Jean-Paul Debeaupuis, Société d'Histoire du Vésinet et Syndicat d'Initiative et Défense du Site, 2017. Les chênes séculaires du Vésinet Les habitants du Vésinet ont souhaité, depuis les débuts de la commune, placer celle-ci sous le signe du chêne. Arbre majestueux s'il en est, chargé de symboles dans notre culture et notre Histoire, le chêne figure donc sur les armoiries de la ville sous la forme des deux feuilles qui flanquent la marguerite (autre symbole local) et par les deux rameaux qui accotent l'écu. A côté des armoiries officièles du Vésinet, le projet d'armoiries pour la Paroisse Ste Marguerite et sa devise : Quercus marguaritis emicant (Alfred Couverchel, 1866) Il est vrai que, dès 1517, le récit de voyage d'un ecclésiastique allemand [1] mentionnait un petit bois qui ne s'est jamais développé et s'appelle encore aujourd'hui le bois de la Trahison, une forêt de chênes « mal-venans » (de petite taille et de conformation irrégulière) résultant de pousses spontanées plutôt que d'une forêt plantée. Si l'on se réfère aux documents historiques, plans de boisement, entretien, Comptes des bâtiments du Roi, documents comptables, on trouve trace de plantations massives d'ormes et, en moindre proportion, d'érables, de tilleuls et de châtaigniers, mais de chênes ... point. Les « chênes géants de la forêt du Vésinet, appelée alors la forêt d'Echauffour » qui surgissent dans la littérature du XIXe siècle ne sont que la représentation romantique de la forêt imaginaire d'autrefois : Source cristalline, chênes géants, biche et faon à l'allure incertaine et légère ... La description de la forêt du Vésinet au moment de son acquisition par la Société Pallu en 1856 est à ce titre intéressante. En voici la synthèse [2]: ... On peut la rapprocher des rapports des gestionnaires des Forêts de la Couronne et du plan de 1824 qui offrent une vision des bois trente ans plus tôt. On y lit la poursuite de la composition que nous avons vue s'élaborer au fil des siècles : une très vaste partie boisée, coupée par des routes et ronds points et une surface de taille assez importante (12 ha), l'ancien champ de manoeuvres " entièrement déboisé. "
D'après Nicolas de Fer, à Paris, Chez I.F. Bernar, gendre de l'auteur, 1725.
En observant la carte du XVIIIe siècle ci-dessus et la façon très particulière dont le territoire du Vésinet est représenté – représentation très habituelle sur les cartes topographiques de cette époque comme on peut le voir sur la page dédiée –, on doit se souvenir qu'avant son rôle cynégétique, la Garenne du Vésinet contenant 1009 arpents 20 perches, sera conservée pour l'ornement du château de Saint-Germain. [État de 1674, E 3627, fol. 16v.] Les plantations en alignement, en 1664 et après, avaient d'abord pour but de dessiner des perspectives, un lieu où les alignements ont plus d'importance que ce qui pousse dans les espaces ainsi délimités. Dans ces espaces, le Chêne, essence endémique du lieu, continue de pousser spontanément. La main du Paysagiste puis de l'Urbaniste C'est donc une végétation sans vertu, paresseuse et languissante, où les arbres sont rachitiques et rabougris, les chênes moroses envahis par la bruyère et dont les arbrisseaux obstruent tout horizon qu'Alphonse Pallu confie en 1857 au Comte de Choulot pour y réaliser un des parcs dont il a le secret. La presse ne cache pas son scepticisme. Le bois est connu comme ... à peine vivifié par les précipitations et lors des saisons pluvieuses, des mares se forment, génératrices de moustiques. Et, toujours selon les témoignages du XIXe siècle, si la cognée de l'Etat éclaircit de temps à autre les massifs de chênes et de trembles, les chemins y sont fort mal entretenus. En principe, on exploite 20 hectares par an. La révolution (périodicité) est de 20 ans. La forêt est décrite comme taillis sous futaies de chênes épars, de charmes et de bouleaux avec des pins sylvestres par bouquets.
...les arbrisseaux obstruent tout horizon...
... les chênes moroses envahis par la bruyère ... Avec les cartes postales anciennes, la période de couverture photographique réalisée vers 1900-1920, donc quelque 50 années après la réalisation initiale, fait apparaître les paysages au début de la maturation des principales plantations nouvelles, où les effets voulus sont donc déjà perceptibles. A contrario, elle fait aussi apparaître [images ci-dessus], dans les secteurs non exploités ou pas entretenus (quartier des Charmettes bois de l'Asile) un retour à la forêt d'avant les premiers défrichements de la Compagnie Pallu. Chênes " historiques" (antérieurs à la création du Vésinet) Sinuosité du tronc, nœuds vicieux, troncs fourchus, multiples, jugés médiocres du point de vue sylvicole mais ô combien pittoresques ... malgré des houpiers déséquilibrés par la coupe de branches charpentières. Les règlements et plans de sauvegarde Si l'on s'accorde à considérer que le Vésinet a pu conserver son charme, son caractère pittoresque et son statut de ville-parc grâce aux règlements qui l'ont protégé dès son origine, il faut remarquer que rien ne figure dans les Cahiers des Charges de 1858 et 1863 pour conférer la moindre protection aux plantations. Pas davantage lorsque l'Acte d'Abandonnement, en 1876, fait passer les " espaces verts" dans le domaine du droit public. On peut penser qu'alors, les arbres et particulièrement les chênes paraissaient si nombreux qu'il n'y avait pas de dommage à en abattre quelques-uns. En 1937, dans le prolongement des mesures de Classement du Site, un Plan d'Aménagement, d'Embellissement et d'Extension est mis en place et déclaré d'Utilité publique. Là encore, son Règlement des Servitudes, très rigoureux en matière de construction, ne fait aucunement mention des arbres en général, des chênes en particulier. Il faudra attendre le règlement d'Urbanisme de 1970 pour qu'on se préoccupe enfin des arbres de grand développement. ...La suppression d'arbres dans les bois et parcs de moins de 4 hectares et l'enlèvement des arbres d'alignement qui risqueraient de modifier le caractère des paysages, tels que les abattages d'arbres le long des voies publiques ou privées ne peuvent être réalisés qu'après le dépôt en mairie d'une déclaration indiquant les travaux projetés, qui sera instruite dans les conditions prévues par l'article 3 du décret n° 59-1059 du 7 septembre 1959. ...Au dossier de demande de permis de construire seront jointes les indications relatives aux arbres de haute tige à abattre et aux plantations à réaliser. Dans le cas où la construction des bâtiments entraînerait l'abattage d'arbres de haute tige, le propriétaire du terrain devra replanter un arbre de haute tige pour remplacer chaque arbre abattu. Dans le sous-secteur d'habitations basses avec jardins il sera exigé de maintenir ou de créer des plantations à raison de 30 arbres de haute tige minimum à l'hectare. ...Dans le sous-secteur résidentiel d'habitations individuelles il sera exigé de maintenir ou de créer des plantations à raison de 100 arbres de haute tige minimum à l'hectare." Enfin, dans le règlement du Plan d'occupation des Sols (POS) de 1979, de nouvelles prescriptions apparaissent : ...Des surfaces sont obligatoirement réservées aux espaces verts leur emprise est de 20% au moins de la propriété bâtie en secteur UAa et 35 % au moins de la propriété bâtie en secteur UAb, 50% dans le secteur UE, 60% en secteur UH .... ...Il est exigé un arbre de haute tige par 100 m² de terrain libre au minimum. Tout abattage d'arbre est soumis à l'autorisation du Maire. Le Chêne dans la microtoponymie locale Les habitants, de leur côté, ont toujours été sensibles à la présence des chênes et pour ne pas se limiter à la rue des Chênes tracée avec le Hameau du Petit-Montesson dès les années 1860, et la Villa Beau-Chêne édifiée en 1891 par l'architecte Louis Gilbert et connue de nos jours pour avoir été la demeure de Joséphine Baker, les noms de maisons faisant référence aux chênes sont nombreux. Pas moins de sept maisons ou villas de caractère ou de style très différents ont été nommées Les Chênes ou Villa des Chênes, deux autres Les Trois Chênes. Il faut y ajouter Les Vieux-Chênes, La Chesneraie, Le Grand-Chêne, La Rouvraie, Les Rouvres, donnant à l'essence chère à Saint-Louis, le premier rang dans la toponymie locale. Considéré longtemps comme le plus vieux chêne du Vésinet, datant de la fin du XVIIe siècle, il était contemporain des chasses du Roi-Soleil. Abattu par la tempête de 1999 sur la Grande Pelouse. Cliché 1986. L'approche scientifique Une importante étude dite " historique et paysagère" fut rendue publique en 1995. Cette étude faisait suite au Contrat Départemental d'Environnement établi en 1991 entre le département des Yvelines et la commune du Vésinet [2]. Il portait d'une part sur l'établissement par un ingénieur-écologue d'un diagnostic sanitaire du patrimoine arboré de la commune et d'autre part sur la réalisation par un paysagiste d'une étude paysagère de l'ensemble du territoire communal, tant public que privé. En 1994, les Contrats d'Environnement ont été recentrés sur la protection du patrimoine naturel et des paysages. Entre les premiers défrichements en 1857 et l'arbre du centenaire planté en 1975, aucun plan global de replantation de chêne n'avait été appliqué. Il n'y avait donc alors pour ainsi dire aucun jeune chêne hormis ceux –rares– qui avaient pu pousser spontanément. Chêne du Centenaire de la commune du Vésinet Planté le 4 mars 1975, don de Mlle Rudolphe, fille du champion cycliste, il fut inauguré le 22 juin 1975 [6] C'est aujourd'hui un chêne cinquantenaire. L'effet des catastrophes naturelles Les grands arbres de notre ville-parc ont aussi souffert d'épisodes climatiques violents. Ceux de 1780 (ouragan), de 1870 (ouragan), de 1896 (ouragan ou cyclone) et de 1931 (tempête) ont laissé des souvenirs vivaces à leurs contemporains et quelques écrits en font état sans toutefois permettre d'évaluer les dégâts localement. Plus récemment, les tempêtes du 27 mai 1967 qui a abattu une quarantaine de grands arbres, celle du 3 août 1971 durant laquelle " une quarantaine d’arbres ont été déracinés, dont plusieurs chênes centenaires, 30 propriétés touchées, 400 abonnés sans téléphone, une centaine de maisons sans électricité, des caves inondées, des poteaux brisés, des toitures endommagées, 3 rues coupées par des arbres, des clôtures effondrées, l’éclairage public gravement perturbé, les trottoirs jonchés de branches cassées" . Ce jour-là, un vent à près de 120 km/h, accompagné de pluie et de grêlons s’est abattu sur la Commune durant une vingtaine de minutes. Les 3 et 4 février 1990, des rafales d'une rare violence ont déraciné ou brisé 67 arbres. Devant ce lourd bilan, la Ville proposa d'aider les particuliers à reboiser avec une aide substantielle de 800 frs. Tempête Brochure de 20 pages (35 illustrations) publiée par la Ville du Vésinet aux lendemains de la tempête du 26 décembre 1999. ... Adieu vieilles forêts, adieu têtes sacrées... Adieu chênes, couronnes aux vaillants citoyens ... Au cours des trente dernières années, avec le développement de l'Ecologie (discipline scientifique entrée tardivement à l'Université française) et les nombreuses connaissances qu'elle a permis d'acquérir – connaissances encore très parcellaires –- la façon de concevoir et de traiter les interactions entre insectes et végétaux a beaucoup évolué. Le rôle écologique des espèces considérées comme nuisibles se fait jour, le respect de la biodiversité oblige à renoncer à l'élimination quasi systématique par voie chimique de certaines d'entre elles au point que désormais, pour ne retenir que le cas du Capricorne, le chêne ne doit plus être considéré comme la victime de l'insecte mais comme le biotope au cœur duquel l'insecte (espèce protégée) passe une grande partie de sa vie, et que l'on doit à ce titre le conserver en l'état. [7]
De la forêt aux parcs et jardins : les arbres Au-delà du Chêne et de la valeur emblématique qu'il revêt, Le Vésinet fut conçu par ses fondateurs comme une forêt habitée. Couvertures arborées primaire (originelle) et secondaire Rapport de présentation ZPPAUP / AVAP (projets) 2010-2016. [9] Les acquéreurs de parcelles feront preuve de beaucoup plus d'imagination pour décorer leurs parcs et jardins. Grâce à eux, on peut relever çà et là quelques sujets isolés de très grande taille, de couleurs variées, d'essences exotiques : cèdres, séquoias, hêtres roux, gingkos, pins et sapins, catalpas, etc. Écrin de verdure autour des villas aux styles variés Rapport de présentation ZPPAUP / AVAP (projets) 2010-2016. [9] La couverture arborée, primaire et secondaire, constitue un élément essentiel dans le paysage vésigondin car il fait le lien et permet l'harmonisation entre les nombreux styles architecturaux qui composent son riche patrimoine en leur offrant un écrin de verdure. C'est ce qui explique les efforts renouvelés à chaque nouveau plan d'urbanisme pour préserver les espaces végétalisés, une taille de parcelles compatible avec la présence des plus grands arbres, des limitations drastiques à la tentation de minéraliser les sols. De nombreux aléas contribuent à façonner ou à transformer l'action de l'homme. Plantés en grand nombres au moment du lotissement pour donner de la verticalité au décor, les peupliers d'Italie ont presque tous disparu lors des tempêtes de 1931, 1967 et 1971. Les ormes, introduits en grand nombre au XVIe siècle sous forme d'ormeraies, récoltés au XVIIIe, ont laissé des rejets qui ont presque tous été victimes de la graphiose, une maladie cryptogamique associée à un scolyte qui a sévi dans les années 1960-1970. Encouragée depuis les études paysagères globales et les diagnostics sanitaires, l'introduction d'une plus grande diversité dans les essences a fait apparaître de nouvelles variétés. C'est le choix de la Fondation pour Le Vésinet qui a entrepris une campagne de reboisement du site des Ibis depuis 2015. La « forêt » du Vésinet aujourd'hui, vue de la Terrasse de St Germain Syndicat d'Initiative et de Défense du Site, 2012. Si, dans la microtoponymie locale, le chêne bénéfcie comme on l'a vu d'une position dominante, les autres arbres, collectivement, lui font concurrence. Charmes, marronniers, acacias, bouleaux, peupliers ont leurs voies communales ainsi que les bocages. Les Ifs, les cèdres et les mélèzes ont leurs villas comme les charmes et les charmilles, les platanes et les tilleuls sans oublier plusieurs sapinières ...Et notre concitoyen Alain Decaux (1925-2016) pouvait écrire dans sa préface à La curieuse histoire du Vésinet « Une Jacquerie au Vésinet ? Je la prédis, si l’on touche à nos arbres ! » Conscients à des titres divers de l'importance des arbres dans notre ville, autant pour le plaisir de nos sens que pour leur rôle bénéfique dans notre environnement, les municipalités successives ont essayé de protéger, de faire connaître et reconnaître ce qu'on tient désormais comme une des richesses patrimoniales essentielles du Vésinet : ses arbres. Ils ont fait l'objet d'un recensement pour figurer dans le Plan local d'Urbanisme de 2014 puis après un inventaire complémentaire, pour être inclus dans le Plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine qui définit les règles en vigueur sur le Site Patrimonial Remarquable du Vésinet. [10] Pour aller plus loin, lire de Peter Wohlleben : La Vie secrète des Arbres, Editions des Arènes, Paris, 2017 et La Vie au cœur de la Forêt, Editions Trédaniel, Paris, 2017
**** Notes et sources: [1] Rubrique littéraire, Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, 1903. [2] Ville du Vésinet, Contrat départemental d'Environnement. présenté par Sylvie Dumont, urbaniste, Adeline Hamon, historienne et Dominique Pinon, paysagiste, 1994. [3] Si les propositions d'aménagement envisagées dans cette étude n'ont jamais été réalisées, le diagnostic territorial servant de fondement au Plan local d'Urbanisme de 2014 puis du Plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine de 2017 et, à un degré moindre, à l'aménagement du Parc Princesse, en est largement inspiré, alimentées par divers documents disponibles (plans, cartes postales anciennes, photographies, etc.) afin de bien saisir la pensée créatrice des fondateurs du Vésinet, et confrontées avec l'observation fine du terrain. [4] La Fondation pour le Vésinet a entrepris en 2015 d'importantes campagnes de reboisement avec la volonté d'élargir le choix des espèces, faisant évoluer le site des Ibis, en particulier, vers une sorte d'arboretum comprenant des essences plus exotiques, plus colorées. [5] Aucun bilan n'a été publié quant aux dégâts subis par le domaine privé qui comptait au recensement de 1992 (révision du POS) environ 4 à 5 fois plus d'arbres que le domaine public. [6] Le sujet planté en 1975 n'a pas survécu à la sécheresse de 1976 et on a dû le remplacer l'année suivante par un sujet plus petit, pour une reprise plus probable. Il présente toutes les caractéristiques d'un chêne de plein-champ (isolé) qu'il partage avec beaucoup des chênes historiques du Vésinet. [7] Le grand Capricorne est protégé au titre du Réseau Écologique Européen dit " Natura 2000" . Tout comme, durant des années, les chênes infestés ou sains ne pouvaient être abattus ou amputés de branches charpentières que pour des motifs de sécurité, ce n'est désormais que pour ces mêmes raisons de sécurité qu'un chêne devenu biotope d'une colonie de capricornes ne peut être abattu de crainte de voir disparaître avec lui les précieux coléoptères. [8] Il fonda l'Abiétinée, une Société d’amis des belles plantes et répandit dans parcs et jardins des Vosges et en Lorraine des espèces rares de conifères. La Terre et la vie - revue d'histoire naturelle de la Société nationale de protection de la nature (France), janvier 1936. [9] Documents illustrant les premiers projets de Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), repris dans les projets d'Aire de valorisation de l'architecture et du patrimoine (AVAP) élaborés entre 2006 et 2017 pour aboutir au Plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine qui définit les règles en vigueur sur le Site Patrimonial Remarquable du Vésinet institué selon la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP). [10] Une Charte de l'Arbre élaborée par le Pôle Cadre de Vie et Développement du Vésinet, long et délicat chantier, a été présentée en Conseil municipal et adoptée en 2015.
Société d'Histoire du Vésinet, 2017- histoire-vesinet.org |