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La métamorphose de la Forêt du Vésinet (1858-1861)

Dès que la loi sénatoriale, votée et promulguée en juin 1857, eut confirmé la validité de l'échange et que la nouvelle Compagnie Pallu eut reçu ses premiers financements, le défrichement de la forêt put être entrepris. Les archives de la Société MM. Pallu & Cie ayant été perdues — ou du moins n'ayant pas été retrouvées à ce jour — il faut s'en rapporter à la presse locale et particulièrement le journal hebdomadaire l'Industriel de St-Germain, pour suivre pas à pas les étapes de la transformation de la forêt, réalisée sur la base des inventaires et des relevés effectués en 1856 pour estimer la valeur du terrain. La première tâche des aménageurs est d'exécuter, de mars à octobre 1858, en peu de temps donc, un premier parc prêt à être loti. Celui-ci s'étendra entre le Hameau du Pont, prolongement du village du Pecq sur la rive droite de la Seine et la Station du Pecq où l'on compte accueillir les visiteurs et futurs acquéreurs. La Société profite ainsi de la proximité des centres d'approvisionnement alpicois et saint-germanois et de celle du chemin de fer, à la Station du Pecq située en pleine nature.

  • Les grands travaux de terrassement [1]

Le Rond-Point qui constitue le point de départ des aménagements, forme l'entrée principale de la forêt, et du futur parc. De son centre, rayonnent en patte d'oie cinq routes rectilignes au travers de la forêt, qui desservent les communes proches, Sartrouville, Montesson, Chatou et Croissy. Dans l'axe du château de St-Germain, le Tapis-Vert est préservé dans la section entre le rond-point et le chemin de fer, de manière à garder la perspective admirable sur la ville royale, aménagée pour Henri IV et son Château-Neuf.
Un grand banquet champêtre, offert fin juillet par la Société Pallu aux 600 ouvriers du chantier, donne à penser que les objectifs sont respectés.
Dans la période de mars à septembre 1858, on peut déjà relever un plan de travail bien avancé. Le premier lac, dit de la Station du Pecq, est creusé, immergé et agréablement aménagé. Il devient le pôle d'intérêt des visiteurs attirés par les premiers déboisements. L'industriel de St-Germain, dans son article du 18 septembre 1858, rend hommage à l'architecte-paysagiste Pierre Joseph Olive pour la virtuosité avec laquelle " Il combine les ressources d'une admirable situation avec études approfondies de leur art et les inspirations du goût [...] les nuances pittoresques du feuillage d'automne se reflètent déjà dans les eaux limpides d'un charmant lac une véritable rivière s'avance très loin dans l'intérieur du parc [...]" . L'aménagement du terrain pratiquement terminé dans cette première partie du futur parc est propice au commencement des visites pour les voyageurs débarquant du train.
Le journal mentionne aussi, en chaque occasion, les événements fortuits qui surviennent en ces lieux. Il note l'un des duels qui se déroulent trop souvent dans ces bois, et surtout, l'accident ferroviaire qui se produisit dans la station du Pecq le 6 septembre 1858, dû à une rupture des freins dans la descente depuis Saint-Germain. Le train vint heurter une locomotive stationnée en gare du Pecq. Le conducteur et deux passagers trouvèrent la mort, dix-neuf voyageurs furent blessés. Le drame fit couler beaucoup d'encre dans la presse parisienne et nationale et sonnera le glas du chemin de fer atmosphérique.

La société MM. Pallu &fixa l'ouverture des ventes des terrains lotis pour le début du mois d'octobre. Les adjudications commencèrent dès le dimanche 10 la Société avait besoin de faire des recettes. Elle avait déjà beaucoup investi et allait devoir investir encore. Heureusement, les ventes d'automne remportèrent un franc succès. Une nouvelle adjudication de 52 lots au Rond-point est effectuée en novembre.
Les grands travaux se poursuivirent sans interruption durant l'hiver. Dans les premiers mois de l'année 1859, la Compagnie fit l'acquisition d'une puissante machine à déblayage actionnée à la vapeur, inventée par le constructeur-mécanicien Charles de Waët. Son principe était fondé sur le mouvement de rotation d'une machine à hélice, dotée d'un long vilebrequin avec un type de vis d'Archimède. Elle était destinée à l'exécution des travaux de tranchées, de labourage et de drainage. L'emploi de cette machine perfectionnée présentait maints avantages, tels que l'efficacité de sa force mécanique, accomplissant le travail de nombreux ouvriers, l'économie de temps et d'argent dans les travaux de terrassement mais aussi la réduction des ravages causés par les émanations de terres insalubres parmi les travailleurs, ce qui semble avoir représenté un problème.

Exemple d'excavateur à vapeur contemporain de la machine de Charles de Waët dont on ne possède pas de représentation.

Des engins de ce type furent employés au creusement du Canal de Suez (1859).

Outre le terrassement important pour la mise en place du réseau hydraulique, les travaux consistaient en un labourage du sol rugueux suivi d'un ensemencement systématique. On pourrait ainsi obtenir pour la belle saison de vastes et magnifiques prairies qui, une fois fauchées auraient l'air de pelouses. Les chemins seraient mieux tracés et embellis.
L'introduction de la machine fascinait les voyageurs du train dont les témoignages constituaient une ressource inépuisable pour les colonnes de L'Industriel (§ n°du 19/02/1859). On n'hésitait pas à comparer ce chantier à des ouvrages de très grande ampleur. Certains imaginaient déjà que toute la côte du Pecq allait être percée avec un engin qui avait servi au creusement du canal de Suez, autre événement qui faisait l'actualité. En effet, à la même époque commençait réellement le creusement de Suez (les premiers coups de pioche étaient donnés le 25 avril 1859).
Durant l'hiver 1859-1860 des progrès considérables dans l'évolution du chantier se matérialisent. Les prairies et les pelouses ensemencées sont toutes verdoyantes à l'approche de l'été et un autre vaste lac n'attend plus que ses eaux. Les ventes se sont poursuivies, à l'amiable, et par adjudications durant l'année précédente. Les premières constructions, maisons de plaisance ou bâtiments destinés aux besoins de la colonie, sortent de terre.
Les pelouses et les coulées sont une création exceptionnelle inspirée des parcs Anglais. Elles apparaissent comme des coups de pinceaux donnés arbitrairement dans tout le plan du parc. Mais, appliquées intelligemment, elles créent des points de vue, des perspectives, et des promenades d'agrément. La pelouse qui s'étend du chemin de fer vers le Lac Inférieur devrait porter les regards sur les coteaux de Louveciennes et l'aqueduc de Marly.

  • Les systèmes de canalisations

Pour assurer la prospérité de la cité-jardin naissante, l'eau est l'atout principal, l'élément de base de sa vitalité. L'emploi des eaux occupe donc une place primordiale dans la création de la colonie, d'autant plus que la forêt du Vésinet en était totalement dépourvue. D'où un effort énorme de réalisation hydrographique. La proximité de la Seine offrait un avantage prometteur dont l'exploitation avait été prévue dans l'acte d'échange de 1856 : " [...] concession faite pour l'usage de la forêt du Vésinet d'une quantité de deux cents mètres cubes d'eau (deux mille hectolitres), par vingt-quatre heures, [à prendre dans la Seine] gratuitement pendant les trois premières années et ensuite au prix ordinaire des concessions de cette nature..." . On emploiera à cette fin un puissant système de pompes mécaniques qui alimentera les lacs et les rivières de la colonie par un système de canalisations souterraines.
Dès l'hiver 1858-1959, la Compagnie exécute les travaux préliminaires à l'établissement de deux machines hydrauliques à vapeur. Elle vient de passer des marchés pour la fourniture des tuyaux en fonte, destinés à des conduites fort larges, de la taille d'un homme, qui trouveront leur emploi en divers points du réseau. La mise en action des machines est prévue pour l'été 1859. Aussi, le mode d'alimentation initiale du Lac du Pecq
[qui deviendra Lac de la Station du Pecq puis simplement Lac de la Station] et de la première rivière qui descend vers le Lac Inférieur sur environ 1 km, demeure obscure, faute de document ou de témoignage. Il est probable que le remplissage s'est fait par un moyen mécanique rudimentaire. On peut penser que les travaux menés avec empressement pour hâter la mise en service des pompes avaient un but bien précis  : augmenter au plus vite le charme et la beauté qu'apporteraient les pièces d'eau à cette nouvelle portion destinée à la vente. (§ L'Industriel du 15/01/1859).
L'année 1860 s'ouvre sur une nouvelle phase de travaux d'aménagement tournée cette fois vers le centre de la forêt. Malgré le bon avancement du terrassement durant l'hiver, les dernières canalisations attendant d'être achevées, l'installation des pompes hydrauliques avaient pris du retard, et les ventes par adjudication furent suspendues, en attendant la création de la future gare centrale.
La principale nouvelle tranche des travaux d'aménagement fut prête pour l'été : Un second lac (probablement le Lac Inférieur) avait été creusé en mai 1860, mais il demeurerait vide jusqu'à l'inauguration des pompes le 19 août 1860. Cet événement très attendu fût largement relaté par la presse parisienne.

Dimanche 19 août, c'était grande fête au Vésinet. On inaugurait les machines ...

qui pompent l'eau de la Seine pour alimenter les lacs, les rivières et les propriétés particulières du parc."

Emile Bourdelin. Le Monde illustré (4ème année,) n°176, 25 août 1860

Élevées au bord de la rive droite de la Seine, sur la commune champêtre de Croissy, en dehors du parc du Vésinet, et face à Port-Marly, les pompes de 60 chevaux chacune, fournissent environ 7.000 m3 par jour, pendant 15 heures de travail et élèvent l'eau jusqu'à 32 mètres de hauteur. Elles alimentent les rivières, jonchées de cascatelles et les lacs sur un bassin total de 15 hectares. Le trop plein est distribué dans les communes voisines. Ce sont les ateliers Farcot, fondés en 1823 et implantés à St-Ouen depuis 1849, qui ont fabriqué ces machines. D'une réputation bien assise, MM. Farcot & fils construisent des engins très performants de diverses tailles dont la force motrice s'échelonne entre 50 et 1200 chevaux (comme à St-Maur et en Égypte). Un canal relie l'établissement au Lac Inférieur, à l'altitude de 29 mètres, pièce d'eau qui, comme son nom le suggère, sera la plus basse de la propriété du Vésinet. Une rivière y déversera ses eaux venant des Lacs du Pecq et de Croissy (tous deux à 33  m), la réunion des deux cours d'eau se faisant à la croisée de la route de la Cascade et de la route de Croissy. Plus tard, le Grand-Lac (35 m) et le Lac Supérieur (45 m) compléteront le réseau. L'eau dans le Parc du Vésinet aura le double usage de l'agrément et de l'utile. Elle alimentera tout le réseau du parc lorsque les cinq ou six lacs et les cours d'eau seront entièrement creusés et que de multiples cascades jailliront au milieu des rochers. Les plus remarquables ornementations sont celles réalisées près de la jonction des deux rivières, par un rocailleur alpicois, Chabot."

Rocailles de Chabot

Les Cascatelles, rocailles de Chabot
détail d'une carte postale du début du XXe siècle. Coll. SHV.

...Quant aux rivières, leurs effets étant intérieurs et ne pouvant acquérir de la grandeur qu'en se séparant du tout dont l'étendue les eût amaigries,

elles cherchent, autant que possible, l'ombre des arbres et la fraîcheur des bois: quelques cascadelles en diversifient les aspects et donnent du mouvement à ces parties pittoresques recherchées du public...

Le Service des Eaux assure également l'arrosage abondant des pelouses et des coulées, des plantations et des fleurs, ainsi que l'entretien de toutes les créations horticoles et végétales du Parc du Vésinet en pleine éclosion et qui ne pourraient s'en passer en raison de la nature du terrain. Pour la commodité des nouveaux habitants, une distribution d'eau est assurée quotidiennement sur chaque lot nouvellement tracé, comme le stipule le cahier des charges du 1er octobre 1858.

L'inauguration du 19 août 1860 a marqué une étape essentielle dans l'évolution des travaux de la Société du Vésinet, pour la création d'une véritable villégiature nouvelle. Les grands traits de la métamorphose sont accomplis. Les pompes hydrauliques assurent en permanence l'approvisionnement en eau des secteurs publics et privés du parc. A présent, le quatrième lac, Le lac supérieur, pourra être mis en service.
Dans la journée du 25 novembre 1860, eut lieu une cérémonie plus simple en présence de quelques propriétaires, de personnalités et de la presse pour la mise en eau ce nouveau lac placé au point culminant de l'exploitation du Vésinet (46 m), d'une profondeur de deux mètres. A cette occasion, la presse put encore développer un fait attrayant, la découverte d'un camée. Un des nombreux ouvriers employés au Vésinet, en creusant le grand lac Supérieur, a trouvé dans un état bien conservé, un camée richement ornementé, représentant les traits de la MIle de La Vallière . l'objet aurait été perdu dans la forêt par Mme de Montespan. (§ L'Industriel, n° du 20/10/1860)
Et le journal parisien La Ville de Paris donne cette analyse de la datation de la perte du camée : « La profondeur à laquelle a été trouvé ce portrait prouve qu'il n'a pas été enfoui, et que ce n'est que par l'action du temps, de sa pesanteur et de la décomposition des herbes et des feuilles qui se sont accumulées sur lui depuis environ deux cents ans, qu'une couche de quelques dizaines de centimètres a dû seulement le recouvrir. » (§ n° du 27/10/1860)

C'est à l'occasion de ce nouvel événement que la presse nous apporte des précisions sur le système de canalisation. « Un tuyau de fonte d'une ouverture de la taille d'un homme debout parcourt le sous-sol sur une distance de 2,5 km, depuis la prise d'eau dans la Seine. Amenée dans un réservoir, petit château d'eau, fabriqué dans le style propre du célèbre architecte Ledoux. L'eau jaillit par-dessus un amas de rochers agglomérés [rocaille façonnée par Chabot], et s'écoule en une cascade fascinante dans le bassin du lac. Considérée comme une oeuvre d'art, cette création artificielle dissimule les grandes cuves d'où sortent les flots. Ce nouveau site accueillera les fêtes de la prochaine saison estivale de 1861. Par cet aménagement de grandeur et de qualité, cette partie nord du parc s'est acquise de nouveaux points de vue et des perspectives dignes de la méthode de l'art des jardins de Choulot ». Le parc aménagé au sud de la route de Chatou et au nord de la Seine et autour du chemin de fer offre un aspect merveilleux aux usagers du train, entraînant des commentaires enthousiastes, comme celui de ce passager retenu par la presse : « [...] Avec ses admirables horizons et ses points de vue si heureusement aménagés, le bois du Vésinet rappelle de plus en plus certaines parties de la Suisse, avec cette différence qu'au lieu du lac des Quatre-Cantons, on pouvait le nommer dès à présent le Canton des Quatre-lacs. » (§ n° du 8/12/1860)
Les voies d'eau parachèvent un ensemble pittoresque de perspectives du Parc. Les lacs dessinés sont au nombre de six. Mais celui de Montesson, qui devait être creusé dans la partie nord du Parc, sera abandonné comme les quelque 2 km de rivières qui devaient le relier au Grand Lac et au lac Supérieur. Les lacs de la rive gauche
[du chemin de fer] (Lacs de la Station du Pecq, Inférieur et de Croissy) sont mis en service et entourés de parcelles vendues ou non. Le Lac Supérieur, sur la rive droite, est presque terminé, alors que le Grand-Lac en est encore à son début. Chaque bassin est agrémenté d'un îlot relié à la terre par un ponceau. Les trois premiers lacs sont reliés par des rivières sinueuses, étroites de huit mètres en moyenne, franchies par de petits ponts rustiques qui assurent la jonction des pelouses par un sentier ou des passages routiers plats. Ils composent un parcours de 2,5 km, avec un plan d'eau moyen de 15.000 m².

Nombreux sont les articles de presse qui rapportent et commentent les transformations. Certains n'hésitent pas à enrichir la légende du lieu avec des précisions dont on a bien du mal à cerner les sources. « J'ai vu par là un bel arbre, un chêne, au pied duquel un homme, blanchi par l'âge, vient dessiner de temps en temps. — Faut-il nommer Horace Vernet? — Et l'arbre, dit-on, est fameux pour avoir servi vingt minutes d'abri à Molière, qui suivait par là en curieux une chasse de Louis XIV » Comment le souvenir de cette présence de Molière sous ce chêne est-il parvenu au publiciste du Journal Amusant qui le mentionne ? On ne le saura jamais. Mais voici Molière et Horace Vernet inscrits dans la mémoire du lieu. (§ n°250 du 13 octobre 1860)

L'hiver de 1860-61 est particulièrement rigoureux et l'avancement du chantier du Parc s'en ressent. La Seine a connu des crues catastrophiques submergeant une majeure partie des champs du Pecq et de Croissy et noyant les fondations du bâtiment des machines hydrauliques. Cependant, les pompes à eau n'ont pas été atteintes et ont continué sans aucune entrave à fonctionner en permanence et à distribuer les eaux dans la colonie protégée par l'élévation du terrain. Les crues du mois de janvier 1861 après un temps pluvieux et froid, ont atteint la cote d'eau de +7 mètres. Le fleuve montant et descendant, ainsi que les glaces qu'il charrie gênent l'accostage des chalands, au port du Pecq. Les rails et les routes glissants embarrassent les transports par terre. L'état du sol des chantiers impose un surcroît d'efforts et des techniques de travail adaptées. Ces intempéries expliquent en partie le ralentissement du chantier qui s'en suivra.

  • Les constructions et les bâtisseurs

Lors de l'inauguration des machines hydrauliques, première grande réalisation du Parc, le 19 août 1860, dans le bâtiment du bord de la Seine devant une foule nombreuse et les représentants du gouvernement impérial (voir l'encart ci-dessous), trois discours officiels furent prononcés: celui du Monseigneur Mabile, évêque de Versailles, celui de Monsieur Pallu, propriétaire-gérant du Parc, et celui de Charles Planté, entrepreneur des travaux publics. Ce dernier moins connu, s'exprime au nom de ses confrères, entrepreneurs impliqués dans les divers développements du chantier, qui viennent de déposer deux magnifiques objets d'art en bronze, offerts par leurs ouvriers et par eux-mêmes à la Société de M. Pallu, en guise de reconnaissance. Le discours de Planté est une louange à la Compagnie, à son chantier et à la future Colonie qui apportent du travail et du bien-être à la classe laborieuse.
L'évêque de Versailles également se félicite des remarquables travaux : Que tous ceux qui font partie de la Société dont il s'agit y trouvent, pour eux et les leurs, tous les bénéfices, tous les avantages auxquels ils ont droit. Multiplier le travail, c'est multiplier les ressources dans la classe ouvrière et rendre les vrais services au pays" (§ l'Industriel, du 25/06/1860). Les transformations de la forêt en un parc agréable et utile se rapprochent des objectifs du programme d'assainissement du territoire français annoncé par l'Empereur dans son discours de Bordeaux d'octobre 1852. La Société de Pallu est ainsi honorée.

Une cérémonie intéressante a eu lieu dans le bois du Vésinet. Mgr l'évêque de Versailles a procédé à la bénédiction des travaux qui s'accomplissent dans ce bois naguère si aride, doté aujourd'hui de lacs, de rivières, de cascades et de tout ce qui peut en faire un parc délicieux appelé à devenir un centre de population important.
Le Ministre d'Etat de la Maison de l'Empereur et le Ministre de l'Agriculture assistaient à cette cérémonie qui avait attiré une affluence considérable.
Dans une allocution qui a vivement captivé l'attention de l'auditoire, Sa Grandeur a fait ressortir le but évidemment utile de l'entreprise, digne de celles dictées par une Auguste Volonté et dont la transformation de Paris offre tant de merveilleux exemples. Accompagné du directeur des travaux, M. Pallu, Monseigneur a visité ensuite les différentes parties du bois, ainsi que l'Asile impérial du Vésinet destiné aux femmes convalescentes. Puis il s'est dirigé vers la place du nouveau village où un banquet réunissait tous les ouvriers employés aux travaux et il a adressé à plusieurs d'entre eux des paroles pleines de bienveillance.
A 6 heures, un dîner a été offert à Mgr l'Evèque et à de nombreux invités. Au dessert M. Pallu a porté un toast à l'Empereur, à l'Impératrice et au Prince Impérial, qui a été accueilli par les acclamations les plus enthousiastes. Une brillante illumination qui a embrasé de ses feux les rives du lac et ses alentours a terminé cette fête de famille.

Le Moniteur Universel, Journal de l’Empire Français, Août 1860

Au centre du parc, un nouveau village commence à se dessiner autour de la future place du marché. Il est destiné à une dizaine d'établissements commerciaux et industriels propres aux besoins domestiques de la colonie. Sur la future place du Marché qui n'est encore qu'un grand pré, en ce jour de fête, on a dressé un banquet fastueux pour les 300 ouvriers [nombre indiqué par la presse], terrassiers, mécaniciens, ingénieurs et leurs entrepreneurs. Tous ont participé aux premières phases de l'aménagement du parc. Pioches, pelles, et autres outils se sont conjugués aux puissantes machines pour l'accomplissement d'un rêve de colonisation. " Monseigneur de Versailles a quitté sa voiture et porté de table en table quelques bonnes paroles qui ont été accueillies par des vivats prolongés" Le Monde Illustré, 25 août 1860).

Simultanément à l'aménagement du sol, des lac et des rivières, la construction immobilière se développe avec succès. Depuis l'ouverture des ventes, les architectes et les entrepreneurs ont été mis à contribution. Et déjà, une quarantaine de maisons sont édifiées au cours de l'année 1859. Le talentueux architecte-paysagiste Pierre Joseph Olive a beaucoup contribué à l'harmonisation de l'habitat et de la nature en réalisant quelques exemples de villas. Cependant, les besoins de la colonie en matériaux, services et denrées de toutes sortes, sont primordiaux. Les commerces se dressent déjà dans les zones qui leurs sont attribuées, au Rond-Point et dans le Village. En septembre 1859, six entrepreneurs de travaux publics (peinture, serrurerie, menuiserie, couvertures de bâtiments, charpentes, maçonnerie), domiciliés au Pecq ou à St-Germain, construisent des maisons similaires autour du centre du Rond-Point, sans que l'on sache précisément s'il s'agit de succursale (ce qui est probable) ou seulement d'immeubles de rapport. Parmi eux se trouve Charles Planté déjà mentionné, entrepreneur en maçonnerie, constructeur déjà influent dans le parc. Son siège est situé au 10, rue des Boulingrins à St-Germain-en-Laye. Son père, Barthélémy Planté, entrepreneur réputé à St-Germain-en-Laye dans la construction immobilière, avait passé un important contrat dans les années 1830 avec le futur président de la Compagnie du Chemin de Fer de l'Ouest, le saint-simonien Emile Pereire. En effet, ce dernier avait imaginé une sorte de phalanstère, la cité Medicis, quartier proche du château. Mais l'entreprise avait échoué et Planté fit faillite. Pour l'anecdote, en 1844, séjournant au restaurant du Pavillon Henri IV, Alexandre Dumas père demande au propriétaire de la maison Connaissez-vous un architecte dans la ville ?Oui, M. Planté qui a bâti le pâté de maisons qui fait le coin de la rue. Il demeure dans cette rue, au coin de la seconde à gauche. [la rue des Boulingrins, aujourd'hui rue Thiers]. Planté était plus un entrepreneur, un bâtisseur, qu'un architecte, mais ce fut lui qui construisit le fameux château de Monte-Cristo sur les hauteurs de Port-Marly. Les deux fils de Barthélémy Planté succèderont à leur père (Sté Planté Frères du 5 juillet 1861). Un de leurs premiers chantiers sera une villa pour le compte de M. Olive, au bord du Lac de Croissy.

Premières maisons

Les premières maisons de la colonie, construites autour du Rond-Point.

Détail d'une carte postale du tout début du XXe siècle. (Coll. Ghestem)

L'installation d'entreprises et de commerces s'intensifie dans le village, notamment celle du Parisien Rigot, en 1859. L'adjudication de 296 lots en mai 1859 va donner corps à ce nouveau village. La construction des maisons autour du Rond-point à débuté en septembre. A la fin de l'année, une quarantaine de maisons sont déjà édifiées. L'approvisionnement en matériaux de construction semble satisfaisante maintes sociétés du bâtiment possèdent des carrières de pierres et de moellons dans les environs, comme celles de Bougival, ou encore celles de Planté qui a un terrain d'extraction à Carrières-sous-Bois.
A l'approche de la première saison estivale du Parc du Vésinet, en 1859, la Société MM. Pallu & Cie établit un chalet-restaurant à proximité du Lac de la Station du Pecq, à la sortie de la gare, et le confie à un tenancier renommé d'un café saint-germanois, Pichereau. Ainsi, de nombreux entrepreneurs du voisinage, établis ou non dans le Parc, enlèvent plusieurs contrats dans la construction de bâtiments, dans le creusement des sols, dans la fourniture horticole, etc. Avec l'installation et la mise en fonction des machines hydrauliques, la section du sud-ouest de la propriété est complètement achevée. La Compagnie tient un plan de lotissement depuis les premiers jours de vente, mis régulièrement à jour.

  • Les routes et les chemins

Un plan du parc du Vésinet trouvé aux Archives municipales du Pecq permet de faire l'état des travaux accomplis ou presque achevés. Selon Michel Niles, la datation de ce plan est délicate. Il représente les lotissements dessinés et déjà vendus. En se référant aux actes notariés de Me Chevalier, il la situe à l'été 1860. L'emplacement de la future gare est tracé et recevra son bâtiment en 1861. Le plan coïnciderait avec les résultats des travaux mis en oeuvre durant les deux premières années. Il est possible qu'il ait été établi à l'occasion de l'inauguration des pompes hydrauliques.
Les tracés topographiques sont une projection fidèle de la lithographie du projet du Parc dressée par le comte de Choulot en 1858. On déduit que deux tiers des travaux sont complètement terminés et que trois lacs sont approvisionnés par les machines de la prise d'eau, ainsi que 4 km de cours d'eau. Les voies terrestres font déjà l'originalité au parc, reprenant l'idée de ligne courbe à l'art anglais et aux jardins philosophiques du XVIIIème siècle. Quelques routes droites seulement sont conservées sur les anciens tracés forestiers, les chemins de la chasse royale, les axes partant du rond-point et coupant le parc, et l'avenue de la Princesse ralliant l'asile impérial à la route de St-Germain à Paris. Au centre, le Village est dessiné sur un plan quadrilatère, à une distance respectable des villages voisins d'environ 2 km.
On relève près de 70 voies, tracées ou projetées, rectilignes ou courbes, qui s'étendent sur l'ensemble du plan. Elles sont désignées de la façon suivante :

      – deux sont périphériques : l'Allée Circulaire du rond-point et la Route de Ceinture rive droite et rive gauche (longue de 7 km)

      neuf se voient attribuer un repérage topographique,

      quatre se rapportent au chemin de fer,

      huit portent un nom faisant référence à l'eau ou au réseau,

      vingt-deux sont simplement numérotées, en distinguant la rive droite et la rive gauche

      les noms des quatre villages voisins (Chatou, Le Pecq, Croissy, Montesson) sont affectés onze fois à différents ponts, routes et rues.

Les deux centres de ravitaillement , le quartier du Rond-Point et le Village ont une structure ne correspondant pas à la conception de l'art des jardins de Choulot, puisqu'elles ne sont destinées qu'à recevoir des établissements en habitat condensé ou clairsemé. Le Rond-Point du Pecq [ou du Vésinet pour les Alpicois] est représenté en roue de charron, non entièrement rayonnée. Certaines voies portent le titre de chemin dont l'une à pour libellé projeté. Toujours dans un plan classique, mais diffèrent, le Village est une grille enserrée entre le chemin de fer rive droite, la route de Chatou au nord, la route du Pont du village [nom du Pont d'Alsace-Lorraine actuel] à l'ouest et la rue de la Station du Vésinet à l'est.
Le plan du village comporte deux parties : à l'ouest, les rues convergent principalement sur la place du marché rectangulaire à l'est, les rues s'entrecroisent. Au point de croisement s'élèvera l'église. Les voies appelées rues sont au nombre de douze :[3]

      quatre noms des villages du-Pecq, de-Montesson, de-Croissy ainsi que du Village-du-Vésinet,

      trois noms géométriques (Latérale, Biaise, du-Centre)

      deux noms de lieux (de-la-Faisanderie, du-Grand-Pont)

      trois noms classiques de quartiers (de-l'Église, du-Marché, de-la-Station).[4]

Ainsi ce village, situé sur la commune de Chatou, prévoit déjà son autonomie religieuse avec la construction d'une église [5], un centre d'approvisionnement en concurrence avec le marché de Chatou et une gare (justifiée par la nouvelle agglomération). Le Rond-Point qui dispose aussi d'un emplacement pour un marché, sera en rivalité avec le village du Pecq.
La totalité des routes carrossables tracées sur le plan représente 50 km, dont 7 km pour la seule Route de Ceinture. S'y ajoutent 10 km de sentiers de promenades le long des pelouses, des lacs et rivières. Fin 1859, 35 à 40 km de voies sont ouvertes à la circulation, 5 passages sont établis sur le chemin de fer. [6]

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    Notes et sources:

    [1] L'Industriel de St-Germain, 1858 à 1860.

    [2] Jean Delcour, Le Vésinet historique, Amelot éditeur, 1962.

    [3] Michel Niles, La genèse d'une cité-jardin, Le Vésinet 1857-1866 mémoire de Maîtrise, Université Paris I, 1989.

    [4] Les références à la marguerite viendront peu après. Le 27 novembre 1860, Alphonse Pallu perdait sa fille Marguerite Marie, âgée de 10 ans. Le prénom de la disparue sera donné à l'Église, à une avenue, à la villa que Pallu fera construire en 1869. Elle figurera sur les armoiries de la commune et la fête locale sera célébrée à la Sainte Marguerite (le 20 juillet). De nos jours, elle est célébrée en juin mais conserve le nom de fête de la marguerite.

    [5] Selon des conditions qui seront précisées dans le Cahier des Charges de 1863.

    [6] L'Industriel de St-Germain. 31 décembre 1859.

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