D'après Georges Libault, dans Le Figaro, 4 et 5 novembre 1958

Un îlot de Verdure

Le Vésinet, modèle d'urbanisme, doit protéger son îlot de verdure contre les bâtisseurs,
Son cahier des charges, conçu sous le second Empire par Alphonse Pallu, fait l'admiration des urbanistes.

En 1958, la municipalité du Vésinet entreprend de réviser son règlement d'urbanisme qui date de plus de vingt ans (1937) et qui ne répond plus, pense-t-on, aux exigences de la construction d'après guerre. A l'initiative de Philippe Bigot [1], président du Syndicat d'Initiative et de Défense du Vésinet une campagne de sensibilisation est lancée dans la grande presse parisienne pour promouvoir la défense de notre ville que l'on désigne alors comme un îlot de verdure et d'air pur. Dans le compte-rendu de l'enquête qu'il a conduite sur place, le journaliste Georges Libault, après une introduction alliant la légende déjà largement répandue à quelques faits historiques édifiants, résume assez finement les points de vue déjà nuancés de la municipalité et de sa future opposition.

    « Il faut aller à Melbourne pour trouver un exemple d'urbanisme aussi intelligent que celui du Vésinet », disait récemment à M. Ferlet, maire de la commune, un visiteur étranger. Et c’est avec une certaine fierté que le premier Vésigondin — puisqu'on appelle ainsi les habitants du Vésinet — rapportait cette anecdote. En effet, l’exemple de la cité, avec ses pelouses, ses lacs et ses rivières entièrement créées de façon artificielle, est unique non seulement dans la région parisienne, mais aussi dans presque toute la France.
    Et cette réussite est l'œuvre d'un homme, Alphonse Pallu, qui sut non seulement créer ce « parc habitable », mais sut aussi le protéger.
    Si Le Vésinet ne possède pas de monuments marquants, il possède cependant une histoire qu'il nous faut rapporter pour comprendre et la création de cet ensemble résidentiel et son développement.

    Henri IV, premier urbaniste du Vésinet

    A l’origine, la forêt d'Yveline occupait toute la surface du territoire de l’actuelle commune et c’est dans une charte du roi mérovingien Childebert III qu’apparaît pour la première fois le nom du Vésinet, qui vient du mot latin Vesiniolum, qui veut dire « lieu voisin ».

    Dans cette forêt « lieu voisin » du Pecq se trouvait, selon la légende, le chêne dit de Roland, au pied duquel Ganelon aurait médité sa trahison. Ce serait également en ce lieu que Charlemagne aurait fait mourir les félons sur un bûcher.

    Pendant longtemps, la route reliant Le Pecq à Chatou et traversant Le Vésinet porta le nom de route de la Trahison. Hélas ! cette légende est en contradiction avec la Chanson de Roland. Puis la forêt du Vésinet, jusqu'alors à l’état sauvage, subit ses premiers aménagements sous le règne d’Henri IV. Celui-ci, ayant de vastes desseins pour son château de Saint-Germain, voulut ménager des perspectives et fit percer de larges avenues au travers du Vésinet. Il fut en quelque sorte le premier « urbaniste » du village puisque de ces avenues, il reste encore de nombreux vestiges et que le tracé de beaucoup d’entre elles coïncide avec celui de rues existant aujourd’hui.

    De l’avenue Royale on retrouve l'avenue du Grand-Veneur et le Tapis-Vert. A sa droite, les routes de Chatou, de Croissy, de Cormeille, de Montesson, de La Borde sont d’anciennes percées royales. L'avenue des Pages coïncide également avec un ancien tracé royal, ainsi que l’avenue du BelIoy et l'avenue Horace-Vernet.

    En 1721, on voit apparaître les premières maisons. Les rois s’étant désintéressés de leur ancien terrain de chasse où ils traquaient le cerf, le sanglier et le courlis, comme le rappellent encore aujourd’hui les noms de certaines rues, ce fut le duc de Noailles qui défricha le premier trois cents arpents pour établir des fermes. Ainsi, en 1721, le Vésinet possédait une population de quatre-vingts habitants groupés autour d’une chapelle. [2]

    Sous Louis XVI, on défricha une autre portion de terrain où l’on cultiva même... le tabac.

    En 1789, Le Vésinet était redevenu une forêt déserte et le resta jusqu’en 1858. Pourtant, en 1837, la voie ferrée reliant Paris au Pecq la traversait.

    La création des lotissements

    Vers 1852, nous explique M, Crétin, secrétaire général de la mairie, un banquier parisien nommé Henri Place, propriétaire de terrains situés entre les forêts de Marly et de Saint-Germain, ayant fait de mauvaises affaires, fut déclaré en faillite. Une société se constitua pour liquider ses biens. Le directeur-gérant de cet organisme liquidateur fut M. Alphonse Pallu. Napoléon III, désirant acquérir pour ses chasses les terrains reliant les deux forêts, proposa à M. Pallu de les lui échanger contre la forêt du Vésinet, qui appartenait alors aux Domaines. Ainsi, en 1856, la société Pallu des terrains du Vésinet se constitua. Le banquier Ernest André mit à sa disposition d’énormes capitaux et le comte de Choulot dessina les plans de la future commune.

    On créa des routes circulaires afin d’éviter la monotonie, et l’on fit même dans ce terrain sablonneux des rivières et des lacs artificiels. En 1858 commençait la vente des terrains. Le bois fut divisé en vingt-six lots et les lots en parcelles de 1.000 à 5.000 m².

    — Si les terrains valent aujourd’hui plus de dix mille francs le mètre dans beaucoup de secteurs, savez-vous, nous précise le secrétaire général de la mairie, qu’à cette époque ils valaient de 0,50 à 1,50 frs du mètre. En 1863, 118 maisons étaient bâties et 924 parcelles vendues. M. Pallu obtint même de la compagnie des chemins de fer le trajet gratuit sur la ligne de Paris au Vésinet pour tous les propriétaires et ceci pendant douze ans.

    Un cahier des charges remarquable

    La population allait rapidement augmenter. En 1875, on comptait 1.500 habitants contre 6.500 en 1914, puis 11.700 en 1936, 13.000 en 1946. 13.665 en 1954 et près de 18.000 aujourd'hui.

    On peut remarquer que la progression de la population est moins grande depuis 1937 et ceci tient à l’application stricte du cahier des charges conçu par Alphonse Pallu. Ce cahier des charges, qui fait l’admiration des urbanistes et sert de texte de cours à l’Institut de l’Urbanisme, a permis de protéger l’aspect boisé et reposant du Vésinet.

    — On prévoit trois catégories de zones résidentielles, nous explique M. Crétin, la première qui fixe à 1000m² et 25 m de façade les dimensions minima des parcelles, la deuxième dont les normes sont 700 m² et 18 m, et la troisième, 400 m² et 12 m de façade.

    De plus, quatorze zones de constructions collectives sont groupées autour des rues commerçantes. Ce sont Le Village (quartier de la gare et de l’église Sainte-Marguerite), le Rond-Point de la République (en limite du Pecq), le quartier des Charmettes (en limite de Montesson) et le quartier de l’Asile, qui est en pleine évolution et va donner naissance à un quartier neuf, tant par les ensembles scolaires qu’on y implante que par les constructions nouvelles. [3] Dans toutes ces zones collectives, si les boutiques sont autorisées, les industries ou manufactures sont strictement interdites.

    — Mais il va falloir repenser l'aménagement de ces zones nous précise M. Bigot, architecte et président du syndicat d’initiative, faute de quoi nous irons à une catastrophe. En effet ces zones collectives devraient — et ceci manque au cahier des charges — être préservées par une limitation de la densité de population ou de construction à l’hectare. Il serait indispensable de ne pas dépasser le chiffre de trois cents pièces. Et puis, il serait nécessaire d’aménager des parkings qui font défaut et peut-être d’accepter le principe de construire des immeubles un peu plus hauts mais en moins grand nombre, de façon à les entourer de zones vertes et boisées tout comme dans les zones résidentielles.

    L'Oasis de verdure en danger ?

    — Le grand problème, poursuit M. Bigot, est de défendre à tout prix le cas unique qu’est Le Vésinet. Pour cela, il faut éviter les erreurs et l'anarchie qui ont présidé à l’élaboration de toute la ceinture de Paris. Notre cahier des Charges est là pour nous aider, mais il nous faudrait résoudre cependant les problèmes de copropriété qui permettent de déroger aux règlements de morcellement et de bâtir sans tenir compte des règlements en vigueur.

    — Mais cela ne signifie pas que l’on ne puisse plus morceler au Vésinet. Il reste encore des possibilités et l'aménagement du rond-point de la Défense va certainement attirer encore dans notre commune un nombre plus important d’habitants. Il faudra évidemment éviter les erreurs commises aux alentours de la cité.

    — On peut également envisager la construction de nouveaux collectifs dans les zones commerciales, nous précise M. Crétin. Mais à tout prix le Vésinet doit se protéger contre les bâtisseurs sans scrupules, son îlot de verdure est en effet indispensable à la respiration de la ceinture ouest de Paris.

    Qu'est devenu le Village ?

    Patrie du philosophe Alain et de Rudier, Le Vésinet est aujourd'hui le lieu de prédilection de vedettes à la mode. Luis Mariano, Carette, Yves Deniaud, Suzy Prim y séjournent après Josephine Baker, Jeanne Auber, Francis Lopez et Pierre-Jean Vaillard. Plusieurs parlementaires ont également leur villa aux abords des lacs ou des pelouses. Des grandes propriétés d'hier, dont l'entretien coûtait fort cher, il ne reste que quelques rares vestiges. Beaucoup présentant une charge trop lourde ont été morcelées.

    Mais les services publics doivent encore, aujourd'hui, faire face à des problèmes qui restent à l'échelle des fastes d'antan. Toutes les bordures de trottoirs sont faites de gazon sur la presque totalité des 70 km de voies que compte la commune. Leur entretien constitue un grave problème.

    — Fort heureusement, nous explique M. Biel, la voirie est dotée d'un matériel ultra-moderne. Notre balayeuse-aspiratrice, par exemple, nous permet de faire en trois semaines un roulement complet qui nous demandait auparavant plusieurs mois de travail. Les rivières et les lacs demandent aussi un entretien très suivi qui engage la compagnie concessionnaire dans des frais importants.

    Autre grave problème : celui des égouts. En effet, si Le Vésinet possède 70 km de voies, nous dit M. Crétin, il n'a, en revanche, qu'une vingtaine de kilomètres d'égouts. Aussi est il très difficile, étant donné l'ampleur financière du problème, d'apporter rapidement un remède. Un syndicat intercommunal s'est cependant créé qui devra réaliser un grand collecteur auquel il sera facile de se raccorder.

    — Le Vésinet, nous dit encore le secrétaire général, doit aménager et bâtir des écoles et ceci également est un problème important. En effet, 1.700 enfants fréquentent nos écoles primaires publiques, sans compter les écoles privées. En tout neuf groupes comprenant 42 classes. D'autre part, nous allons ouvrir un nouveau groupe scolaire de 21 classes à l'Asile, se répartissant en 9 classes garçons, 9 classes filles et 3 classes maternelles, et un autre groupe va être mis en chantier avant un mois dans la zone nord de la ville, au quartier des Merlettes. Il comprendra 12 classes. 6 classes filles et 6 classes garçons.

    Comment expliquer cette augmentation importante des effectifs scolaires si l'on considère son pourcentage par rapport aux effectifs qui furent ceux du Vésinet pendant de nombreuses années ?

    Par l'augmentation de la population, évidemment ! Au cours des dernières années, 665 appartements ont été construits et avant la fin de l'année, 450 autres appartements seront terminés sans compter les villas particulières. De plus, le quartier des Charmettes offre encore de nombreuses possibilités et l'on envisage la réalisation de 200 nouveaux appartements.

    De nouvelles réalisations

    Dans le domaine scolaire, Le Vésinet verra encore dans les prochaines années une très belle réalisation avec un lycée de 900 places, à l'angle de l'allée du Lac-Inférieur et de la route de Croissy.

L'Hôtel des Postes et Télécommunications (vers 1963)

     

    Mais d'autres réalisations ont vu le jour ou le verront dans les prochaines années également.

    Parmi celles-ci, M. Ferlet est heureux de faire mention du stade, l'un des plus coquets et des mieux aménagés de la région parisienne et dont la municipalité est fière à juste titre ; de l'hôtel des Postes, dont les travaux débuteront avant la fin de l'année de la fontaine lumineuse de la rue Villebois-Mareuil, qui est en cours d’execution et qui embellira encore le village, et de la salle des fêtes qui, espérons-le, sera reconstruite.

    C'est donc sur une note optimiste que l'on peut terminer ce tour d'horizon sur le village en souhaitant qu’il reste toujours une admirable cité résidentielle qui, si elle eut à un certaine époque, son champ de courses et son casino, donne aujourd'hui à sa population le calme et la verdure qui conviennent à des citoyens paisibles qui récupèrent là les forces dépensées durant toute une semaine de labeur.

La fontaine en carrelage-mozaïque [4]

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    Notes et sources :

    [1] Né au Vésinet, Philippe Bigot (1924-1992) diplômé des Beaux-Arts en 1951, vice-président du Syndicat d'Initiative et de Défense du Site, en devint président à la mort de Gaston Jonemann en 1956. Encore jeune et très occupé, il n'occupa la fonction qu'un peu moins de deux ans mais en demeura un membre actif. Inscrit à la SADG en 1952, architecte des bâtiments civils et palais nationaux, architecte divisionnaire de l'Assistance publique, il fut membre titulaire de l'Académie d'architecture en 1986, reçu le 5 février 1987 au fauteuil d'Olivier Lahalle (1907-1986). Mort en 1992.

    [2] Il s'agit de la Ferme du Vésinet et de ses dépendances qui, rappelons-le, ne se trouvent pas sur le territoire de la Commune du Vésinet mais au Pecq.

    [3] Contrairement aux quartiers du Village, des Charmettes et du Rond-Point qui avaient toujours été dévolus aux zones de constructions collectives et de commerce, ce nouveau Quartier de l'Asile qu'on désigne de nos jour comme le Quartier Princesse, connut de grands bouleversements à cette époque.

    [4] Elle remplaçait une borne-fontaine mise en place vers 1860, modèle provenant de chez Barbezat et Cie, maître de forges l'artiste étant inconnu. Moquée, raillée et fréquement souillée par de la lessive moussante, la fontaine en carrelage de céramique sera remplacée en 1980 par une fontaine de marbre, datant du XVIIe siècle, achetée par la ville en Italie.

 


Société d'Histoire du Vésinet, 2019 • www.histoire-vesinet.org