de légèreté, de solidité et de grandeur. M. Boileau, sans rien sacrifier aux exigences de l'art, a su réaliser des économies considérables. Il semblait impossible d'obtenir avec si peu de dépenses un si magnifique effet. Comme son aînée, l'église Sainte-Marguerite se prêtera admirablement aux cérémonies du culte, et à ce point de vue elle est pour nous un type heureux dont nous désirons ardemment la reproduction sur un grand nombre de points de notre chère France. Dans le nouveau système, comme le disait si bien M. Michel Chevalier en 1855, la masse des matériaux à élever à une grande hauteur est considérablement diminuée, les voûtes sont incomparablement plus légères et plus permanentes dans leur forme; les poussées latérales, si dangereuses, sont presque ramenées à des pressions verticales inoffensives; la charpente en fer charge à peine les voûtes; et l'on a pu supprimer sans crainte contre-forts et arcs-boutants; l'épaisseur des murailles est réduite presque à rien; enfin, avec une dépense deux ou trois fois moindre, on entre en possession d'un vaisseau de même surface, de hauteur plus grande et d'une élégance inespérée.
On aurait pu craindre que la teinte du béton aggloméré fût terne et triste, il n'en est rien; sa couleur d'or foncé fait, au contraire, un très-agréable effet; elle dispense heureusement de tout badigeonnage. Le succès de M. Boileau est si complet, qu'il est grandement à désirer qu'on lui donne l'occasion d'appliquer son système d'architecture à quelque monument, par exemple, au palais des expositions permanentes dont il avait exposé les plans au salon de cette année.

Bouquets d'arbres, ménagés avec goût et découpés avec art, ombres salutaires, eaux abondantes et qui serpentent partout, air pur, frais et embaumé, constructions variées, ici des villas élégantes, là d'humbles cottages, allées sablées et sèches, même après les grandes pluies, horizon splendide; communications faciles par trois stations et trente-cinq convois montant et descendant; tout concourt à faire du parc du Vésinet un séjour enchanteur. Il serait impossible de rendre l'impression de repos intime, de paix suave, dont on s'y sent saisi à la tombée de la nuit, après un beau jour d'été.

F. Moigno
(Monsieur l'abbé Moigno)


Société d'Histoire du Vésinet, 2009 - www.histoire-vesinet.org