Histoire > De la Création du Parc à la Commune > MM. Pallu et Cie > La métamorphose de la Forêt du Vésinet (1858-1861) Dès que la loi sénatoriale, votée et promulguée en juin 1857, eut confirmé la validité de l'échange et que la nouvelle Compagnie Pallu eut reçu ses premiers financements, le défrichement de la forêt put être entrepris. Les archives de la Société MM. Pallu & Cie ayant été perdues — ou du moins n'ayant pas été retrouvées à ce jour — il faut s'en rapporter à la presse locale et particulièrement le journal hebdomadaire l'Industriel de St-Germain, pour suivre pas à pas les étapes de la transformation de la forêt, réalisée sur la base des inventaires et des relevés effectués en 1856 pour estimer la valeur du terrain. La première tâche des aménageurs est d'exécuter, de mars à octobre 1858, en peu de temps donc, un premier parc prêt à être loti. Celui-ci s'étendra entre le Hameau du Pont, prolongement du village du Pecq sur la rive droite de la Seine et la Station du Pecq où l'on compte accueillir les visiteurs et futurs acquéreurs. La Société profite ainsi de la proximité des centres d'approvisionnement alpicois et saint-germanois et de celle du chemin de fer, à la Station du Pecq située en pleine nature.
Le Rond-Point qui constitue le point
de départ des aménagements, forme l'entrée principale de la forêt,
et du futur parc. De son centre, rayonnent en patte d'oie cinq
routes rectilignes au travers de la forêt, qui desservent les communes
proches, Sartrouville, Montesson, Chatou et Croissy. Dans l'axe du
château de St-Germain, le Tapis-Vert est préservé dans la section
entre le rond-point et le chemin de fer, de manière à garder la perspective
admirable sur la ville royale, aménagée pour Henri IV et son Château-Neuf. La société MM. Pallu &fixa l'ouverture
des ventes des terrains lotis pour le début du mois d'octobre. Les
adjudications commencèrent dès le dimanche 10 la Société avait besoin
de faire des recettes. Elle avait déjà beaucoup investi et allait devoir
investir encore. Heureusement, les ventes d'automne remportèrent un
franc succès. Une nouvelle adjudication de 52 lots au Rond-point est
effectuée en novembre. Exemple d'excavateur à vapeur contemporain de la machine de Charles de Waët dont on ne possède pas de représentation. Des engins de ce type furent employés au creusement du Canal de Suez (1859). Outre le terrassement important pour
la mise en place du réseau hydraulique, les travaux consistaient en
un labourage du sol rugueux suivi d'un ensemencement systématique.
On pourrait ainsi obtenir pour la belle saison de vastes et magnifiques
prairies qui, une fois fauchées auraient l'air de pelouses. Les chemins
seraient mieux tracés et embellis.
Pour assurer la prospérité de la cité-jardin
naissante, l'eau est l'atout principal, l'élément de base de sa vitalité. L'emploi
des eaux occupe donc une place primordiale dans la création de la colonie,
d'autant plus que la forêt du Vésinet en était totalement dépourvue.
D'où un effort énorme de réalisation hydrographique. La proximité de
la Seine offrait un avantage prometteur dont l'exploitation avait été prévue
dans l'acte d'échange de 1856 : " [...] concession faite pour
l'usage de la forêt du Vésinet d'une quantité de deux cents mètres
cubes d'eau (deux mille hectolitres), par vingt-quatre heures, [à prendre
dans la Seine] gratuitement pendant les trois
premières années et ensuite au prix ordinaire des concessions de cette
nature..." . On emploiera à cette fin un puissant système de
pompes mécaniques qui alimentera les lacs et les rivières de la colonie
par un système de canalisations souterraines. Dimanche 19 août, c'était grande fête au Vésinet. On inaugurait les machines ... qui pompent l'eau de la Seine pour alimenter les lacs, les rivières et les propriétés particulières du parc." Emile Bourdelin. Le Monde illustré (4ème année,) n°176, 25 août 1860 Élevées au bord de la rive droite de la Seine, sur la commune champêtre de Croissy, en dehors du parc du Vésinet, et face à Port-Marly, les pompes de 60 chevaux chacune, fournissent environ 7.000 m3 par jour, pendant 15 heures de travail et élèvent l'eau jusqu'à 32 mètres de hauteur. Elles alimentent les rivières, jonchées de cascatelles et les lacs sur un bassin total de 15 hectares. Le trop plein est distribué dans les communes voisines. Ce sont les ateliers Farcot, fondés en 1823 et implantés à St-Ouen depuis 1849, qui ont fabriqué ces machines. D'une réputation bien assise, MM. Farcot & fils construisent des engins très performants de diverses tailles dont la force motrice s'échelonne entre 50 et 1200 chevaux (comme à St-Maur et en Égypte). Un canal relie l'établissement au Lac Inférieur, à l'altitude de 29 mètres, pièce d'eau qui, comme son nom le suggère, sera la plus basse de la propriété du Vésinet. Une rivière y déversera ses eaux venant des Lacs du Pecq et de Croissy (tous deux à 33 m), la réunion des deux cours d'eau se faisant à la croisée de la route de la Cascade et de la route de Croissy. Plus tard, le Grand-Lac (35 m) et le Lac Supérieur (45 m) compléteront le réseau. L'eau dans le Parc du Vésinet aura le double usage de l'agrément et de l'utile. Elle alimentera tout le réseau du parc lorsque les cinq ou six lacs et les cours d'eau seront entièrement creusés et que de multiples cascades jailliront au milieu des rochers. Les plus remarquables ornementations sont celles réalisées près de la jonction des deux rivières, par un rocailleur alpicois, Chabot." Les
Cascatelles, rocailles de Chabot ...Quant aux rivières, leurs effets étant intérieurs et ne pouvant acquérir de la grandeur qu'en se séparant du tout dont l'étendue les eût amaigries, elles cherchent, autant que possible, l'ombre des arbres et la fraîcheur des bois: quelques cascadelles en diversifient les aspects et donnent du mouvement à ces parties pittoresques recherchées du public... Le Service des Eaux assure également l'arrosage abondant des pelouses et des coulées, des plantations et des fleurs, ainsi que l'entretien de toutes les créations horticoles et végétales du Parc du Vésinet en pleine éclosion et qui ne pourraient s'en passer en raison de la nature du terrain. Pour la commodité des nouveaux habitants, une distribution d'eau est assurée quotidiennement sur chaque lot nouvellement tracé, comme le stipule le cahier des charges du 1er octobre 1858. L'inauguration du 19 août 1860 a marqué une étape
essentielle dans l'évolution des travaux de la Société du Vésinet,
pour la création d'une véritable villégiature nouvelle. Les grands
traits de la métamorphose sont accomplis. Les pompes hydrauliques assurent
en permanence l'approvisionnement en eau des secteurs publics et privés
du parc. A présent, le quatrième lac, Le lac supérieur, pourra être
mis en service. C'est à l'occasion de ce nouvel événement
que la presse nous apporte des précisions sur le système de canalisation. « Un
tuyau de fonte d'une ouverture de la taille d'un homme debout parcourt
le sous-sol sur une distance de 2,5 km, depuis la prise d'eau dans
la Seine. Amenée dans un réservoir, petit
château d'eau, fabriqué dans le style propre du célèbre architecte
Ledoux. L'eau jaillit par-dessus un amas de rochers agglomérés [rocaille
façonnée par Chabot], et s'écoule en une cascade
fascinante dans le bassin du lac. Considérée comme une oeuvre d'art,
cette création artificielle dissimule les grandes cuves d'où sortent
les flots. Ce nouveau site accueillera les fêtes de la prochaine saison
estivale de 1861. Par cet aménagement de grandeur et de qualité,
cette partie nord du parc s'est acquise de nouveaux points de vue et
des perspectives dignes de la méthode de l'art des jardins de Choulot ».
Le parc aménagé au sud de la route de Chatou et au nord de la Seine
et autour du chemin de fer offre un aspect merveilleux aux usagers
du train, entraînant des commentaires enthousiastes, comme celui de
ce passager retenu par la presse : « [...] Avec ses admirables
horizons et ses points de vue si heureusement aménagés, le bois du
Vésinet rappelle de plus en plus certaines parties de la Suisse, avec
cette différence qu'au lieu du lac des Quatre-Cantons, on pouvait le
nommer dès à présent le Canton des Quatre-lacs. » (§ n° du
8/12/1860) Nombreux sont les articles de presse qui rapportent et commentent les transformations. Certains n'hésitent pas à enrichir la légende du lieu avec des précisions dont on a bien du mal à cerner les sources. « J'ai vu par là un bel arbre, un chêne, au pied duquel un homme, blanchi par l'âge, vient dessiner de temps en temps. — Faut-il nommer Horace Vernet? — Et l'arbre, dit-on, est fameux pour avoir servi vingt minutes d'abri à Molière, qui suivait par là en curieux une chasse de Louis XIV » Comment le souvenir de cette présence de Molière sous ce chêne est-il parvenu au publiciste du Journal Amusant qui le mentionne ? On ne le saura jamais. Mais voici Molière et Horace Vernet inscrits dans la mémoire du lieu. (§ n°250 du 13 octobre 1860) L'hiver de 1860-61 est particulièrement rigoureux et l'avancement du chantier du Parc s'en ressent. La Seine a connu des crues catastrophiques submergeant une majeure partie des champs du Pecq et de Croissy et noyant les fondations du bâtiment des machines hydrauliques. Cependant, les pompes à eau n'ont pas été atteintes et ont continué sans aucune entrave à fonctionner en permanence et à distribuer les eaux dans la colonie protégée par l'élévation du terrain. Les crues du mois de janvier 1861 après un temps pluvieux et froid, ont atteint la cote d'eau de +7 mètres. Le fleuve montant et descendant, ainsi que les glaces qu'il charrie gênent l'accostage des chalands, au port du Pecq. Les rails et les routes glissants embarrassent les transports par terre. L'état du sol des chantiers impose un surcroît d'efforts et des techniques de travail adaptées. Ces intempéries expliquent en partie le ralentissement du chantier qui s'en suivra. Lors de l'inauguration
des machines hydrauliques, première grande réalisation
du Parc, le 19 août 1860, dans le bâtiment du bord de la Seine
devant une foule nombreuse et les représentants du gouvernement
impérial (voir l'encart ci-dessous), trois discours officiels furent
prononcés: celui du Monseigneur Mabile, évêque de Versailles,
celui de Monsieur
Pallu, propriétaire-gérant du Parc, et celui de Charles
Planté, entrepreneur des travaux publics. Ce dernier moins connu,
s'exprime au nom de ses confrères, entrepreneurs impliqués dans
les divers développements du chantier, qui viennent de déposer
deux magnifiques objets d'art en bronze, offerts par leurs ouvriers
et par eux-mêmes à la Société de M. Pallu, en guise de reconnaissance.
Le discours de Planté est une louange à la Compagnie, à son chantier
et à la future Colonie qui apportent du travail et du bien-être à la
classe laborieuse.
Au centre du parc, un nouveau village commence à se dessiner autour de la future place du marché. Il est destiné à une dizaine d'établissements commerciaux et industriels propres aux besoins domestiques de la colonie. Sur la future place du Marché qui n'est encore qu'un grand pré, en ce jour de fête, on a dressé un banquet fastueux pour les 300 ouvriers [nombre indiqué par la presse], terrassiers, mécaniciens, ingénieurs et leurs entrepreneurs. Tous ont participé aux premières phases de l'aménagement du parc. Pioches, pelles, et autres outils se sont conjugués aux puissantes machines pour l'accomplissement d'un rêve de colonisation. " Monseigneur de Versailles a quitté sa voiture et porté de table en table quelques bonnes paroles qui ont été accueillies par des vivats prolongés" (§ Le Monde Illustré, 25 août 1860). Simultanément à l'aménagement du sol, des lac et des rivières, la construction immobilière se développe avec succès. Depuis l'ouverture des ventes, les architectes et les entrepreneurs ont été mis à contribution. Et déjà, une quarantaine de maisons sont édifiées au cours de l'année 1859. Le talentueux architecte-paysagiste Pierre Joseph Olive a beaucoup contribué à l'harmonisation de l'habitat et de la nature en réalisant quelques exemples de villas. Cependant, les besoins de la colonie en matériaux, services et denrées de toutes sortes, sont primordiaux. Les commerces se dressent déjà dans les zones qui leurs sont attribuées, au Rond-Point et dans le Village. En septembre 1859, six entrepreneurs de travaux publics (peinture, serrurerie, menuiserie, couvertures de bâtiments, charpentes, maçonnerie), domiciliés au Pecq ou à St-Germain, construisent des maisons similaires autour du centre du Rond-Point, sans que l'on sache précisément s'il s'agit de succursale (ce qui est probable) ou seulement d'immeubles de rapport. Parmi eux se trouve Charles Planté déjà mentionné, entrepreneur en maçonnerie, constructeur déjà influent dans le parc. Son siège est situé au 10, rue des Boulingrins à St-Germain-en-Laye. Son père, Barthélémy Planté, entrepreneur réputé à St-Germain-en-Laye dans la construction immobilière, avait passé un important contrat dans les années 1830 avec le futur président de la Compagnie du Chemin de Fer de l'Ouest, le saint-simonien Emile Pereire. En effet, ce dernier avait imaginé une sorte de phalanstère, la cité Medicis, quartier proche du château. Mais l'entreprise avait échoué et Planté fit faillite. Pour l'anecdote, en 1844, séjournant au restaurant du Pavillon Henri IV, Alexandre Dumas père demande au propriétaire de la maison Connaissez-vous un architecte dans la ville ? — Oui, M. Planté qui a bâti le pâté de maisons qui fait le coin de la rue. Il demeure dans cette rue, au coin de la seconde à gauche. [la rue des Boulingrins, aujourd'hui rue Thiers]. Planté était plus un entrepreneur, un bâtisseur, qu'un architecte, mais ce fut lui qui construisit le fameux château de Monte-Cristo sur les hauteurs de Port-Marly. Les deux fils de Barthélémy Planté succèderont à leur père (Sté Planté Frères du 5 juillet 1861). Un de leurs premiers chantiers sera une villa pour le compte de M. Olive, au bord du Lac de Croissy. Les premières maisons de la colonie, construites autour du Rond-Point. Détail d'une carte postale du tout début du XXe siècle. (Coll. Ghestem) L'installation d'entreprises et de commerces
s'intensifie dans le village, notamment celle du Parisien Rigot, en
1859. L'adjudication de 296 lots en mai 1859 va donner corps à ce nouveau village.
La construction des maisons autour du Rond-point à débuté en septembre.
A la fin de l'année, une quarantaine de maisons sont déjà édifiées. L'approvisionnement
en matériaux de construction semble satisfaisante maintes sociétés
du bâtiment possèdent des carrières de pierres et de moellons dans
les environs, comme celles de Bougival, ou encore celles de Planté qui
a un terrain d'extraction à Carrières-sous-Bois. Un plan
du parc du Vésinet trouvé aux Archives municipales du Pecq
permet de faire l'état des travaux accomplis ou presque achevés.
Selon Michel Niles, la datation de ce plan est délicate. Il représente
les lotissements dessinés et déjà vendus. En se référant aux actes
notariés de Me Chevalier, il la situe à l'été 1860. L'emplacement
de la future gare est tracé et recevra son bâtiment en 1861. Le
plan coïnciderait avec les résultats des travaux mis en oeuvre
durant les deux premières années. Il est possible qu'il ait été établi à l'occasion
de l'inauguration des pompes hydrauliques. – deux sont périphériques : l'Allée Circulaire du rond-point et la Route de Ceinture rive droite et rive gauche (longue de 7 km) – neuf se voient attribuer un repérage topographique, – quatre se rapportent au chemin de fer, – huit portent un nom faisant référence à l'eau ou au réseau, – vingt-deux sont simplement numérotées, en distinguant la rive droite et la rive gauche – les noms des quatre villages voisins (Chatou, Le Pecq, Croissy, Montesson) sont affectés onze fois à différents ponts, routes et rues. Les deux centres de ravitaillement ,
le quartier du Rond-Point et le Village ont une structure
ne correspondant pas à la conception de l'art des jardins de Choulot,
puisqu'elles ne sont destinées qu'à recevoir des établissements en
habitat condensé ou clairsemé. Le Rond-Point du Pecq [ou
du Vésinet pour les Alpicois] est représenté en roue
de charron, non entièrement rayonnée. Certaines voies portent
le titre de chemin dont l'une à pour libellé projeté.
Toujours dans un plan classique, mais diffèrent, le Village est une grille enserrée
entre le chemin de fer rive droite, la route de Chatou au nord, la
route du Pont du village [nom du Pont d'Alsace-Lorraine actuel] à l'ouest
et la rue de la Station du Vésinet à l'est. – quatre noms des villages du-Pecq, de-Montesson, de-Croissy ainsi que du Village-du-Vésinet, – trois noms géométriques (Latérale, Biaise, du-Centre) – deux noms de lieux (de-la-Faisanderie, du-Grand-Pont) – trois noms classiques de quartiers (de-l'Église, du-Marché, de-la-Station).[4] Ainsi ce village, situé sur la commune
de Chatou, prévoit déjà son autonomie religieuse avec la construction
d'une église [5],
un centre d'approvisionnement en concurrence avec le marché de Chatou
et une gare (justifiée par la nouvelle agglomération). Le Rond-Point
qui dispose aussi d'un emplacement pour un marché, sera en rivalité avec
le village du Pecq. **** Notes et sources: [1] L'Industriel de St-Germain, 1858 à 1860. [2] Jean Delcour, Le Vésinet historique, Amelot éditeur, 1962. [3] Michel Niles, La genèse d'une cité-jardin, Le Vésinet 1857-1866 mémoire de Maîtrise, Université Paris I, 1989. [4] Les références à la marguerite viendront peu après. Le 27 novembre 1860, Alphonse Pallu perdait sa fille Marguerite Marie, âgée de 10 ans. Le prénom de la disparue sera donné à l'Église, à une avenue, à la villa que Pallu fera construire en 1869. Elle figurera sur les armoiries de la commune et la fête locale sera célébrée à la Sainte Marguerite (le 20 juillet). De nos jours, elle est célébrée en juin mais conserve le nom de fête de la marguerite. [5] Selon des conditions qui seront précisées dans le Cahier des Charges de 1863. [6] L'Industriel de St-Germain. 31 décembre 1859.
Société d'Histoire du Vésinet, 2007-2019 •histoire-vesinet.org |