Communication, premier
colloque de la Fédération des Sociétés Historiques et Archéologiques de
Paris & Ile-de-France,
Le Raincy, 23 mai 1974
LE VÉSINET, VILLE-PARC Création de l'urbanisme du second empire
qui a permis la conservation
de la perspective du château de Saint-Germain-en-Laye.
Le Vésinet est situé à
une quinzaine de kilomètres à l'ouest de Paris, dans les Yvelines. Son
territoire occupe, sur la rive droite de la Seine, le côté convexe d'une
boucle du fleuve en face de la falaise concave de la rive gauche, falaise
au sommet de laquelle Saint-Germain-en-Laye s'est établi. Le sol du Vésinet,
relativement plat (la dénivellation entre le point le plus haut et le
plus bas n'est que d'une quinzaine de mètres), est constitué d'alluvions
argilo-siliceuses peu fertiles, ce qui explique qu'il ne fut pas défriché
au cours des siècles et certainement peu habité. On n'y a trouvé jusqu'ici
qu'un coup-de-poing de silex taillé du paléolithique inférieur, conservé
au musée des Antiquités nationales. Un autre fragment de hache de silex,
en partie poli, mis au jour il y a deux ans et déposé à la Mairie, daterait
de la fin du néolithique.
Le nom du Vésinet apparaît pour la première fois dans un document écrit
en l'an 704. Childebert III, distrayant du domaine royal la terre du Pecq
en faveur de l'abbaye de Fontenelle (Saint-Wandrille, en Seine-Maritime),
fait préciser que la donation comprend une annexe, Visinolium.
Le Vésinet reste ainsi pendant des siècles une réserve de bois pour les
moines du Pecq et leurs successeurs.
Au XVIe siècle, Henri II séjourne fréquemment à Saint-Germain-en-Laye
(n'oublions pas que le fameux coup de Jarnac eut pour cadre l'esplanade
du château de Saint-Germain) et commence la construction d'un nouveau
château, beaucoup plus rapproché que l'ancien du bord de la falaise, sans
doute pour profiter de l'immense paysage qui s'étend à perte de vue, bien
au-delà de la basilique de Saint-Denis. Sur la rive droite, juste devant
le château neuf, se déploie la forêt du Vésinet, en forme de grosse part
de galette, la pointe tournée vers le château.
Henri IV, faisant aménager des jardins avec grottes et rocailles de la
terrasse jusqu'à la berge de la Seine, décide de créer une perspective
sur l'autre rive en traçant dans la forêt des avenues qui partent toutes
d'un même rond-point pour rayonner vers l'horizon la part de galette devient
éventail déployé. C'est la vue plongeante qu'eurent devant eux nos rois
du XVIIe siècle lorsqu'ils séjournèrent à Saint-Germain-en-Laye. C'est
le paysage grandiose, axé sur le soleil levant, que contempla dès sa petite
enfance le futur Louis XIV, né, faut-il le rappeler, au château neuf de
Saint-Germain, le 5 septembre 1638. La forêt du Vésinet ne devait pas
manquer de charme puisque Rameau, en 1741, a intitulé l'un de ses concerts
en trio "Le Vézinet", et précisé la nuance en ces termes
"Gaiement, sans vitesse".
Au XIXe siècle, Le Vésinet resta dans
le domaine des souverains, empereurs et rois. Cependant, un événement
survint qui marqua le destin du Vésinet. Le 26 août 1837, la reine Marie
Amélie, accompagnée de son fils aîné, le duc d'Orléans, inaugurait la
première ligne de chemin de fer pour voyageurs construite en France, et
dont le terminus se situait précisément au Vésinet, car le franchissement
des cinquante mètres de dénivellation entre la rive droite et la rive
gauche de la Seine n'était pas encore accessible aux machines à vapeur
de l'époque. Desservi par le rail, Le Vésinet est brusquement projeté
dans l'actualité et fréquenté de la foule des promeneurs parisiens. Pendant
les deux premiers mois d'exploitation, il y eut plus de 350 000 voyageurs
sur la ligne.
Napoléon III succède à Louis-Philippe après quatre ans de IIe République
et veut donner du faste à son règne. La vénerie faisait partie, traditionnellement,
du prestige des cours. L'Empereur, en examinant les magnifiques plans
du XVIIIe siècle des forêts royales, constate que celles de Marly et de
Saint-Germain sont séparées par des propriétés privées qui ne manquent
pas de compliquer le déroulement harmonieux des chasses lorsque l'animal
passe de l'une à l'autre. Or, il se trouve que ces terrains sont la propriété
d'un banquier en difficulté et que le duc
de Morny, demi-frère de Napoléon III, est intéressé dans l'affaire.
On n'a pas encore réussi à éclaircir les détails de l'opération, mais
un contrat est signé le 2 octobre 1855, qui stipule l'échange des terrains
dits de la Jonction, revenant au Domaine impérial, contre la forêt du
Vésinet, cédée aux créanciers du banquier. Ceux-ci choisissent un homme
de confiance et constituent une compagnie qui en portera le nom, la société
Pallu. Je viens de prononcer le nom du fondateur du Vésinet Alphonse
Pallu.
C'est un homme de quarante-sept ans, un industriel qui a dirigé une mine
et une fonderie de plomb à Pontgibaud, dans le département du Puy-de-Dôme,
et développé, sinon créé, en Algérie, l'exploitation de cette variété
de marbre qu'est l'onyx. Alphonse Pallu est donc un homme d'affaires,
chargé par d'autres hommes d'affaires d'être, nous dirions maintenant
le promoteur, d'une opération immobilière profitable, bénéficiant de la
desserte rapide par chemin de fer. On pourrait craindre le pire. Mais
non, le plus étonnant se produit car voici comme s'exprime Pallu dans
la notice qu'il rédige, en quelque sorte sa profession de foi:
Tout
a été calculé de manière à donner aux habitants de la nouvelle colonie
les agréments de la campagne, avec toutes les facilités que présentent
les centres de population. Donner à chaque propriétaire la jouissance
d'un parc public, avec son animation, ses vues ravissantes, ses
eaux, ses prairies, à côté du calme de la vie privée, tel est le
programme qu'il s'agissait de remplir. Des percées pratiquées pour
créer des prairies qui ne seront jamais ni replantées, ni bâties,
font pénétrer dans le parc l'air et la lumière, en augmentant la
salubrité, et assurent à tous les terrains qui les bordent, ainsi
qu'aux promenades, la jouissance perpétuelle des charmants paysages
qui l'entourent. Les voies de circulation ont été calculées elles-mêmes
pour faire naître à chaque instant, sous les yeux du promeneur,
des scènes toujours nouvelles.
Le cahier
des conditions générales qui régit la nouvelle colonie assure
l'exécution et la conservation de tous les avantages et agréments qui
viennent d'être indiqués. Comment Alphonse Pallu en était-il arrivé à
dominer si parfaitement sa création: respect de la perspective en éventail
du château de Saint-Germain-en-Laye, aménagement à l'intérieur de la forêt
d'un parc habité qui ne choque pas la vue dans un paysage célèbre, conception
d'un cahier des charges qui assure la pérennité de son oeuvre ?
Il avait rencontré un gentilhomme, Paul
de Lavenne, qui, né à Nevers le 31 janvier 1794, était devenu
garde du corps de Louis XVIII et avait reçu du roi le titre de comte de
Choulot, avec la croix de l'Ordre de Saint-Louis. La Révolution de 1830
ayant mis en disponibilité Paul de Choulot, celui-ci se consacre à une
vocation nouvelle, celle d'architecte de jardins. En une trentaine d'années,
il dessine les plans de deux cent quatre-vingts parcs ou grands jardins,
dont celui du Vésinet. Nous avons certes des plans signés de lui, mais
il nous reste aussi, heureusement, un ouvrage
sur ses conceptions, paru en 1863, dans lequel il précise ce qu'il a voulu
faire au Vésinet:
Heureux
de pouvoir fondre dans un intérêt commun l'art et l'industrie, M.
Pallu avait accepté la tâche délicate de mettre l'art au service
de l'industrie et de couvrir de fleurs et de délicieux ombrages
les espérances d'une grande et belle opération financière... Une
compagnie avait acquis le bois du Vésinet, au bas de la terrasse
de Saint-Germain-en-Laye, dans une position délicieuse mais presque
inconnue jusque-là. M. Pallu était chargé des intérêts de cette
compagnie et de tirer le plus grand parti possible des mille arpents
confiés à sa direction.
Je fus enchanté d'être appelé par M. PALLU à le seconder dans ses
projets de transformation. J'avais là une grande page pour appliquer
et développer les principes de ma nouvelle méthode, avec le public
pour juge et appréciateur de leurs résultats. Je ne me dissimulais
pas les concessions, les sacrifices même que l'Art aurait à faire
aux exigences fondées d'une entreprise industrielle...
Comment peindre, avec des expressions rebelles, toutes les beautés
qui entourent Le Vésinet ?... Comment décrire ces collines pittoresques
se courbant mollement, s'enfonçant dans l'ombre ou se rapprochant
de l'éclat du soleil, comme pour faire embrasser d'un seul coup
d'oeil aux habitants privilégiés du Vésinet tous les effets des
nuances variées de l'ombre et les gradations harmonieuses de la
lumière ? Comment faire voir ces charmantes habitations avec leurs
bois touffus, posées sur de verts gazons ou attachées aux pentes
abruptes, ces villages, ces clochers au milieu des arbres et le
faîte de ces collines couronnées de forêts et l'aqueduc découpé
à jour sur le ciel...
Après avoir parcouru l'intérieur du Vésinet, reconnu les pentes
du terrain, les expositions, enfin après avoir étudié les éléments
que contenait la partie à transformer et à relier au tout magnifique
qui l'entoure, l'artiste devait se pénétrer des scènes extérieures
pour les faire entrer dans la composition de ses tableaux, par parties
isolées ou réunies, selon la largeur de ses coulées et l'importance
qu'il voulait donner à ses points de vue. La direction des coulées,
ou prairies ouvertes dans l'intérieur du bois, par conséquent bordées
d'arbres à droite et à gauche, devait conduire l'oeil du dessinateur
sur les collines et il n'eût eu que l'embarras du choix s'il n'avait
dû tenir compte, pour ses routes comme pour ses coulées, du cours
du soleil...
Le parc du Vésinet deviendra le séjour délicieux des hommes qui,
fatigués des bruits de Paris et des préoccupations du travail, aspirent
après le calme et le repos de la campagne, sans les ennuis de l'entretien
coûteux des eaux, des gazons et des promenades. Chaque matin, l'heureux
habitant d'une de ces maisons, en ouvrant sa fenêtre, verra le soleil
rayonner sur ses pelouses et la lumière s'enfoncer dans les ombrages
de ses bois. Là, tout est à chacun et à tous... Certes, voilà un
luxe champêtre à bon marché, des avantages offerts à l'aisance modeste
comme à la fortune, le chalet, le cottage, la villa aussi bien que
le château ont là leur place marquée.
Ceci a été écrit, permettez-moi de vous
le rappeler, en 1863. Le miracle et l'exemple éclatant du Vésinet c'est
que, cent onze ans plus tard, ce soit toujours vrai. Dans une chronique
du Figaro, Gérard
Baüer, racontant une visite qu'il fit à Utrillo,
au Vésinet, en décembre 1940, rappelait qu'il y était né et poursuivait
: Mais il y a longtemps, et durant ce long temps, Le Vésinet a maintenu
intacte sa mystérieuse harmonie.
Vous pardonnerez, j'en suis sûr, au président du Syndicat d'Initiative
et de Défense du Site du Vésinet de n'avoir pu résister à la tentation
de terminer par cette citation qui prouve la réussite exceptionnelle qu'est
notre ville-parc, conjonction de la foi des fondateurs et de l'adhésion
persistante des générations d'habitants qui se sont succédé depuis plus
d'un siècle.
Le classement, en 1934, des parties les plus pittoresques du Vésinet,
puis l'inscription de l'ensemble, en 1970, à l'inventaire des Sites, ont
été accueillis comme la juste consécration de l'oeuvre d'Alphonse Pallu
et du comte de Choulot, ce Le Nôtre trop méconnu du XIXe siècle.
Pierre AMELOT Président du Syndicat d'Initiative
et de Défense du Site.